EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Institution méconnue, la section de commune s'enracine dans les droits ancestraux des villageois sur les « communaux ». Nécessaires à la survie des plus pauvres d'entre eux, ils font l'objet d'âpres disputes entre seigneurs et villageois, l'objet de critiques sévères des « réformateurs » des lumières. Y voyant une forme dépassée de mise en valeur de la terre, leur préférence va au partage des communaux et il est significatif que le décret des 10 et 11 juin 1793 de la Convention qui signe l'entrée des « communaux » dans la modernité, soit appelé « décret de partage ».

Âpre débat auquel fait écho le célèbre passage du « Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes » de Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreur n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. ».

Patrimoine collectif, et non propriété indivise comme on l'interprète trop souvent, la section de commune confère, en effet, à ses habitants uniquement un droit de jouissance sur les biens communs. On ne saurait donc la réduire au statut de survivance anachronique en oubliant son originalité.

A ceci près que par un de ces retournements dont l'Histoire a le secret, nombre d'ayants droit donnent aux biens sectionaux un sens inverse de leur sens originel : non plus un patrimoine collectif mais une propriété privée, certes indivise, mais privée, dont ils peuvent se partager les revenus, y compris pécuniaires.

Il en est résulté de nombreux conflits opposant les ayants droit sectionnaires et les municipalités auxquelles se rattachent les sections qu'elles gèrent directement ou concurremment avec une commission syndicale, opposant intérêts particuliers et intérêt général.

Cette réalité a conduit le législateur - et particulièrement le Sénat - à retoucher à plusieurs reprises le régime juridique des sections de communes espérant le rationaliser, ce qui, il faut le dire, contribua parfois à le complexifier.

D'où la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard qui, soumise à l'examen du Sénat, entend « faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes ».

Votre commission des lois et son rapporteur ont emprunté cette voie à sa suite. Prolongeant les dispositions proposées, ils ont voulu saisir cette opportunité pour tirer toutes les conséquences de la décision rendue le 8 avril 2011 par le Conseil constitutionnel rappelant ce que signifient les sections de communes et pour clarifier le cadre juridique les régissant.

I. LES BIENS DES SECTIONS DE COMMUNE : UN REGIME COMPLEXE ET ANCIEN MASQUANT UNE DIVERSITÉ DE SITUATIONS LOCALES

Le régime juridique actuel des sections de commune est le fruit d'une histoire qui plonge ses racines dans l'ancien droit et qui a perduré malgré les tentatives successives de réformes législatives intervenues depuis la Révolution française. La décision du juge constitutionnel du 8 avril 2011 1 ( * ) est venue opportunément clarifier ce que demeuraient fondamentalement les sections de commune.

A. LE RÉGIME DES BIENS SECTIONAUX : UN HÉRITAGE COMPLEXE DE L'ANCIEN DROIT

Les raisons de la naissance d'une section de commune peuvent être multiples. Comme le relevait en 1864, Léon Aucoc, maître des requêtes au Conseil d'État 2 ( * ) , « Cette question [de l'origine des biens sectionaux] est une de celles qui ont le plus divisé les historiens et les jurisconsultes ». Toujours selon le même auteur, elles résultent, pour la majorité d'entre elles d'un titre de propriété obtenu avant la Révolution française .

1. Une origine lointaine : l'époque médiévale ou l'ancien Régime

Dès l'époque médiévale, ces biens « communs » ou « communaux » étaient constitués de terrains, de bois, ou plus rarement, de bâtiments, arrachés de haute lutte à la puissance féodale. Pour ne pas contredire l'adage juridique « nulle terre sans seigneur », on considérait alors que ces biens résultaient d'une concession gratuite du seigneur à la communauté des habitants, concession qui s'accompagnait, en contrepartie, du droit pour le seigneur de percevoir une partie du revenu qui en était tiré. Une fiction juridique bienvenue permettait ainsi de justifier a posteriori une situation de fait.

Pensant mettre fin à des contentieux anciens et nombreux l'ordonnance royale de 1669 « sur le fait des eaux et forêts » précise cette règle en édictant une présomption légale de propriété des « bois, prés, marais, îles, landes, bruyères et grasses pâtures » en faveur du seigneur, à charge pour les habitants d'apporter la preuve contraire. Cette disposition n'avait pas pour effet de les priver de l'usage de ces biens mais simplement d'admettre le droit de propriété du seigneur et d'ainsi lui reconnaître un droit de prélever une part des revenus de la terre.

Dans un mouvement contraire, la loi des 28 août-14 septembre 1792 réintègre les propriétés et droits aux communes qui avaient été « dépouillées » par la puissance féodale. Poursuivant son oeuvre, l'assemblée constituante met fin, par la loi des 13-20 avril 1791, au droit pour le seigneur de s'approprier les terres vaines et vagues. L'assemblée législative parachèvera le dispositif par la loi des 28 avril - 14 septembre 1792, en posant comme principe qu'appartiennent aux communautés d'habitants les terres vaines et vagues sauf preuve contraire du seigneur par une possession continue, exclusive et paisible pendant quarante ans : le principe de l'ordonnance de 1669 est ainsi renversé.

Le décret du 10 juin 1793 règle durablement le sort des biens « communaux » et des biens « sectionaux », la distinction entre les deux notions n'étant pas, à l'époque, évidente 3 ( * ) . Il pose ainsi les bases du régime de ces biens qui continue de sous-tendre les dispositions actuelles. Sont des biens communaux « ceux sur la propriété ou le produit desquels tous les habitants (sic) d'une ou plusieurs communes, ou d'une section de commune, ont un droit commun ». La Convention confirme l'usage collectif de ces biens notamment en précisant que les communautés propriétaires forment « une société de citoyens unis par des relations locales ». Ces « communaux » n'ont d'autre finalité qu'un usage collectif et sont alors la propriété du groupe formant une entité qui dépasse la simple réunion de ses membres.

Longtemps, dans cette économie d'essence rurale et pour des personnes qui, de par leur condition ne peuvent être propriétaires, les biens communs sont un moyen de subsistance (bois pour le chauffage, cueillette des champignons ou des fruits pour l'alimentation, etc.), autant que la condition même de leur activité agricole (pâturages pour les troupeaux, lac ou marais pour la ressource en eau, etc.). Ces biens se distinguent justement par leur usage collectif qui conduit à reconnaître à la communauté en tant que groupe une propriété de l'ensemble. Leur aliénation ne pouvait donc s'envisager sérieusement puisqu'elle aurait privé de fait les générations futures et même les habitants, pour les années suivantes, du bien qui assure leur survie. Dans ce contexte, on comprend que les revenus tirés des biens sectionaux sont essentiellement des revenus en nature.

2. La résistance de la section de commune au XIXème siècle

Fidèle à la pensée économique de son siècle et notamment des physiocrates, la Convention ouvre la voie, par le décret du 10 juin 1793, à un partage de ces biens . La forte résistance locale à ce partage fera largement obstacle à ces dispositions, combattues avec force par les ayants droit de l'époque qui voyaient dans ce partage une privatisation de biens dont dépendait leur activité agricole et qui, morcelés, auraient perdu leur vocation première. C'est donc la spécificité de ces biens à usage collectif qui a incité à leur maintien sous ce régime juridique. Les demandes de partage étaient pourtant pressantes de la part des autorités, y compris locales.

Le XIXème siècle voit pourtant le nombre de sections de commune croître par le jeu continu des fusions de commune, provoquant, entre 1825 et 1860, 1523 suppressions de communes et presque autant de créations de sections au sein des nouvelles communes. A cette époque, les communes procèdent ainsi généralement de la fusion de plusieurs hameaux.

Aussi, la loi du 5 avril 1884 relative à l'organisation municipale consacre-t-elle définitivement les sections de commune en prévoyant les conditions d'élections de la commission syndicale, réunie sur convocation du préfet chaque fois que nécessaire pour les actes les plus importants. Le régime des sections de commune frappe toutefois par sa concision puisque seuls quatre articles de cette loi y sont consacrés. Jusqu'à cette date, une ambiguïté aura demeuré sur les qualifications même de biens « communaux » et de biens « sectionaux ».

3. Des modifications plus récentes du législateur

Depuis une vingtaine d'années, le législateur poursuit un même objectif : faciliter la gestion des biens sectionaux et favoriser leur transfert vers le patrimoine communal. Ces modifications législatives apportées depuis la loi « Montagne » de 1985, introduites principalement à l'initiative du Sénat et de sa commission des lois 4 ( * ) , relaient ainsi un souhait unanime des élus locaux . Ces interventions successives n'ont pourtant pas procédé à une réforme d'ensemble, contribuant à la stratification de dispositions au sein du code général des collectivités territoriales.

La loi « Montagne » 5 ( * ) de 1985 a notamment rendu permanentes les commissions syndicales instituées un siècle plus tôt. La loi du 13 août 2004 6 ( * ) a poursuivi l'effort de transfert des biens sectionaux vers les communes pour les sections dont il pouvait être objectivement constaté qu'elles ne connaissaient plus d'activité. De même, le législateur a allégé les contraintes pesant sur les actes de gestion et de disposition de ces biens : que ce soit par l'abaissement des seuils de majorité lors de la consultation des électeurs de la section ou le transfert de la compétence au conseil municipal pour la vente de biens sectionaux dans des cas précis. Enfin, la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux 7 ( * ) a fortement revu les conditions de location des terrains agricoles et pastoraux qui présentent un enjeu incontournable en zone rurale.


* 1 CC, 8 avril 2011, M. Lucien M., n° 2011-118 QPC.

* 2 Léon Aucoc, Des sections de commune et des biens communaux qui leur appartiennent, 1864.

* 3 L'article 542 du code civil, datant pour sa rédaction actuelle de 1804, parle ainsi des « biens communaux ».

* 4 Avis n° 32 (1984-1985) de M. Raymond Bouvier.

* 5 Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.

* 6 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 7 Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux.

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