Mme Marie-Stella Boussemart, présidente de l'Union bouddhiste de France

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Mme Marie-Stella Boussemart, présidente de l'Union bouddhiste de France (UBF) . - Le bouddhisme est une religion très ancienne mais récemment implantée en France. Nous avons donc moins l'habitude des auditions parlementaires que nos éminents confrères !

J'en resterai forcément à des généralités. L'UBF est une fédération d'associations, ce n'est pas une autorité spirituelle. Je n'ai pas le même rang hiérarchique que le Cardinal Vingt-Trois ou le Grand Rabbin Bernheim. Je ne suis que représentante d'une réalité extrêmement diverse.

Le bouddhisme est apparu il y a 2 600 ans en Inde, puis s'est répandu dans toute l'Asie. En France, cette religion est connue depuis longtemps du fait de nos relations historiques avec ce continent. Mais comme pratique, il a été introduit dans l'Hexagone il y a environ cinquante ou soixante ans, principalement par les flux de réfugiés d'Asie du sud-est, puis du Tibet, plus récemment.

Notre richesse est une chance et une complexité. A l'intérieur du bouddhisme, de nombreuses lignes, branches, écoles coexistent. En France, toutes sont représentées. La diversité culturelle, linguistique, politique est très forte. L'UBF est jeune, ayant été créée en 1986. J'en suis la septième présidente. Le bouddhisme est pratiqué essentiellement par des populations immigrées, aujourd'hui de deuxième ou troisième génération.

Je ne peux vous dire : « Les bouddhistes pensent ceci ou cela ». Je ne le dois pas, non plus, car ce serait faux. J'ai sondé les uns et les autres, autour de moi. Il y a en France un million de bouddhistes, dont les trois quarts d'origine asiatique ; et cinq millions de sympathisants. Les personnes, très reconnaissantes d'avoir été accueillies en France et soucieuses d'intégration, ne peuvent cependant pas faire abstraction de leurs racines et d'une vision du monde différente de la nôtre.

Ce projet de loi ne les concerne guère en tant que bouddhistes. Il n'y a pas de sacrement du mariage chez nous. Il peut y avoir bénédiction, après ou avant la fête familiale. Pour les bouddhistes, le mariage est un contrat civil, social, entre deux personnes, entre deux familles, voire entre deux nations ou Etats. L'amour, pourquoi pas ? Mais il est considéré comme une note romantique. Le mariage est surtout une alliance créatrice d'une communauté familiale, qui peut englober des biens matériels, des intérêts financiers, ainsi officialisés. Le bouddhisme est concret, pragmatique.

Dans beaucoup de pays asiatiques, il y a polygamie ou polyandrie, même si la monogamie domine. La filiation ne se réduit pas à un lien de génération, elle a une dimension sociale. Dans le Tibet traditionnel, le mariage d'une femme avec des frères, ou d'un homme avec des soeurs, était chose courante, pour éviter de fractionner la propriété de la terre et sauvegarder l'unité économique. Les enfants étaient réputés être tous issus du même père, le frère aîné, même s'ils étaient en fait de pères différents. La filiation était plus une convention sociale qu'un fait biologique.

Toutes les opinions sont représentées chez les bouddhistes, en fonction de la culture de chacun, de la génération. Les homosexuels et les hétérosexuels sont des êtres humains, qui ont tous le même potentiel et les mêmes droits, au-delà des données biologiques incontournables. Les homosexuels ne sont pas traités à part dans le bouddhisme. Quant au mariage, à chacun de penser par lui-même, de prendre position en fonction de ce qu'il estime bon. Il n'y a pas de mot d'ordre sur ce qui est prescrit ou interdit. Le bouddhisme est-il une religion, une philosophie ? me demande-t-on souvent. C'est un cheminement de chacun et non une vérité absolue qui vaudrait pour tous.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci beaucoup pour cette présentation.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur - Le bouddhisme est une religion de liberté individuelle totale, qui n'impose aucun choix particulier. Cela nous rassure d'entendre ces propos.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis - Y a-t-il un débat sur ce projet de loi dans votre mouvement ? Comment cela s'est-il passé il y a dix ans, lors du vote du Pacs ? Comment l'homosexualité est-elle considérée dans le bouddhisme ?

Mme Marie-Stella Boussemart - Mon propos, monsieur le rapporteur, était plus restrictif : oui, le bouddhisme donne beaucoup de liberté à chacun, mais aussi beaucoup de responsabilité. Chacun doit se prendre en main pour frayer sa voie vers la libération ou l'éveil. Mais c'est un cheminement ardu. Il ne convient pas à tout le monde.

En tant que citoyens, nous avons pu nous intéresser au débat ; en tant que bouddhistes, il ne nous concerne guère. Dans nos réunions, ce n'est pas notre sujet principal. C'est à chacun d'y réfléchir pour lui-même.

Quant au Pacs, je ne peux que remercier ceux qui ont été à son origine, ce fut une avancée extraordinaire. Je n'ai qu'un regret : qu'il ait été trop limité. A titre personnel, j'estime que le projet de loi débattu actuellement ne doit pas faire oublier le Pacs, choisi par beaucoup d'hétérosexuels et qui pourrait être amélioré, élargi. L'expression « mariage pour tous » est un abus de langage qui a pu jeter de l'huile sur le feu : en appuyant sur des points douloureux, elle a suscité des réactions devenues ensuite incontrôlables. Les mots comptent. Le « mariage ouvert aux personnes de même sexe » serait une terminologie beaucoup plus claire.

Mme Catherine Tasca . - Vous nous avez fort bien dit que dans votre philosophie, la filiation ne se vit pas comme dans notre ordre juridique. Le bouddhisme nous est beaucoup moins bien connu que les grandes religions établies depuis longtemps sur notre territoire. Quels sont le rôle et la place de l'enfant ? Celui-ci est très accompagné ou est-il très tôt à l'école de la liberté ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Vous n'avez pas été jusqu'au bout de vos remarques sur le Pacs. Que souhaiteriez-vous comme extension ou approfondissement ?

Le bouddhisme est divers, avez-vous dit. Il n'est sans doute pas vécu pareillement dans les pays occidentaux et dans ceux où il est une religion dominante. Là-bas, quelles sont les lois, sur le mariage et sur la filiation ? Vous avez évoqué la question patrimoniale. Le droit romain l'a placée au coeur du mariage. Qu'en est-il dans ces pays ? Existe-t-il des législations organisant l'union de personnes du même sexe ?

Mme Marie-Stella Boussemart - Sur la place de l'enfant, je ne puis vous répondre complètement, en raison de la diversité culturelle au sein du bouddhisme. Revenons aux sources indiennes : l'enfant a une position tout à fait privilégiée dans les familles asiatiques, la « famille » s'entendant au sens large, quatre à cinq générations regroupées en une même communauté économique. Les enfants sont éduqués par l'ensemble de la famille et non par leurs seuls père et mère. Dans le modèle japonais traditionnel, les adoptions au sein d'une même famille sont courantes, un couple sans enfant peut adopter le petit dernier du frère ou de la soeur qui a plusieurs enfants. L'enfant adopté devient l'héritier de ses parents adoptifs, leur fils légitime, il change de nom pour porter le leur, quel que soit son âge lors de l'adoption. Chez les peuples nomades, l'enfant suit celui des adultes qui le prend en charge, il ne s'agit pas forcément des parents.

La notion d'interdépendance est extrêmement importante dans le bouddhisme. Nous recevons de tous les autres, à nous de leur rendre en retour. Je ne connais pas les lois de tous les pays bouddhistes, cependant, je m'en excuse !

Actuellement, un projet de loi du même type est à l'étude au Japon. C'est le pays d'Asie le plus occidentalisé. Faut-il voir là une influence européenne ou américaine ? En effet, parmi les 27 pays qui ont légiféré sur le sujet, la grande majorité se trouve en Europe. La question se pose moins en Asie, où les homosexuels n'ont pas été persécutés comme ils l'ont été dans nos contrées. Il n'y a donc pas besoin comme dans nos sociétés de réparer des injustices. En Asie, les homosexuels sont considérés comme différents, subissent quelques moqueries parfois, mais sans plus. Il n'est pas étonnant que les revendications ne soient pas identiques !

Dès lors que les enfants peuvent être élevés par d'autres membres de la famille que leurs parents, des homosexuels élèvent des enfants. Les choses se font simplement.

Quant au patrimoine, je prends l'exemple du Tibet d'avant 1959 : lors du mariage, la femme recevait une dot qu'elle conservait en bien propre ; son ou ses époux étaient censés augmenter son patrimoine chaque année, en bijoux ou têtes de bétail, de telle sorte qu'en cas de séparation, elle puisse disposer de ses propres biens, les biens de la mère, dans la succession, allant aux filles et les biens du père aux fils.

Chez les Mongols, le petit dernier héritait de la yourte familiale - logiquement, car les aînés étaient partis avant lui fonder une famille et avaient une yourte à eux.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - La filmographie japonaise montre que l'homosexualité n'est pas l'objet de discrimination, elle n'est pas condamnée. Parmi les plus grands metteurs en scène japonais figurent d'ailleurs des homosexuels.

Mme Marie-Stalle Boussemart . - Il est difficile de généraliser. Il est vrai qu'au Japon, ce n'est pas un problème de société. Je le rappelle, le bouddhisme ne fait pas de différence entre les personnes en fonction de leur orientation sexuelle.

M. Jean-Jacques Hyest . - Sur le Pacs ?

Mme Marie-Stella Boussemart . - Je ne puis répondre au nom du bouddhisme français, seulement en mon nom personnel. Il me semble que le dispositif créé il y a dix ans n'était pas assez large, ni quant aux avantages, ni quant aux personnes éligibles. Le Pacs est fondé uniquement sur une relation sexuelle. Or des communautés économiques sont parfois fondées sur des liens amicaux, ou familiaux. La réflexion est trop restrictive.

M. Jean-Jacques Hyest . - Dans nos campagnes, deux vieux garçons ou vieilles filles, ou des frères et soeurs, pourraient souhaiter régler les questions patrimoniales par un tel pacte. Nous nous étions posé la question lors du débat, il y a dix ans.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci, votre intervention nous a beaucoup intéressés. C'est une après-midi très riche.

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