C. LES SECTIONS DE COMMUNE AUJOURD'HUI : UNE RÉALITÉ PROTÉIFORME

Les sections de commune possèdent encore, malgré leur ancienneté, des contours flous ; cette ancienneté n'est d'ailleurs pas sans lien avec le halo qui entoure les limites exactes 12 ( * ) et l'origine des biens sectionaux. Peu d'actes constitutifs existent encore et certains titres de propriété - sentences arbitrales, décisions féodales, chartes - ont disparu, rendant d'autant plus délicate la détermination de la propriété des biens 13 ( * ) . De surcroît, dans les coutumes d'ancien Régime, les termes sont, selon Léon Aucoc, particulièrement vagues pour désigner les bénéficiaires, regroupés indifféremment sous le vocable de « communauté de...», « habitants de... » , « quartier de ... », « village de... », etc.

Le nombre même des sections de commune n'est pas exactement connu. En 1999, les dernières données statistiques indiquaient qu'il s'élevait à 26 792, cette estimation recouvrant des sections d'inégale importance . Malheureusement, aucune actualisation de cet état des lieux n'existe même si, comme l'ont souligné les représentants de la direction générale des collectivités locales lors de leur audition, une tendance légère à la baisse se dessine par l'effet des procédures de transfert existantes.

Les sections de commune sont présentes sur l'ensemble du territoire national. Le recensement de 1999, qui ne prétend pas à l'exhaustivité tant certaines sections de commune peuvent être tombées dans l'oubli sans avoir été formellement dissoutes, confirme néanmoins une forte concentration de ces sections et des biens sectionaux dans le Massif central.

Départements

Haute-Loire

Puy-de-Dôme

Cantal

Aveyron

Creuse

Lozère

Lot

Nombre de sections recensées

2872

2315

2270

1790

1771

1465

1114

Source : rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-Pierre Lemoine, inspecteur général de l'administration - mars 2003

L'origine paysanne de ces biens apparaît encore clairement au regard de leur nature. Pour l'essentiel, ce sont des forêts, soumises ou non au régime forestier (66,1 %), des pâturages (22,7 %), des terres cultivées (2,9 %), là où les bâtiments restent en nombre très limité (0,7 %). Pour la seule région d'Auvergne, les sections possèdent près de 74 000 hectares de forêt.

L' écrasante majorité de ces sections de communes est administrée par les organes de la commune puisqu'en 2003, seules 200 commissions syndicales étaient connues des services de l'État. Dans ce cas cependant, la commune ne devient pas propriétaire des biens qui restent ceux de la section de commune, les autorités municipales n'étant que gestionnaires pour le compte de la section de commune 14 ( * ) .

La situation des sections de commune frappe par sa variété : ici limitée à une poignée d'ayants droit pour quelques arpents de terres, là disposant d'une commission syndicale active pour une section à la tête d'un patrimoine, souvent forestier, conséquent. Il n'est ainsi pas rare de rencontrer des sections de commune disposant d'un patrimoine foncier et de revenus plus conséquents que leur commune de rattachement.

Cet état de fait provoque, sur le terrain, des situations inextricables opposant des intérêts divergents , entremêlés de différends personnels. Les interventions législatives récurrentes ces dernières années, loin d'un acharnement centralisateur contre des cellules qui ont pu, un temps, et dans certains cas encore, constituer un creuset de la vie collective, relaient en fait un voeu des élus locaux de régler des difficultés et des dysfonctionnements mettant aux prises les autorités municipales et les ayants droit de la section.

L'attachement des ayants droit, sentimental mais aussi financier, à ces biens sectionaux a pu, dans des cas extrêmes, créer des conflits ouverts, d'autant plus aisément que le cadre juridique des biens sectionaux, précis sur certains points, reposait pour d'autres autrement plus fondamentaux (définition des ayants droit, partage des revenus, etc.) sur des choix ou des usages locaux voire sur des pratiques abusives. Concernant ces dernières, votre rapporteur a pu souligner précédemment la pratique qui lui a été rapportée, consistant à la faveur de la vente de coupes de bois, à distribuer les revenus en espèces ainsi tirés de la vente.

Ces dérives ne doivent pas condamner la section de commune dans son principe. Comme le soulignaient les représentants d'une association nationale d'ayants droit des sections de commune, « la distribution de revenus n'est pas le but de la section de commune » mais une section peut être, à l'inverse, « un formidable outil de gestion forestière et agricole ». La section de commune et la commission syndicale ne sont donc pas en soi un mal, pour autant que leurs intérêts soient conciliables avec l'intérêt général. Il n'en demeure pas moins que les sections de commune, pour leur gestion quotidienne, sont soumises à ce que le rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-Pierre Lemoine qualifiait de « régime juridique suranné ».

C'est pourquoi, dans l'approche de la question des sections de commune, faut-il nettement distinguer les cas où les sections de commune sont des « endormies » dépourvue de sens et facteur d'inutile complexité, et les cas où l'existence de section est un facteur de dynamisation de la gestion de ces biens. C'est sous cet angle qu'il faut envisager la modernisation du régime des sections de commune, évolution éclairée par la jurisprudence constitutionnelle.


* 12 Exemple frappant : Guillaume-Michel Chabrol, commentant les coutumes générales et particulières d'Auvergne, dans son ouvrage « Coutumes générales et locales de la province d'Auvergne » en 4 volumes de 1784-1786, relevait que les coutumes pouvaient, quant à la définition des limites, se contredire et qu'elles variaient, ne serait-ce qu'entre la haute et la basse Auvergne.

* 13 Les matrices cadastrales ne sont que d'un faible secours puisque si elles peuvent servir d'indices à la détermination du propriétaire, elles ne constituent pas un titre de propriété.

* 14 Même la disparition de tout ayant droit sur le territoire de la section de commune n'a pas pour effet de transférer la propriété des biens à la commune (CE, avis, 10 juin 1947), ni de permettre d'engager la procédure des biens vacants sans maître puisqu'un propriétaire existe formellement, la section de commune (QE n° 10076, JOAN 5 août 1961).

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