UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION QUI CONSIDÈRE L'ENSEMBLE DES ASPECTS DE LA POLITIQUE DES BIOCARBURANTS

LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Votre rapporteur considère que les biocarburants ne constituent pas le moyen miracle qui permettra à lui seul de réaliser la transition énergétique dans le domaine des transports ; mais qu'il ne s'agit pas non plus d'un mal absolu dont il faudrait sortir en urgence.

Il est nécessaire de prendre en compte les différents aspects de la politique des biocarburants, à savoir l'objectif de réduction des émissions de CO 2 qui est incontournable, mais aussi la dimension agricole, industrielle et stratégique de cette politique.

UNE POLITIQUE AGRICOLE, INDUSTRIELLE ET STRATÉGIQUE

La dimension stratégique n'est pas celle qui est la plus souvent évoquée : or la production de carburants sur notre sol, à partir de matières premières locales et au moyen de technologies de transformation que nous maîtrisons, est un gage de renforcement de notre indépendance énergétique , dans un secteur crucial de notre économie comme celui des transports.

On peut espérer que, un jour, les véhicules électriques et les biocarburants avancés permettront d'atteindre cet objectif avec le meilleur bénéfice environnemental, mais d'ici là les biocarburants de première génération sont nécessaires, même si le taux d'incorporation ne peut guère dépasser 30 % pour le biodiesel. L'objectif de 10 % pour l'ensemble des carburants d'origine renouvelable, ou de 7 % pour les biocarburants de première génération, est un pas important.

La filière bioéthanol, par exemple, représenterait selon les professionnels 8 900 emplois directs ou induits et une valeur ajoutée de 815 millions d'euros, à travers 15 sites de production.

L' impact sur la production agricole est réel mais comprend plusieurs éléments.

Les cultures destinées aux biocarburants de première génération occupaient en 2009, selon des chiffres cités par la Cour des comptes, une portion de la surface agricole utile de 5,5 % environ, en grande majorité du colza utilisé pour la production de biodiesel.

Alors que la production de biocarburants occupe près des deux tiers de la surface cultivée en oléagineux pour le biodiesel, elle ne représente qu'une faible partie des surfaces cultivées en blé, maïs et betteraves pour le bioéthanol.

Surface

1993

2004

2009

x 1000 ha

SAU

29 907

29 222

29 408

Biodiesel

Oléagineux (95 % de colza, 5 % de tournesol)

Surface consacrée aux oléagineux tout usage

1 458

1 807

2 264

Surface estimée pour le biodiesel 2010

1 450

% de la surface oléagineux

64,05 %

% de la SAU en oléagineux pour le biodiesel

4,93 %

Bioéthanol

Maïs + blé tendre

Surface consacrée au blé tendre et maïs tout usage

6 067

6 596

6 413

Surface estimée pour le bioéthanol

blé + maïs 2010 (ONIGC)

223

% de la surface blé + maïs pour le bioéthanol

3,48 %

% de la SAU blé + maïs pour le bioéthanol

0,76 %

Betteraves

Surface consacrée à la betterave tout usage

439

385

373

Surface pour le bioéthanol betteraves 2010 (ONIGC)

40

% de la surface betteraves pour le bioéthanol

10,74 %

% de la SAU betteraves pour le bioéthanol

0,14 %

Surface estimée pour les biocarburants 2010

1 713

% de la SAU

5,82 %

Source : Cour des comptes, citant la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (ministère de l'agriculture).

Par ailleurs, les cultures destinées aux biocarburants produisent également des tourteaux de colza et des drèches de blé , destinés à l'alimentation animale. Ceux-ci ont permis de réduire nettement les importations de tourteaux de soja provenant du continent américain. Cet aspect doit être pris en compte, même si on peut avoir des réserves sur les qualités nutritives des tourteaux de colza.

La production de bioéthanol constitue également un débouché alternatif appréciable pour les céréales : les opérateurs considèrent que la production d'éthanol permet de valoriser le blé lorsque le prix est déprimé et de stabiliser le revenu des céréaliers. Comme l'indique la Cour des comptes, les intérêts de ces derniers rejoignent d'ailleurs ceux des sociétés de production d'éthanol, dont ils sont souvent actionnaires.

Les filières bioéthanol et biodiesel

La Cour des comptes fait valoir la différence de situation entre les filières bioéthanol et biodiesel.

Alors que le secteur de l'éthanol fait l'objet d'une concurrence assez large, sans être dominé par un groupe donné (hors ETBE (1) ), les agréments relatifs au biodiesel ont été en grande partie attribués à un groupe principal. Ce dernier fait toutefois l'objet d'une nouvelle concurrence de la part de producteurs de graisses animales et d'huiles usagées, qui bénéficient d'une règle de double comptage pour la TGAP.

(1) Fabriqué à partir d'éthanol et d'isobutylène, l'ETBE ou éther éthyle tertiobutyle (« ethyl tert-butyl ether » en anglais) est destiné à être incorporé dans les essences commerciales.

Il faut aussi noter que la filière bioéthanol a beaucoup investi depuis 2005 dans des unités de production et qu'elle vend aux autres pays européens, dans une situation de concurrence avec l'éthanol américain. De plus les producteurs mettent en avant les efforts importants mis en oeuvre depuis dix ans pour réduire la consommation d'eau et d'énergie dans les processus de fabrication.

Enfin, les industriels mettent d'abord en avant la nécessité de fixer des règles stables et cohérentes . C'est tout particulièrement le cas dans l'industrie automobile, où la mise au point de nouveaux modèles prend plusieurs années.

La proposition de résolution rappelle en conséquence que le développement des biocarburants a été motivé par la volonté de combattre le changement climatique, mais aussi de diminuer la dépendance énergétique, de redresser la balance des paiements et de créer des emplois dans le cadre d'une croissance durable.

Elle souligne que les plafonds d'incorporation ne doivent pas compromettre les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération.

LES DÉBATS SUR L'APPORT ENVIRONNEMENTAL DES BIOCARBURANTS

Pour autant il est indéniable que les biocarburants de première génération n'ont pas tous les avantages qu'on leur prêtait à l'origine.

La situation varie de manière importante selon les filières. Le graphique suivant, proposée dans une étude de l'Ademe, évalue l'apport des différents biocarburants à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la réduction de la consommation d'énergie non renouvelable par rapport aux carburants fossiles :

Source : Ademe, Analyses de Cycle de Vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France, Synthèse, février 2010.

Toutefois, il est important de noter que ce « classement » ne prend pas en compte le changement d'affectation des sols, dont les effets sont sans doute importants mais dont l'ampleur exacte est sujette à des incertitudes scientifiques.

Votre rapporteur considère que la production de biocarburants doit demeurer secondaire par rapport à la production alimentaire , à l'échelle mondiale.

Les experts de la FAO ont conclu que, depuis 2004, les biocarburants ont joué un rôle significatif dans l'augmentation des prix des matières premières agricoles à court terme. De plus, ils introduisent une certaine corrélation entre les marchés agricoles et les marchés de l'énergie, même si l'ampleur demeure à déterminer. 1 ( * )

La part de la surface agricole utile consacrée aux biocarburants est inférieure à 1 % dans le monde et il ne serait pas acceptable qu'elle augmente au point de déclencher des crises alimentaires.

De même, la question des changements indirects d'affectation des sols doit être prise au sérieux. La part des biocarburants dans la déforestation et la destruction des prairies, sujet très controversé, fait l'objet d'études scientifiques. Une synthèse de l'Ademe, en avril 2012, fait état d'un consensus scientifique sur la réalité des changements d'affectation des sols, mais souligne la difficulté à mesurer son ampleur 2 ( * ) . La Commission européenne reconnaît elle-même les incertitudes et limitations des modèles numériques disponibles utilisés.

La variabilité des estimations impose une poursuite des travaux d'évaluation mais ne facilite pas la tâche du législateur. La proposition de résolution reconnaît donc aussi bien les risques potentiels liés au changement indirect d'affectation des sols que l'incertitude sur son ampleur et ses effets.

LE DÉVELOPPEMENT DES NOUVEAUX CARBURANTS

La proposition de résolution envisage également l'avenir.

Le carburant le plus respectueux de l'environnement, celui qui introduit le moins de dépendance énergétique, c'est bien sûr celui qu'on ne consomme pas : l'amélioration de l'efficacité des moteurs et, lorsque c'est possible, des moyens de transport collectifs est donc une priorité.

Mais au-delà de ces efforts, la recherche doit se poursuivre sur les biocarburants avancés, de deuxième voire de troisième génération, qui n'ont pas d'impact sur la production alimentaire.

Les projets ne manquent pas en France, qui a une carte à jouer sur le plan industriel. Toutefois, ces filières ne sont qu'à un état de développement limité et leur contribution en 2020 ne pourra être que très partielle.

La proposition de résolution propose donc de soutenir avec réalisme le sous-objectif consacré aux biocarburants avancés, ainsi que le mécanisme de comptage multiples pour les mêmes carburants.

Au total, les débats au sein de la commission des Affaires européennes du Sénat ont dégagé un certain consensus pour réaffirmer la position française de porter à 7 % le plafonnement du taux d'incorporation des biocarburants de première génération .

Les politiques environnementales comme les politiques agricoles ou industrielles se construisent dans la durée. Les incertitudes sur les effets des biocarburants doivent conduire à la prudence et à l'approfondissement des études. En l'absence de justification scientifique précise, des changements de cap brutaux désorganiseraient une filière.

Votre rapporteur considère en conséquence qu'il est nécessaire de construire progressivement un bouquet énergétique équilibré pour les transports : outre les biocarburants de première génération qui resteront nécessaires dans un premier temps, il faut mener à bien la mise en production industrielle des biocarburants de deuxième génération et la recherche sur les biocarburants de troisième génération.

L'objectif de 10 % d'utilisation d'une énergie produite à partir de sources renouvelables nécessitera toutefois la mobilisation d'autres ressources telles que l'électricité ou l'hydrogène.

Rappelons que l'hydrogène peut être produit par électrolyse à partir de sources d'énergie renouvelable telles que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques : il permet alors de « stocker » cette énergie pour l'injecter sur les réseaux d'électricité lorsque la demande est élevée, ou bien de la charger sur des véhicules au moyen de piles à combustible. L'hydrogène peut aussi être produit à partir de la biomasse par gazéification.

L'utilisation de l'hydrogène à grande échelle dans les véhicules ne pourra toutefois se développer que progressivement en raison non seulement des coûts de production de l'hydrogène, mais aussi de la nécessité de mettre en place des réseaux de distribution de l'hydrogène (canalisation ou distribution de piles).


* 1 HLPE, 2013. Biofuels and food security. A report by the High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition of the Committee on World Food Security , Rome 2013.

* 2 Les biocarburants de première génération , avis de l'Ademe, avril 2012.

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