B. LES ATTENTES DU SÉNAT POUR LA MISE EN oeUVRE DU TRAITÉ

1. Coordonner les dispositifs d'aide multi et bi latéraux
a) La dispersion des circuits et l'éclatement des acteurs nuisent à la lisibilité de l'aide française

Le même rapport officiel de Mme HOSTALIER sur la politique d'aide au développement en Afghanistan a très bien décrit l'éclatement et l'absence de lisibilité du dispositif français :

« La multiplicité des intervenants et des structures de pilotage rend extrêmement difficile la lisibilité de la présence et de l'action de la France dans le domaine de la coopération et du développement. Lors de mes différentes rencontres, les intervenants de terrain reconnaissent par exemple ne pas toujours savoir d'où vient, au départ, l'argent finançant les actions. Surtout lorsqu'il y a plusieurs acteurs sur un même secteur (comme par exemple en Kapisa et Surobi), il est bien difficile de s'y retrouver. »

« La visibilité et la lisibilité de notre aide souffrent sans aucun doute d'une impression de saupoudrage due au grand nombre de projets engagés et à la complexité des circuits de financement, alors que notre enveloppe de crédits reste fortement contrainte . Notre effort doit donc être recadré et correspondre à une véritable politique engagée sur le long terme, visible et répondant à des besoins vitaux pour la population. ».

b) Les mesures proposées pour mieux coordonner le dispositif français

L'étude d'impact du projet de loi précise qu' « un effort de coordination de l'aide bilatérale française avec les bailleurs multilatéraux sera recherché afin d'optimiser l'impact de l'aide française. ».

Le traité prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes se réunissant une fois par an alternativement en France et en Afghanistan : une commission mixte de coopération pour le suivi des programmes de coopération, une commission mixte politico-militaire et une commission mixte de sécurité intérieure.

La composition envisagée de ces commissions, qui n'est pas précisée dans le traité, n'a pas été fournie, dans le détail, à votre rapporteur. Il lui a juste été précisé qu'elles rassembleraient, côté français, des représentants des ministères des Affaires étrangères, de la Défense, de l'Intérieur, de l'Économie, et de la Culture et que des représentants d'autres administrations concernées, comme l'Agence française de développement (AFD), pourraient également y participer.

La commission mixte de coopération rassemblera une fois par an et alternativement en France et en Afghanistan, les représentants des ministères concernés de nos deux pays et assurera le suivi des programmes de coopération établis dans le cadre du programme de coopération à 5 ans.

La commission mixte politico-stratégique rassemblera une fois par an, alternativement en France et en Afghanistan, les représentants des ministères concernés afin de faire le point, chaque année, sur les questions politiques de défense et de sécurité régionale intéressant nos deux pays.

La commission mixte de sécurité intérieure rassemblera une fois par an, alternativement en France et en Afghanistan, les représentants des ministères concernés et couvrira les domaines de coopération en matière de police, de lutte contre la criminalité organisée et les trafics illégaux, en particulier les trafics de stupéfiants, et de sécurité civile.

2. Assurer la sécurité de nos experts et entreprises
a) Une dégradation du contexte sécuritaire

Le contexte sécuritaire s'est fortement dégradé depuis 2006. L'Afghanistan a connu depuis lors une série d'attentats spectaculaires et meurtriers. Défaits militairement par les forces alliées, les rebelles ont recours aux engins explosifs improvisés et aux attentats-suicide en privilégiant les cibles à fort impact médiatique. Ils tentent par ce biais de saper l'action de la communauté internationale et des institutions mises en place depuis 2001, en misant sur l'érosion du soutien dont celles-ci peuvent jouir tant au sein de la population afghane que parmi les opinions publiques occidentales.

On estime à 22 000 le nombre de civils tués entre 2001 et 2010, et à 30 000 celui des insurgés.

Quatre générations de menaces se sont succédé pour se cumuler au final : à la guérilla classique (2001-2006) sont venus s'ajouter le recours aux engins explosifs improvisés (2006-2007), puis le recours aux kamikazes ou « human bombers » (2008-2001) et récemment les attaques internes, par infiltration des forces afghanes, ou « green on blue » (2011-2012).

Il va de soi que la sécurité physique et juridique des coopérants et investisseurs français, le respect de leurs droits de propriété intellectuelle et foncière, ainsi que la sécurité juridique des intervenants français ou non mais travaillant pour des entreprises françaises, est une préoccupation majeure.

La poursuite et l'accroissement de la coopération civile avec l'Afghanistan ne saurait être engagée sans une prise de conscience claire des questions de sécurité.

Les sénateurs qui se sont rendus ces dernières années à Kaboul ont pu constater les consignes de sécurité applicables au sein même de la capitale : déplacement en voiture blindée, interdiction de sortir des lieux de travail où les entretiens étaient planifiés et de leur lieu d'hébergement. Chacun sait que la sécurité n'est pas complètement assurée à Kaboul puisque les insurgés s'y sont régulièrement infiltrés depuis plusieurs mois et que par ailleurs, des Afghans ont tué au début de l'année des coopérants américains et allemands à l'intérieur même des ministères où ils travaillaient.

Les sénateurs qui se sont rendus auprès de l'état major de la Task Force La Fayette ont pu constater la complexité qu'il y avait, dans le cadre du déploiement des troupes françaises, à assurer la sécurité du travail du pôle de stabilité dans certaines zones dangereuses.

Qu'en sera-t-il demain du contexte sécuritaire dans les provinces où les forces armées afghanes seront seules en charge de la sécurité ?

La question concerne aussi les entreprises françaises qui seraient susceptibles de s'implanter dans le pays.

Si on veut que, parallèlement à l'effort de coopération civile, les entreprises françaises participent au développement économique, et notamment à la valorisation du sous-sol afghan, il convient que la sécurité de leurs employés soit assurée. Comment sinon attirer Lafarge, Schlumberger ou Total, par exemple ?

Comment sensibiliser des entreprises intervenant dans le secteur minier au potentiel afghan si les conditions d'exercice de leur activité ne sont pas assurées ?

b) La montée en puissance très progressive des forces nationales afghanes

L'armée nationale afghane (ANA), forte aujourd'hui de 186  012 hommes a pour mission d'assurer l'indépendance du pays, la souveraineté nationale, de protéger les intérêts nationaux, et l'intégrité de l'Afghanistan. Toujours en phase de montée en puissance, sa structure, son volume et sa capacité opérationnelle sont en constante évolution.

Subordonnée au ministère de la défense, l'organisation de l'ANA s'articule autour de 6 corps (chacun fort de 10 à 20.000 hommes et de trois grandes unités subordonnées), une division d'opérations spéciales, une division capitale, une brigade de sécurité et de soutien de quartier général. Elle englobe par ailleurs l'armée de l'air forte de 5000 hommes.

En Kapisa Surobi, l'ANA est déployée à hauteur d'une brigade (3° Brigade - 201° Corps) forte de 4.700 hommes.

Globalement, on estime à 45.000 les forces de l'ANA déployées en opérations, le reste se trouvant en service de garnison, en permissions, stages ou absents (maladies - autre).

La vraie question est naturellement celle de la capacité opérationnelle de ces forces armées. On peut relever quelques « signaux » encourageants.

L'ANA a atteint le niveau lui permettant de planifier, conduire et contrôler des opérations du niveau du bataillon. La formation tactique donne satisfaction. En 2011, pour la première fois, les pertes de l'ANA ont été supérieures à celles de la coalition, ce qui démontre leur progressive montée en puissance opérationnelle.

La chaine de recrutement est structurée, les processus de sélection établis. Le recrutement s'effectue au travers d'un processus de sûreté permettant d'écarter autant que possible les candidats liés à l'insurrection. Il implique la famille qui recommande les candidats, les autorités locales ( maleks ou mollahs ) qui garantissent l'identité et les gouverneurs qui donnent leur approbation.

Les infiltrations (« green on blue » ) restent malheureusement un réel problème.

3. Contrôler l'utilisation des fonds : vers la conditionnalité

En partie à l'instigation de la France, l'Union européenne a fixé quatre conditionnalités pour son aide civile à l'Afghanistan : déroulement d'élections, solution du problème de la Kabul Bank , réforme fiscale et douanière, droits de l'homme et en particulier statut de la femme.

Les problèmes de corruption sont patents. Votre commission les avait dénoncés sans complaisance dans son précédent rapport sur l'Afghanistan, en 2009.

Le rapport précité de Mme HOSTALIER décrit ainsi l'emprise de la corruption sur les circuits de financement de l'aide versée à l'Afghanistan.

« Véritable fléau qui affecte tous les échelons de la vie publique, y compris au plus haut niveau, la corruption aurait, selon le témoignage de la plupart des observateurs, gagné en intensité depuis plusieurs années. D'après Transparency International , le classement du pays pour la corruption est passé de 172 en 2007 à 176 en 2010 (sur 178 pays) juste avant la Birmanie et la Somalie.

« L'abondance des fonds venus de l'étranger , la complaisance des autorités et l'étendue des ramifications de l'économie parallèle de l'opium et du trafic des stupéfiants contribuent à miner toute action crédible de lutte anti-corruption. Quelques mesures sont intervenues avec la loi sur la corruption de 2008 et la création d'une agence chargée d'un ambitieux objectif de lutte contre la corruption, mais sans réels moyens matériels et juridiques. Ces efforts restent clairement bloqués par l'absence d'une réelle volonté politique et par la puissance des groupes d'intérêts. ».

Bien que le « processus de Kaboul » préconise de faire transiter une part croissante de notre aide par le mécanisme de l'aide budgétaire annuelle (" core budget ") ou par des mécanismes de financement afghan (" on budget "), le passage par le budget de l'État afghan se traduit par des délais très longs et ; il faut le reconnaître, par l'absence de contrôle réel sur les montants versés . C'est la raison pour laquelle le traité d'amitié et de coopération ne reprend pas stricto sensu l'engagement de faire transiter les fonds par le budget afghan. L'aide civile au bénéfice de l'Afghanistan s'effectue selon une procédure majoritairement « off budget ».

Dans ce contexte, il va de soi que l'intensification de l'aide française doit s'accompagner, autant que faire se peut, d'un contrôle renforcé de son utilisation.

Il parait indispensable d'assurer la traçabilité des fonds qui vont être engagés dans le cadre des programmes futurs.

Prenons un exemple : en matière agricole. Notre dispositif, qui a permis d'obtenir des résultats importants ces dernières années, grâce à l'engagement et à la compétence des responsables sur place, n'est pourtant pas dénué d'une certaine opacité. Pour améliorer la transparence et la connaissance des projets, des actions concrètes ont été menées, comme des demandes de localisations précises, une liste d'inventaire exacte des véhicules et matériels achetés, la description précise du temps d'intervention des entreprises... La question du contrôle est particulièrement aiguë dans les projets engagés dans des zones inaccessibles pour nos experts.

En outre, l'aide internationale doit être un levier pour faire progresser l'Afghanistan dans la voie d'une meilleure gouvernance.

C'est toute la question de la conditionnalité de l'aide qui se pose. Il paraît indispensable d'instituer un mécanisme de suivi liant le soutien financier de la communauté internationale aux progrès des autorités afghanes (tenue d'élections transparentes, gouvernance, lutte contre la corruption, etc.).

La France, avec l'Union Européenne qui est le premier contributeur en faveur de l'Afghanistan, a réaffirmé lors de la Conférence de Tokyo le 8 juillet dernier qu'elle souhaite que les autorités afghanes s'engagent :

- à la tenue d'élections libres et équitables en 2014 et 2015 ;

- à la mise en oeuvre des recommandations du FMI, qui appellent l'Afghanistan à assurer l'assainissement de ses finances publiques , à progresser dans la voie de la bonne gouvernance et à développer son secteur privé. Cet objectif passe notamment par une réforme des systèmes fiscal et douanier ;

- mais aussi à la poursuite des progrès engagés en matière de protection des droits de l'Homme et de situation des femmes .

Votre commission se félicite de cette nouvelle approche, du moins dans le discours. L'aide n'est plus assortie d'une simple invitation, même pressante, adressée aux autorités afghanes, pour qu'elles progressent dans la voie de la gouvernance, mais d'une véritable conditionnalité.

Page mise à jour le

Partager cette page