EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité a été créée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité avec l'objectif d'accélérer le traitement judiciaire de certaines affaires pénales simples et, par conséquent, de contribuer à désengorger les juridictions.

Après une période d'adaptation, elle a connu un succès certain puisqu'en 2012, environ 65 000 affaires ont été traitées en France dans le cadre de cette procédure, soit 13% de toutes les poursuites.

Dès sa création, la CRPC a fait l'objet de très nombreuses critiques, en particulier de la part de magistrats d'avocats et de parlementaires. Il était notamment reproché à ce dispositif de s'inspirer trop largement de modes de poursuites depuis longtemps en vigueur au Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis 1 ( * ) tels que le « plea bargaining » ou plaider-coupable, qui semblent peu compatibles avec la présomption d'innocence et avec notre système inquisitoire où les magistrats sont censés instruire à charge ou à décharge. La « plaider-coupable » donne en outre lieu à une négociation où l'aveu de culpabilité peut être échangé contre certains chefs d'inculpation, marchandage peu conforme aux principes du procès pénal à la française.

La présente proposition de loi, déposée au Sénat le 2 octobre 2013, se fait l'écho de ces critiques en proposant des modifications importantes de la CRPC, visant à rapprocher autant qu'il est possible cette procédure de la poursuite en audience correctionnelle ordinaire.

À l'audition des praticiens intéressés, votre rapporteur a cependant constaté que la pratique de la CRPC ne vérifiait pas les craintes que l'on avait pu avoir lors de sa création et que cette procédure avait su trouver son champ d'application : des délits relativement mineurs, simples à qualifier et dont les faits désignent les auteurs sans qu'il soit besoin d'aveux et donc d'exercer des pressions pour les obtenir. Le cantonnement de l'usage de la CRPC à ce contentieux de masse simple et pour lequel la culpabilité des prévenus ne fait pas de doute en a fait une procédure remplissant les conditions d'un procès équitable favorisant en outre, au moins autant que l'audience correctionnelle ordinaire, la compréhension de la peine et son acceptation par le prévenu.

Constatant cependant que la procédure pouvait être améliorée pour garantir mieux encore la liberté d'acceptation du prévenu, la prise en compte de la victime, enfin l'adaptation de la peine à la nature et aux circonstances de commission de l'infraction, votre rapporteur a proposé à votre commission d'adopter des dispositions dans ce sens. Il s'agit ainsi, non pas de réduire le champ d'application de la CRPC, mais d'essayer d'atténuer les aspects encore critiquables de cette procédure&.

I. LA CRPC : UNE PROCÉDURE ORIGINALE DESTINÉE À DÉSENGORGER LES JURIDICTIONS

A. UNE PROCÉDURE ORIGINALE

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) a été créée par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (articles 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale).

Cette procédure permet au procureur de la République de proposer à une personne, qui reconnaît avoir commis un délit puni à titre principal d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans (cette restriction sera supprimée en 2011, cf. infra ), d'exécuter une ou plusieurs des peines encourues. Si l'intéressé accepte, il est aussitôt présenté devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui. Celui-ci entend la personne et son avocat, vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique et décide, ou non, d'homologuer les peines proposées par le procureur de la République. Lorsque le procureur a proposé une peine d'emprisonnement, sa durée ne peut être supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue. La procédure n'est pas applicable aux mineurs, aux délits de presse, aux homicides involontaires, aux délits politiques ou aux délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale.

En ce qui concerne les droits de la victime, il est prévu que lorsque celle-ci est identifiée, elle est informée sans délai de la mise en oeuvre de cette procédure et est invitée à comparaître en même temps que l'auteur des faits au cours de l'audience d'homologation, accompagnée le cas échéant de son avocat, afin de se constituer partie civile et de demander réparation de son préjudice. Si la victime n'a pu exercer ce droit, le procureur de la République doit l'informer de son droit de faire citer l'auteur des faits à une audience du tribunal correctionnel qui statuera sur les seuls intérêts civils.

Dans sa décision du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel a validé la procédure de CRPC. Il a toutefois émis une réserve d'interprétation en exigeant que l'audience d'homologation permette au président du tribunal de grande instance d'exercer réellement et pleinement l'office du juge, dans les termes suivants : « Considérant, en premier lieu, que, si la peine est proposée par le parquet et acceptée par l'intéressé, seul le président du tribunal de grande instance peut homologuer cette proposition ; qu'il lui appartient à cet effet de vérifier la qualification juridique des faits et de s'interroger sur la justification de la peine au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; qu'il pourra refuser l'homologation s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ; qu'il ressort de l'économie générale des dispositions contestées que le président du tribunal de grande instance pourra également refuser d'homologuer la peine proposée si les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe de séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement ».


* 1 Aux Etats-Unis, le juge joue un rôle d'arbitre, l'accord entre les parties, en l'espèce le ministère public et le prévenu étant prédominant. En outre, depuis 1984, la liberté du juge est contrainte par des « sentencing guidelines » qui limitent sa marge de manoeuvre dans le choix de la peine. Par ailleurs, la peine n'est pas fixée lors de l'audience de reconnaissance de culpabilité, mais lors d'une audience ultérieure, ce qui permet de procéder aux enquêtes sociales nécessaires avant le prononcé de la peine.

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