III. UNE RÉFORME GLOBALEMENT ACCEPTÉE PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN ET LE CONSEIL.

A. LE NOUVEAU RÉGIME D'AIDE AU CoeUR DES DÉBATS.

1. LA CONVERGENCE DES AIDES : UNE NÉCESSITÉ QUI DOIT ÊTRE AMÉNAGÉE.
a) Un consensus sur la convergence externe.

Même si les pays d'Europe centrale et orientale, caractérisés par des niveaux plus faibles d'aide directe à l'hectare ont longtemps revendiqué l'application rapide d'une aide unique à l'hectare, l'idée d'une convergence plus lente a fait rapidement consensus.

Pour corriger les très faibles niveaux d'aides qui s'appliquent aujourd'hui à quelques États membres, essentiellement les pays baltes, le rapporteur du Parlement européen, M. Capoulas-Santos avait proposé de fixer un plancher d'aide directe plus élevé.

Source : Chambres d'agriculture

L'accord du Conseil européen du 8 février 2013 sur les futures perspectives financières a validé cette approche, en précisant que « l'ensemble des États membres devraient atteindre au minimum le niveau de 196 euros par hectare en prix courants d'ici 2020. Cette convergence sera financée par tous les États membres dont le niveau des paiements directs est supérieur à la moyenne de l'UE, proportionnellement à leur éloignement de cette moyenne. Ce processus sera mis en oeuvre progressivement sur six ans, de l'exercice 2015 à l'exercice 2020 ».

b) Un assouplissement de la convergence interne.

Il existe un large consensus pour considérer que rien ne justifie que les références historiques continuent à déterminer les aides directes perçues par chaque agriculteur, perpétuant ainsi les inégalités dans le temps.

Pour autant, la convergence prévue par la Commission européenne est, de l'avis général, trop brutale.

Le rapporteur au Parlement européen, M. Capoulas Santos, a ainsi proposé un assouplissement avec une « première marche » de convergence de seulement 20 % la première année d'application de la réforme et la possibilité pour les agriculteurs de percevoir des aides s'écartant encore de 20 % par rapport à la moyenne nationale ou régionale en 2019. Pour chaque agriculteur, la perte totale serait plafonnée à 30 %.

Le 19 mars 2013, le Conseil est parvenu à un accord sur un schéma encore plus souple, en autorisant les États membres à réaliser une convergence partielle et non totale en 2019, et en ramenant la première étape de convergence à 10 %, contre 40 % dans la proposition initiale de la Commission.

En outre, le mode de calcul du verdissement pourrait prendre en compte ces références historiques. Une approche forfaitaire du verdissement, aurait en effet eu un puissant effet de convergence , en donnant la même valeur à la composante verte des droits à paiement, à l'échelle nationale ou régionale. La possibilité de réaliser un verdissement différencié atténue là aussi les effets redistributifs de la réforme.

2. LE VERDISSEMENT : UN PRINCIPE PARTAGÉ MAIS DES MODALITÉS ÂPREMENT DISCUTÉES.
a) À la recherche d'un verdissement plus réaliste.

Le verdissement a été l'un des points de la réforme de la PAC le plus discuté. Le principe d'une réservation de 30 % de l'enveloppe a été préservé, mais à la condition que les exigences de verdissement soient précisées et adoucies.

Le Parlement européen a ainsi proposé une approche plus flexible et graduelle que celle de la Commission . Le rapporteur, M. Capoulas Santos, a ainsi proposé que soient considérées comme vertes en soi, et exemptées des autres critères pour bénéficier du verdissement, outre les exploitations en agriculture biologique, celles engagées dans certaines mesures agro-environnementales ainsi que celles ayant fait l'objet d'une certification environnementale.

Les difficultés d'application du verdissement tiennent à la grande variété de l'agriculture européenne. Peut-on appliquer les mêmes règles aux agricultures scandinave et méditerranéenne ? La diversité des cultures est-elle partout possible ? A cela s'ajoute une inquiétude des producteurs : les SIE ne vont-elles pas condamner les agriculteurs à mettre en jachère une partie de leurs terres ? Le Copa-Cogeca, organisme européen regroupant un grand nombre d'organisations et syndicats agricoles, a ainsi critiqué dès la publication des propositions de la Commission européenne l'obligation de disposer de 7 % de SIE, estimant qu'elle ferait perdre à l'Europe 6 à 7 millions d'hectares productifs.

Plusieurs États membres ont ainsi mis en avant une approche plus souple qui reposerait sur un « menu de pratiques d'écologisation », qui regrouperait une dizaine de mesures. Chaque État devrait en appliquer trois, au choix. Cette piste, séduisante, a cependant été écartée car elle ouvrait la voie à des distorsions de concurrence entre agricultures européennes difficilement compatibles avec le caractère « commun » de la PAC.

b) Vers un compromis sur le verdissement.

Finalement, c'est dans le cadre prévu dès l'origine par la Commission européenne qu'un compromis pourrait être trouvé, en précisant l'ensemble des critères de diversité des cultures, de non retournement des prairies permanentes et de SIE :


Sur la diversité des cultures , le seuil d'application du critère pourrait être remonté avec une obligation de réaliser deux cultures à compter de 10 hectares (hors prairies) et trois cultures à partir de 30 hectares. Parlement et Conseil vont de ce point de vue dans la même direction.


Sur le maintien des prairies permanentes , là encore, un assouplissement était réclamé. Une prairie est considérée comme permanente lorsqu'elle n'est pas labourée pendant cinq ans. De nombreuses prairies temporaires deviennent donc permanentes. Pour autant, sur le plan agronomique, il est important de pouvoir refaire certaines prairies tous les dix ou quinze ans, pour qu'elle reste productive. La contrainte imposée par la Commission européenne apparaissait donc excessive. Le risque était grand, la surface de référence étant fixée à 2014, que des retournements massifs interviennent avant l'application de la réforme, pour échapper à sa rigueur. Si le Parlement n'a proposé aucune modification, le Conseil s'est orienté vers une solution plus souple fixant un objectif de non retournement des prairies permanentes au niveau régional et non pas au niveau de chaque exploitation. Un régime d'autorisation de retournement pourrait être instauré pour faire respecter l'objectif régional. La tolérance globale à la conversion de prairies permanentes pourrait être en outre augmentée de 5 à 7 %.


Sur l'obligation de maintenir sur l'exploitation des SIE, le Parlement comme le Conseil ont recherché des adaptations , sans revenir sur le principe proposé par la Commission. Un calendrier progressif de mise en oeuvre est proposé, avec des SIE représentant 3,5 % de l'exploitation en 2014, 5 % en 2016 et 7 % en 2018. Les exploitations comptant moins de 10 hectares de terres arables pourraient en être exemptées. Certaines cultures comme les légumineuses, la luzerne, le lin, ne nécessitant pas d'intrants de synthèse pourraient entrer dans le calcul des SIE. Enfin, la moitié de cette obligation pourrait être mise en oeuvre de manière collective par des groupements d'agriculteurs ou au niveau régional.

Il semblerait donc que le verdissement des aides directes ait été rendu acceptable en assouplissant et précisant ses modalités, tout en respectant l'architecture proposée initialement par la Commission.

3. LA VOLONTÉ DES ÉTATS MEMBRES DE DISPOSER DE MARGES DE MANoeUVRES SUPPLÉMENTAIRES DANS LA MISE EN oeUVRE DE LA PAC.
a) Le couplage, un instrument à conserver.

Les aides couplées appartiennent à la boite orange de l'Organisation mondiale du commerce, du fait de leurs effets de distorsions sur les marchés .

Le couplage est pourtant le seul instrument qui permette d'apporter un soutien spécifique à des productions en difficulté, qui sans ces aides risqueraient de disparaître.

Le Parlement européen a proposé de remonter la part de l'enveloppe nationale d'aides directes pouvant être consacrée à des aides couplées à 15 %, contre 5 % dans la proposition initiale de la Commission. Le Conseil pour sa part a relevé de 2 points la part des aides couplées, passant de 5 à 7 % pour les pays utilisant peu le couplage aujourd'hui et de 10 à 12 % pour les autres, dont la France, ainsi que l'ensemble des États appliquant le régime de paiement unique à la surface (RPUS) 17 ( * ) . Bien entendu, le couplage ne viserait pas à développer la production mais à la sauvegarder, dans des régions où elle est menacée. Il s'agit d'un couplage défensif.

Cette possibilité de couplage supplémentaire est indispensable à la France et, en particulier à l'élevage bovin allaitant. La prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) représente en effet l'essentiel de ce qui reste des primes couplées, après le découplage de la totalité des primes dans le secteur végétal en métropole (hors prise en compte de l'article 68). En 2012, son enveloppe s'élevant à 646 millions d'euros 18 ( * ) , dont 483 millions, soit 75 %, sont pris en charge par le budget du premier pilier de la PAC et 163 relèvent du budget de l'État. Cette part nationale devrait disparaître dans la future PAC.

Les autres aides découplées concernent les départements d'outre-mer (DOM), pour 211 millions d'euros en 2012, dont presque 130 millions d'aide compensatrice à la banane.

Combattu par les pays libéraux, le couplage a pourtant son utilité. Pour la France, une enveloppe dédiée de 12 % voire 15 % du plafond national des aides directes permettrait de conserver les actuels couplages, ce qui n'est pas possible avec seulement 10 %.

b) À l'initiative de la France, une faculté nouvelle de bonifier l'aide aux premiers hectares.

La préoccupation de justice est au coeur de la réforme des aides directes. Mais est-ce juste d'attribuer le même montant à l'hectare pour le premier et pour le dernier hectare d'une exploitation ? La prise en compte de l'intensité en emplois des exploitations a amené la France à proposer un dispositif facultatif pour les États membres consistant à majorer la valeur des premiers hectares, jusqu'à la moyenne de la taille de leurs exploitations . Cette taille est de 52 hectares en France.

Cette « surprime » serait financée par un prélèvement sur le budget annuel des paiements directs, dans la limite de 30 % de l'enveloppe nationale d'aides. Dans le cadre du trilogue, Parlement européen et Conseil semblent s'accorder pour ouvrir cette possibilité nouvelle, qui aurait pour effet de favoriser un modèle agricole de petites fermes.

Ce nouvel outil ne pourrait pas cependant s'appliquer de manière sélective à certaines productions. Ainsi l'idée de réserver la surprime des premiers hectares aux surfaces fourragères, afin de favoriser l'élevage, ne peut être retenue.

Les effets de cette majoration des premiers hectares ne sont cependant pas évidents, comme l'a montré l'institut de l'élevage lors de son audition en avril 2013 devant le groupe de travail sénatorial commun sur la réforme de la PAC . Les élevages extensifs en particulier pourraient être pénalisés. Les systèmes laitiers ou bovins allaitants sur petites surfaces notamment dans l'Ouest de la France, qui bénéficient de DPU élevés car ils étaient titulaires de droits couplés importants au moment du découplage (prime au jeune bovin mâle notamment) verraient leur perte réduite par rapport à l'application brute de la réforme, sans correctif.

c) Une flexibilité supplémentaire à travers les transferts entre piliers.

Un dernier élément de flexibilité a été ajouté en cours de discussion de la réforme de la PAC. Dans sa proposition initiale, la Commission envisageait déjà que les États membres pourraient transférer jusqu'à 10 % de leur enveloppe des aides directes sur le deuxième pilier. En sens inverse, les États membres dont le niveau d'aides directes est inférieur de 90 % au montant moyen de l'Union européenne 19 ( * ) peuvent transférer 5 % de leur enveloppe relevant du développement rural sur les aides directes.

Le Parlement européen a augmenté cette flexibilité entre les piliers en permettant de transférer 15 % de l'enveloppe du premier pilier sur le deuxième et 10 % de l'enveloppe du deuxième sur le premier, en ce qui concerne les 12 États membres dont les paiements directs sont inférieurs de 90 % à la moyenne de l'Union. Le Conseil est allé encore plus loin en permettant une flexibilité de 15 % dans les deux sens pour tous.

Cette flexibilité sert la volonté des États membres de disposer d'un maximum de marges de manoeuvre dans leur mise en oeuvre nationale de la PAC. Elle contribue cependant, c'est le revers de la médaille, à atténuer le caractère commun de cette politique, en autorisant chacun à choisir ses options, au risque de créer des distorsions de concurrence entre voisins.


* 17 Il s'agit des nouveaux États membres qui apportent un complément national aux aides directes de la PAC.

* 18 Source : Les concours publics à l'agriculture - Commission des comptes de l'agriculture de la Nation.

* 19 Bulgarie, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Espagne, Suède et Royaume-Uni.

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