M. Daniel Borrillo, maître de conférences en droit privé à l'Université Paris Ouest et membre du centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux

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M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous recevons M. Borrillo, maître de conférences en droit privé à l'Université de Paris Ouest. M. Borrillo est engagé depuis longtemps dans la lutte contre l'homophobie. Avec Didier Eribon, il a été à l'initiative du Manifeste pour l'égalité des droits et publié de nombreux ouvrages sur l'homosexualité, dont Homosexualité et discrimination en droit privé et Le droit des sexualités .

M. Daniel Borrillo , maître de conférences en droit privé à l'Université Paris Ouest et membre du centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux . - Merci de m'accueillir. Je suis également chercheur associé au CNRS et j'ai travaillé en Espagne où le mariage a été ouvert aux couples de même sexe en 2005 ainsi qu'en Argentine, mon pays d'origine, où il a été adopté en 2010.

Après l'abolition de l'esclavage, l'ouverture du droit de vote aux femmes, l'égalité des droits des enfants nés hors mariage, l'abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l'homosexualité, on assiste à une nouvelle étape pour une société plus juste et plus égalitaire.

En 1791, le crime de sodomie fut supprimé. La France devient terre d'accueil de nombreux homosexuels illustres : Oscar Wilde, Klaus Mann, Romaine Brooks.... Ce projet de loi permettra de se réconcilier avec le droit révolutionnaire, notamment avec l'article 7 de la Constitution de 1791 selon lequel la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil.

Je suis favorable à cette future loi, qui améliore la liberté et l'égalité des conjoints tout en renforçant la protection des enfants.

D'abord, une mise en perspective historique : cette loi apparaît dans le contexte de l'épidémie de VIH. Contrairement à d'autres pays, les hautes instances judiciaires françaises ont été réticentes à élargir les droits familiaux aux couples de même sexe. Le Pacs avait réglé en partie la question. Après le mariage de Bègles, la Cour de cassation a jugé le 13 mars 2007 que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, et le Conseil constitutionnel a estimé le 28 janvier 2011 dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que le refus de mariage pour un couple de même sexe n'était pas discriminatoire.

Contrairement au Pacs, issu d'une proposition de loi, le « mariage pour tous » résulte d'un projet de loi qui montre l'intérêt que le Président de la République porte à la question. Ce texte modifie essentiellement le code civil mais aussi des lois relatives au conjoint et à la filiation.

Le procureur général Baudoin, dans un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1903, fait du mariage « l'union des âmes et des volontés » : cette conception asexuée du mariage est enfin entérinée.

Faut-il maintenir la notion de père et mère ? Je n'y suis pas favorable. Ce qui est intéressant juridiquement, c'est la fonction parentale, et non la dimension sexuée des sujets de droit : je ne vois pas de différence juridique entre les hommes et les femmes vis-à-vis des engagements familiaux ; le combat des femmes a permis de montrer que la parenté est une fonction. Le mariage est une égalité de droits, mais aussi d'obligations : devoir de fidélité, devoir de communauté de vie, contribution de charge, éducation des enfants...

Ce projet de loi va régler des problèmes de droit international privé : les mariages conclus à l'étranger seront considérés comme valables.

Sur le plan vertical, l'égalité suppose l'accès à toutes les formes de filiation pour tous les couples, ce qui comporte l'accès à la PMA, à la filiation adoptive.

Si la logique égalitaire s'impose pour le couple, le projet de loi ne prévoit l'accès à la parenté qu'à travers l'adoption. Ainsi, deux lesbiennes mariées ne pourront pas bénéficier de la PMA. Cette limitation est problématique, car elle instaure une discrimination entre les couples mariés. La France est le seul pays à considérer la PMA non comme un droit subjectif, mais comme un acte médical, palliatif à la stérilité du couple ou moyen d'éviter la transmission d'une maladie grave. Il s'agit d'une fiction juridique car un couple est rarement stérile : la plupart du temps, seul l'un des deux conjoints l'est.

La PMA constitue une démission du politique en faveur de ce que Dominique Memmi appelle le magistère biomédical. La loi bioéthique de 1994 promeut un agencement familial particulier : le couple parental hétérosexuel en âge de procréer, l'intérêt du futur enfant étant d'avoir un père et une mère et des liens biologiques avec les personnes remplissant ces tâches sociales. Ces valeurs décrites comme naturelles sont à l'origine de l'inclusion de la PMA parmi les services fournis par le système de santé publique ; elles sont à la base de la règle selon laquelle seuls un homme et une femme stériles en âge de procréer peuvent recourir à ces méthodes, contrairement à l'adoption dont peut bénéficier une seule personne.

La PMA relève d'une question de santé publique : elle permet en effet de pallier la stérilité mais aussi d'éviter la transmission d'une grave maladie à l'enfant ou au conjoint ; cette réforme aurait pu être l'occasion de mettre un terme aux procréations artificielles artisanales pratiquées par les personnes qui ne peuvent accéder légalement à cette technique.

Mais au-delà de l'égalité, sur le plan horizontal, cette réforme aurait pu être l'occasion de revenir sur la conception du mariage comme alliance entre deux familles et non pas entre deux personnes. Pourquoi ne pas réfléchir, comme en Espagne à une réforme globale du mariage, en repensant la présomption de paternité ou l'obligation de fidélité, contrepartie de la présomption de paternité ? Le droit canonique prône la fidélité, pas le droit civil...Pourquoi ne pas déjudiciariser les divorces, comme cela avait été proposé par Mme Guigou ou Mme Taubira ?

La séparation de corps aurait également mérité qu'on y revienne. Sur le plan vertical, on aurait pu donner une assise juridique aux liens unissant l'enfant au tiers qui l'élève en créant par exemple un statut du co-parent ayant des effets juridiques, comme par exemple un droit de visite en cas de séparation.

Il aurait aussi fallu ouvrir l'adoption aux couples pacsés, assumer une conception de la filiation fondée sur la volonté, faciliter les démarches administratives en matière d'adoption, mettre fin à la présomption de paternité ; depuis la réforme de 1972, l'appréciation de paternité a été affaiblie. Pourquoi la ressusciter aujourd'hui ?

En cas de décès du conjoint, la femme peut donner l'embryon à la science, le donner à un autre couple ou le faire détruire, mais en aucun cas se le faire implanter. Là encore, il aurait fallu revenir sur ces problématiques.

Je suis également favorable à l'accès à la GPA pour tous les couples, comme l'avait proposé un rapport du Sénat en 2008 pour les couples hétérosexuels... Une réflexion doit être engagée sur la liberté de procréer, pour sortir de l'idéologie qui prétend que toute GPA constitue une marchandisation du corps de la femme. Voyez l'exemple anglais.

Pour les couples binationaux, il faut aussi améliorer la situation en mettant fin à l'inquisition juridique visant à vérifier la communauté de vie effective des époux.

Beaucoup de ces questions devraient être abordées dans la loi famille, à moins que vous n'en décidiez autrement.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci de votre exposé, qui était, comme le précédent, engagé.

M. Daniel Borrillo . - Je le prends comme un compliment.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Comme l'a dit M. Darniche à Mme Neirinck, je vous remercie de votre exposé, qui correspond à ce que je pense.

Ce matin, nous avons entendu les associations concernées par l'adoption qui nous ont fait part de leur expérience, n'ont porté aucun jugement de valeur et qui ont souligné les difficultés pratiques qui peuvent se poser. Nous en avons conclu que le Parlement devra réviser très rapidement sa législation relative à l'adoption nationale et internationale.

Comme vous êtes parfaitement bilingue et spécialiste des droits français et hispanique, pouvez-vous nous dire comment cela se passe en Espagne et en Argentine ? Ces pays sont-ils entraînés dans une spirale mortifère ? Comment ont-ils réglé la question de la filiation ?

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - J'avais le même type de questions. J'ai apprécié votre jugement sur la PMA différent de ce que l'on a pu entendre jusqu'à présent.

La PMA n'a jamais guéri la stérilité des couples : elle règle simplement les problèmes d'infertilité. Doit-elle faire partie d'un projet de loi sur la famille ou sur la santé publique? Vous avez ouvert de nombreuses portes ; le chantier parait immense : mieux vaut régler les questions une par une.

Je travaille sur la question de la trans-identité et la loi argentine est montrée comme un modèle. Où sont les clivages ?

M. Daniel Borrillo . - L'Espagne et l'Argentine n'ont pas dissocié mariage et filiation. En Espagne, une loi de 1987 a permis la PMA pour les femmes seules. La situation est donc moins crispée. En Argentine, il n'existait pas d'interdiction des contrats de mère porteuse. La tolérance était la règle et une loi libérale a ensuite été votée.

Les deux pays ont traité de la filiation à partir du projet parental et du droit des parents. Comme il y a un droit à la non-procréation, avec la contraception et l'IVG, il y a un droit à la procréation, avec la PMA dans un projet parental responsable. Il s'agit d'encadrer des pratiques existantes, sans faire intervenir les médecins : le choix du type de famille relève de choix privés. Ne sont restés que les arguments moraux et religieux et les débats ont été vifs entre l'Etat et les religions.

M. Jean-René Lecerf . - Vous semblez appréhender le mariage comme un acte contractuel quasi banal.

Mais le mariage est aussi une institution : les contrats se passent chez le notaire portes fermées, mais le mariage en mairie à portes ouvertes, car il entraîne des conséquences sur la famille des uns et des autres, sur les enfants nés et à naître, sur la société. La banalisation contractuelle du mariage entraîne une banalisation des PMA, que vous semblez souhaiter. Le droit français interdit le saucissonnage des marchés publics mais pas de la loi. Un futur texte sur la famille paraîtra sans doute sur la PMA. Sa banalisation entraînera-t-elle inéluctablement la banalisation de la GPA ?

Mme Catherine Tasca . - Vous estimez que la filiation fondée sur la volonté doit se substituer à la filiation biologique.

D'après vous, la présomption de paternité n'a plus grand sens. Quid du droit des femmes ? Beaucoup de femmes cherchent à faire reconnaître la paternité de leurs enfants quand le géniteur se dérobe à ses responsabilités. Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Borrillo . - La question de la volonté est très compliquée. J'écris en ce moment un ouvrage sur ce sujet. J'ai le sentiment que prévaut aujourd'hui une conception plus biologiste que volontariste de la filiation. Selon moi, il n'y a pas de liens plus forts, plus stables, plus sûrs, que les liens qui résultent de la volonté.

En matière de procréation, la femme peut imposer une paternité mais la mère a droit à l'interruption volontaire de grossesse, à l'abandon d'enfant par l'accouchement sous X. Il y a donc une dissymétrie des droits entre hommes et femmes. Il faudrait donc revenir sur ces questions. Il ne faut pas nous engager dans le biologique pour créer un lien de filiation : on peut complètement dissocier procréation et filiation. Si l'enfant n'est pas souhaité, il n'aura pas des parents aimants.

En 1972, la notion de présomption de paternité a été affaiblie. Mon directeur de thèse, Daniel Huet-Weiller a d'ailleurs écrit un article remarquable à ce propos : Requiem pour une présomption moribonde . Banalisation du mariage, dites-vous ? Il faut en revenir à la conception contractuelle et civiliste du mariage, comme sous la Révolution. C'est le consentement qui fait le mariage mais pas la consommation, la copula carnalis du droit canonique. Ce n'est pas le corps qui importe mais la dimension spirituelle et psychologique. Pour moi, le mariage est un contrat intuitu personae par excellence, ce qui implique une responsabilité plus grande.

Le projet de loi ne va pas banaliser le mariage. En 1975, le divorce par consentement mutuel a été voté. La possibilité de rompre le lien matrimonial du seul fait de sa volonté existe donc depuis bien longtemps : on peut dire aujourd'hui que le mariage est plus un acte du droit civil commun qu'une institution.

Une partie de l'opposition semble remettre en cause  la PMA ; elle existe depuis 1994, et la seule question est de savoir si on peut l'ouvrir aux couples de femmes. On ne peut revenir sur des lois, que ce soit la PMA ou le divorce, ni rendre le mariage pour tous responsable de problèmes qui n'ont pas été réglés il y a 20, 30 ou 40 ans.

M. Jean-René Lecerf . - Sur ce dernier point, si on ouvre la PMA aux femmes, cette ouverture sera globale et ne sera pas liée à des problèmes médicaux. Il faudra donc l'ouvrir aussi aux couples hétérosexuels. Cette généralisation de la PMA conduira-t-elle inéluctablement à la GPA ?

M. Daniel Borrillo . - La discrimination actuelle est fondée sur l'argent : les femmes seules ou les couples homosexuels qui ont de l'argent peuvent aller en Belgique ou aux Etats-Unis : en Californie, une GPA revient à 40 000 dollars. Ceux qui ne les ont pas restent dans le cadre strict de la loi française. A mon sens, le seul moyen de limiter les abus, la marchandisation et l'exploitation, c'est d'édicter des règles claires.

Nous sommes là dans l'intimité des corps : l'Etat doit donc se montrer très vigilant pour protéger les plus faibles. La procédure contractuelle permet de garantir les droits des adultes comme des futurs enfants.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Quelle que soit l'opinion que l'on a sur la PMA ou la GPA, je n'accepte pas l'argument de fait. Ce n'est pas parce qu'il existe telle chose ou parce qu'une loi étrangère a légalisé telle autre, que le législateur français doit s'aligner. Nous devons légiférer en toute indépendance, sinon notre travail perd de son sens.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous ne sommes pas tous d'accord sur la filiation médicale, mais la loi est là pour protéger. Aujourd'hui, la mondialisation s'étend, la marchandisation se généralise, l'argent règne.

L'autorisation de l'IVG a protégé les femmes. Rappelez-vous ce qui se passait avant ! Combien de jeunes femmes sont mortes dans des conditions déplorables ! Si nous sommes favorables à l'extension de la filiation, c'est pour protéger.

Selon vous, le mariage civil est fondé sur le consentement, sur la volonté, et le mariage religieux sur la consommation. Que pensez-vous alors des lois de la République qui font rentrer la consommation dans le mariage, avec le mariage blanc et le mariage gris ? Le droit républicain s'est introduit ainsi au sein du couple pour présumer que certains mariages ne seraient pas consommés.

M. Daniel Borrillo . - Excusez-moi si j'ai donné l'impression de recourir à l'argument de la justification factuelle : le droit, c'est l'art du bon et du juste. Il me paraît juste et bon de donner les mêmes droits à tous les couples et de mettre à leur disposition toutes les techniques de PMA lorsqu'il s'agit d'un projet parental responsable.

En ce qui concerne le résidu canonique du droit civil, un homme a été condamné à payer 10 000 euros de dommages et intérêts pour n'avoir pas eu suffisamment de relations sexuelles avec sa femme : cela semble contraire au principe de volonté et de respect de la vie privée.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci pour ces réponses très intéressantes et très utiles pour notre débat.

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