II. UN DISPOSITIF PRÊTANT LE FLANC À LA CRITIQUE

Notre pays n'est, certes, pas parmi les moins bien dotés pour ce qui est des réseaux numériques. Cependant, il apparaît que ceux existants pourraient encore significativement améliorés, du point de vue tant de l'extension de leur couverture que des débits qu'ils proposent. Quant aux réseaux du futur, le modèle de déploiement retenu ne semble pas de nature à permettre de les généraliser rapidement sur tout le territoire.

A. UNE DESSERTE DU TERRITOIRE ENCORE INSATISFAISANTE

Conséquence partielle de la physionomie de notre pays, dont une grande partie est constituée de zones peu denses, la couverture numérique de notre territoire et de ses populations est encore loin d'être exhaustive. Si le constat vaut avant tout, bien évidemment, pour le très haut débit, il est également vérifiable pour le haut débit, fixe comme mobile.

1. La téléphonie mobile

Les études de couverture de la population en réseaux de téléphonie mobile régulièrement publiées par l'ARCEP sont d'apparence flatteuse et permettent aux opérateurs de communiquer commercialement de façon avantageuse. Elles masquent cependant en creux une grande inégalité de desserte selon la densité d'habitants de la zone considérée.

Pour ce qui est du réseau 2G , il ressort du bilan effectué au 1 er janvier 2009 que 97,8 % de la population est couverte par les trois opérateurs mobiles à la fois (« zones noires ») et que 99,82 % de la population est couverte par au moins un opérateur (« zones grises »). Si l'on s'intéresse, non pas à la population couverte, mais aux zones desservies, on s'aperçoit que la couverture se réduit à 86 % de la surface du territoire pour les « zones noires » et 97,7 % pour les « zones grises ».

En négatif apparaissent les zones où aucun opérateur n'est présent (« zones blanches »), qui représentent 0,18 % de la population, ce qui correspond tout de même à une centaine de milliers de personnes, et à 2,3 % de la surface du territoire métropolitain. 13 départements, concentrés dans les zones montagneuses, ont ainsi plus de 5 % de leur surface couverte par aucun opérateur et concentrent la moitié des « zones blanches ».

Certes, des programmes d'extension de la couverture mobile en « zones blanches » ont été mis en place, à l'initiative de l'État, en associant opérateurs et collectivités. Mais si les 2 944 communes identifiées par le premier programme, datant de 2003, sont à ce jour quasiment toutes traitées, plusieurs dizaines des 364 ciblées par le deuxième, datant de 2008, sont toujours en attente de couverture.

TAUX DE ZONES NOIRES, GRISES ET BLANCHES EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

Source : ARCEP

De façon plus générale, il apparaît que les zones réputées couvertes au regard des cartes de couverture fournies par les opérateurs, même vérifiées par l'ARCEP, ne le sont pas toujours en réalité . Ceci peut tenir à des difficultés d'ordre technique, du fait du décalage entre les modèles théoriques et l'expérience réelle, ce qui se comprend et peut être corrigé. Mais ceci tient également parfois à des insuffisances du réseau qui amènent à s'interroger sur la politique de déploiement des opérateurs et leur tendance, longtemps constatée du moins, à remplir leurs engagements de couverture a minima .

Enfin, on relèvera que l'étalon de mesure auquel il est fait recours par l'ARCEP pour vérifier si les opérateurs respectent leurs engagements de couverture est sujet à débat . Jugeant de la réception uniquement en zone habitée, à l'extérieur des bâtiments et en situation fixe, il paraît aujourd'hui assez largement obsolète au regard des attentes des utilisateurs, qui souhaiteraient pouvoir utiliser leurs terminaux y compris dans des zones non habitées (touristiques, par exemple), à l'intérieur des bâtiments ou encore en situation de mobilité.

Ce problème des critères de mesure retenus se pose par ailleurs avec une acuité particulière pour ce qui est des programmes d'extension « zones blanches », puisque une commune est réputée traitée dès lors que son seul centre bourg est desservi par le réseau mobile.

2. Le haut débit fixe

Le Gouvernement et certains opérateurs mettent couramment en avant le fait que 100 % de la population française aurait désormais accès au haut débit. Cette affirmation, dont on ne peut dire qu'elle est fausse au sens strict, recouvre une réalité beaucoup plus nuancée, et moins avantageuse pour une partie importante des utilisateurs.

D'une part, ce chiffre de 100 % ne peut être atteint que si l'on inclue l'offre satellitaire . Or, celle-ci permet d'atteindre n'importe quelle zone de notre territoire, mais dans des conditions de desserte bien moins confortables que le réseau DSL : débits inférieurs, en « descente » et, surtout, en « montée » ; temps de latence dans la réception des données ; prix plus élevé de l'équipement et de l'abonnement ; impossibilité d'accéder à du triple play 13 ( * ) ... Si elle a son utilité, la technologie satellitaire ne doit donc être considérée que comme une solution d'appoint par rapport à d'autres offres technologiques offrant des débits supérieurs et un service plus fluide à des prix plus intéressants.

D'autre part, le terme de « haut débit », censé profiter à tout habitant de ce pays, est somme toute peu précis et permet de qualifier par une même notion des réalités fort différentes . Quoi de commun, en effet, entre sa fourchette basse, fixée à 512 kbit/s et n'offrant qu'une expérience limitée de l'internet, que le Gouvernement met en avant dans son plan France numérique 2012 pour s'enorgueillir de ce que toute personne peut y accéder, et une fourchette plus haute, à partir de 8 Mbit/s, qui permet réellement d'accéder aux services multimédias proposés aujourd'hui par les réseaux de communications électroniques, comme par exemple le triple play ?

Si l'on estime, comme le fait votre rapporteur, que l'objectif d'un véritable haut débit doit aujourd'hui s'entendre d'un accès par le réseau DSL à un débit minimum de 2 Mbit/s , alors les statistiques ne paraissent plus aussi favorables. Certes, 98,3 % des Français ont désormais accès à des services DSL depuis leur domicile, mais ce taux de couverture n'est plus que de 77 % seulement pour les connexions bénéficiant d'un débit supérieur ou égal à 2 Mbit/s. Et si l'on « place la barre » plus haut encore, à 10 Mbit/s , ce ne sont plus qu'une minorité des Français - 48,5 % exactement - qui bénéficient d'une desserte de cette qualité.

Bien entendu, la cartographie nationale du haut débit se superpose très exactement avec celle de la densité des territoires en population : plus une zone donnée est densément peuplée et plus, généralement, ses habitants peuvent accéder à un haut débit de qualité. Il en découle une inégalité de traitement de ces derniers selon le territoire dont ils relèvent, laquelle risque d'être plus importante encore avec le réseau très haut débit.

3. Le très haut débit

Comme pour le haut débit, le Gouvernement met couramment en avant des chiffres permettant de présenter le très haut débit comme une réalité partagée par un nombre important de nos concitoyens et qui ne cesse de progresser.

Selon le ministre en charge de l'économie numérique, ce sont ainsi 6 millions de foyers qui ont aujourd'hui accès à une offre très haut débit, tandis que le nombre de logements fibrés croît de 33 % par an et celui des abonnés de 50 %. Or, cette affirmation, qui n'est pas fausse en soi, se doit d'être nuancée à un triple égard.

D'une part, ces 6 millions de foyers doivent être distingués selon qu'ils sont raccordés au très haut débit par câble - c'est le cas de 4,7 millions d'entre eux - ou par fibre optique - c'est le cas des 1,35 million restant. Constitué en fibre optique jusqu'au au domicile de l'abonné, le réseau FttH offre l'avantage de transporter le signal sans dégradation sur de longues distances et de proposer des débits de plusieurs centaines de Mbit/s - voire de plusieurs Gbit/s - montants comme descendants. Dans l'architecture câble, ou FttLA , la fibre n'est poussée que jusqu'à des « poches » de quelques dizaines d'abonnés, la partie finale du réseau - celle permettant de raccorder l'abonné - restant en câble coaxial. Cette technologie présente l'inconvénient, par rapport au FttH, de répartir le débit disponible entre tous les utilisateurs ; il peut toutefois s'élever jusqu'à 100 Mbit/s descendants et 5 Mbits/s montants, mais ses perspectives de montée en débit sont limitées au-delà.

D'autre part, sur les 1,35 million de foyers raccordés à la fibre, tous n'ont pas fait le choix de s'abonner à l'offre de service très haut débit. En effet, seuls 550 000 ont souscrit un abonnement à une telle offre, dont 175 000 seulement en FttH . Un chiffre à comparer aux 20 millions environ d'abonnés au haut débit ! La cause en est sans doute que l'offre fibre est aujourd'hui proposée dans les grands centres urbains, qui permettent déjà à leurs habitants d'accéder à des débits très élevés par le réseau ADSL. Il en irait sûrement autrement si cette offre était proposée dans des zones moins denses, où le réseau haut débit est bien moins développé et l'appétence pour la fibre est incomparablement supérieure.

Enfin, les taux de progression des raccordements et d'abonnement à la fibre ne doivent pas faire illusion puisque l'on part « de très bas » en la matière. En outre, si ces taux sont impressionnants en tant que tels, ils restent insuffisants pour couvrir le territoire selon le rythme et dans les proportions assignés par le président de la République. Selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), il faudrait ainsi pas moins du siècle pour que le territoire national soit, au rythme de progression actuel du réseau, couvert intégralement en FttH.

Si l'on rapporte ces éléments sur la carte de la France métropolitaine, ainsi que le fait le document ci-dessous, on s'aperçoit que le déploiement du réseau très haut débit, encore embryonnaire, reste concentré autour des plus grandes zones urbaines , le reste du territoire étant totalement déserté. Après le haut débit et la téléphonie mobile, c'est donc bien à une nouvelle fracture numérique territoriale à laquelle on assiste en matière de très haut débit. Une fracture plus forte encore avec d'une part des habitants des zones urbaines disposant de débits très élevés, 100 Mbit/s ou plus, et d'autre part des habitants des zones rurales disposant de faibles débits, 512 kbit/s ou même moins.

ÉTAT DES DÉPLOIEMENTS DE RÉSEAUX FIBRE OPTIQUE EN COURS AU NIVEAU NATIONAL

Source : ARCEP


* 13 Offre commerciale dans laquelle l'opérateur propose à ses abonnés un ensemble de trois services dans le cadre d'un contrat unique : l'accès à l'internet à haut - voire très haut - débit, la téléphonie fixe - le plus souvent sous forme de voix sur internet - et la télévision - ainsi que, parfois des services de vidéo à la demande.

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