N° 594

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 mai 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, portant déblocage exceptionnel de la participation et de l' intéressement ,

Par Mme Anne EMERY-DUMAS,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

909 , 984 et T.A. 133

Sénat :

559 et 595 (2012-2013)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi, adoptée le 13 mai dernier par l'Assemblée nationale, vise à autoriser nos concitoyens à débloquer de manière anticipée les droits et les sommes dont ils ont bénéficié au titre de la participation et de l'intéressement.

Ce texte, déposé par Bruno Le Roux, Christian Eckert, Catherine Lemorton et les membres du groupe socialiste de l'Assemblée nationale concrétise d'abord l'engagement pris par le Président de la République de soutenir sans tarder le pouvoir d'achat des Français au moment où le pays traverse l'une des plus graves crises économiques de son histoire.

Il complète par ailleurs la stratégie de croissance du Gouvernement en proposant une mesure ambitieuse susceptible d'influencer positivement une consommation des ménages qui n'a cessé de fléchir au cours des trois dernières années.

Il constitue enfin l'occasion d'aborder le thème de l'épargne salariale dont les modalités devront être profondément repensées, en collaboration avec les partenaires sociaux, au cours des mois à venir.

En dépit de l'importance que revêt l'adoption rapide de cette mesure, la commission des affaires sociales, après en avoir débattu, n'a pas adopté la présente proposition de loi.

I. PARTICIPATION ET INTERESSEMENT : DEUX DISPOSITIFS COLLECTIFS BÉNÉFICIANT D'UN RÉGIME FISCAL ET SOCIAL INCITATIF

La participation et l'intéressement sont les deux dispositifs permettant aux salariés français d'être associés collectivement aux résultats de leur entreprise.

Mis en place à partir de la fin des années 50, ils traduisent la volonté, exprimée par le général de Gaulle à l'occasion de son discours de Strasbourg du 7 avril 1947, d'associer de manière « digne et féconde [...] ceux qui mettraient en commun, à l'intérieur d'une même entreprise, soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens, et qui devraient s'en partager, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques » .

Si ces deux dispositifs se caractérisent par des régimes juridiques distincts, ils ont en commun de bénéficier d'un régime social et fiscal incitatif tant pour l'employeur que, sous certaines conditions, pour le salarié.

A. DES RÉGIMES JURIDIQUES CONVERGENTS

Historiquement distincts, les régimes juridiques applicables à la participation et à l'intéressement, désormais définis au troisième Livre de la troisième partie du Code du travail, tendent aujourd'hui à converger.

1. La participation : un régime obligatoire

Le dispositif de participation a été établi par l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises. Ce texte fondateur reconnaissait aux « travailleurs un droit nouveau fondé sur une obligation nouvelle à laquelle sont soumises les entreprises, quelles que soient leur nature et la forme qu'elles revêtent, dès lors qu'elles occupent plus de 100 salariés ».

Les règles relatives à la participation, fréquemment modifiées depuis cette date 1 ( * ) , s'inspirent encore des trois principes cardinaux établis par l'ordonnance de 1967 : intéresser directement les travailleurs au développement des entreprises, ouvrir un large champ de négociation entre le salarié et l'employeur et permettre un développement de l'épargne et des investissements des entreprises.

a) Intéresser directement les salariés au développement de leur entreprise

Créée postérieurement au système d'intéressement mis en place en 1959, la participation aux résultats de l'entreprise se caractérise d'abord par son caractère obligatoire .

Cette obligation légale ne concerne pas toutes les entreprises. Elle s'applique seulement à celles employant un nombre minimum de salariés - passé de 100 à 50 à l'occasion de l'examen de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990.

En 2010, le pourcentage d'entreprises d'au moins 50 salariés signataires d'un accord de participation s'échelonnait entre 55 % pour les entreprises employant entre 50 et 100 salariés et 82 % pour les unités de 1 000 salariés et plus 2 ( * ) .

PROPORTION DES ENTREPRISES D'AU MOINS 50 SALARIÉS SIGNATAIRES D'UN ACCORD DE PARTICIPATION EN 2010 (EN %)

Source : Dares / Enquête annuelle Acemo-Pipa

Cette obligation ne concerne pas non plus les entreprises à forme mutualiste et celles qui, en raison de leur nature ou de leur forme juridique, ne réalisent aucun bénéfice passible de l'impôt sur le revenu ou sur les sociétés. Ceci exclut notamment du champ d'application de la loi les entreprises publiques et sociétés nationales, à l'exception de celles énumérées par le décret n° 87-948 du 26 novembre 1987 modifié.

La participation aux résultats de l'entreprise se caractérise ensuite par son côté aléatoire . Le versement d'une prime de participation aux salariés est en effet tributaire de l'existence d'un bénéfice de l'entreprise après impôts et rémunération des capitaux propres.

C'est à partir de ce résultat net que sera calculé le montant de la réserve spéciale de participation répartie entre les salariés conformément à la formule légale mentionnée dans l'encadré ci-dessous.

Modalités de calcul de la réserve spéciale de participation

a) L'article L. 3324-1 du code du travail définit la formule de calcul de la réserve de participation. Celle-ci est habituellement résumée par l'équation suivante :

R = ½ (B - 5 % C) (S / VA)

dans laquelle :

- R correspond à la réserve de participation ;

- B correspond au bénéfice de l'exercice après déduction de l'impôt ;

- C correspond aux capitaux propres de l'entreprise ;

- S correspond aux salaires versés dans l'entreprise ;

- VA correspond à la valeur ajoutée dégagée par l'entreprise.

b) Le schéma ci-dessous résume quant à lui les différentes étapes permettant de définir l'existence et le niveau de la participation attribuée aux salariés d'une entreprise :

Source : Les Cahiers LAMY du CE / n° 105

Le montant de cette « participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise » correspond in fine, pour chaque salarié, à une quote-part de la moitié du bénéfice fiscal après impôts et rémunération des capitaux propres, au prorata du poids des salaires dans la valeur ajoutée de l'entreprise.

Compte tenu des contraintes précédemment exposées, toutes les entreprises signataires d'un accord de participation n'ont pas distribué de primes en 2010.

Le pourcentage d'entreprises d'au moins 50 salariés ayant effectivement distribué une telle prime de participation à leurs salariés s'échelonne ainsi entre 36 % pour les entreprises employant entre 50 et 100 salariés et 60 % pour les unités de 1 000 salariés et plus.

PROPORTION DES ENTREPRISES D'AU MOINS 50 SALARIÉS
AYANT DISTRIBUÉ UNE PRIME DE PARTICIPATION EN 2010 (EN %)

Source : Dares / Enquête annuelle Acemo-Pipa

b) Ouvrir un large champ de négociation entre les salariés et l'employeur

Conformément à l'intention du législateur de 1967, la définition du régime de participation continue de « laisser un large champ à la négociation entre employeurs et salariés, pour tenir compte de la situation propre aux diverses entreprises et des préférences de ceux qui y travaillent ».

D'une part, le champ de la négociation peut porter sur le principe même de la mise en place d'un régime de participation au sein de l'entreprise . Tel est le cas pour les entreprises de moins de 50 salariés qui, sur la base du volontariat, peuvent négocier un accord de participation selon les modalités fixées à l'article L. 3322-6 du code du travail.

En cas d'échec des négociations initiées par l'employeur, le régime pourra cependant être arrêté unilatéralement par celui-ci après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel.

Selon les chiffres publiés par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) rattachée au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 5,6 % des entreprises employant entre 10 et 49 salariés étaient dotés d'un tel accord en 2010, pourcentage en forte progression au cours des cinq dernières années.

PROPORTION DES ENTREPRISES DE MOINS 50 SALARIÉS
SIGNATAIRES D'UN ACCORD DE PARTICIPATION (EN %)

Source : Dares / Enquête annuelle Acemo-Pipa

D'autre part, le champ de la négociation concerne les modalités de mise en oeuvre de la participation au sein de l'entreprise , que cette mise en oeuvre soit obligatoire ou volontaire. L'article L. 3322-2 du code du travail précise en effet que les éléments essentiels du dispositif de participation tels que sa base, ses modalités de calcul, d'affectation et de gestion doivent être déterminés par accord entre employeur et salariés.

Modalités de conclusion d'un accord de participation

Aux termes de l'article L. 3322-6 du code du travail, la conclusion d'un accord de participation doit se faire selon l'une des quatre modalités suivantes :

- par convention ou accord collectif de travail ;

- par accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ;

- par accord conclu au sein du comité d'entreprise ;

- à la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet de contrat proposé par l'employeur.

Dans ce dernier cas, s'il existe dans l'entreprise une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ou un comité d'entreprise, la ratification est demandée conjointement par l'employeur et une ou plusieurs de ces organisations ou ce comité.

S'agissant des modalités de calcul de la participation, l'accord négocié par les partenaires sociaux permet de déroger à certaines règles établies par le code du travail.

Il peut ainsi substituer à la formule légale de calcul de la réserve spéciale de participation prévue à l'article L. 3324-1 du code du travail une formule dérogatoire assise sur d'autres indicateurs financiers 3 ( * ) , à condition que cette dernière offre aux salariés des avantages au moins équivalents. Dans les faits, cette possibilité reste peu utilisée.

L'accord peut également prévoir des modalités de répartition de la réserve spéciale de participation entre les salariés de l'entreprise différentes de celle fixée par l'article L. 3324-5 du code précité. Dans ce cas, la répartition peut être établie proportionnellement au salaire perçu, mais également :

- par répartition uniforme entre chaque salarié ;

- proportionnellement à la durée de présence dans l'entreprise ;

- ou en combinant les 3 critères énumérés ci-dessus.

Concernant les modalités d'affectation des sommes constituant la réserve de participation, l'adoption de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié a réduit le champ de la négociation.

Jusqu'à l'adoption de ce texte, l'article L. 442-5 du code du travail prévoyait en effet la possibilité d'affecter les sommes issues de la participation à des opérations aussi variées que l'acquisition d'actions de l'entreprise, l'acquisition de titres émis par les sociétés d'investissement à capital variable (SICAV) ou de parts de fonds communs de placement d'entreprise (FCPE), l'acquisition d'actions émises par une société créée par les salariés pour racheter leur entreprise, l'alimentation de dispositifs d'épargne salariale ou l'abondement d'un compte courant bloqué dans l'entreprise.

L'article L. 3323-2 du même code réserve désormais l'affectation des sommes issues de la réserve spéciale de participation à :

- des comptes ouverts au nom des bénéficiaires en application d'un plan d'épargne d'entreprise (PEE), d'un plan d'épargne interentreprises (PEI) ou d'un plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO) ;

- à un compte courant bloqué que l'entreprise doit consacrer à des investissements.

Cette dernière possibilité est toutefois encadrée. Afin de diminuer le risque encouru par les salariés en cas de défaillance de leur employeur, l'article L. 3323-3 du code du travail précise que l'accord de participation ne peut prévoir l'affectation de l'intégralité des sommes constituant la réserve spéciale de participation à un compte courant bloqué.

À défaut d'accord de participation dans les entreprises employant au moins 50 salariés , un régime dit d'autorité prévu par l'article L. 3323-5 du code du travail doit être mis en place par l'entreprise. Les salariés se voient alors reconnaître un droit de créance sur celle-ci égal au montant de la réserve spéciale de participation, obtenu selon la formule de droit commun.

c) Permettre un développement de l'épargne et des investissements des entreprises

L'ordonnance de 1967 envisageait le développement de la participation des salariés comme un moyen de favoriser « la formation d'une épargne nouvelle et d'accroître les capacités d'investissement des entreprises ».

Pour atteindre ces objectifs, le texte s'appuyait sur deux principes :

- l'indisponibilité , pendant cinq ans, des droits constitués au profit du salarié au titre de la participation, indisponibilité portée à huit ans en cas d'absence d'accord de participation dans le délai d'un an à compter de la naissance des droits des salariés ;

- l'affectation de ces droits à des titres ou des produits financiers destinés à contribuer au financement et au développement de l'économie nationale .

Si ces deux principes restent d'actualité, les textes successifs en ont considérablement amoindri la portée.

Ceci est particulièrement vrai pour le principe d'indisponibilité des droits dont le caractère contraignant n'est plus qu'une option pour le salarié concerné par une prime de participation. En effet, depuis l'adoption de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail, celui-ci peut demander, dans les quinze jours à compter de la date à laquelle il a été informé du montant qui lui est attribué, un versement immédiat de la prime versée au titre de la participation.

En 2010, 31 % des sommes versées par les entreprises françaises de plus de 10 salariés au titre de la participation ont ainsi été versées directement aux salariés à la demande de ceux-ci, chiffre en progression de 5 points par rapport à 2009, date de mise en place de nouveau mécanisme de répartition.

Cette exception s'ajoute à celles définies à l'article R. 3324-22 du code du travail énumérant les situations ou les projets du salarié lui permettant de liquider ou transférer exceptionnellement ses droits avant l'expiration du délai de cinq ans. Il s'agit pour mémoire :

- du mariage de l'intéressé ou de la conclusion d'un pacte civil de solidarité ;

- de la naissance ou de l'arrivée au foyer d'un enfant en vue de son adoption dès lors que le foyer compte déjà au moins deux enfants à sa charge ;

- du divorce, de la séparation ou de la dissolution d'un pacte civil de solidarité lorsqu'ils sont assortis d'un jugement prévoyant la résidence habituelle unique ou partagée d'au moins un enfant au domicile de l'intéressé ;

- de l'invalidité du salarié, de ses enfants, de son conjoint ou de la personne qui lui est liée par un pacte civil de solidarité (...) ;

- du décès du salarié, de son conjoint ou de la personne liée au bénéficiaire par un pacte civil de solidarité ;

- de la cessation du contrat de travail ;

- de l'affectation des sommes épargnées à la création ou reprise, par le salarié, ses enfants, son conjoint ou la personne liée au bénéficiaire par un pacte civil de solidarité, d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole (...) ;

- de l'affectation des sommes épargnées à l'acquisition ou agrandissement de la résidence principale (...) ;

- de la situation de surendettement du salarié (...), sur demande adressée à l'organisme gestionnaire des fonds ou à l'employeur, soit par le président de la commission de surendettement des particuliers, soit par le juge lorsque le déblocage des droits paraît nécessaire à l'apurement du passif de l'intéressé ».

La levée anticipée de l'indisponibilité demandée par l'intéressée à l'occasion de la réalisation de l'une des conditions énumérées précédemment doit alors intervenir sous forme d'un versement unique portant sur tout ou partie des droits susceptibles d'être débloqués.


* 1 En particulier par le chapitre II de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 prise en application de l'article 3 de la loi n° 86-793 du 2 juillet 1986, les articles 5 à 7 de la loi n° 90-1002 du 7 novembre 1990 tendant à favoriser l'intéressement des salariés à l'entreprise et par les articles 16 à 19 de la loi n° 94-640 du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise, loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

* 2 Les entreprises de plus de 50 salariés n'ayant pas conclu d'accord se voient appliquer le régime dit d'autorité défini à l'article L. 3323-5 du code du travail.

* 3 Dans les faits, cette possibilité reste peu utilisée.

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