B. INTERDIRE L'UTILISATION DE DATES LIMITES DE CONSOMMATION SPECIFIQUES AUX PRODUITS DISTRIBUES EN OUTRE-MER POUR DES RAISONS UNIQUEMENT COMMERCIALES

L'article 2 de la proposition de loi vise à mettre fin à l'inégalité qui touche les consommateurs d'outre-mer s'agissant des modalités de détermination de la date limite de consommation (DLC). Il prévoit que, lorsqu'une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l'emballage de celle-ci, ce délai ne peut pas être plus long lorsque cette denrée est distribuée en outre-mer que pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale.

Le texte de cet article mentionne « une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée ». Cette rédaction vise les dates limites de consommation (DLC) au sens de la directive 2000/13/CE et de l'article R. 112-22 du code de la consommation, c'est-à-dire les dates apposées sur l'étiquetage des denrées microbiologiquement très périssables , et non les dates limites d'utilisation optimale (DLUO) 27 ( * ) .

Cette disposition ne vise qu'à établir un principe d'égalité entre les consommateurs hexagonaux et ultramarins. Les industriels conservent donc la responsabilité de déterminer la DLC de leurs produits en fonction des analyses de risque qu'ils conduisent. Une DLC différenciée pourra être définie dans le seul cas où, en raison de la mise au jour par une analyse scientifique d'un risque particulier de dégradation, notamment en raison des conditions de transport, le délai de consommation sera réduit pour les produits ultramarins.

Le champ géographique d'application de cet article est le même que celui de l'article 1 er .

C. FAVORISER LES CIRCUITS COURTS ET LE DEVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION LOCALE

1. L'importance de la restauration collective pour l'équilibre nutritionnel des populations et la situation de la production agricole locale justifient une intervention législative

L'amélioration de la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire en outre-mer passe également par celle des repas servis en restauration collective et par le développement des filières agricoles locales.

Les repas pris en restauration collective revêtent en effet une importance particulière pour l'équilibre nutritionnel des populations . Bien souvent, les repas pris en restauration collective constituent les seuls repas équilibrés consommés au cours d'une journée. En outre, le milieu scolaire et notamment ses structures de restauration constituent un lieu privilégié pour l'éducation nutritionnelle des enfants. Conformément aux recommandations du PNNS, des actions spécifiques d'information nutritionnelle sont régulièrement menées dans ce cadre.

Il semble donc légitime de favoriser l'utilisation de produits frais et de saison produits localement pour l'élaboration des repas de la restauration collective, dont la qualité nutritionnelle ne pourra ainsi qu'être améliorée.

En outre, l'utilisation de tels produits pourra permettre d' encourager le développement d'une offre alimentaire de proximité , qui permettra d'assurer un approvisionnement alimentaire durable, et de renforcer les filières agricoles locales . Celles-ci demeurent en effet encore peu développées , selon les indications figurant en annexe de la déclinaison du PNNS 2011-2015 et du plan obésité à destination des populations d'outre-mer.

Données sur les productions alimentaires locales en outre-mer

Guadeloupe

Guyane

La Réunion

Martinique

Filière fruits et légumes

Sous-exploitée notamment par manque d'organisation

Dominante (81 % de la production végétale) ; autosuffisance en fruits et légumes (couverture d'environ 80 % par la production locale - ODEADOM) ; forte concurrence par des importations illégales provenant du Surinam)

1/3 de la production agricole locale (satisfait à 80 % des besoins locaux)

En cours de structuration, faible couverture de la demande locale

Filière animale (viande et produits transformés)

10 à 62 % de couverture ; viande bovine 13 % ; viande de porc : 95 % de la consommation de viande fraîche

De 6 % (filière avicole) à 50 % (viande de porc fraîche) de couverture des besoins

Fort potentiel de développement des zones de pâturage pour de l'élevage extensif ou semi-extensif

Forte concurrence de la viande d'importation

30 % de couverture ; en moyenne viande 39 % et oeufs 100 %

25 % de couverture ; en moyenne viande bovine 13 % ; viande de porc : 95 % de la consommation de viande fraîche

Source : PNNS 2011-2015 et plan obésité à destination des populations d'outre-mer

La situation de la production agricole dans les outre-mer justifie d'ailleurs l'éligibilité des Dom à la politique européenne de développement rural , conduite à travers le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), pour un montant de 631 millions sur la période 2007-2013.

2. La promotion des denrées alimentaires issues des circuits courts de distribution dans le cadre des marchés publics de restauration collective en outre-mer

L'article 4 de la proposition de loi tend à rendre obligatoire pour l'attribution des marchés publics de restauration collective la prise en compte du critère des performances en matière de développement des approvisionnements directs des produits de l'agriculture .

Le champ géographique d'application de cet article est identique à celui des articles 1 et 3.

• La prise en compte de ce critère par les pouvoirs adjudicateurs est déjà possible en application du code des marchés publics.

Ce critère figure déjà à l'article 53 du code des marchés publics (CMP) où il a été introduit par un décret du 25 août 2011. Cette modification faisait suite à la loi dite « Grenelle I » du 3 août 2009 28 ( * ) , par laquelle l'Etat s'est fixé des objectifs quantitatifs pour l'approvisionnement de ses services de restauration collective en produits saisonniers, à faible impact environnemental, bénéficiant de signes d'identification de la qualité ou de l'origine ou issus d'exploitations engagées dans une démarche de certification environnementale, et à la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) du 27 juillet 2010 29 ( * ) . Celle-ci a ajouté à cette liste les « produits faisant l'objet de circuits courts de distribution, impliquant un exploitant agricole ou une organisation regroupant des exploitants agricoles ».

Conformément à l'article 47 de la directive 2009/81/CE 30 ( * ) , l'article 53 du CMP prévoit que le pouvoir adjudicateur peut se fonder, pour attribuer un marché public, sur différentes combinaisons de critères :

- soit sur le seul critère du prix ;

- soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché . L'article 53 développe à ce titre une liste non exhaustive de critères, parmi lesquels figurent « les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture ».

Dans le second cas, l'offre économiquement la plus avantageuse est évaluée globalement, au regard d'un faisceau de critères dont la pondération est précisée par le pouvoir adjudicateur dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de consultation. La détermination et les modalités de cette pondération, qui affecte un coefficient chiffré à chacun des critères pris en compte, relèvent de la liberté de l'acheteur.

Signalons ici que l'intervention du législateur dans le champ d'application du CMP, qui est habituellement régi par des dispositions réglementaires, n'est pas exclue et connaît un précédent.

Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré, dans sa décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002, que « ni l'article 34 de la Constitution, ni aucune autre règle de valeur constitutionnelle n'exige que les conditions de passation des marchés et contrats passés par l'Etat soient définies par la loi ».

La nature réglementaire du CMP résulte en fait d'une délégation confiée par le Parlement au pouvoir exécutif. Pour les marchés de services, cette habilitation résulte d'un décret-loi du 12 novembre 1938, pris sur le fondement d'une loi du 5 octobre 1938. Si le Conseil d'Etat a jugé à plusieurs reprises que cette délégation faite au pouvoir exécutif continue de produire ses effets 31 ( * ) , rien n'interdit au législateur de reprendre ponctuellement sa compétence en la matière . Par l'article 118 de la loi n° 2012-397 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, il a ainsi rehaussé le seuil minimal de mise en concurrence de 4 000 à 15 000 euros.

• Une certaine prudence s'impose quant à l'application de l'article 4, qui pourrait créer les conditions d'une insécurité juridique des marchés publics de restauration collective.

L'obligation pour les pouvoirs adjudicateurs de prendre en compte le critère de la performance en matière d'approvisionnements directs de produits de l'agriculture fait disparaître la possibilité pour les acheteurs de ne s'appuyer que sur le seul critère du prix . L'article 4 de la proposition de loi peut apparaître comme une « sur-transposition » des directives 2004/17/CE et 2004/18/CE relatives à la coordination des procédures de passation des marchés, qui laissent aux pouvoirs adjudicateurs le libre choix des critères d'attribution.

Alors que le droit de la commande publique fait l'objet d'une réglementation particulièrement stricte émanant largement du droit de l'Union européenne, l'introduction d'une nouvelle contrainte pour la passation des marchés publics de restauration collective, qui pourrait être largement utilisée par des candidats évincés, crée un risque contentieux dont la portée n'est pas négligeable, notamment pour les collectivités territoriales.

*

* *

Réunie le mercredi 15 mai, sous la présidence d'Annie David, présidente, la commission des affaires sociales a adopté le texte de la proposition de loi sans modification .


* 27 Les DLC correspondent à des mentions de type « à consommer jusqu'au ... » et les DLUO à celles du type « à consommer de préférence avant le ... ».

* 28 LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

* 29 LOI n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

* 30 Directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE

* 31 CE, 5 mars 2003, Ordre des avocats de la cour d'appel de Paris.

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