INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Fait inédit sous la V e République, le Parlement examine un projet de loi relatif à la fois à l'enseignement supérieur et à la recherche. Les réformes législatives concernant ces deux secteurs n'ont pourtant pas manqué, au nombre de sept depuis 1968, et ont même connu une accélération depuis le milieu des années 1980.

La « loi Edgar Faure » d'orientation de l'enseignement supérieur de 1968 1 ( * ) , la « loi Savary » sur l'enseignement supérieur de 1984 2 ( * ) , de même que la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités 3 ( * ) , dite « loi LRU », n'ont concerné que le secteur de l'enseignement supérieur. La « loi Chevènement » d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France de 1982 4 ( * ) , la loi d'Hubert Curien relative à la recherche et au développement technologique de 1985 5 ( * ) , la « loi Allègre » sur l'innovation et la recherche de 1999 6 ( * ) et la « loi Goulard » de programme pour la recherche de 2006 7 ( * ) ont, pour leur part, porté sur le secteur de la recherche.

Le législateur s'est employé, depuis le milieu des années 1980, à renouveler l'ambition portée par notre pays pour son développement universitaire, scientifique et technologique, dès lors que s'imposaient à lui des défis environnementaux, technologiques et socio-économiques d'une ampleur sans précédent. Le contexte de désindustrialisation, l'intensification de la recherche dans les technologies de pointe, la mondialisation de la circulation des personnes et des échanges commerciaux, l'accélération des transferts de technologie et l'exacerbation de la concurrence internationale ont contraint la France à réévaluer sa position dans le concert de nations motrices du développement scientifique, industriel et technologique.

Néanmoins, il convient de souligner que le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche n'a pas attendu l'intervention du législateur pour opérer son changement de culture. Les équipes dirigeantes des universités, l'ensemble des personnels universitaires et scientifiques mais aussi les personnels administratifs et les étudiants ont pour tradition de réviser régulièrement, dans un cadre collégial, les stratégies propres à assurer l'exécution, dans des conditions optimales, des missions fondamentales de ce service public.

Les études supérieures doivent contribuer à l'élévation des connaissances et du niveau de compétences de l'ensemble de la Nation. La recherche universitaire a vocation à accompagner le progrès scientifique et à permettre à la société de concilier l'amélioration de ses conditions de vie et de son bien-être et le respect de l'environnement. La particularité de l'université réside précisément dans le fait qu'elle est la seule institution à établir le lien entre l'excellence pédagogique et l'excellence scientifique.

Le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche doit ainsi être placé, d'abord et avant tout, au service de la société. On aurait tort de croire que les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche ne doivent être envisagés qu'en tant que leviers de l'amélioration de la compétitivité de notre pays, sous la pression d'une concurrence économique, industrielle, commerciale et financière qui ferait prévaloir l'accumulation du profit sur le progrès global des sociétés.

Il faut, par conséquent, se garder d'examiner les évolutions possibles de notre système d'enseignement supérieur et de recherche par l'unique prisme de la compétitivité. Il ne s'agit pas de s'aligner sur les pratiques de puissances économiques pour lesquelles la course à l'innovation doit primer sur la liberté des enseignants-chercheurs et l'intégrité de la recherche fondamentale ou encore sur toute considération environnementale ou sanitaire, au mépris de l'éthique scientifique la plus fondamentale. Il s'agit, bien au contraire, de construire, au travers de la réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche, une société plus juste, inclusive, mieux formée, au sein de laquelle chacun doit trouver les moyens et les opportunités de réaliser un projet personnel et professionnel ambitieux, à la hauteur de ses capacités.

En faisant de la réussite de tous les étudiants l'objectif prioritaire de ce projet de loi, le Gouvernement réaffirme son engagement à offrir à chaque jeune la possibilité de porter une ambition personnelle en dehors de tout déterminisme, d'être préparé dans les meilleures conditions à intégrer la vie active et de s'émanciper. Cet objectif fondamental pour l'avenir de notre pays est cohérent avec les orientations du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, en cours d'examen au Parlement.

Comme votre rapporteure a pu le constater dans le cadre de son rapport sur le contrôle de l'application de la loi LRU 8 ( * ) , élaboré conjointement avec M. Ambroise Dupont, la mise en oeuvre de la loi du 10 août 2007 s'est caractérisée par un certain nombre de dysfonctionnements auquel le présent projet de loi s'attache à remédier.

Le texte proposé par le Gouvernement entend renforcer la gouvernance collégiale au sein des universités, par l'instauration d'un conseil académique doté de compétences consultatives et décisionnelles, aux côtés d'un conseil d'administration conforté dans sa fonction de stratège. Il répond également à une forte demande des personnels et des étudiants de mise en place d'un cadre de régulation nationale des formations, contrepartie indispensable de l'autonomie pédagogique, budgétaire et financière des établissements. L'État doit, en effet, se poser comme le garant de l'intérêt général et du libre accès de tous les étudiants à un service public de l'enseignement supérieur et de la recherche de qualité sur l'ensemble du territoire national.

Le renforcement du cadrage national se traduira également par la mise en place de stratégies nationales claires et ambitieuses en matière d'enseignement supérieur et de recherche, élaborées en concertation avec l'ensemble des parties prenantes. En cohérence avec les priorités nationales ainsi fixées, une coordination de l'offre de formation et de recherche entre tous les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche devra s'opérer au niveau du territoire académique ou inter-académique, dans le cadre d'un contrat de site unique. Dans le souci de rendre notre offre de formation et de recherche plus lisible, les modalités de regroupements universitaires et scientifiques seront rationalisées, afin de renforcer la visibilité de l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche aussi bien auprès des élus locaux et de l'État que des partenaires européens et internationaux.

L'ambition d'une formation universitaire et scientifique au service de la société est donc bien au coeur de ce projet de loi. Ce texte, en cohérence avec le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, permet de préparer la France de demain, dans le cadre d'un effort partagé et amplifié par les contributions de chacun.

I. REDONNER CONFIANCE À LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITAIRE ET SCIENTIFIQUE

A. LES MISSIONS DU SERVICE PUBLIC DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

1. Une vision stratégique de l'enseignement supérieur

Les objectifs et missions du service public de l'enseignement supérieur, définis par le code de l'éducation, forment un ensemble cohérent qui doit guider l'État dans la mise en oeuvre de ses actions. Toutefois, le paysage français de l'enseignement supérieur laisse apparaître un ensemble éclaté, confus et dépourvu de pilotage stratégique.

L'offre de formation est abondante et définie de façon peu coordonnée. Elle ne permet donc pas aux étudiants d'appréhender facilement les possibilités de parcours qui s'offrent à eux.

En outre, la tutelle des établissements d'enseignement supérieur ne relève pas exclusivement du ministère en charge de l'enseignement supérieur. De nombreuses formations sont pilotées par d'autres ministères, notamment par le ministère de l'agriculture (établissements d'enseignement supérieur agricoles), le ministère de la culture et de la communication (écoles d'architecture, écoles d'art, école nationale du patrimoine), le ministère de l'industrie et du commerce (écoles d'ingénieurs ou de commerce consulaires), ou par le ministère de la défense (Polytechnique).

Ce défaut de pilotage constitue un obstacle à la définition d'une stratégie capable d'identifier les besoins et les priorités du secteur de l'enseignement supérieur, et de décliner des actions dans tous les établissements de notre territoire.

Le présent projet de loi entend y remédier à travers la définition d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (article 3). Celle-ci est élaborée et révisée périodiquement sous la responsabilité du ministre chargé de l'enseignement supérieur, qui doit désormais assurer la coordination du service public de l'enseignement supérieur.

Cette vision stratégique s'appuie sur une concertation avec les partenaires sociaux et économiques, la communauté scientifique et d'enseignement supérieur, les ministères concernés et les collectivités territoriales.

Parallèlement à cet outil stratégique qui redonne au ministère de l'enseignement supérieur la capacité de piloter une politique cohérente avec les objectifs fixés par le code de l'éducation, le présent projet de loi complète les missions du service public de l'enseignement supérieur.

Afin replacer l'enseignement supérieur dans une position stratégique au service de la société, l'article 4 procède à une actualisation du code de l'éducation. Il est désormais clairement indiqué que le service public de l'enseignement supérieur contribue à la croissance et à la compétitivité de l'économie, ainsi qu'à la réalisation d'une politique de l'emploi prenant en compte les besoins des secteurs économiques et leur évolution prévisible. Le pilotage des formations peut donc s'appuyer sur une analyse des besoins économiques et sociaux de la société.

L'article 7 définit plus précisément les missions de recherche de l'enseignement supérieur. En introduisant l'objectif de transfert des résultats de la recherche vers les secteurs socio-économiques, il souhaite placer l'enseignement supérieur dans une position stratégique en adéquation avec les besoins de la société. L'objectif de liaison entre les activités d'enseignement, de recherche et d'innovation complète ce dispositif. Cette approche évoque le triptyque scientifique - ingénieur - entreprise indispensable, selon M. Gilles Boeuf, président du Museum national d'histoire naturelle 9 ( * ) . Ces dispositions apparaissent pertinentes au regard des critiques formulées par la Cour des comptes dans son rapport du 10 juin 2013 intitulé Le financement public de la recherche, un enjeu national : « les comparaisons internationales font apparaître une performance de la France bonne en recherche, mais nettement plus faible en innovation ».

2. Un plan numérique ambitieux

Le numérique est devenu une composante essentielle de la transmission des savoirs. Il modifie de façon radicale les modes d'accès à la connaissance et à la culture, et devient une opportunité pour accompagner l'éducation nationale et les universités dans leur mission de service public.

Mais le cadre favorable à une utilisation efficace et vertueuse du numérique n'a manifestement pas encore été défini en France. Comme l'indique M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l'Office parlementaire de l'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dans son rapport 10 ( * ) remis au Premier ministre en janvier 2013, « les modèles pédagogiques, notamment universitaires, sont nés à un moment où l'accès au savoir se faisait quasi exclusivement au travers des professeurs et des bibliothèques. L'effet conjoint de la massification de l'enseignement supérieur et des nouvelles technologies de l'information a fortement bouleversé la donne de l'enseignement supérieur, et pourtant, dans les faits assez peu de choses ont changé. Pour répondre aux carences du modèle actuel, de nombreux cours privés se sont développés. Cette situation nuit gravement à l'égalité des chances et est synonyme d'un échec de l'enseignement supérieur public ».

Dans le cadre des réformes de l'éducation nationale 11 ( * ) et de l'enseignement supérieur, le Gouvernement a souhaité tirer les conséquences de cette prise de conscience de la révolution numérique et définir les outils permettant aux écoles et aux universités d'en saisir toutes les opportunités.

Dès le mois de janvier 2013, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a mis en place le projet « France Universités Numériques » (FUN). La création d'une structure éponyme dédiée, au sein du ministère, doit apporter une aide pédagogique aux universités pour rendre les cours disponibles en ligne. Actuellement, seuls 3 % des établissements français proposent des cours en ligne, contre 80 % aux États-Unis. L'objectif est donc de combler progressivement ce retard et d'atteindre le seuil de 20 % à l'horizon 2017.

Le présent projet de loi propose par conséquent de définir le cadre juridique nécessaire aux actions menées en faveur du développement du numérique dans l'enseignement supérieur. Son article 6 introduit la mise à disposition au bénéfice de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques.

L'article 16 instaure une obligation, pour les établissements d'enseignement supérieur, de rendre disponibles sous forme numérique les enseignements dont les méthodes pédagogiques le permettent. Afin de prévenir les risques de fracture numérique entre les étudiants et de préparer ces derniers à leur future vie professionnelle, une formation à l'usage et à la production de services et ressources numériques, ainsi qu'à la compréhension des enjeux associés, doit être dispensée.

Ces nouvelles dispositions du code de l'éducation devront permettre aux universités françaises de combler le retard technologique qui s'est creusé sur la scène internationale entre la France et ses partenaires. Le présent projet de loi marque en ce sens une étape importante pour le rayonnement international des universités françaises.

La portée du numérique constitue une part très importante de ce rayonnement, comme l'illustre Coursera 12 ( * ) , la plate-forme MOOC ( Massive Open Online Courses ) de l'université américaine de Stanford, qui rassemble déjà près de quatre millions d'élèves. Environ 70 % de ces étudiants viennent des pays émergents comme la Chine, l'Inde et le Brésil. Pour l'instant, ils n'obtiennent pas un vrai diplôme à l'issue de leurs sessions virtuelles, mais l'on peut imaginer la naissance d'une nouvelle forme de concurrence internationale qui valorisera les compétences acquises en ligne.

3. Une université ouverte sur l'international

Le rayonnement des universités françaises, dans ce contexte de captation sans frontière des étudiants, devient une préoccupation pour le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Comme l'a rappelé la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à plusieurs reprises, la France est passée en quelques années du deuxième au cinquième rang en termes d'accueil d'étudiants étrangers, désormais derrière l'Allemagne et l'Australie. Or, sur les 15 000 cursus proposés par les universités allemandes, 800 sont enseignés en anglais, et 700 masters ne sont proposés qu'en langue anglaise.

La France semble aujourd'hui difficilement en mesure de rivaliser avec ses partenaires européens auprès des étudiants étrangers. En effet, le code de l'éducation impose la langue française pour les enseignements, les examens et concours ainsi que pour les thèses et mémoires. Deux exceptions, de portée limitée, sont toutefois prévues en cas d'accueil d'enseignants étrangers ou pour les enseignements de langues étrangères ou régionales.

Cette contrainte, issue de la loi dite « Toubon » du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, devient un handicap pour l'enseignement supérieur français à plusieurs titres. Tout d'abord, elle ne permet pas de proposer des formations aux étudiants non francophones venant des pays tels que l'Inde, le Brésil, la Corée du Sud ou l'Indonésie. En outre, elle rend difficile la mise en oeuvre de cursus bi ou tri-nationaux, pourtant très recherchés par les étudiants européens. Dans le cadre de l'université franco-allemande, il est difficile de promouvoir des cotutelles de thèses.

L'article 2 du présent projet de loi propose par conséquent d'introduire une nouvelle catégorie d'exceptions, lorsqu'elles sont justifiées par la nature de certains enseignements dispensés pour la mise en oeuvre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale ou dans le cadre d'un programme européen. L'objectif est de passer de 12 % d'étudiants étrangers (soit 280 000) à 15 % en proposant davantage de cursus en langue étrangère.

L'article 8 complète cette ouverture à l'international du service public de l'enseignement supérieur en fixant un objectif de développement de parcours comprenant des périodes d'études et d'activités à l'étranger.


* 1 Loi n° 68-978 du 12 novembre 1968 d'orientation de l'enseignement supérieur.

* 2 Loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur.

* 3 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

* 4 Loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France.

* 5 Loi n° 85-1376 du 23 décembre 1985 relative à la recherche et au développement technologique.

* 6 Loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.

* 7 Loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche.

* 8 Rapport d'information n° 446 (2012-2013) de Mme Dominique Gillot et M. Ambroise Dupont, fait au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois, déposé le 26 mars 2013.

* 9 Le compte rendu de son audition par votre commission, le 29 mai 2013, figure sur le site Internet du Sénat à l'adresse : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130527/cult.html#toc2 .

* 10 « Refonder l'université, dynamiser la recherche, mieux coopérer pour réussir », La Documentation française, janvier 2013.

* 11 Projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République n° 653 (2012-2013).

* 12 http://www.coursera.org/

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