B. L'APPOSITION D'UNE « DOUBLE DATE LIMITE DE CONSOMMATION » SUR CERTAINS PRODUITS : UNE INÉGALITÉ DE TRAITEMENT CHOQUANTE DES CONSOMMATEURS ULTRAMARINS

1. Une pratique minoritaire

Il a été observé que certains industriels apposent sur les produits très périssables qu'ils fabriquent en France hexagonale un étiquetage indiquant une date limite de consommation (DLC) différente selon que ces produits sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin . Ainsi, tandis que l'étiquetage de la plupart des yaourts distribués en France hexagonale comporte une DLC calculée en fonction d'un délai de 30 jours à compter de leur date de fabrication, ce délai peut atteindre jusqu'à 55 jours pour les mêmes produits de même marque lorsqu'ils sont commercialisés en outre-mer.

Cette pratique dite de la « double DLC » concerne un nombre restreint de fabricants , touche les territoires ultramarins de manière plus ou moins forte et concerne principalement les produits laitiers, notamment les yaourts. Selon un recensement réalisé dans les départements d'outre-mer (DOM) par la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), cette pratique concernerait 36 % des produits ultra-frais importés en Guadeloupe (les produits importés représentant 12 % de ce marché) et 17 % en Martinique (pour une part de marché de 16 %). En Guyane, où les importations de yaourts représentent 30 % du marché, l'ensemble des fabricants de yaourts importés pratiquent la double DLC. A la Réunion en revanche, la part des produits « surdatés » est très faible, grâce à une production locale plus importante.

Si la pratique des DLC longues concerne donc au total une part restreinte des produits commercialisés en outre-mer, elle pose une question de principe en termes d'égalité du traitement des consommateurs qui ne saurait être négligée.

2. Une pratique aux conséquences néfastes pour les consommateurs comme pour les producteurs locaux
a) La pratique de la « double DLC » va à l'encontre des objectifs de protection de la santé et d'information des consommateurs

Les règles relatives à la fixation d'une DLC répondent à des impératifs de santé publique . Au-delà d'une certaine durée, certains produits peu stables d'un point de vue microbiologique, comme par exemple les yaourts, deviennent en effet potentiellement préjudiciables pour la santé humaine et voient leur qualité nutritionnelle considérablement dégradée. La DLC définit ainsi pour ces denrées une période courte de consommation allant de quelques jours à quelques semaines.

L'obligation prévue par l'article 10 de la directive européenne 2000/13/CE 19 ( * ) de fixer, pour les denrées microbiologiquement très périssables, une DLC et non une date de durabilité optimale, est ainsi justifiée par le fait que ces produits « sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine ». Il est précisé par l'article 24 § 1 du règlement UE du 25 octobre 2011 que, « au-delà de la date limite de consommation, une denrée alimentaire est dite dangereuse conformément à l'article 14 § 2 à 5 du règlement CE n° 178/2008 ».

Dans ces conditions, l'obligation d'apposition d'une DLC sur les produits microbiologiquement très périssables vise à informer le consommateur de la durée pendant laquelle les denrées peuvent être consommées sans danger pour la santé, cette mention étant accompagnée de l'indication des conditions de conservation optimales du produit.

Dans la mesure où la DLC figurant sur l'emballage des produits très périssables ne renseigne pas les consommateurs sur leur date de fabrication, la pratique de la double DLC ne permet pas d'assurer une bonne information du consommateur. Elle peut en effet conduire les consommateurs ultramarins à choisir des produits sur lesquels figure une DLC éloignée en pensant acheter un produit plus frais, alors que ces produits ont en réalité été fabriqués antérieurement à une denrée produite localement.

Cette pratique apparaît dès lors contraire aux dispositions de l'article R. 112-7 du code de la consommation, qui prévoit que « l'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur , notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et notamment sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité , l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention ».

b) La pratique de la « double DLC » crée une situation de concurrence déloyale entre les producteurs hexagonaux et les fabricants ultramarins de produits très périssables

Tout comme la grande majorité des producteurs hexagonaux, les fabricants de yaourts ultramarins apposent sur leurs produits une DLC établie en considération d'un délai de trente jours à compter de la fabrication de ces produits.

La présence sur le marché ultramarin de yaourts provenant de France hexagonale et indiquant un délai de consommation plus long que ce délai traditionnel constitue une concurrence déloyale à l'encontre des producteurs locaux . Le système de double étiquetage peut en effet donner l'impression au consommateur que des produits hexagonaux sont plus frais que des produits ultramarins, alors même qu'ils ont été produits depuis plus de trente jours. En outre, la pratique des DLC différenciées selon le marché de destination n'est pas utilisée par les producteurs locaux, qui se trouvent ainsi pénalisés pour l'exportation de leurs produits.

3. Une pratique résultant d'une interprétation erronée de la législation applicable
a) La fixation d'une DLC relève par principe de la compétence des fabricants en fonction d'analyses de risques

Il ressort des textes européens et nationaux applicables en matière de sécurité alimentaire et d'étiquetage des produits que la fixation d'une DLC relève de la compétence des exploitants , qui sont responsables de la sécurité des aliments mis sur le marché, à partir d'une analyse de risques effectuée sur les produits.

Plusieurs textes européens fixent les principes généraux sur ces questions. Le règlement (CE) n°178/2002 20 ( * ) prévoit en son article 14 qu'aucune denrée alimentaire ne peut être mise sur le marché si elle est dangereuse, condition réalisée lorsque cette denrée est considérée comme préjudiciable à la santé. Son article 17 dispose que le respect des prescriptions de la législation alimentaire relève de la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire . L'article 1 er du règlement (CE) n°825-2004 21 ( * ) précise que « la responsabilité première en matière de sécurité alimentaire incombe à l'exploitant du secteur alimentaire ». Enfin, en application des articles 3 et 10 de la directive européenne 2000/13/CE 22 ( * ) , une DLC doit être définie pour les denrées alimentaires microbiologiquement très périssables .

Par transposition, l'article R. 112-22 du code de la consommation prévoit que l'inscription d'une DLC sur l'étiquetage des denrées microbiologiquement très périssables relève de la responsabilité du conditionneur.

Les exploitants doivent ainsi démontrer la durabilité des produits pour lesquels ils ont déterminé une DLC, notamment en effectuant des études de validation et en mettant en place des procédures de vérification. Ces analyses de risques doivent tenir compte des conditions de conservation attendues par le fabricant, des risques de rupture de la chaîne du froid , notamment lorsque les produits doivent être acheminés sur une longue distance jusqu'à leur lieu de commercialisation, et de l'utilisation prévisible qui en sera faite par le consommateur.

b) La réglementation n'autorise en aucune manière la fixation d'une double DLC pour un même produit selon le lieu de sa commercialisation

Pour autant, la compétence accordée aux exploitants pour fixer la durée de vie des produits très périssables ne leur laisse pas une totale liberté en la matière et ne les autorise pas à reporter la DLC d'un même produit selon son lieu de commercialisation. L'obligation de fixation d'une DLC poursuit en effet un objectif sanitaire et doit être comprise comme découlant des résultats des analyses de risques effectuées par les industriels.

La commercialisation outre-mer de denrées alimentaires fabriquées en France hexagonale emporte des risques spécifiques liés au transport (rupture de la chaîne du froid) et au climat des territoires de destination. Elle pourrait donc, en sens inverse des pratiques de certains industriels, justifier une diminution du délai de durabilité des produits par rapport à celui défini pour les mêmes produits destinés à être commercialisés en France hexagonale.

Il faut donc considérer que, dans le cas des pratiques de double DLC constatées sur le terrain, la date figurant sur l'emballage des produits très périssables ne constitue pas une DLC au sens de la réglementation en vigueur , mais une simple indication commerciale variant selon les marchés de destination des produits considérés. Le report de la DLC permet de commercialiser dans les territoires ultramarins des denrées produites en France hexagonale et qui doivent être acheminées en outre-mer par bateau.

La pratique de la double DLC implique donc que l'une des deux dates apposées sur l'emballage d'un même produit n'est pas justifiée et n'est pas conforme à la réglementation. S'il n'existe à ce jour aucune étude permettant de démontrer un risque sanitaire lié à la prolongation du délai de consommation d'un produit très périssable, il revient cependant au législateur de mettre fin à une inégalité choquante préjudiciable si ce n'est à la santé des consommateurs ultramarins, du moins à leur information.


* 19 Directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard.

* 20 Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

* 21 Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil n° 825-2004 du 29 avril 2004 relatif à l'hygiène des denrées alimentaires.

* 22 Directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page