B. LE RÉGIME DES SECTIONS DE COMMUNE : UN ENSEMBLE COMPLEXE DE DISPOSITIONS FAVORISANT LE CONTENTIEUX

Les dispositions applicables, codifiées aux articles L. 2411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, forment le droit commun des sections de commune. Ces dispositions s'appliquent d'ailleurs dans les départements d'outre-mer mais également dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Polynésie française 8 ( * ) .

La section de commune est définie, par l'article L. 2411-1, comme « toute partie d'une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune ». La loi lui confère la personnalité juridique sans préciser son caractère public ou privé. En revanche, de manière surprenante, la qualité d'ayant droit, notion cardinale, n'est pas définie par la loi.

Il résulte de cette définition qu'une section n'est pas formellement créée mais naît lorsqu'une partie d'une commune possède un patrimoine collectif. Les titres de propriété peuvent être anciens, tels un acte de 1426 de la communauté religieuse des Chartreux confirmé par le Sénat de Savoie en 1781 9 ( * ) , un titre royal de 1440 10 ( * ) ou encore la décision d'un baron de 1764.

Au demeurant, les biens appartenant à la section de la commune peuvent ne pas se situer sur son territoire, le bien concédé n'étant pas forcément à proximité même de la communauté qui en obtenait la jouissance. Le territoire de la section de commune désigne, en fonction des termes de l'acte instituant au profit de la communauté, ces biens ou droits distincts de la commune, l'espace territorial sur lequel vivent les habitants qui auront la jouissance des biens sectionaux. Le territoire d'une section de commune peut même s'établir sur plusieurs communes.

1. La gestion des biens : une répartition des compétences « en dentelle ».

La gestion des biens est assurée tantôt par les organes de la commune, tantôt par la commission syndicale et son président en concurrence avec les organes de la commune.

Une commission syndicale ne peut être créée que dans des cas restrictifs ; son existence n'est donc pas de droit pour toutes les sections de commune. Pour que le représentant de l'Etat convoque les électeurs, il faut que le nombre d'électeurs soit égal ou supérieur à 10, que les électeurs aient au moins répondu à deux convocations successives dans un intervalle de deux mois et que les revenus ou produits des biens sectionaux soient supérieurs, actuellement, à 368 euros (articles L. 2411-5 et D. 2411-1). Dans ces cas, cette commission syndicale peut être demandée, dans le délai de six mois suivant l'installation du conseil municipal, par la moitié des électeurs de la section. Sont électeurs les « habitants ayant un domicile réel et fixe sur le territoire de la section et les propriétaires de biens fonciers sis sur le territoire de la section » à condition qu'ils soient inscrits sur les listes électorales de la commune (article L. 2411-3). L'éligibilité est cependant moins restrictive puisqu'il suffit d'être éligible aux élections municipales : un éligible peut donc ne pas être électeur. Pour sa constitution, la commission syndicale comprend un nombre pair de membres compris entre quatre et dix, le maire de la commune de rattachement étant membre de droit.

Dans ce cas, la commission syndicale dispose d'un champ de compétence comprenant les actes les plus importants (contrats, vente, échanges, location d'une durée supérieure à neuf ans, changement d'usages des biens, actions judiciaires, etc.) (article L. 2411-6), le reste étant du ressort des organes de la commune qui doivent, dans certains cas, solliciter l'avis de la commission syndicale (location d'une durée inférieure à neuf ans, modalités de jouissance des biens, mise en valeur des marais et terres incultes ou manifestement sous-exploitées, emploi du produit des ventes, etc.). Lorsque la commission syndicale a une compétence consultative et qu'elle est en désaccord avec le conseil municipal ou n'a pas émis d'avis, dans certains cas mais non dans tous, le représentant de l'État est appelé à prendre la décision par un arrêté motivé (L. 2411-7). Il faut ajouter le cas où la commission syndicale devrait détenir une compétence décisionnelle en application de l'article L. 2411-6 mais où la loi a prévu, par exception, une compétence au bénéfice du conseil municipal : c'est le cas de la vente des biens lorsqu'elle a pour but la « réalisation d'un investissement nécessaire à l'exécution d'un service public, l'implantation d'un lotissement ou l'exécution d'opérations d'intérêt public ». Autre particularité, le maire ne peut pas représenter en justice la section, bien que la commission syndicale, normalement compétente, ne soit pas constituée (L. 2411-8 et L. 2411-2).

Compétences du conseil municipal

Compétences de la commission syndicale

Compétences mixtes

- Gestion de droit commun (art. L. 2411-2).

- Locations de biens de la section pour une durée inférieure à neuf ans.

- Vente de biens sectionaux pour réaliser un investissement nécessaire à l'exécution d'un service public, à l'implantation de lotissement ou à l'exécution d'opération d'intérêt public.

- Contrats passés avec la commune de rattachement ou une autre section de cette commune.

- Vente, échange et location pour neuf ans ou plus de biens de la section.

- Changement d'usage de ces biens.

- Transactions et actions judiciaires.

- Acceptation de libéralités.

- Adhésion à une association syndicale ou à toute autre structure de regroupement foncier.

- Constitution d'une union de sections.

- Désignation de délégués représentant la section de communes.

- Pouvoir d'ester ou de représenter la section en justice.

- Modalités de jouissance des fruits en nature des biens sectionaux ;

-  Emploi des revenus en espèces des autres biens ;

- Emploi du produit de la vente de biens sectionaux au profit de la section,

par accord entre le conseil municipal et la commission syndicale ; sinon ou dans le silence de la commission dans les trois mois de sa saisine par le maire, par arrêté motivé du représentant de l'État.

Même lorsqu'elle est constituée, hypothèse loin d'être générale, la commission syndicale n'est donc pas pleinement compétente et connaît une répartition de compétences , tantôt décisionnelles, tantôt consultatives, émaillées de plusieurs exceptions. En son absence, les organes de la commune n'ont pourtant pas une liberté de décision puisque, pour les actes majeurs, ils doivent recueillir l'accord de la majorité des électeurs de la section lors d'une consultation.

2. La jouissance des biens : des règles précises mais contournées

La jouissance des biens de la section, dont les fruits sont perçus en nature, est réglée par les usages locaux ou une décision des autorités municipales (article L. 2411-10). Pour les terres à vocation agricole ou pastorale, un droit de priorité existe cependant au profit des exploitants agricoles avec un ordre de préséance pour ceux ayant un domicile réel et fixe et leur siège d'exploitation sur le territoire de la section. Le reliquat de terres disponibles est alors proposable à ceux ayant un bâtiment d'exploitation hébergeant pendant la période hivernale leurs animaux sur le territoire de la section puis pour les personnes, et non plus seulement les exploitants agricoles, exploitant des biens et résidant sur le territoire de la section. A titre subsidiaire, ces terres peuvent être proposées à la location à des personnes exploitant des biens sur le territoire de la section puis, enfin, à des personnes possédant un bâtiment d'exploitation sur le territoire de la commune. Ces dispositions répondent au souhait d'une gestion de proximité et permettent de favoriser les agriculteurs locaux qui, pour certains, dépendent directement de l'exploitation de ces biens pour maintenir leur activité ainsi que percevoir des aides agricoles (calculées sur la superficie de terres exploitées).

La distribution des revenus en espèces est une question tout aussi sensible. Si l'esprit de la loi et la nature même de ces biens, destinés originellement à la subsistance et non à la constitution d'un profit personnel et pécuniaire, prohibe cette pratique, elle n'en existe pas moins, avec des variations au sein d'un même département, comme ont pu le décrire à votre rapporteur plusieurs personnes entendues. L'usage a ici prévalu sur la volonté du législateur au point d'être considéré comme un droit par ses bénéficiaires. Que ces versements aient lieu avec l'accord des comptables publics ou en dehors de tout circuit officiel, votre rapporteur tient à souligner que ces pratiques, souvent liées à la vente de coupes de bois, sont un dévoiement des biens sectionaux. Conséquence de la vigilance des services déconcentrés de l'État, un courant jurisprudentiel condamne à raison ce dévoiement des biens sectionaux contraire à leur vocation originelle. Si les ayants droit bénéficient d'un droit de jouissance, c'est sous réserve des restrictions posées par la loi notamment de celle que les revenus en espèces doivent être employés dans l'intérêt des membres de la section 11 ( * ) , intérêt collectif et non individuel s'entend.

3. Le transfert des biens sectionaux : des procédures multiples

Si le partage entre ayants droit est, sauf autorisation motivée du représentant de l'État, proscrit (article L. 2411-14), le transfert de tout ou partie des biens sectionaux à la commune est enfin possible au travers de plusieurs procédures. L'une résultant d'un consensus entre la section et la commune (article L. 2411-11), une autre à l'initiative du représentant de l'État sous réserve d'un avis favorable du conseil municipal et d'une enquête publique (article L. 2411-12), une troisième pour des cas où des indices objectifs permettent de conclure au déclin de la section de commune (article L. 2411-12-1) et une dernière pour le cas particulier des sections de commune créées consécutivement à une fusion de communes (article L. 2411-13). Ces procédures varient sensiblement dans leur procédure, leur périmètre et les modalités d'indemnisation qu'elles prévoient.

Procédures de transfert des biens sectionaux à la commune

Article

Initiative

Condition

Décision

Indemnisation

Portée

L. 2411-11

Conseil municipal et commission syndicale ou conseil municipal et moitié des électeurs

Aucune

Représentant
de l'État
(compétence liée)

Sur demande
dans le délai
d'un an à compter de la décision de transfert

Transfert partiel ou intégral

L. 2411-12

Représentant
de l'État

Absence de constitution de commission syndicale à la suite de deux renouvellements généraux consécutifs du conseil municipal

Représentant de l'État

(compétence discrétionnaire)

Sur demande
dans le délai de 6 mois à compter de la décision de transfert

Transfert intégral

L. 2411-12-1

Conseil municipal

- pas de paiement d'impôts depuis 5 années consécutives ;

- pas de demande de création de commission syndicale (alors qu'elle est possible) ;

- participation de moins d'un tiers des électeurs lors d'une consultation

Représentant de l'État

(compétence liée)

Aucune

Transfert intégral

L. 2411-13

Conseil municipal

Dans le délai de 5 ans à compter du rattachement de la partie d'une commune ou de la fusion entre communes

Représentant de l'État

(compétence discrétionnaire)

Aucune

Transfert partiel ou intégral

4. Les finances sectionales et communales : des relations inextricables

Des dispositions fixent enfin les règles de présentation, d'adoption et d'exécution du budget sectional (article L. 2411-12) qui, lorsqu'il existe, constitue un budget annexe du budget communal, obligeant à une approbation du conseil municipal du projet de budget établi par la commission syndicale mais sans pouvoir de modification de l'assemblée communale. Une disposition permet, par une convention entre la section et la commune, de faire participer le budget de la section au financement des « travaux d'investissement ou des opérations d'entretien relevant de la compétence de la commune [...] au bénéfice non exclusif des membres ou des biens » de la section de commune.

5. Un contentieux abondant

L'ensemble de ces dispositions a donné lieu à une jurisprudence abondante et ancienne, avec des arrêts de principe de la fin du XIXème siècle, certains ayants droit entretenant encore l'activité contentieuse. L'oeuvre jurisprudentielle est favorisée par des dispositions obscures et manquant de coordination , facteur supplémentaire d'un contentieux abondant . A titre d'exemple, le seul tribunal administratif de Clermont-Ferrand, compétent pour les départements de l'Allier, du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme qui comportent plus de 7 000 sections, traite entre quarante et cinquante affaires par an dans ce domaine. De l'aveu même de la direction générale des collectivités territoriales, ce droit a conduit à une véritable spécialisation d'agents de l'État dans les sous-préfectures particulièrement exposées à ce type de litige. Cette situation est encore compliquée par le partage de compétence entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire, notamment pour les biens sectionaux qui relèvent du domaine privé.


* 8 Les sections des départements d'Alsace-Moselle font l'objet de dispositions spécifiques aux articles L. 2544-2 à L. 2544-9 du code général des collectivités territoriales tandis qu'en Nouvelle-Calédonie, elles sont régies par les articles L.151-1 à L. 151-14 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie.

* 9 CE, 28 novembre 1979, Challende.

* 10 TGI Clermont-Ferrand, 25 février 1982, Tarrit, n° 8699.

* 11 Article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales

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