B. DEPUIS 2010, L'ÉTUDE DE LA TOXICITÉ DU BPA A ÉTÉ APPROFONDIE

1. L'expertise collective de l'Inserm « Reproduction et environnement » (avril 2011)

L'Institut national de la santé et la recherche médicale (Inserm) a publié, en avril 2011 à la demande du ministère de la santé, une « expertise collective » qui constitue l'analyse critique, par un groupe pluridisciplinaire, de la littérature scientifique internationale. Elle concernait cinq grandes familles de substances chimiques : le BPA, les phtalates, les composés polybromés (retardateurs de flammes), les composés perfluorés et les parabènes.

En ce qui concerne le BPA, l'étude rappelle que ce composé est actuellement classé dans la législation de l'Union européenne comme substance reprotoxique « préoccupante pour la fertilité de l'espèce humaine », en raison « d'effets toxiques possibles » mais non démontrés sur la reproduction.

Selon les agences sanitaires internationales, la principale source d'exposition de la population est alimentaire et résulte du passage du BPA dans l'aliment ou la boisson à partir des polymères plastiques et résines époxy utilisés pour les emballer ou les contenir.

Les mesures de BPA effectuées dans le sang, l'urine, le lait maternel et d'autres tissus indiquent que plus de 90 % des personnes vivant dans les pays occidentaux sont exposées à des niveaux détectables de BPA. En outre, ce produit est capable de passer la barrière placentaire et d'atteindre le foetus. D'après une étude allemande, les enfants entre trois et cinq ans constituent le sous-groupe présentant la plus forte imprégnation.

Très peu d'études épidémiologiques ont été réalisées et « on ne peut pas considérer que le BPA, aux doses auxquelles la population générale est exposée, soit sans danger pour le versant masculin de la reproduction ».

Etudes chez l'animal

Les deux principales études de toxicité menées chez le rat et la souris n'ont pas mis en évidence d'effets significatifs sur la reproduction chez les mâles, les femelles et leur descendance, après une exposition au BPA dès la gestation et sur plusieurs générations, à des doses comparables à une exposition environnementale chez l'être humain.

Cependant, plusieurs travaux ont attiré l'attention sur des effets peu étudiés, surtout pour des périodes d'exposition particulières . Ces études mettent l'accent sur les conséquences d'une exposition au BPA in utero et pendant la lactation, susceptible d'interférer directement avec le développement de l'embryon, puis du nouveau-né et d'engendrer des effets de long terme sur la reproduction.

Chez le rat et la souris mâle, après exposition pendant la gestation et la période postnatale, plusieurs études révèlent des effets du BPA sur l'appareil génital, sur la production de spermatozoïdes, sur le taux des hormones mâles et sur la fertilité. Ces résultats n'ont pas été retrouvés dans toutes les études.

Chez le rat et la souris femelle, après exposition pendant la gestation et la période postnatale, le BPA peut induire une puberté précoce, des altérations de l'utérus, du vagin, de l'ovaire et de l'endomètre.

Après une exposition in utero , des anomalies dans les comportements maternel et sexuel sont observés pour les deux sexes.

La transmission à la descendance de certains de ces effets chez les rongeurs exposés suggère que le BPA peut induire des altérations de l'information épigénétique et perturber l'expression des gènes. Qui plus est, il existe des variabilités intra espèce et inter individu dans la réponse au BPA, ce qui doit inciter à comprendre comment des facteurs génétiques et environnementaux peuvent moduler la réponse au BPA.

Chez les vertébrés aquatiques, le BPA peut modifier l'action des hormones sexuelles et provoquer des inversions partielles du sexe ainsi que des anomalies du développement embryonnaire, à des doses compatibles avec les quantités retrouvées dans certaines rivières.

Organes et tissus cibles

L'exposition au BPA pendant la phase de constitution des organes au cours de la gestation semble particulièrement critique . Pour l'appareil reproducteur femelle, l'exposition au BPA pendant la phase de constitution du tissu mammaire in utero peut modifier le développement de cet organe, augmenter sa sensibilité aux oestrogènes durant la puberté et conduire à l'apparition de lésions précancéreuses. De même, la période foetale ou néonatale semble constituer une période critique.

2. Le rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les perturbateurs endocriniens (juillet 2011)

Sur la saisine de votre commission au moment de l'examen de la proposition de loi qui a abouti à la suspension de la commercialisation des biberons en BPA, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a confié à notre collègue Gilbert Barbier un rapport sur les perturbateurs endocriniens 9 ( * ) .

Présenté en juillet 2011, il contient de nombreuses informations qui éclairent utilement cette question. Il s'interroge sur la multiplication des maladies environnementales et sur le rôle des perturbateurs endocriniens. L'impact de ces molécules sur la faune sauvage a été démontré à plusieurs reprises et celui sur la pollution des milieux aquatiques est réellement préoccupant. En ce qui concerne le bisphénol A, les résultats les plus significatifs sont retrouvés à des doses potentiellement inférieures à la dose journalière acceptable, notamment s'il est ingéré par des femelles gestantes.

Ainsi, des effets sont constatés à faible dose et la « réponse » peut être non linéaire : forte à faible dose, faible à forte dose.

Le mélange de plusieurs substances est susceptible d'aller au-delà d'une simple additivité en entraînant des effets de synergie ou de potentialisation, parfois appelés « effets cocktail ».

En outre, les organismes peuvent être nettement plus sensibles à des périodes précises de la vie , notamment au cours de la vie intra-utérine (« effet fenêtre »).

Enfin, des effets transgénérationnels ont été démontrés.

Gilbert Barbier suggérait alors un certain nombre de mesures autour de trois axes : savoir, prévenir et interdire. Il proposait notamment :

- une interdiction raisonnée , en procédant par produit plus que par famille entière de perturbateurs, chacun ayant en effet des propriétés différentes, et en ciblant certains usages ou expositions ;

- une information et un étiquetage adaptés , en s'inspirant de ce qui a été fait pour le tabac et l'alcool.

3. L'expertise collective de l'Anses relative aux effets sanitaires du BPA (septembre 2011)

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié en septembre 2011 un rapport sur les effets sanitaires du BPA.

Sur la base de l'analyse de l'ensemble de la littérature scientifique disponible, le groupe d'experts de l'agence a conclu à l'existence « d' effets avérés chez l'animal (effets sur la reproduction, la glande mammaire, le métabolisme, le cerveau et le comportement) et suspectés chez l'homme (effets sur la reproduction, le métabolisme des sucres et des graisses, les pathologies cardiovasculaires et le diabète). Ces effets sont mis en évidence à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires et plus particulièrement lors de certaines périodes de la vie correspondant à des périodes de susceptibilité aux effets du BPA (grossesse, périodes pré- et postnatale ».

Pour les experts, les travaux de recherche sur le BPA sont nombreux, avec une accélération récente du rythme de publication, mais l'évaluation de la toxicité pour l'être humain des perturbateurs endocriniens est rendue difficile par l'hétérogénéité des conditions expérimentales et la présence éventuelle de biais méthodologiques qui peuvent limiter l'interprétation des études sur l'animal.

4. L'Anses propose, au niveau européen, un classement plus sévère du bisphénol A en tant que toxique pour la reproduction (septembre 2012)

Dans le cadre du règlement communautaire Reach sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques 10 ( * ) , l'Anses a déposé, le 26 septembre 2012, auprès de l'Agence européenne des substances chimiques (ECHA), une proposition de révision du classement du bisphénol A en vue d'un classement plus sévère , au niveau européen, de cette substance en tant que toxique pour la reproduction.

Depuis 2002, le bisphénol A fait l'objet d'un classement européen harmonisé en tant que « toxique pour la reproduction suspecté ». A la lumière des nombreuses études publiées depuis lors, l'Anses propose aujourd'hui de « classer le bisphénol A comme toxique pour la reproduction pour l'homme sur la base des effets sur la fertilité et le système reproducteur mâle et femelle observés chez l'animal et corroborées par des études épidémiologiques, chez l'être humain, dont la pertinence est discutée ».

Un classement dans cette nouvelle catégorie aurait pour conséquences directes l'application de mesures réglementaires plus sévères, en particulier l'obligation de mise en place de mesures de prévention renforcées pour les utilisations professionnelles du bisphénol A (en premier lieu sa substitution), ou l'interdiction de mise sur le marché de mélanges contenant du bisphénol A à destination des consommateurs.

Un long processus européen doit maintenant se dérouler, de manière contradictoire, pour examiner cette demande et aboutir à une révision éventuelle du classement du bisphénol A.

La même semaine, le ministère fédéral de la santé du Canada publiait une mise à jour de son évaluation de l'exposition au BPA par voie alimentaire qui concluait, comme les précédentes, qu'actuellement l'exposition par voie alimentaire au BPA découlant des produits d'emballage ne devrait pas comporter de risques pour la santé de la population. Toutefois, cette évaluation s'appuie uniquement sur le calcul d'une « dose journalière probable », méthodologie classique remise en cause par de nombreux avis scientifiques.

5. Quelle est la situation aujourd'hui ?

Les hormones sont des substances chimiques secrétées naturellement par les glandes endocrines et transportées par le sang pour exercer une action spécifique sur d'autres tissus ou organes. Ces « messagers » se fixent sur des récepteurs et contrôlent diverses fonctions essentielles, notamment la croissance, le métabolisme ou la reproduction.

Les perturbateurs endocriniens 11 ( * ) sont des substances étrangères à l'organisme, naturelles ou artificielles, qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien , par exemple en imitant l'action d'une hormone naturelle, en empêchant l'émission d'un signal du fait de sa position sur un récepteur hormonal ou en gênant ou bloquant le mécanisme de production ou de régulation des hormones ou des récepteurs.

Or, selon de nombreuses études, ces perturbateurs endocriniens remettent en cause l'approche toxicologique classique , héritée de Paracelse, médecin suisse du XVI e siècle, et qui veut que la dose fasse le poison.

Selon l'expertise collective de l'Inserm, « le constat s'impose donc : les perturbateurs endocriniens mettent en jeu les mécanismes de signalisation, de régulation et d'action physiologiques plutôt que les mécanismes classiques de la toxicité conduisant au dysfonctionnement ou à la mort cellulaire ».

Avec les nombreuses études disponibles, les analyses publiées en 2011 par l'Inserm et l'Anses établissent un cadre scientifique qui éclaire les décisions que le pouvoir politique doit prendre à propos du bisphénol A.

Quelles sont les principales conclusions de l'Inserm et de l'Anses ?

La toxicité du bisphénol A est avérée chez l'animal, elle est suspectée chez l'être humain.

L' alimentation constitue la source principale d'exposition.

Le BPA ne répond pas à l'approche toxicologique classique et peut produire des effets à faibles doses , avec des mécanismes encore mal élucidés.

La période de la gestation est critique et constitue une zone de vulnérabilité nettement identifiée.


* 9 Rapport d'information n° 765 (2010-2011) « Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution ».

* 10 Règlement du Parlement européen et du Conseil n° 1907/2006.

* 11 Le terme a été utilisé pour la première fois lors d'une conférence scientifique qui a eu lieu à Wingspread aux Etats-Unis en 1991.

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