EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner, la proposition de loi n° 72 (2012-2013) relative aux juridictions de proximité, de notre collègue Jean-Pierre Sueur, président de votre commission des lois.

L'engagement, le 6 novembre dernier, par le Gouvernement, de la procédure accélérée sur ce texte est directement lié à l'unique objet de cette proposition de loi : reporter de deux ans la suppression des juridictions de proximité prévue par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles 1 ( * ) , avant que cette suppression intervienne le 1 er janvier de l'année prochaine.

Cette loi a été adoptée à l'issue d'une lecture définitive demandée à l'Assemblée nationale par le Gouvernement en application du quatrième alinéa de l'article 45 de la Constitution.

En effet, le principe de la suppression proposée, et le reversement des juges de proximité auprès des formations collégiales des tribunaux de grande instance, avaient alimenté le désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, lequel, à chaque examen du texte, a souhaité conserver aux intéressés la compétence civile qui leur était confiée jusque là.

L'analyse développée par le Sénat s'appuyait notamment sur le constat que les tribunaux d'instance ne disposeraient pas de l'effectif nécessaire pour absorber le contentieux civil dévolu jusqu'alors aux juridictions de proximité.

Il semble que la situation présente lui donne raison et justifie d'examiner l'opportunité de reporter la suppression des juridictions de proximité.

I. LA SUPPRESSION DES JURIDICTIONS DE PROXIMITÉ : UNE RÉFORME CONTESTÉE, AUX MOYENS INSUFFISANTS

Créées par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, complétée à deux reprises par la loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité et par la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance, les juridictions de proximité n'auront fonctionné que dix ans avant que leur suppression soit envisagée .

Celle-ci, intervenue sur le fondement de la loi sur la répartition du contentieux précitée, a été contestée, en particulier au Sénat.

A. LE CHOIX DE LA SUPPRESSION DES JURIDICTIONS DE PROXIMITÉ

1. La juridiction de proximité aujourd'hui

Conçue à l'origine comme la juridiction des petits litiges de la vie quotidienne, la juridiction de proximité, qui statue à juge unique, exerce ses compétences tant en matière civile qu'en matière pénale.

Le juge de proximité est ainsi compétent pour trois types de litiges civils :

- les actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 4 000 euros. Il statue alors en dernier ressort et sa décision ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation (art. L. 231-3 et R. 231-3 du code de l'organisation judiciaire) ;

- les demandes indéterminées ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 4 000 euros. La décision du juge de proximité est alors susceptible d'appel ;

- les injonctions de payer et de faire, pour un montant inférieur à 4 000 euros.

En matière pénale, le juge de proximité connaît des quatre premières classes de contravention (art. 521 du code de procédure pénale). Toutefois, le tribunal de police reste compétent pour juger les contraventions de la quatrième classe en cas de diffamation ou d'injure non publique (art. R. 41-11 du code de procédure pénale).

Les requêtes en validation des compositions pénales peuvent être portées, selon la nature de la contravention, devant la juridiction de proximité. Le président du tribunal de grande instance peut toutefois déléguer au juge de proximité la validation de l'ensemble des compositions pénales contraventionnelles du ressort (art. 41-3 du code de procédure pénale).

Enfin, le président du tribunal de grande instance peut désigner des juges de proximité de son ressort pour siéger en qualité d'assesseur au sein de la formation collégiale du tribunal correctionnel.

2. Les juges de proximité

Nommés pour un mandat unique de sept ans, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les juges de proximité sont soumis au statut de la magistrature 2 ( * ) . À ce titre, ils prêtent serment au moment de leur entrée en fonction et sont inamovibles. Ils ne sont toutefois pas membres du corps judiciaire.

Soumis à une formation initiale d'une dizaine de jours à l'École nationale de la magistrature puis à un stage probatoire d'environ un mois avant d'être nommés, ils suivent une formation continue une fois installés 3 ( * ) .

Les juges de proximité exercent leur fonction à temps partiel et perçoivent une indemnité de vacation.

Ils peuvent continuer à poursuivre une activité professionnelle, sous réserve de sa compatibilité avec la dignité et l'indépendance de leur fonction, et, pour les professions judiciaires ou juridiques réglementées, en dehors du ressort de leur juridiction. Cette possibilité de cumul fait encore aujourd'hui débat.

Les juges de proximité sont soumis à l'évaluation du premier président de la cour d'appel de leur ressort, après avis du juge chargé de l'administration et de la direction du tribunal d'instance. Ils relèvent, pour la matière disciplinaire, du Conseil supérieur de la magistrature.

Selon les données communiquées à votre rapporteur par la Chancellerie, on compte, en 2012, 460 juges de proximité en exercice, alors qu'on en dénombrait 672 en 2011.

On ne peut exclure que la perspective de la suppression de la juridiction de proximité, qui est intervenue au moment même où le mandat des premiers juges nommés en 2005 se terminait, ait suscité un manque des vocations.

Les candidats retenus pour exercer les fonctions du juge de proximité sont pour la plupart des juristes de formation ou des praticiens du droit. Plus de 93 % d'entre eux ont fait au moins quatre années d'études supérieures sanctionnées par un diplôme universitaire.

Leur moyenne d'âge est de 59 ans et la proportion de femmes et d'hommes est quasiment identique (50,43 % de femmes et 49,57 % d'hommes).

Répartition, par expérience professionnelle antérieure,
des juges de proximité en exercice en 2011

Source : ministère de la justice.

L'activité civile des juges de proximité s'infléchit légèrement depuis 2009, où elle représentait encore plus de 20 % du contentieux de l'instance, soit près de 105 000 affaires nouvelles. Elle n'en représente plus, en 2011, que 15,5 %, soit environ 90 000 affaires nouvelles, pour une durée moyenne de traitement de 5,5 mois. Ce chiffre n'inclut celui des injonctions de payer, qui reste élevé : 217 000 en 2011.

Leur activité pénale enregistre une baisse dans les mêmes proportions, puisqu'en 2011, 370 000 affaires furent poursuivies devant les juridictions de proximité contre 450 000 en 2008.

La participation des juges de proximité aux audiences collégiales correctionnelles, qui n'est pas mesurée en tant que telle, semble quant à elle constante.

Le nombre de juges de proximité allant en s'amenuisant, le coût de fonctionnement de la juridiction de proximité, qui est assumé par les cours d'appel, diminue progressivement. Il est passé de 7,3 millions d'euros en 2010 à environ 7 millions d'euros en 2011.

Le budget pour 2013 devrait reconduire les crédits prévus en 2012.

3. Les raisons avancées en faveur de la suppression de la juridiction de proximité

La loi du 13 décembre 2011 sur la répartition des contentieux a puisé son inspiration dans le rapport de la commission présidée par le doyen Serge Guinchard sur la répartition des contentieux, publié en 2008 et qui préconisait la suppression de la juridiction de proximité, six ans seulement après leur création et deux ans après la dernière modification de leur champ de compétence.

Pour justifier la suppression de ce nouvel ordre de juridiction, la commission présidée par le doyen Serge Guinchard, qui saluait les « qualités humaines des juges de proximité qui le composent » développait deux arguments.

Le premier tenait à la complexité de l'organisation judiciaire ainsi mise en place, qui conduisait à des situations insatisfaisantes, lorsque, faute de juge de proximité, le juge d'instance retrouvait la compétence qui avait été transférée à la juridiction de proximité 4 ( * ) .

Le second mettait en avant la complexité croissante du contentieux soumis au juge de proximité du fait, à la fois, de l'élévation de son taux de compétence de 1 500 euros à 4 000 euros et de la nécessité, même pour les plus petits litiges, de s'assurer du respect de règles d'ordre public qui se multipliaient.

Concluant, pour cette raison, à la nécessité de la suppression de la juridiction de proximité, tant en matière civile qu'en matière pénale et de son absorption, en matière civile, par le tribunal d'instance et en matière pénale, par le tribunal de grande instance, la commission présidée par Serge Guinchard proposait, dans le même temps, que les juges de proximité puissent être appelés à participer aux formations collégiales du tribunal de grande instance, dans toutes les matières pénales et en matière civile.

C'est l'option qu'a retenue la loi du 13 décembre 2011, dont l'article premier redéfinit les compétences des juges de proximité et l'article 2 supprime, par voie de conséquence, la juridiction de proximité à laquelle ils étaient jusque là rattachés.

L'article 70 du même texte prévoit que ces modifications entreront en vigueur le premier jour du treizième mois suivant sa promulgation, c'est-à-dire, en l'espèce le 1 er janvier 2013 .

À cette date, la juridiction de proximité sera supprimée et les juges de proximité seront rattachés au tribunal de grande instance et pourront donc, en matière civile :

- être appelés à siéger au sein de la formation collégiale du tribunal de grande instance ;

- statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition. La limite actuelle de 4 000 euros qui sert aujourd'hui à déterminer la compétence du juge de proximité est supprimée. Cette disposition libère par conséquent le tribunal d'instance, auquel cette compétence est aujourd'hui attribuée au-delà de 4 000 euros, du traitement de ce contentieux ;

- procéder à certaines mesures d'instruction consistant à se transporter sur les lieux à l'occasion des vérifications personnelles du juge, à entendre les parties à l'occasion de leur comparution personnelle et à entendre les témoins à l'occasion d'une enquête.

Le tribunal d'instance verra rétablie sa compétence sur les litiges civils de moins de 4 000 euros.

Le tribunal de police redeviendra compétent pour connaître des contraventions, mais, lorsqu'il connaîtra des contraventions des quatre premières classes, il sera alors constitué par un juge de proximité et à défaut par un juge du tribunal d'instance.

Cette rétrocession indirecte au juge de proximité du contentieux pénal qui lui est actuellement soumis, neutralise, en cette matière, l'effet de la suppression de la juridiction de proximité.

Tel n'est en revanche pas le cas pour le contentieux civil, qui se trouve transféré, dans sa totalité, à l'exclusion des injonctions de payer, aux tribunaux d'instance .

Cette disposition a focalisé l'essentiel des critiques formulées contre cette réforme, car les juridictions d'instance ne paraissaient pas en mesure d'absorber le contentieux qui leur était ainsi réattribué.


* 1 Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles.

* 2 Art. 41-17 à 41-24 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

* 3 La formation continue, réformée par le décret n° 2007-17 du 4 janvier 2007, est obligatoire pour tout juge de proximité en exercice, à raison de 5 jours par an pendant les trois premières années, et comprend un total maximum de 35 jours sur la durée des fonctions.

* 4 Rapport de la commission sur la répartition des contentieux, p. 204.

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