II. LA NÉCESSITÉ DE POURSUIVRE LA RÉFLEXION ENGAGÉE POUR ABOUTIR À UNE SOLUTION PARTAGÉE PAR L'ENSEMBLE DES ACTEURS

A. UNE DÉMARCHE INDISPENSABLE AU NIVEAU NATIONAL MAIS QUI DOIT ÊTRE AFFINÉE

Dans le premier volet de sa feuille de route, Philippe Marini défend « l'idée de jeter les bases de la fiscalité numérique d'abord sur le plan national car, même incomplète, elle préfigurerait l'adoption d'une taxation plus globale au niveau européen ». Il est rejoint sur ce point par le Gouvernement qui, à travers le lancement de la mission dite « Collin et Colin », poursuit le même objectif.

1. Les difficultés d'appréhension des acteurs basés à l'étranger

Comme cela a été exposé précédemment, il est proposé la création de nouvelles taxes afférentes, d'une part, à la publicité en ligne et au commerce électronique, et, d'autre part, à la fourniture de VOD. Afin d'inclure l'ensemble des opérateurs exploitant ces services, il serait créé, pour les redevables de l'une de ces deux taxes établis dans un pays autre que la France, l'obligation de déclarer et de payer la taxe soit par l'intermédiaire d'un représentant établi en France, soit selon le régime spécial de déclaration des services par voie électronique. Les informations recueillies par votre rapporteur font état d'un certain nombre de difficultés juridiques et techniques qu'il faudrait lever pour la mise en oeuvre du dispositif.

a) L'obligation de désignation d'un représentant fiscal ne peut être imposée

L'obligation de désignation d'un représentant fiscal pour les opérateurs communautaires pose des difficultés au regard du droit communautaire. La CJUE a estimé, dans un arrêt 15 juin 2006, ( affaire C-249/05 Commission/Finlande ), que cette obligation ne pouvait se justifier par des considérations d'ordre purement administratif (lutte contre la fraude, contrôle fiscal) et contrevenait notamment à la libre circulation des prestations de services, protégée par l'article 49 du traité, en raison du coût induit par cette formalité.

Dans un arrêt du 5 juillet 2007 ( affaire C-522/04 Commission/Belgique ), la CJUE a jugé disproportionnée, au regard du Traité, l'obligation de désigner un représentant responsable du paiement de la taxe annuelle sur les conventions d'assurance dès lors qu'il existait des moyens moins contraignants tels que l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres.

Ainsi pour les pays établis dans l'Union européenne, il paraît risqué de leur imposer une obligation de représentant fiscal. Cette difficulté a bien été identifiée par Philippe Marini et c'est la raison pour laquelle il propose la mise en place d'une procédure simplifiée de déclaration dématérialisée.

Mais, outre ces obstacles d'ordre juridique, se poseraient également des difficultés en matière de contrôle, de recouvrement et de gestion de la taxe. S'agissant des redevables établis hors de l'Union, il faudrait que les moyens du contrôle fiscal permettent un recouvrement efficace de l'ensemble des redevables qui sont potentiellement très nombreux en matière de commerce électronique. A défaut, les entreprises étrangères échapperaient de fait à une charge à laquelle les acteurs français ne pourraient se soustraire.

b) Le régime spécial de déclaration des services par voie électronique soulève des problèmes pratiques d'application

C'est donc dans un souci de compatibilité avec le droit communautaire que la proposition de loi prévoit, en l'absence de désignation d'un représentant fiscal, le recours au régime spécial de déclaration des services par voie électronique (article 298 sexdecies F du code général des impôts).

La souscription des déclarations sur le portail du commerce électronique (PCE) est actuellement réservée aux prestataires non-communautaires qui fournissent des services par voie électronique à des personnes non-assujetties établies ou résidant dans l'Union européenne. Ils peuvent ainsi s'identifier, déclarer et payer, non seulement la TVA qu'ils doivent en France, mais également dans les autres Etats membres de consommation.

Toutefois, l'extension de ce guichet à des taxes nationales spécifiques poserait, selon l'analyse de l'administration fiscale transmise à votre rapporteur, un problème essentiellement pratique car « le recouvrement de taxes sectorielles prévues par le droit national, mais non par le droit européen, ne peut être effectué via ce dispositif qui est encadré par des spécifications fonctionnelles et techniques élaborées au niveau communautaire ».

Pour qu'un tel régime déclaratoire puisse être mis en oeuvre concrètement, la direction générale des finances publiques indique qu'il faudrait réunir les deux conditions suivantes :

- la création d'un guichet national similaire au portail du commerce électronique ;

- et la renégociation des accords fiscaux bilatéraux afin de prévoir des mesures d'assistance et de coopération administratives pour garantir le recouvrement effectif des prélèvements dont seraient redevables les opérateurs établis à l'étranger.

L'administration estime que ce processus « nécessiterait des délais importants et des investissements lourds qui pourraient apparaître disproportionnés par rapport aux enjeux ». A cet égard, en 2012 et à titre illustratif, la France n'a recouvré que 19,6 millions d'euros au titre de la TVA due sur les services électroniques rendus à des non-assujettis par des prestataires non communautaires.

Ainsi, même si le dispositif proposé est réalisable, on peut s'interroger sur l'efficacité à en attendre, à la lumière du bilan du dispositif existant en matière de TVA 13 ( * ) : depuis la mise en place du portail en 2003, seulement 721 entreprises non communautaires identifiées dans un autre Etat membre ont déclaré au moins une fois de la TVA française. Et sur les 529 entreprises actuellement enregistrées sur ce portail, seulement 11 d'entre elles le sont directement en France, contre 245 au Royaume-Uni, 96 au Pays-Bas, 67 au Luxembourg, 43 en Allemagne et 32 en Irlande. Selon les propos tenus par la ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique, il semble que ce portail informatique n'ait pas atteint, loin s'en faut, sa pleine efficacité ( cf . infra examen du rapport).

A ce stade, le dispositif déclaratoire proposé par Philippe Marini mérite donc d'être expertisé plus avant, ne serait-ce que dans l'optique d'une application à titre expérimental qui permettrait, au terme d'une clause de revoyure, d'en mesurer les effets. Pour plaider en ce sens, l'expérience du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui possède son propre portail de déclaration des prélèvements dont il est l'affectataire, pourrait être utilement sollicitée notamment pour l'application de la taxe sur la VOD aux acteurs étrangers.

2. Le risque que les acteurs français supportent seuls une charge fiscale supplémentaire concerne la taxe sur la publicité en ligne et la Tascoé
a) La taxe sur la publicité en ligne

La rédaction du dispositif proposé reprend, à l'exception de quelques modifications portant sur la qualité du redevable, le texte de l'article 27 de la loi de finances pour 2011 qui avait institué la taxe sur les services de publicité en ligne ainsi que l'article 302 bis KD du code général des impôts (CGI) sur la publicité diffusée par la télévision et la radio s'agissant de l'assiette de la taxe.

On peut considérer que le dispositif proposé a l'avantage de taxer les régies publicitaires et non les annonceurs, qui avaient été à l'origine de la suppression de la taxe en 2011, car il avait été estimé que la taxe pénalisait exclusivement les annonceurs français qui ne pouvaient localiser leurs dépenses publicitaires à l'étranger.

Toutefois, à la lumière des auditions conduites par votre rapporteur, on peut estimer que la taxe serait très probablement répercutée auprès des annonceurs eux-mêmes. Comme l'a souligné l'Autorité de la concurrence dans son avis sur la publicité en ligne (décembre 2010), « sur le marché de la publicité Internet, les annonceurs ne sont pas en position de force face aux régies publicitaires qui peuvent dicter leurs conditions commerciales ». Pour les annonceurs, le marché de la publicité en ligne est le seul marché publicitaire auquel ont accès les petites et moyennes entreprises parce qu'il offre des coûts d'entrée très bas. Si l'on augmentait les coûts d'entrée, on risquerait de les priver de l'accès à ce marché et d'alourdir globalement les prélèvements obligatoires sur ce secteur car il existe déjà une dizaine de taxes sur la publicité.

Enfin, la taxe pénaliserait la compétitivité d'autres acteurs nationaux tels que la presse en ligne qui tente de trouver son modèle économique, ou l'ensemble des sites français qui vivent grâce aux dépenses de communication des annonceurs en commercialisant de l'espace publicitaire. L'instauration d'une taxe sur la publicité en ligne pourrait avoir un résultat inverse à ses objectifs : le problème initial de l'évasion fiscale des géants de l'Internet ne serait pas résolu et le désavantage compétitif des entreprises françaises serait aggravé.

Par ailleurs, les principales difficultés soulevées par les parties prenantes et l'administration fiscale sont liées à la définition du concept d'audience en France. S'agissant de publicité Internet, faut-il tenir compte uniquement des consultations à partir d'ordinateurs ayant une adresse IP en France ? En ce qui concerne les envois par courriel, logiquement seuls les courriels adressés à des destinataires ayant une adresse électronique en « .fr » entreraient dans le champ de la taxe. Ces points nécessitent des éclaircissements supplémentaires et rencontrent les mêmes problèmes pratiques d'identification des clients que ceux soulevés pour l'application de la TVA du pays d'établissement du consommateur de services électroniques à partir de 2015.

Enfin, les moyens à la disposition du contrôle fiscal devraient être à la hauteur des enjeux, sinon les opérateurs français seraient pénalisés par rapport à ceux établis à l'étranger dont le contrôle est déjà très difficile, avec un risque de délocalisation important. Une telle taxe risquerait finalement d'aboutir à augmenter la charge fiscale pesant sur les seuls opérateurs français, ce qui serait totalement contraire à l'objectif poursuivi qui est de rétablir de l'équité fiscale entre les opérateurs français et ceux établis à l'étranger.

b) La taxe sur les services de commerce électronique

Comme cela a été précisé précédemment pour la taxe sur la publicité en ligne, la Tascoé encourt le même type de critiques et risque également d'aboutir à l'augmentation de la charge fiscale pesant sur les seuls opérateurs français, sans aucune assurance de voir les opérateurs établis à l'étranger se conformer de manière volontaire à leur obligation déclarative.

Outre les difficultés d'ordre juridique déjà évoquées, le recouvrement et le contrôle de cette taxe poseraient des problèmes plus importants que pour la publicité en ligne. Alors que le nombre de régies publicitaires entrant dans le champ de la proposition de loi est relativement restreint, tout au plus une quarantaine de redevables, il existait en France en 2011 plus de 100 000 sites marchands actifs dont un certain nombre est établi à l'étranger. Il en résulterait, si le dispositif entrait en vigueur, une difficulté de gestion du nombre important des représentants fiscaux qui seraient désignés ou des déclarations spontanées.

3. L'extension de la taxe sur les vidéogrammes à la demande aux opérateurs établis à l'étranger est le dispositif le mieux accepté

S'agissant de la mesure étendant le champ de la taxe sur la fourniture de VOD de l'article 1609 sexdecies B du CGI aux opérateurs établis à l'étranger, les mêmes remarques que celles relatives à la taxe sur les services de commerce électronique ou la publicité en ligne peuvent être formulées, notamment en ce qui concerne les difficultés juridiques liées au contrôle et au recouvrement de la taxe.

Néanmoins, alors que les deux autres propositions consistent en des créations de taxes qui, dans la pratique, pèseraient principalement sur les opérateurs français sans assurance sur l'effectivité du recouvrement sur les opérateurs étrangers, le présent dispositif se limite à étendre une taxe existante, due aujourd'hui par les seuls opérateurs nationaux, aux opérateurs étrangers.

Cette proposition n'aurait donc pas pour effet de pénaliser les acteurs économiques nationaux. Même s'il ne faut pas en attendre des recettes fiscales supplémentaires significatives pour le CNC, elle est la mieux acceptée par les professionnels. A cet égard, il pourrait revenir au CNC d'en assurer l'application expérimentale puisque de nouveaux opérateurs agissant de l'étranger sont susceptibles de faire leur entrée sur le marché : Google Play, Netflix ou Amazon.


* 13 La gestion du portail est assurée par la direction des résidents à l'étranger et des services généraux (DRESG).

Il permet de gérer les opérateurs déclarés en France et de ventiler chaque trimestre la TVA vers les autres pays membres. Ces opérations se font par échange « manuel » de fichiers informatiques entre les pays via un système de messagerie. Trois types de fichiers sont échangés sous format XML :

- des fichiers d'identification (systématiquement entre tous les Etats membres de l'Union) ;

- des fichiers de déclarations et de paiement (entre les seuls Etats membres concernés).

Pour les flux entrants, PCE permet de collecter la TVA déclarée sur les guichets des autres pays membres pour des opérations réalisées en France.

Les virements bancaires sont intégrés dans l'application de recouvrement MEDOC mais aucune liaison automatique n'est faite avec PCE. L'affectation de la prise en charge dans MEDOC est effectuée manuellement après exploitation des informations reçues via PCE. Il s'agit donc d'une application qui prend en charge seulement les déclarations de TVA et non le paiement de l'impôt en lui-même qui est effectué directement par virements bancaires.

Les moyens dédiés à la gestion de ce dispositif, comme les actions de contrôles, sont très limités.

( source : DGFiP ).

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