Représentants de l'Association La voix de l'enfant

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M. Jean-Pierre Michel , rapporteur - L'association La voix de l'enfant est membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Elle a pour mission d'être à l'écoute de tous les enfants en détresse.

Mme Martine Brousse, déléguée générale de l'association La voix de l'enfant . - Merci d'entendre La voix de l'enfant, qui regroupe 78 associations et intervient dans une centaine de pays.

Nous travaillons sur la question des enfants dans les familles homosexuelles depuis plus de sept ans, avec pour souci majeur de faire entendre la voix de tous les enfants : nous somme le parti de l'enfant.

Me Bertrand Colin, membre de l'association La voix de l'enfant . - Je suis avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. J'interviens ici en tant que membre de la commission juridique de l'association.

Ce projet de loi entend répondre à un triple impératif : réparer une inégalité et supprimer une discrimination indirecte ; intégrer en ouvrant à tous l'accès à une institution républicaine ; compléter les droits ouverts par le Pacs et protéger. Comme l'a dit le professeur de droit privé à l'université de Toulouse Claire Neirinck, quelle que soit son orientation sexuelle, on peut ressentir l'exigence viscérale de se survivre, de donner la vie. Cependant la situation des couples de même sexe est différente de celles des couples hétérosexuels et l'impossibilité pour deux personnes du même sexe de concevoir un enfant peut justifier en droit un traitement différent. Il n'en reste pas moins que la filiation, l'adoption, la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) sont des problématiques communes à tous les couples.

Fonder une famille est une aspiration légitime pour les époux. Toutefois, parce que nous avons en vue l'intérêt supérieur de l'enfant, nous considérons inopportun d'ouvrir l'adoption aux couples de même sexe dans ce texte qui ne porte que sur le mariage, sans débat préalable sur l'adoption et sur les autres modes de procréation, PMA ou GPA. La Voix de l'enfant lance une mise en garde, prononce un double refus : non à l'instauration immédiate de l'adoption par les couples de même sexe sans réforme générale de l'adoption et des modes d'établissement de la filiation ; non à une famille qui fait passer le droit à l'enfant avant les droits de l'enfant.

En l'état actuel, le projet de loi maintient la logique qui prévaut dans le code civil et le lien entre mariage et adoption. Or, il serait concevable de dissocier les deux. Cela reflèterait d'ailleurs fidèlement la réalité, puisque 55 % des enfants naissent hors mariage et que l'adoption est ouverte aux célibataires. Depuis quarante ans, on tend à dissocier conjugalité et filiation. En tout état de cause, il faut au préalable qu'un débat général et approfondi sur l'adoption ait lieu, je le répète. Ainsi le Portugal a ouvert le mariage aux couples homosexuels en 2010, mais pas l'adoption.

Je vois trois inconvénients à ce projet de loi.

Comment faire apparaître dans les actes d'état civil la conception par un homme et une femme d'un enfant adopté par un couple homosexuel ? Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur ces enfants ; le but est de leur donner accès à leurs origines. Le temps est révolu où l'on cachait aux enfants qu'ils étaient adoptés. L'acte d'état civil ne saurait entretenir la fiction d'un enfant conçu par deux personnes de même sexe. L'accès aux origines, la conciliation du droit de l'enfant à l'information et du droit d'accoucher sous X de la mère, toutes ces questions sont laissées de côté par le projet de loi, c'est une lacune. Il ne prévoit pas les conséquences de l'ouverture de l'adoption aux couples homosexuels.

L'exposé des motifs avance que le texte apporte une réponse à des situations existantes, celles des couples homoparentaux qui ont déjà des enfants. N'est-ce pas un leurre ? Car le projet ne traite pas de l'ensemble des situations d'homoparentalité. Pour une simple et bonne raison : il ne donne pas de statut à toutes les personnes qui entourent l'enfant. La difficulté se pose dans les mêmes termes pour les familles recomposées. Adoption simple, délégation de l'autorité parentale et tutelle testamentaire qui existent aujourd'hui doivent être adaptés, afin que tout le monde soit pris en compte.

L'Assemblée nationale s'est saisie de ce problème et a introduit dans le texte des dispositions relatives au maintien des liens avec l'enfant. Il est regrettable que l'article figure dans un texte relatif au mariage entre personnes du même sexe et non dans une loi sur la famille et la filiation.

Autre inconvénient de ce texte, il prend les questions dans un ordre inverse à la logique. Le nombre d'enfants adoptables en France diminue et il est très inférieur au nombre des demandes. Les conditions de l'adoption à l'étranger ne sont pas plus satisfaisantes. Ouvrir un droit à l'adoption avant de réformer les conditions de l'adoptabilité et les critères d'accès à l'adoption internationale n'a pas de sens.

Enfin, ce texte autorise l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, mais laisse de côté les revendications concernant la PMA et la GPA. Or, admettre l'adoption plénière revient à valider implicitement la PMA et la GPA. Par exemple, la conjointe d'une femme qui irait en Belgique se faire inséminer pourra ensuite adopter l'enfant. La démonstration vaut pareillement pour un couple d'hommes qui aurait recours à l'étranger à une mère porteuse, ce que le droit français n'autorise pas. On ouvre alors un droit à la licéité douteuse.

Ces exemples montrent bien qu'il faut dissocier les questions du mariage et de l'adoption.

La voix de l'enfant dit non à une famille qui ferait primer le droit à l'enfant sur le droit de l'enfant. Nous maintenons notre opposition radicale à la PMA, sinon dans les cas d'infertilité médicale diagnostiquée ou pour éviter la transmission de maladies graves, ainsi qu'à la GPA. L'enfant n'est pas une marchandise, un produit ; les femmes ne sont pas un véhicule, un instrument, elles méritent qu'on respecte leur dignité.

Nous invitons le législateur à s'en tenir au mariage, sans ouvrir pour l'instant l'adoption.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis. - Je suis perplexe : nous allons trop loin pour certains, pas assez loin pour d'autres...

M. Alain Fauconnier . - Si j'ai bien compris, vous souhaitez une réforme générale de l'adoption. Dans ce cadre, êtes-vous pour l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe ?

Mme Virginie Klès . - En quoi votre opposition à la PMA et à la GPA justifie-t-elle votre refus de l'adoption par les familles homosexuelles dans ce texte ? Je comprends mal le lien...

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous examinerons, après ce texte, une loi sur la famille. Il conviendra de mettre tout à plat, familles recomposées, décomposées, hétérosexuelles, homosexuelles, beaux-parents, quatre parents, etc. Peut-être réviserons-nous également la loi de bioéthique pour adapter le droit aux progrès de la science ? Quelle sera alors votre position ?

Mme Martine Brousse . - Notre position est très claire : dès le mois de septembre dernier, nous avons dit à Mme Bertinotti notre souhait que l'adoption fasse l'objet d'un débat, avant toute décision. Je rappelle que 10 % des enfants adoptés retournent à l'Aide sociale à l'enfance, que beaucoup d'enfants adoptés viennent de pays, tel Haïti, qui n'ont pas ratifié la convention de La Haye, ou encore, que l'on compte environ 600 accouchements sous X par an alors que 27.000 familles attendent un enfant à adopter...

A l'Assemblée nationale, on a affirmé que la loi régulariserait les situations existantes. Je n'en suis pas certaine. Ne faisons pas croire aux couples homosexuels qu'ils pourront adopter, quand 27 000 familles attendent. De plus, la loi n'étant pas rétroactive, cela ne résoudra pas les situations existantes. Avec les avocats et les magistrats qui sont membres de notre association, nous avons néanmoins cherché à comprendre quelles étaient ces situations existantes. La France a le plus bel arsenal législatif de protection de l'enfant. Ce qui nous manque, ce sont des moyens. Il se trouve que l'adoption simple, qu'on avait complètement oubliée ces dernières années, et la délégation d'autorité parentale pourraient répondre aux difficultés actuelles, à condition d'être légèrement adaptées.

La protection de l'enfant doit primer. Or, ce texte créerait des discriminations indirectes au sens de la Cour européenne à l'encontre des enfants issus des personnes de même sexe : leurs parents seront obligés de se marier ou n'auront pas les mêmes droits que les autres.

Autre raison de notre opposition : l'état civil. On a parlé d'un « parent 1 » et d'un « parent 2 », la Chancellerie a finalement tranché : on écrira dans le livret de famille « père et mère » pour les couples hétérosexuels, « père et père » ou « mère et mère » pour les couples homosexuels... Or, l'état civil vous suit toute une vie ! Ce tiers, qu'est l'enfant, au-delà du désir d'égalité de ses parents, a des droits et notamment celui d'être reconnu issu d'un homme et d'une femme. Nous nous battrons toujours pour leur reconnaissance mais, avant de prendre position sur l'adoption, nous attendons des réponses conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant.

M. Jean-René Lecerf . - Nous avons tous reçu des messages de célibataires en attente d'adoption qui craignent que ce texte ne complique encore leurs démarches. Le nombre d'enfants adoptables ne cesse de diminuer... Cela dit, quand une famille est déterminée à adopter, elle y arrive généralement : deux de mes nièces y sont parvenues, via l'adoption internationale et l'Aide sociale à l'enfance.

Ensuite, il faudrait réformer l'adoption car le maintien d'un lien, même ténu, avec les parents biologiques suffit actuellement à interdire l'adoption.

Mme Martine Brousse . - Oui, il faut réformer l'adoption auparavant ! Je tiens à signaler que, depuis la reconnaissance du mariage homosexuel en Belgique, on y a dénombré trois adoptions internationales seulement. Les chiffres de l'Espagne ne semblent guère plus encourageants. Il faut en tenir compte : certains pays refuseront-ils l'adoption par des couples français après une telle évolution législative ?

Nous demandons à Mme Bertinotti un travail de fond. Aujourd'hui, 40 à 50 000 enfants patientent dans des foyers de l'Aide sociale à l'enfance parce qu'ils reçoivent un coup de fil ou une carte postale par an. Eux n'ont pas le droit à l'adoption ! Ils sont abandonnés en droit. Combien de jeunes SDF, de jeunes délinquants issus de l'Aide sociale à l'enfance... Mme Simone Veil avait proposé, pour eux, l'adoption par des parrains, avec reconnaissance juridique.

Enfin, ne l'oublions pas, l'adoption internationale, c'est pour les riches : elle coûte 15 à 20 000 euros. Il y a là aussi une question d'égalité des droits.

Me Bertrand Colin . - En un mot, nous ne sommes pas, par principe, contre l'adoption par des couples homosexuels - nous ne les considérons pas inaptes, ou moins aptes que les autres, à élever un enfant. Nous estimons toutefois qu'elle mérite une réflexion approfondie avant de légiférer.

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