B. DES DIVERGENCES PORTANT SUR L'ÉQUILIBRE DES DROITS DANS LES PROCÉDURES FISCALES ET DOUANIÈRES

1. L'utilisation d'informations d'origine illicite

En première lecture, votre commission avait rétabli le texte du Gouvernement concernant la possibilité pour les administrations des finances et des douanes de se fonder sur des éléments d'origine illicite pour lancer des procédures fiscales ou douanières ou des perquisitions.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli son texte, ouvrant ainsi un champ beaucoup plus large à l'administration pour l'utilisation d'informations d'origine illicite ( articles 10, 10 bis , 10 ter , 10 quater ).

Toutefois, l'Assemblée nationale a maintenu les garanties supplémentaires introduites par votre commission en matière de perquisitions au domicile ou dans les locaux professionnels des avocats ( articles 10 bis et 10 quater ).

2. L'exonération des CARPA de la déclaration de soupçon pour les procédures juridictionnelles

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a supprimé en séance publique l'article 10 quinquies , introduit par un amendement du député Pascal Cherki en première lecture et qui prévoyait un assujettissement des caisses de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) au dispositif de la déclaration de soupçon prévue par le code monétaire et financier.

En première lecture, votre commission avait approuvé cette disposition, qu'elle avait toutefois encadrée davantage en prévoyant que les CARPA, comme c'est déjà le cas pour les avocats, n'auraient pas à déclarer les opérations en lien avec des procédures juridictionnelles ou des activités de conseil juridique.

C. DES DIVERGENCES PORTANT SUR L'ÉQUILIBRE DES DROITS DANS LES PROCÉDURES PÉNALES

1. L'extension de la définition du délit de blanchiment

En première lecture, l'Assemblée nationale avait, sur proposition conjointe de MM. Nicolas Sansu et Nicolas Dupont-Aignan, inséré un nouvel article 2 bis tendant à élargir le champ de l'infraction de blanchiment. Aux termes de ces dispositions, aurait constitué un blanchiment « le fait de dissimuler ou de déguiser, ou d'aider à dissimuler ou à déguiser, l'origine de biens ou de revenus dont la preuve n'a pas été apportée qu'ils ne sont pas illicites ».

Sur proposition de votre rapporteur, votre commission avait supprimé cet article, observant qu'en procédant à un renversement total de la charge de la preuve, ces dispositions auraient contraint toute personne à apporter la preuve de l'origine licite de biens ou de revenus, indépendamment de toute autre infraction sous-jacente. Votre commission avait ainsi jugé que la constitutionnalité de cet article était douteuse, notamment au regard du principe de respect de la présomption d'innocence.

En séance publique, le Sénat avait confirmé cette position, insérant toutefois dans l'article 2 bis , à l'initiative de notre collègue Éric Bocquet, des dispositions tendant à élever le quantum d'amende encouru en matière de blanchiment.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des lois et de son rapporteur, a réintroduit des dispositions relatives au délit de blanchiment, supprimant au passage celles introduites par le Sénat s'agissant des quantums d'amende encourus pour ce délit.

Toutefois, à la différence des dispositions introduites en première lecture, les modifications apportées par l'Assemblée nationale visent à insérer dans le code pénal une disposition interprétative , tendant à prévoir que, pour l'application de l'article 324-1 du code pénal relatif au blanchiment, « les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».

Pour le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Yann Galut, « l'article adopté par la Commission soumettra à l'obligation de prouver la licéité de l'origine de biens ou revenus les personnes réalisant des opérations financières dont « les conditions matérielles, juridiques ou financières (...) ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus » [...].

« Afin de garantir la conformité de ce dispositif avec les normes à valeur constitutionnelle et, en particulier, le principe de la présomption d'innocence garanti par les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, ce renversement de la charge de la preuve est subordonné à une condition préalable, liée aux conditions de réalisation de l'opération, dont il faudra établir qu'elles ont pour finalité de rendre opaque l'opération en cause, sans avoir de justification économique. Il permettra de mieux appréhender les montages juridiques et financiers dont la complexité n'est manifestement qu'un moyen d'éviter la traçabilité des flux et d'en dissimuler l'origine.

« Le service de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins, dit TRACFIN, et les enquêteurs judiciaires décèlent en effet des montages juridiques et financiers mettant en relation des personnes morales d'une durée de vie souvent limitée, avec des gérants de paille ou des identités invérifiables en France ou à l'étranger, montages dans lesquels circulent parfois des flux financiers massifs, sans justification économique.

« Cependant, il est souvent très difficile de faire le lien entre les sommes manipulées dans ces montages et le produit de délits et de crimes. C'est d'ailleurs bien l'objectif des délinquants les mieux organisés, voire de ceux qui se spécialisent et investissent dans l'activité de blanchiment, pour donner une apparence d'économie légale à des flux illégaux. De ce fait, les condamnations pour blanchiment par les juridictions restent extrêmement limitées.

« L'article adopté par la commission des Lois permettra, dans l'hypothèse où les circuits financiers sont inutilement complexes ou sans rationalité économique, de renverser la charge de la preuve, en obligeant le mis en cause à apporter la preuve de l'origine licite des sommes en jeu. Le nouvel article 324-1-1 du code pénal ne modifie pas les éléments constitutifs de l'infraction de blanchiment, mais apporte un assouplissement nécessaire au régime de la preuve, dans le respect des principes constitutionnels » 3 ( * ) .

2. L'instauration d'un délai de prescription dérogatoire en matière de fraude fiscale

En première lecture, l'Assemblée nationale avait inséré un nouvel article 11 sexies , sur proposition de sa commission des lois, tendant à faire passer de trois à six ans le délai de prescription applicable au délit de fraude fiscale.

À l'initiative de votre rapporteur, votre commission des lois avait supprimé cet article, observant que cette disposition ne s'appliquerait qu'à la fraude fiscale elle-même et non à d'autres délits connexes, ce qui serait susceptible de soulever des difficultés en matière de poursuites lorsque certaines infractions révélées par la fraude fiscale ne peuvent plus être poursuivies car prescrites. En outre, votre commission avait réaffirmé son attachement au maintien d'une certaine cohérence dans les régimes de prescription.

Dans un premier temps, la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est ralliée à cette position, maintenant la suppression de l'article 11 sexies .

Ce dernier a toutefois été rétabli lors de l'examen du texte en séance publique, à l'initiative de M. Eric Alauzet, avec l'avis favorable du Gouvernement, et malgré l'avis défavorable de la rapporteure de la commission des finances, Mme Sandrine Mazetier.

3. Une meilleure collaboration entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire

En première lecture, votre commission avait proposé d'assouplir le « verrou de Bercy » et de permettre à l'autorité judiciaire de poursuivre plus facilement les faits de fraude fiscale complexe sans être tenue par une plainte préalable de l'administration, mais elle n'a pas été suivie par le Sénat.

Sur proposition de votre rapporteur, elle avait également souhaité que l'administration fiscale rende compte, désormais, à la représentation nationale du nombre d'infractions (autres que celles concernant la fraude fiscale) qu'elle signale à l'autorité judiciaire en application de l'article 40 du code de procédure pénale. L'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions, insérées à l'article 3 ter .


* 3 Rapport précité, pages 23-24.

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