Mardi 12 mars 2013
Mme Marie-Anne Chapdelaine, députée, présidente du conseil supérieur de l'adoption

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- Présidence M. Jean-Pierre Sueur , président -

M. Jean-Pierre Sueur , président. - Cette dernière séance vient clore un long cycle d'auditions au cours duquel le Sénat a accompli, après l'Assemblée nationale, un remarquable travail. Nous avons procédé à une quarantaine d'heures d'auditions publiques, et les rapporteurs en ont en outre réalisé une dizaine. Nous avons reçu l'ensemble des grandes associations et institutions, les représentants de tous les cultes, des juristes, des psychologues, des psychanalystes, des anthropologues, des spécialistes de toutes les disciplines susceptibles de nous concerner. Le Sénat a fait, comme il a cru devoir le faire, son travail.

Nous accueillons tout d'abord Mme Marie-Anne Chapdelaine, députée, qui a été nommée, en 2012, présidente du Conseil supérieur de l'adoption.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente du Conseil supérieur de l'adoption. - Le Conseil supérieur de l'adoption réunit notamment des élus, parlementaires comme le sénateur Georges Labazée ou élus locaux, des personnalités qualifiées, des magistrats. Sa composition lui assure à une vision pluridisciplinaire. Il a été consulté le 23 octobre 2012, en vertu des dispositions de l'article L 148-1 du code de l'action sociale et des familles, sur le projet de loi soumis à votre examen - le jour même où le Conseil d'Etat a rendu son avis Nous avons ensuite souhaité mener un travail approfondi, dans le cadre d'un groupe de travail qui s'est réuni à quatre reprises.

Au-delà de la question du mariage, se pose celle de l'adoption, qui appelait une approche tout à la fois pluraliste, non dogmatique et unifiée, qui a abouti à la contribution du 9 janvier 2013. Nous avons eu avant tout en vue l'intérêt de l'enfant, étant entendu que l'adoption est une mesure de protection de l'enfant durablement privé de famille, dont la finalité est bien de donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille. Sachant que ce texte ouvre la possibilité aux couples de même sexe d'engager des démarches en vue d'une adoption, dans un contexte marqué par un déséquilibre entre les 24 000 candidats et le nombre des enfants adoptables, de l'ordre de 2000, il s'agissait pour nous d'aborder, sereinement et sans polémique, la question de ses incidences, et cela en écartant tout amalgame entre orientation sexuelle des parents et capacité éducative.

Le texte, qui entraîne d'importantes conséquences en matière d'adoption, suscite des questions quant au fond et quant à sa mise en oeuvre concrète. Comme présidente, j'ai souhaité que nous les soulevions en ayant en vue l'intérêt de l'enfant, sans en faire un prétexte à polémique. La sagesse des membres du Conseil a abouti à une contribution équilibrée. Chacune des conséquences du projet a fait l'objet d'un examen attentif. Pour certains membres, la question de l'homoparentalité entame les principes d'une filiation fondée sur l'altérité sexuelle des parents, et, privant l'enfant d'un parent de l'autre sexe, n'est pas sans conséquence sur le devenir de l'enfant et la construction de son identité. Pour d'autres, ouvrir la possibilité de l'adoption de l'enfant d'un conjoint du même sexe peut aller dans le sens de l'intérêt de l'enfant : dans les familles homoparentales déjà constituées, elle lui apporte la stabilité juridique et la continuité nécessaires à son développement.

Il n'en faut pas moins procéder avec précaution. Pour éviter à ces enfants toute nouvelle source de discrimination, des outils de sensibilisation et d'accompagnement doivent être prévus, ainsi que des outils en amont et en aval pour les professionnels, les parents, les enfants. Les craintes qui se sont manifestées en ce qui concerne l'adoption internationale impliqueront une réflexion spécifique. Il faut, en tout état de cause, être parfaitement transparents, pour les pays d'origine, sur la structure familiale des demandeurs.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Nous avons entendu nombre d'associations sur la question de l'adoption. On peut se demander si l'adoption plénière répond encore aux réalités, alors que l'on adopte des enfants plus âgés, et bien souvent à l'étranger. Est-il encore légitime, a fortiori pour une adoption par des parents de même sexe, de cacher à l'enfant ses origines ? Car il saura d'emblée que ses parents ne sont pas ses parents biologiques. L'adoption plénière est une fiction qui veut que l'enfant entre totalement dans sa famille d'adoption, sans possibilité de savoir d'où il vient. Mentir est pire que tout pour la construction de l'enfant. Ces questions surgiront inévitablement lors de l'examen des amendements en séance publique. En tout état de cause, la discussion est engagée, et cette question de l'adoption devra avoir une place centrale dans le projet de loi à venir sur la famille.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Je vous remercie d'avoir retracé les travaux du Conseil supérieur de l'adoption dont je suis membre au titre de mon département. Vous avez évoqué l'égale capacité éducative de tous les couples, ainsi que l'intérêt de l'enfant, sans en faire pour autant un argument. Si la question de l'adoption déborde, ainsi que l'a rappelé Jean-Pierre Michel, le strict cadre de cette loi, pouvez-vous néanmoins nous dire quel a été, parmi vos membres, le point de clivage sur ce texte ?

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le mariage entre personnes du même sexe pose un vrai problème au regard de l'adoption de l'enfant. La conception de l'adoption plénière était fondée sur le mensonge, au moins par omission. On disait à l'enfant qu'il avait un père et une mère et qu'il n'avait pas lieu d'imaginer qu'il pût y en avoir d'autres. Puis est venue la loi sur l'accès aux origines... Dès lors que, dans le cas de l'adoption par un couple homosexuel, il est évident pour l'enfant que ses parents ne sont pas ceux qui lui ont donné le jour, ne pensez-vous pas qu'il faille amender la loi pour introduire un droit à la connaissance de l'origine ? L'enfant demandera immanquablement à connaître la vérité.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. - Derrière l'adoption plénière se pose clairement la question de la filiation. Il y a eu, là-dessus, clivage au sein du Conseil. Certains, tout en estimant qu'un couple homosexuel a toute capacité à élever un enfant, se sont inquiétés de l'écrasement de l'état civil impliqué par l'adoption plénière, qui ne permet plus à l'enfant d'identifier ses origines. Quelques-uns se sont demandé s'il ne serait pas envisageable d'imaginer d'autres formes juridiques. D'autres, comme le Mouvement pour l'adoption sans frontière (MASF), ont estimé, en revanche, que l'enfant ne se construisait pas à partir de ses seuls parents, mais aussi de ses oncles, ses tantes...

La question de l'accès aux origines concerne tous les enfants adoptés. L'association Racines coréennes y a beaucoup insisté. L'enfant sait qu'il ne peut être conçu de deux hommes ou de deux femmes. Tous ont convenu qu'il faut en finir avec le mensonge : il faut dire à l'enfant qu'il a été adopté. Il convient de trouver le moyen de lui ouvrir le droit à connaître ses origines. Car c'est le plus souvent le mensonge qui crée le problème. Se pose aussi la question des enfants plus âgés, des enfants à besoins spécifiques, que nous avons abordée.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Permettez-moi d'insister. Pensez-vous que cette loi puisse être votée sans un ajout rendant obligatoire la possibilité de connaître leurs origines pour les enfants issus, notamment, de mariages homosexuels ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. - La question se pose pour tous les enfants concernés, que les couples soient homosexuels ou hétérosexuels. Une telle disposition devrait bénéficier à tous. Ce texte n'est peut-être pas le lieu pour l'introduire, cela pourrait prêter à confusion. En outre, le droit à l'accès aux origines est déjà prévu, mais fonctionne mal. Enfin, l'adoption engage aussi d'autres problèmes, comme celui du délaissement parental. Une réforme d'ensemble serait plus adaptée.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il est vrai que le mensonge est toujours le mensonge, même s'il est un cas de figure où il peut être cru, un autre où il frise l'absurde ; il faut trouver une solution d'ensemble.

Mme Catherine Tasca . - Merci de votre contribution. Nous ne pouvons plus dire que l'adoption plénière repose sur un mensonge. D'une part, les familles consultent, elles savent qu'il n'y a rien de pire pour l'enfant que d'être élevé dans le mensonge. D'autre part, les enfants adoptables ne sont plus les mêmes qu'autrefois : ils sont souvent plus âgés, souvent d'origine lointaine. Un enfant du Cap Vert ou du Sénégal adopté par des parents blancs sait bien qu'il est adopté. C'est la même chose pour les couples homosexuels : les enfants le décryptent aussitôt. Une réforme de l'adoption plénière et de l'adoption en général est donc une nécessité.

Le Conseil a-t-il identifié les freins à l'adoption, en particulier sur le territoire national ? Ce sont ces difficultés qui poussent les familles à aller chercher des enfants très loin, malgré les différences culturelles et raciales, alors que des enfants nés en en France ne sont pas adoptés. Quel est l'obstacle majeur ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. - Pour qu'un enfant soit adoptable, il faut qu'il y ait eu délaissement parental. Or, celui-ci est de plus en plus dur à obtenir. Même si le lien est très ténu, le délaissement n'est pas prononcé.

La question des enfants à besoins spécifiques, c'est-à-dire avec un handicap, a fait débat au sein du Conseil. On adopte des enfants à handicap venus de l'étranger que l'on n'adopterait pas ici. Se pose aussi la question de l'âge. Il n'y a quasiment plus d'enfants adoptables de moins de trois mois, voire de moins de deux ans. Il faut le dire aux candidats à l'adoption.

L'adoption internationale se réduit car, avec le développement, les classes moyennes de ces pays adoptent les enfants sur place. Il faudra aussi être innovant, rechercher de nouvelles façons de confier des enfants qui ne sont pas complètement adoptables. Nous allons revisiter l'agrément, mais nous devons également former les personnels des conseils généraux et nous interroger sur le délaissement, qui est une décision de justice.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il faudrait, dites-vous, revoir l'agrément ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. - Une étude est en cours, qui sera présentée au Conseil supérieur de l'adoption. S'il y a des préconisations à faire, nous les ferons.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - La question du délaissement parental est cruciale. Si l'on écarte la coupure totale avec l'histoire antérieure qu'implique l'adoption plénière, les problèmes se poseront différemment. Les assistantes sociales des conseils généraux s'efforcent de maintenir des liens, qui en viennent parfois à être très ténus, une carte postale tous les ans. Ne vaudrait-il pas mieux que ces enfants soient adoptés ? Or l'adoption plénière exclut la mère, alors qu'elle pourrait, si, par exemple, sa situation sociale venait à changer, désirer voir son enfant. De ce point de vue, notre législation n'est pas adaptée. Beaucoup d'enfants pourraient, en France, être recueillis, sécurisés bien mieux que dans une simple famille d'accueil.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis. - Notre discussion montre qu'une réflexion sur la filiation doit s'engager, qui appelle une autre loi. La question du délaissement a trait à la protection de l'enfance ; l'adoption est une mesure de protection de l'enfance. Je plaide donc pour une évaluation globale de la loi de 2007 sur la protection de l'enfance, au lieu des retouches partielles dont on s'est jusqu'ici contenté. Je me réjouis que vous signaliez un clivage sur la filiation biologique : tant que l'on pensera que celui qui produit l'enfant est le père ou la mère, on déniera l'existence d'autres filiations, par adoption, ou par PMA. Je forme le voeu que l'on puisse délibérer sur cette question dans le cadre d'un autre texte.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Tout le monde s'accorde à penser que ce texte en appelle un autre. Cet engagement à légiférer doit être très fort, faute de quoi, on manquerait à la parole donnée.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. - On a déjà touché à la filiation biologique, avec la troisième composante de la possession d'état, par exemple, ou par la loi de 2005 sur l'autorité parentale, mais des problèmes subsistent. On doit pouvoir aller plus loin.

Oui, l'enfant serait mieux dans une famille. Il y a peut-être d'autres voies que l'adoption plénière, même si celle-ci a été vivement défendue par des associations au sein du CSA. Nous aurions des formes d'adoption selon la situation des enfants.

Mme Catherine Tasca . - L'adoption a toujours été conçue comme une fiction de filiation biologique. On aura le même problème avec la PMA. Ceux qui revendiquent des évolutions restent dans cette fiction, puisqu'ils veulent retrouver tous les attributs de la filiation biologique. Ne pourrait-on concevoir une adoption qui ne passe pas par cette fiction et imaginer un autre cadre juridique pour d'autres formes de relation ? L'adoption n'est pas un substitut à la filiation biologique et il en sera de même avec la PMA.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. - L'adoption intrafamiliale concerne souvent des enfants issus de la PMA. Tout le monde est d'accord, au sein du Conseil, pour considérer que quelle que soit la forme d'adoption, on sécurise l'enfant. Il y a donc des pistes à creuser, notamment sur le délaissement.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il me reste à vous remercier pour toutes les informations que vous nous avez apportées.

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