N° 8

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 octobre 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, visant à la suspension de la fabrication , de l' importation , de l' exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ,

Par Mme Patricia SCHILLINGER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mme Michelle Meunier, M. Alain Néri, Mme Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

3584 , 3773 et T.A. 747

Sénat :

27 (2011-2012) et 9 (2012-2013)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les pays occidentaux sont confrontés à des maladies dont le seul vieillissement est insuffisant pour expliquer le développement : l'augmentation de certains cancers, notamment liés au système hormonal (sein, prostate...), et de pathologies métaboliques, comme l'obésité, et la dégradation de la fertilité humaine sont plus que préoccupantes.

Le constat est partagé mais les causalités restent largement débattues par les scientifiques. Cependant, de très nombreuses études mettent en avant le rôle néfaste des facteurs environnementaux au sens large, leur multiplicité constituant justement une difficulté dans l'analyse.

Les perturbateurs endocriniens, qui affectent le fonctionnement normal du système hormonal, sont souvent cités parmi les éléments explicatifs. Or, ces substances chimiques remettent en cause la méthodologie classique de la toxicologie selon laquelle la dose fait le poison. Elles auraient des effets sanitaires encore mal appréhendés chez l'être humain, mais avérés chez l'animal. Leur impact sur l'écosystème, faune sauvage ou milieu aquatique, est certain.

Le bisphénol A, qui fait partie de cette famille de substances, a fait l'objet de très nombreuses études variées qui ont été utilement synthétisées par l'Inserm et par l'Anses en 2011.

Comme en 2010 avec le sujet des biberons, les décideurs politiques sont donc confrontés à un choix que la science peut uniquement éclairer, mais sans certitude absolue.

En conséquence, votre rapporteure a souhaité adopter une approche pragmatique, fondée sur deux prémisses :

- le cadre scientifique établi par l'Inserm et par l'Anses : la toxicité du bisphénol A est avérée chez l'animal, suspectée chez l'être humain ; l'alimentation est la source principale d'exposition ; des effets sont susceptibles de survenir à faibles doses ; la période de la grossesse et du début de la vie est la plus critique ;

- l'obligation de disposer de substituts adaptés et non nocifs. Les industriels ont entamé les recherches à ce sujet, mais aucun composé n'apparaît aussi polyvalent que le BPA. Il est donc nécessaire d'en envisager plusieurs et de laisser du temps pour expertiser leur innocuité et leur adaptabilité pour les différents aliments ou boissons consommés en France.

Cette grille d'analyse a amené votre commission, à l'initiative de sa rapporteure, à approuver l'application du principe de précaution, de manière mesurée et programmée, à l'encontre des conditionnements alimentaires en bisphénol A.

I. LE BISPHÉNOL A : UN PERTURBATEUR ENDOCRINIEN DONT LES EFFETS TOXIQUES, AVÉRÉS CHEZ L'ANIMAL, SONT SUSPECTÉS CHEZ L'ÊTRE HUMAIN

A. LA LOI DU 30 JUIN 2010 SUR LES BIBERONS EN BPA : UNE PREMIÈRE ÉTAPE INITIÉE PAR LE SÉNAT ET QUI NE FAIT PLUS POLÉMIQUE

1. Le bisphénol A : un produit répandu et encadré

Un composé utilisé largement depuis quarante ans dans les produits de la vie courante

Le bisphénol A (BPA) est un composé chimique , issu de la réaction entre du phénol et de l'acétone. Synthétisé dès la fin du XIX e siècle, il était destiné, dans les années trente, à être exploité comme un oestrogène de synthèse ; il n'a, en définitive, jamais été employé comme médicament en raison de la découverte du diéthylstilbestrol, qui paraissait plus prometteur 1 ( * ) .

Depuis les années 1960, le BPA est très largement utilisé dans la fabrication industrielle par polymérisation de plastiques de type polycarbonate et dans celle de résines époxydes . Le polycarbonate a connu un grand succès industriel en raison de ses qualités de résistance, de transparence et d'inaltérabilité. Les résines époxydes sont par exemple utilisées dans le contact alimentaire pour protéger l'aliment ou la boisson du matériau externe (fer, aluminium...) d'une boîte de conserve ou d'une canette par un film transparent.

Au total, le BPA est présent, depuis plus de quarante ans, dans de très nombreux produits de la vie courante : CD, équipements électriques, pièces automobiles, vitrages, toitures, appareils médicaux, lunettes de soleil, mais aussi biberons 2 ( * ) , bouilloires, bombonnes d'eau, fûts, boîtes métalliques ...

Un produit dont l'utilisation est encadrée

Différentes normes nationales ou communautaires encadrent l'utilisation des matériaux et objets destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires.

Par exemple, un règlement européen de 2004 3 ( * ) prévoit que les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires doivent être fabriqués afin que, « dans les conditions normales ou prévisibles de leur emploi, ils ne cèdent pas aux denrées alimentaires des constituants en une quantité susceptible de présenter un danger pour la santé humaine, d'entraîner une modification inacceptable de la composition des denrées ou d'entraîner une altération des caractères organoleptiques de celles-ci » .

Un règlement de 2011 4 ( * ) , qui remplace des dispositions antérieures, complète le texte de 2004 en ce qui concerne les matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires. Il fixe des exigences en matière de composition et seules les substances figurant sur une liste annexée au règlement peuvent être utilisées dans la fabrication. En outre, les matériaux et objets en matière plastique ne peuvent céder leurs constituants aux denrées alimentaires en des quantités dépassant certaines limites de migration .

2. La fin des biberons en bisphénol A, une application du principe de précaution

A la suite de la publication dans la presse de plusieurs études relatives au BPA, Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE déposaient, au Sénat, une proposition de loi tendant à interdire le bisphénol A dans les plastiques alimentaires 5 ( * ) . Au regard des données scientifiques alors disponibles, Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales, proposait de restreindre le champ du texte aux seuls biberons en BPA et le Sénat adoptait à l'unanimité, le 24 mars 2010, la proposition de loi ainsi modifiée.

Le rapport 6 ( * ) de Gérard Dériot posait déjà la question de la pertinence de l'approche toxicologique classique , qui consiste à définir une dose journalière que le corps humain peut ingérer puis éliminer sans effet nocif observable. Or, les perturbateurs endocriniens, dont le BPA, ne « s'attaquent » pas, comme un produit toxique, à l'organisme ; ils en modifient le fonctionnement normal en affectant les récepteurs hormonaux. Le rapport s'interrogeait alors : est-il toujours pertinent de réfléchir en termes de dose « plafond » pour refléter l'impact sanitaire de ces produits ?

En janvier 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments 7 ( * ) reconnaissait des « signaux d'alerte » et recommandait de poursuivre les recherches afin de comprendre les mécanismes d'action du BPA chez l'être humain. Elle indiquait que les études analysées ne permettaient pas d'établir une relation dose-effet ou de définir une dose sans effet sur laquelle fonder une dose journalière admissible : « Dans le cas des composés perturbateurs endocriniens pouvant exercer des effets différents selon le stade de développement (fenêtres critiques d'exposition au cours desquelles des effets néfastes peuvent apparaître, en particulier la période périnatale), la dose journalière tolérable n'apparaît pas être l'approche d'évaluation des risques la mieux adaptée . »

A la suite de l'adoption de ce texte par l'Assemblée nationale dans les mêmes termes, le 23 juin 2010, la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de bisphénol A ont été suspendues jusqu'à l'adoption, par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, d'un avis motivé autorisant à nouveau ces opérations.

En application de l'article 2 de cette loi, le Gouvernement a transmis au Parlement, début mars 2011 avec deux mois de retard, un rapport sur les mesures déjà prises et celles envisagées pour diminuer l'exposition humaine aux perturbateurs endocriniens.

A cette période, le gouvernement du Danemark a également souhaité adopter des mesures de sauvegarde en interdisant provisoirement l'utilisation du BPA dans la fabrication des matériaux plastiques en contact avec les denrées alimentaires destinées aux enfants de moins de trois ans .

A la suite de la loi française, la Commission européenne a adopté, en janvier 2011, une directive qui interdit, en Europe, l'emploi du BPA dans la fabrication de biberons pour nourrissons 8 ( * ) . Le texte précise notamment : « Etant donné l'existence possible d'une vulnérabilité particulière des nourrissons aux effets potentiels du BPA, et ce bien que le nourrisson soit jugé capable d'éliminer cette substance et que le risque, en particulier pour la santé humaine, n'ait pas encore été pleinement démontré, il convient de réduire autant que raisonnablement possible l'exposition des nourrissons au BPA, jusqu'à ce que l'on dispose de nouvelles données scientifiques permettant de clarifier la pertinence toxicologique de certains effets observés du BPA, notamment en ce qui concerne des changements biochimiques dans le cerveau, des effets immunomodulateurs et une prédisposition accrue aux tumeurs du sein. »


* 1 Cette molécule, commercialisée sous le nom de distilbène en France, n'est plus prescrite chez la femme enceinte depuis le début des années 1980, en raison des malformations qu'elle provoque chez l'enfant à naître.

* 2 Ils ne sont plus autorisés en France depuis juillet 2010.

* 3 Règlement (CE) n° 1935/2004 du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires et abrogeant les directives 80/590/CEE et 89/109/CEE.

* 4 Règlement (UE) n° 10/2011 de la Commission européenne du 14 janvier 2011 concernant les matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires.

* 5 Dossier législatif à l'adresse : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl08-595.html

* 6 Rapport n° 318 (2009-2010) de Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales.

* 7 L'Anses a été créée en juillet 2010 par la fusion de l'Afssa et de l'Afsset..

* 8 Directive 2011/8/UE de la commission du 28 janvier 2011 modifiant la directive 2002/72/CE en ce qui concerne la restriction de l'utilisation du bisphénol A dans les biberons en plastique pour nourrissons.

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