AUDITION DE M. VICTORIN LUREL MINISTRE DES OUTRE-MER

Mardi 16 juillet 2013

M. Jean-Pierre Sueur , président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer qui va nous présenter le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer . - A titre liminaire, je tiens à remercier la commission des lois d'avoir accepté d'examiner les deux projets de loi que le Gouvernement a transmis au Sénat après leur adoption en Conseil des ministres le 3 juillet dernier.

Je connais les conditions difficiles dans lesquelles votre commission travaille en cette fin de session parlementaire et je n'en apprécie que mieux l'honneur qui m'est fait d'être devant vous aujourd'hui.

Le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie est le fruit d'un travail qui a débuté le 6 décembre 2012, lors du dixième comité des signataires de l'Accord de Nouméa. À cette occasion, les partenaires calédoniens de l'État ont émis le souhait d'un toilettage de la loi organique statutaire pour prendre notamment en compte les conséquences pratiques des derniers transferts de compétences effectués en faveur de la Nouvelle-Calédonie.

Ce projet peut apparaître technique, mais il doit être inscrit dans une période plus large, qui a commencé il y a 25 ans et qui se poursuivra après 2014. Certaines dispositions du projet sont particulièrement emblématiques des défis cruciaux auxquels la Nouvelle-Calédonie est confrontée. Ainsi, l'article 1er, qui permet à la collectivité de créer, dans les domaines qui relèvent de sa compétence, des autorités administratives indépendantes dotées de pouvoirs allant au-delà des fonctions de médiation, de recommandation et d'évaluation.

Les autorités administratives indépendantes que la Nouvelle-Calédonie décidera de créer dans ce nouveau cadre auront la capacité d'assumer des missions de régulation et disposeront d'un pouvoir décisionnaire voire réglementaire. Elles pourront prononcer des sanctions administratives et se voir dotées de pouvoirs d'investigation et de règlement des différends.

La genèse de cet article résulte de la définition des causes d'un problème commun à l'ensemble des outre-mer que nous avions évoqué l'an passé à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer : la lutte contre la « vie chère » et contre les défaillances structurelles des marchés ultramarins qui empêchent l'émergence d'une concurrence effective. Nos partenaires calédoniens ont souhaité que soit créée, dans la loi organique statutaire, une autorité de la concurrence locale de plein exercice ou que cette faculté soit désormais reconnue à la collectivité.

C'est fort de cette préoccupation que nous avons travaillé depuis six mois. Les dispositions de l'article 1er du projet fournissent désormais à la Nouvelle-Calédonie tous les moyens nécessaires à une régulation des marchés dans la législation locale. D'ailleurs, sur cette question de la concurrence, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté une loi du pays relative à la concurrence qui fixe le droit que devra appliquer cette nouvelle autorité calédonienne de la concurrence, en matière de pratiques anticoncurrentielles, d'équipement commercial ou de régulation des marchés de gros.

Il conviendra toutefois de veiller à ce que ces nouvelles autorités administratives indépendantes présentent toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance nécessaires à leur mission. Je ne doute pas que le projet de loi pourra être utilement enrichi sur ce point par le Sénat. Ces autorités administratives indépendantes auront à exercer leur mission dans le respect des compétences de l'État, s'agissant notamment de la protection des libertés fondamentales et du respect des procédures administratives et contentieuses.

L'article 2 vise à doter le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de pouvoirs spécifiques de police administrative nécessaires à l'exercice des compétences qui lui ont été récemment transférées ou qui sont en voie de l'être, comme en matière de sécurité maritime et de circulation aérienne, déjà transférées au 1 er janvier 2013, ou encore en matière de sécurité civile, transférables au 1 er janvier 2014.

Dans ces trois domaines emblématiques, il importe que le président du gouvernement dispose du pouvoir de police, faute duquel la Nouvelle-Calédonie n'aurait à exercer, en définitive, qu'une compétence virtuelle dans des domaines où sa responsabilité est susceptible d'être engagée.

Plutôt que de poursuivre cette énumération des articles du projet de loi et d'anticiper sur son examen en commission, puis en séance publique, il me semble, à ce stade, opportun de replacer ce dispositif dans son contexte. 2013 est en effet marqué par deux dates anniversaires : les 25 ans des accords de Matignon-Oudinot et les 15 ans de l'Accord de Nouméa.

Nous devons ainsi à nos précurseurs, qui ont posé les jalons humains et juridiques de la Nouvelle-Calédonie d'aujourd'hui, la sérénité qui préside à l'examen à de texte. En effet, nous avons tous ici en mémoire les événements passés, nous avons tous vu ce que la division avait de fatal pour nos sociétés, mais aussi ce qu'il fallait de courage et d'abnégation, de part et d'autre, pour s'engager ensemble sur le long chemin, parfois parsemé d'obstacles et d'embûches, de la réconciliation, de l'espoir et pour bâtir un destin commun.

Nous sommes tous ici, Gouvernement et Parlement national, héritiers et redevables de la poignée de mains de MM. Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou et, à ce titre, responsables de l'édification d'un avenir commun entre les deux grandes communautés. Nous sommes ainsi les continuateurs de cette idée, qui n'allait au départ pas de soi et selon laquelle la force et la ténacité de tous peuvent être mobilisées pour le meilleur de la Nouvelle-Calédonie.

J'accompagnerai le Premier ministre en Nouvelle-Calédonie dans les prochains jours ; celui-ci doit y rendre hommage à ceux qui, brisant les chaînes de la fatalité, ont décidé qu'un avenir partagé était bel et bien possible entre communautés. Il y verra aussi le fruit du travail de rééquilibrage économique en faveur des Kanak qui a été conduit depuis 25 ans et il inaugurera la première coulée de nickel de l'usine de Koniambo laquelle, avec près de quatre milliards d'euros investis, représente le projet industriel le plus important mené en France de ces quinze dernières années !

Le comité des signataires de l'Accord de Nouméa veille scrupuleusement à la mise en oeuvre des engagements souscrits par ses trois parties : les non-indépendantistes, les indépendantistes et l'État. En cela, il convient de saluer l'action de Pierre Frogier qui s'est souvent inscrite dans la continuité de ce qui s'était fait avant elle.

L'État s'est d'ailleurs toujours tenu aux côtés de ses partenaires calédoniens, et le Gouvernement auquel j'appartiens entend aujourd'hui respecter la lettre et l'esprit de l'Accord de Nouméa à trois égards : d'une part, réaffirmer les liens avec, et entre, ses partenaires calédoniens ; d'autre part, soutenir la Nouvelle-Calédonie en lui apportant, en tant que de besoin, l'expertise de l'État en matière notamment de transfert de compétences ; enfin, aider à restaurer la confiance, qui demeure fragile et que l'approche des échéances électorales de 2014 pourrait ébranler.

En effet, le congrès qui sera élu en mai 2014 disposera, à la majorité des trois-cinquièmes de ses membres, de la faculté de demander à l'État d'organiser la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté prévue par l'article 77 de la Constitution. Faute d'une majorité suffisante pour ce faire, il incombera à l'État, lequel aura compétence liée à partir de mai 2018, d'organiser cette consultation. En cas de réponse défavorable, une seconde, puis une troisième consultation devraient être organisées en 2020 et 2022.

Ainsi, 2014 ne marque nullement la fin d'un processus, mais représente plutôt le début d'une période sensible où il faudra faire preuve de modération, d'inventivité et de courage.

C'est avec la conscience de l'ensemble de ces aspects que je vous présente ce projet de loi organique dont le caractère technique ne saurait occulter la finalité : contribuer au meilleur fonctionnement des institutions locales et à une meilleure prise en main de son destin par la Nouvelle-Calédonie.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de nous avoir parlé avec beaucoup de force et de conviction, comme à votre habitude.

Mme Catherine Tasca , rapporteure . - Je tiens également à vous remercier pour les échanges fructueux que nous avons eus avec vos services et votre cabinet, en dépit du calendrier très serré.

Ces deux textes, loi organique et loi ordinaire, ne peuvent se comprendre que si on garde en mémoire les choix opérés en 1988, lors des accords de Matignon-Oudinot. On ne peut d'ailleurs que se féliciter du souci du Gouvernement de respecter les termes de l'Accord de Nouméa qui leur a succédé en 1998. Je voulais souligner l'importance du travail d'accompagnement qui est mis en oeuvre pour mettre en place effectivement les transferts de compétences. Tout le monde connaît la spécificité du processus calédonien. Malgré son caractère technique, l'enjeu fondamental de ce projet est d'accompagner la Nouvelle-Calédonie dans le processus de paix.

L'article 1er du projet de loi autorise la Nouvelle-Calédonie à créer des autorités administratives indépendantes. C'est d'ailleurs le coeur de ce projet avec un objectif à court terme : la mise en place d'une autorité administrative indépendante en charge de la concurrence. C'est un problème que vous aviez déjà abordé mais qui est particulièrement aigu en Nouvelle-Calédonie, en raison de l'étroitesse et de l'éloignement de son territoire, et des habitudes de consommation qui sont liées aux structures du marché qui sont largement anticoncurrentielles. Initialement, il était envisagé de laisser à l'État le soin de mettre en place cette autorité à la demande des acteurs locaux. Cette possibilité a finalement été abandonnée en raison des transferts de compétences déjà effectués dans plusieurs domaines. Comment l'État pourra aider la Nouvelle-Calédonie à mettre en oeuvre concrètement cette autorité administrative indépendante dont la création est attendue par l'ensemble des acteurs ? Aussi proposerons-nous un amendement qui permette d'assurer l'indépendance effective de cette AAI.

Lorsque cette autorité sera créée, envisagez-vous un projet de loi destiné à encadrer l'action de cette autorité dans les domaines qui relèvent encore de l'État ?

Je vous ferai part d'une interrogation plus générale : quel jugement portez-vous sur les transferts de compétences et leur déroulement, en particulier en droit civil et commercial et en matière de sécurité civile ? La Nouvelle-Calédonie dispose-t-elle des ressources matérielles et humaines suffisantes pour assumer ces nouvelles compétences ?

Enfin, quel jugement portez-vous sur la mission interministérielle dont la mission est d'accompagner la Nouvelle-Calédonie dans le cadre des transferts de compétences ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Le processus statutaire que connaît la Nouvelle-Calédonie peut faire penser à celui que connait également Mayotte, bien que la finalité soit différente puisque Mayotte se rapproche du droit commun. À terme, les citoyens de Nouvelle-Calédonie devront prendre une décision sur leur avenir, indépendance ou non, de façon parfaitement éclairée.

Pour cela, il convient de clarifier les relations entre la Nouvelle-Calédonie et l'État. En outre, l'évolution qui sera choisie doit assurer le développement de ce territoire. C'est pour toutes ces raisons que j'ai souhaité suivre les travaux de ce projet de loi car les conclusions seront importantes pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

M. Christian Cointat . - Quand la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie a été modifiée en 2009 pour adapter les transferts de compétences, nous l'avons fait avec une extrême prudence. Nous estimions qu'il faudrait de nouveaux ajustements : c'est l'objet du présent projet de loi organique. C'est pourquoi, à titre personnel, je le voterai.

La complexité des problématiques auxquelles est confrontée la Nouvelle-Calédonie est importante. Nous devons faire face à des difficultés auxquelles nous n'avions pas songé. Nous transférons des compétences, encore faut-il qu'elles soient ensuite assumées. Par exemple, en matière d'assurances, malgré un transfert de la compétence, on constate aujourd'hui de nombreuses difficultés ; le système assurantiel d'aujourd'hui est équivalent à celui que nous avions il y a quarante ans, une expérience personnelle m'ayant récemment confirmé cet état de fait. Il ne faut pas seulement transférer des compétences mais il faut ensuite les exercer !

Un pays qui devient indépendant doit exercer des compétences qui représentent la vie même du territoire. Avez-vous prévu les moyens destinés à accompagner les autorités locales à prendre en main leur destin et à assumer pleinement les compétences qui leur sont et leur seront transférées dans le respect de l'Accord de Nouméa ?

M. Pierre-Yves Collombat . - Je ferai deux observations. Pour la première, qui porte sur le court terme, je peine à voir comment une autorité, fût-elle indépendante, pourrait créer les conditions de la concurrence là où elles n'existent pas, notamment en matière de distribution ? Cela ne suffira pas à régler le problème.

Ma deuxième observation porte sur le long terme : dans le cadre du processus institutionnel actuel, que deviendrait la gendarmerie ? En effet, je n'ai jamais vu autant de gendarmes qu'en Nouvelle-Calédonie.

M. Louis-Constant Fleming . - Mon collègue Christian Cointat a évoqué la problématique des transferts de compétences et l'incapacité de certaines collectivités à pouvoir les exercer. C'est également ce qui se passe à Saint Martin.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Cette difficulté s'applique à l'ensemble des outre-mer !

M. Victorin Lurel, ministre . - Vous avez eu raison de rappeler l'historique, mais il faut également évoquer la difficulté à décoloniser la Nouvelle-Calédonie. C'est un processus qui se fait dans la concorde - une concorde qu'il faut préserver avant les échéances prochaines. C'est pourquoi l'État doit rester à équidistance des différents acteurs. On constate ainsi un dialogue permanent au niveau local.

Le coeur de la loi organique, vous l'avez dit, est la mise en oeuvre de la concurrence. L'objectif est de créer non une concurrence pure et parfaite, mais une concurrence plus libre. C'est ce à quoi tendra cette nouvelle autorité administrative indépendante.

Cette compétence ayant été irréversiblement transférée, la création de cette autorité se fera par une loi du pays. Cependant la garantie de l'exercice des libertés publiques relevant de l'État, c'est à lui que revient de mettre en oeuvre l'indépendance de cette autorité par le biais de la loi organique. C'est ainsi que doivent être assurés les moyens de fonctionnement de cette autorité administrative - d'où l'inscription des crédits de celle-ci comme dépense obligatoire au budget de la Nouvelle-Calédonie. Il nous faudra également, et je sais que le Sénat nous y aidera, encadrer les procédures qui seront suivies devant cette autorité pour imposer la règle du contradictoire, éviter les conflits d'intérêt... L'État va également apporter des aides concrètes à la Nouvelle-Calédonie, que ce soit par un apport d'expertise pour la rédaction de la loi du pays ou la signature d'une convention entre l'autorité de la concurrence nationale et l'autorité locale.

Au-delà de cet aspect, nous préparons activement la prochaine réunion du comité des signataires qui se tiendra le 11 octobre, autour de trois axes.

Concernant les transferts de compétence déjà effectués, il nous faut veiller à l'actualisation du droit. M. Cointat citait le droit des assurances et de fait, il nécessite une mise à jour, certains automobilistes ou entreprises préférant se faire assurer en Australie.

La question du transfert des compétences prévu à l'article 27 de la loi organique de 1999 se pose désormais : l'enseignement supérieur, la communication audiovisuelle... Faut-il ou non les opérer avant la fin de l'année 2014 ?

Enfin, nous accordons une attention particulière au suivi du transfert des ressources pour mettre en oeuvre les compétences transférées.

Par ailleurs, nous anticipons d'ores et déjà de nouveaux chantiers, comme par exemple, en matière de droit civil, le travail qu'il nous faudra accomplir pour régler le conflit de normes qui se profile concernant le droit des personnes. Nous n'avons pas encore abouti à un projet de loi. Les enjeux sont également de taille concernant la sécurité civile ou la circulation maritime et aérienne.

M. Thani Mohamed Soilihi dressait un parallèle avec Mayotte. Mutatis mutandis, il est vrai que le mécanisme à l'oeuvre depuis la départementalisation est un peu similaire : il nous faut prendre de nombreux textes pour rendre applicables à Mayotte des dispositions en vigueur dans l'hexagone, en essayant de ne pas trop abuser des ordonnances. C'est un peu le même exercice de clarification des compétences.

Après 2014-2018, que restera-t-il qui ne soit pas transféré ? La monnaie, la sauvegarde de l'ordre public - M. Collombat évoquait la gendarmerie -, les relations internationales et la défense. Ainsi, quel que soit le résultat de la consultation, la Nouvelle-Calédonie sera de fait quasi souveraine.

Chacun souligne la formule inédite appliquée en Nouvelle-Calédonie, qu'il nous faut effectivement saluer, mais il ne faut pas en sous-estimer la complexité. C'est pourquoi on prend le temps d'accompagner la décolonisation, ce qui nécessite la mise en place d'une ingénierie de l'accompagnement et la formation de nombreux cadres.

Je suis pour ma part impressionné par la modération de tous les partis calédoniens qui sollicitent tous l'aide de l'État sans y voir un relent de colonialisme. Le Haut-commissaire est bien accepté et ses arbitrages sont même recherchés.

Pour répondre à M. Collombat, l'autorité de la concurrence ne changera pas du jour au lendemain structurellement le système économique calédonien. Dans tous les outre-mer, des facteurs historiques expliquent la forte concentration économique. Mais, introduire la concurrence revient à instiller un ferment révolutionnaire, au sens positif du terme. C'est le rôle d'un État fort de montrer le chemin.

M. Pierre-Yves Collombat . - Mais concrètement, existe-t-il des acteurs économiques à mettre en concurrence ?

M. Victorin Lurel, ministre . - La véritable difficulté réside dans les secteurs pour lesquels existent des monopoles, ou au mieux des duopoles, comme dans le domaine du trafic aérien. Mais prenez l'exemple du transport de fret maritime : l'autorité de la concurrence nationale a imposé à CMA-CGM plus de transparence et cela a permis de développer de la concurrence. L'arme existe, il faut l'utiliser.

Lorsqu'on parle de retour de l'État dans les outre-mer, ce n'est pas simplement un slogan. Un point très précis : sans pour autant créer des lois, on peut le faire en Nouvelle-Calédonie. Voilà un pays où les prix sont administrés et c'est là qu'ils sont les plus élevés, c'est là où les marges progressent le moins, comme en Polynésie française. L'administration des prix n'est donc pas forcément la solution sauf en cas de guerre, de catastrophe, de pénurie où il faut éviter la spéculation et réglementer.

Avec l'Autorité locale de la concurrence, il y aura une connaissance plus précise des mécanismes économiques comme la formation des prix, pour mieux réguler. C'est ce qu'on essaye de faire par exemple avec le congrès et les assemblées de province, afin de créer des centrales d'achat, des groupements d'achat de détaillants, des coopératives d'intérêt collectif... Le tiers-secteur, l'économie solidaire est solvable. Il faut donner un coup de pouce, non de l'État mais des autorités locales tout en respectant les lois du marché. On a commencé à le faire en Guadeloupe et à La Réunion. Dans tout l'outre-mer, cela commence à créer une émulation.

Pour répondre à la rapporteure, il est important de garantir l'indépendance et d'éviter les conflits d'intérêt pour empêcher que le cumul d'activités politiques, économiques ou sociales freine la prise de décision.

Dans les sociétés dites d'interconnaissance, où chacun a l'impression de connaître chacun et tout le monde en même temps, on est un peu gêné pour avoir parfois quelque indépendance.

C'est pourquoi dans le texte en cours de discussion, il faut donner aux membres de ces autorités quelque distance, quelle indépendance dans la durée, dans leur statut, leur engagement, pour qu'ils puissent décider en toute liberté et, je l'espère, en toute vérité.

Mme Catherine Tasca , rapporteure . - Pour répondre au scepticisme légitime de certains de nos collègues, il faut insister sur la spécificité du cas calédonien avec la présence du souvenir des années noires, c'est un moteur de consensus. Personne ne veut revenir à ce qui s'est passé avant 1988.

On n'a pas la même situation que dans les autres outre-mer. Il est donc vraiment de l'intérêt commun des partenaires en Nouvelle-Calédonie de naviguer sur cette crête qui est difficile mais qui implique que personne ne se sente lésé par les décisions prises. Cela nécessite donc de mettre en place des instruments et l'appui de l'État sera nécessaire encore quelque temps.

Je reste optimiste sur cette évolution car il n'y a pas d'autre avenir pour la Nouvelle-Calédonie que d'affronter ses problèmes dans le débat collégial.

M. Victorin Lurel, ministre . - Chaque fois que je rencontre tel et tel élu, ou tel ou tel responsable de parti, tous me disent : « Nous sommes condamnés à vivre ensemble, autant le faire dans la concorde et dans la paix ».

Il y a deux grandes communautés qui se comprennent et ont décidé de travailler ensemble. La difficulté sera au terme du processus, si l'architecture est telle qu'elle est aujourd'hui dessinée, c'est-à-dire la répartition du pouvoir politique entre les communautés et du pouvoir économique entre les provinces. La difficulté sera un jour de sortir du gouvernement collégial, qui crée une légère inertie, pour basculer dans une logique majoritaire.

La question la plus difficile sera de fixer les clés de répartition des ressources budgétaires entre les provinces. Tant qu'elle reposait sur un critère de population, personne ne voulait mettre la question à l'ordre du jour. Partout, il y a le besoin de construire des logements sociaux, d'entretenir des linéaires de route... L'aménagement du territoire, le rééquilibrage du développement consiste là aussi à intégrer d'autres indicateurs physico-financiers.

J'ai rarement vu, même si c'est compliqué, des élus aussi conscients de leur responsabilité : il y a des difficultés mais nous sommes condamnés à réussir ensemble ou à sombrer ensemble.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - C'est une belle conclusion.

Nous vous remercions, Monsieur le ministre.

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