D. LES BIENS SECTIONAUX : UNE PROPRIÉTÉ PUBLIQUE GREVÉE D'UN DROIT DE JOUISSANCE AU BÉNÉFICE DES AYANTS DROIT

Le caractère relativement atypique des biens sectionaux a nourri de nombreuses controverses juridiques sur la détermination du propriétaire et le caractère privé ou public de cette propriété. A l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d'État sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la procédure de transfert des biens sectionaux à la commune, prévue par l'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales, le juge constitutionnel a réaffirmé le droit de propriété de la section de commune sur les biens sectionaux . Ce faisant, il a également confirmé la qualité de personne morale de droit public de la section de commune, solution d'autant plus logique que l'union de sections est explicitement qualifiée par la loi de « personne morale de droit public » 15 ( * ) . Il n'a cependant pas tranché la question largement débattue en jurisprudence 16 ( * ) et en doctrine de la qualité ou non d'établissement public de la section de commune 17 ( * ) .

Par voie de conséquence, le Conseil constitutionnel a précisé que « les membres de la section ont, dans les conditions résultant soit des décisions des autorités municipales, soit des usages locaux, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature » - ce qui n'est que l'application de l'article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales - en tirant la conclusion logique que ces derniers « ne sont pas titulaires d'un droit de propriété sur ces biens ou droits » 18 ( * ) .

Les biens sectionaux sont donc des propriétés publiques , même s'ils relèvent pour la quasi-totalité d'entre eux du domaine privé de la section de commune. Cette qualification est l'aboutissement d'un long mouvement jurisprudentiel qui prend en compte le caractère collectif de l'usage de ces biens et ne peut mieux protéger le maintien de cet usage qu'en le confiant à une personne publique.

Les ayants droit ne sont pas pour autant dépourvus de droits puisqu'ils disposent d'un droit de jouissance . Ce droit est d'ailleurs protégé par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits d'Homme. Si ces dernières rappellent que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens », la cour de Strasbourg a développé une interprétation particulièrement extensive qui recouvre « certains droits et intérêts constituant des actifs » 19 ( * ) . Cette notion particulièrement large a été appliquée par le juge français au droit de jouissance des ayants droit. Le Conseil d'État a ainsi parfaitement résumé l'articulation entre le droit de propriété de la section et le droit de jouissance des ayants droit, confortant partiellement des positions des juridictions du fond : « les membres de la section ne sont pas titulaires d'un droit de propriété sur les biens ou droits de la section, qui est une personne publique titulaire elle-même de ce droit, mais d'un droit de jouissance ; [...] toutefois, le droit de jouissance peut être regardé comme un droit patrimonial protégé par les stipulations [...] du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » 20 ( * ) .

Ainsi, les ayants droit détiennent un droit de jouissance, protégé par les stipulations de la convention européenne des droits de l'Homme mais non un droit de propriété sur des biens publics qui appartiennent à la section de commune. Le caractère public de la propriété ouvre la voie à ce que, selon les propres termes du juge constitutionnel, « le législateur, poursuivant un objectif d'intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques ». La section ne peut, dans cette hypothèse, solliciter une indemnisation. En revanche, la loi doit prévoir l'indemnisation des ayants droit pour leur droit de jouissance, droit patrimonial au sens des normes européennes, au moins pour les charges anormales et spéciales qui découlerait d'un tel transfert.


* 15 Article L. 2411-18 du code général des collectivités territoriales.

* 16 Si une partie de la jurisprudence admet la qualité d'établissement public de la section de commune (Civ. 3, 24 février 1976, Teilhol ; TA Clermont-Ferrand, 14 juin 1984, Commissaire de la République du Cantal c/ section de La Rochelle, n° 84 632 ; C. Comptes, 26 juillet 1938, Sieur Lombard), une autre partie s'en tient à une qualification de personne publique innomée (CE, 25 mai 1988, Commune de Saint-Saturnin c/ M. Chabrier, n° 84 473 ; TA Lyon, 24 janvier 1985).

* 17 Une certitude existe, en revanche, sur le fait que la section de commune ne relève pas de la catégorie des collectivités territoriales.

* 18 CC, 8 avril 2001, M. Lucien M., n° 2011-118 QPC.

* 19 CEDH, Grande chambre, 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie, n° 48939/99, § 124.

* 20 CE, 21 juillet 2002, Commune de Saint-Martin d'Arrossa, n° 330481.

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