II. PRIVILÉGIER LE PRAGMATISME POUR SORTIR DE L'ORNIÈRE

A. UNE RÉFORME IMPOSÉE SANS NÉGOCIATION ET SANS FINANCEMENT PÉRENNE

1. Des maires confrontés à des injonctions ministérielles illisibles
a) Un problème général de méthode

S'accorder sur la nécessité d'une réorganisation globale et concertée du temps scolaire n'entraîne aucune obligation de signer un blanc-seing à n'importe quelle réforme, aussi bien intentionnée soit-elle.

Retenir quelques grands axes structurants est relativement facile, mais déterminer des modalités d'application, préciser les marges de manoeuvre et les responsabilités des uns et autres, estimer les coûts et négocier leur partage, définir une méthode de mise en oeuvre, des objectifs précis et des critères d'évaluation sont des tâches la fois beaucoup plus difficiles et beaucoup plus importantes.

La réforme promue par le ministre de l'éducation nationale pèche sur de nombreux points :

- des objectifs à la fois grandioses et flous sans aucun dispositif d'évaluation et sans perspective concrète d'amélioration des résultats des élèves ;

- une méthode autoritaire fondée sur le règlement, la circulaire et des injonctions de l'administration aux élus ;

- des modalités pratiques de mise en oeuvre confuses et changeantes ;

- un manque d'information et de soutien aussi bien pour les maires que pour les familles ;

- un financement inadéquat.

La mise en place de la réforme des rythmes scolaires est quasiment un cas d'école qui illustre parfaitement le mode de fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l'éducation nationale.

Les mesures sont imposées par le décret du 26 janvier 2013 de façon uniforme sur tout le territoire à toutes les communes possédant une école. Cependant, le texte est interprété de façon très diverse par les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) qui ne suivent pas toujours l'évolution des déclarations du Gouvernement. Le ministre de l'éducation nationale a lui-même oscillé entre des déclarations tranchantes et des concessions modestes, mais sur le terrain, il n'est pas rare de voir certains DASEN ou inspecteurs de circonscription retenir des interprétations très restrictives des textes ou imposer des obligations supplémentaires, par exemple en termes de transmission anticipée des projets éducatifs.

Les maires doivent faire face à des injonctions répétées dans un contexte très mouvant. Ils n'appréhendent que très difficilement les marges de manoeuvre dont ils disposent à propos des possibilités de dérogation, du recours au samedi matin, de l'écriture des projets éducatifs territoriaux, du recrutement des animateurs, du taux d'encadrement des activités périscolaires ou encore les contributions des caisses d'allocations familiales. Des réponses ambiguës, voire contradictoires, leur ont été adressées selon les temps et selon les interlocuteurs. Le défaut d'articulation entre les services sociaux et l'éducation nationale n'a pas contribué pas à clarifier la situation.

Ceci explique que peu de maires se soient engagés dès 2013. Pour l'année scolaire 2013-2014, 3 991 sur 23 000 communes environ disposant d'une école sont passées aux nouveaux rythmes. Cela représente 1,3 million d'élèves, soit 22,2 % de l'effectif total du secteur public. Seules 35 des 150 communes les plus importantes ont choisi d'appliquer la réforme dès 2013.

L'organisation des temps scolaires relève du caractère propre des établissements privés. Il leur est loisible de passer ou non aux nouveaux rythmes ; 6 % seulement l'ont fait cette année d'après le ministère de l'éducation nationale. Il convient de donner aux maires la même latitude pour gérer le temps scolaire dans les écoles publiques que celle dont disposent les écoles privées.

Les réticences de la plupart des maires à l'égard de la réforme ne viennent pas de leur prétendue indifférence au bien-être des élèves. Elles doivent bien plutôt s'interpréter comme une protestation contre le refus du ministère de l'éducation nationale de les traiter comme des partenaires éducatifs responsables et autonomes à part entière. Surtout, elles reflètent d'importantes difficultés matérielles et financières qui ne peuvent être balayées d'un revers de la main.

b) Un exemple de complexité et de confusion : l'allègement du taux d'encadrement des activités périscolaires

Pour contenir les coûts et limiter le recrutement d'animateurs, qui peut être très difficile à réaliser en milieu rural, les maires ont demandé un assouplissement des taux d'encadrement des activités périscolaires imposés par l'article R. 227-16 du code de l'action sociale et des familles. Ils ont obtenu de haute lutte une expérimentation pour trois ans d'allègement des contraintes du droit commun.

Le périmètre de cette expérimentation, inscrite dans le décret n° 2013-707 du 2 août 2013, suscite beaucoup d'interrogations chez les maires. Cet assouplissement concerne-t-il l'ensemble des activités périscolaires ou uniquement les trois heures libérées par la réforme des rythmes scolaires ? La signature d'un PEDT est-elle nécessaire pour en bénéficier ? Comment expliquer aux parents des variations des normes d'encadrement d'activités similaires qui ne diffèrent que par leur classification administrative (extrascolaire, périscolaire, périscolaire libéré par la réforme des rythmes dans le cadre d'un PEDT) ? Que se passera-t-il à l'issue des trois ans d'expérimentation ?

Les réponses apportées par les représentants de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à la mission commune d'information du Sénat sur les rythmes scolaires, lors de leur audition du 10 décembre 2013, éclairent la construction baroque qui prévaut aujourd'hui.

Le décret du 2 août 2013 précité permet d'abaisser les taux d'encadrement pour les trois heures d'activités périscolaires dégagées par la réforme à un encadrant pour 14 enfants pour les moins de six ans et à un encadrant pour 18 enfants pour les plus de six ans. Selon le droit en vigueur, ces taux allégés ne valent pas pour le reste des activités périscolaires. Cet assouplissement a posé de réelles difficultés d'application, puisque les activités ont vu leur taux d'encadrement varier selon qu'elles se déroulent ou non dans ces trois heures supplémentaires.

Par ailleurs, le Premier ministre a saisi la Cnaf pour réfléchir à l'extension du décret du 2 août 2013 à l'ensemble des activités périscolaires réalisées dans le cadre des projets éducatifs de territoire (PEDT). D'après M. Daniel Lenoir, directeur général de la Cnaf, cette hypothèse impliquerait que les CAF cosignent ces PEDT, car elle tient à sa politique de qualité et de sécurité des activités périscolaires.

Les maires auraient besoin de plus de cohérence et de simplicité : ils ont trop souvent l'impression d'être ballotés entre l'éducation nationale et les CAF et doivent multiplier les discussions, alors qu'on gagnerait à mener une négociation globale.

2. Un financement insuffisant, incertain et transitoire
a) Le dispositif du fonds d'amorçage

D'après l'enquête réalisée à l'automne 2013 par l'Association des maires de France (AMF) à l'automne 2013, 77 % des communes passées aux nouveaux rythmes s'inquiètent du financement de la réforme. C'est une de ses faiblesses structurelles essentielles.

L'article 67 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a institué un fonds d'amorçage en faveur des communes mettant en oeuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013. Les modalités d'organisation du fonds sont précisées par le décret n° 2013-705 du 2 août 2013 et par un arrêté du 2 août 2013 fixant le taux des aides du fonds d'amorçage pour la réforme des rythmes scolaires.

La part forfaitaire a été fixée à 50 euros par élève et la part majorée à 40 euros par élève pour l'année 2013-2014. Le bénéfice de la part majorée est identifié à partir des listes fournies par le ministère de l'intérieur. Il concerne les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine, de solidarité rurale ou situées dans les départements d'outre-mer.

Confrontés dans la gestion de leurs communes à l'effet ciseau de la réduction des dotations et du transfert de nouvelles charges comme l'élargissement des activités périscolaires, les élus ont demandé la pérennisation des aides d'amorçage. Ils n'ont été que partiellement entendus puisque le Premier ministre a uniquement décidé de proroger le fonds d'amorçage pour l'année 2014-2015. Le niveau d'aide sera le même : 50 euros par élève au titre du forfait ou 90 euros pour les communes éligibles à la majoration. Cette prorogation a été introduite par amendement au projet de loi de finances pour 2014.

Au soutien au fonds d'amorçage s'ajoutent les aides des caisses d'allocations familiales (Caf) prévues spécifiquement pour contribuer au financement des trois heures périscolaires dégagées par la réforme. Cette aide complémentaire s'élève à 50 centimes par heure et par enfant présent, ce qui représente au maximum 54 euros par enfant présent, soit une dépense nouvelle de 850 millions d'euros pour la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf).

Trois questions au moins se posent sur les aides d'amorçage : le mode de calcul de leur montant, le bouclage de leur financement jusqu'en 2015, leur pérennisation à long terme.

b) Des aides calculées sans estimation préalable

Devant la mission commune d'information du Sénat sur les rythmes scolaires, le 3 décembre 2013, M. Guillaume Gaubert, directeur des affaires financières des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur a apporté des éléments d'information précieux sur ce point.

Le calcul du montant des aides aux communes ne résulte pas d'une modélisation des coûts analytiques de la mise en place des activités périscolaires complémentaires. Le montant des aides a été calculé par répartition d'une enveloppe globale fixée à l'avance, en fonction de critères simples pour différencier les communes éligibles à une majoration. C'est pourquoi les aides sont forfaitaires et ne constituent pas une compensation, éventuellement plafonnée, des surcoûts supportées par les communes.

Il n'est dès lors pas surprenant de constater que les coûts de mise en oeuvre dans certaines communes dépassent largement le montant maximal des aides octroyées par le fonds d'amorçage et par les Caf. D'après l'enquête de l'AMF, le surcoût dû à l'organisation des trois heures périscolaires est supérieur à 200 euros par élève dans le quart des communes. Encore s'agit-il de communes volontaires pour passer à la semaine de 4 jours et demi dès 2013. Les communes qui construisent leur projet d'organisation pour 2014 sont confrontées à des estimations encore plus défavorables. En Alsace, certains chiffrages s'élèvent à 450 euros.

Les variations du simple au quadruple s'expliquent par celles du niveau de rémunération des intervenants et du taux d'encadrement. Il conviendrait à tout le moins, si la réforme était maintenue en l'état, de procéder à une évaluation et à un rebasage des aides. Il faudrait tenir compte des grands types d'organisation retenus, construire des modélisations et considérer ce qui était déjà consacré au périscolaire, afin de mesurer le coût net.

Aucune enquête auprès des maires n'a été conduite en amont. Aucune estimation prévisionnelle n'a été réalisée. Le coût des transports scolaires pour les départements n'a pas été pris en compte. Votre rapporteur y voit le signe d'une précipitation inutile et d'une impréparation préjudiciable.

c) Un financement du fonds encore inachevé

Le fonds d'amorçage décaissera environ 515 millions d'euros sur les années scolaires 2013-2014 et 2014-2015. Cela représente pour le budget de l'éducation nationale des décaissements de 28,2 millions d'euros en 2013, 199,6 millions d'euros en 2014, 286,3 millions d'euros en 2015.

Votre rapporteur se réjouit qu'en 2013 de simples redéploiements permettent de dégager les sommes nécessaires, alors qu'ils sont souvent estimés impossibles à réaliser par l'administration lorsqu'il s'agit de financer des initiatives parlementaires.

Pour le financement des aides en 2014, 102,7 millions d'euros ont été inscrits par amendement au projet de loi de finances pour 2014, dont 62 millions d'euros proviennent d'un financement exceptionnel de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), inscrit dans sa convention d'objectifs et de gestion. Resterait environ 35 millions d'euros qui seront dégagés en gestion, probablement dans des conditions similaires à celles de 2013.

Votre rapporteur souligne que cette contribution de la Cnaf se rajoute aux aides qu'elle verse directement aux communes pour soutenir l'accueil périscolaire. Il ne s'agit en rien d'un financement pérenne du fonds d'amorçage qui a vocation à être supporté par l'État. Lors de son audition, le 10 décembre 2013, devant la mission commune d'information du Sénat, M. Jean-Paul Deroussen, président du conseil d `administration de la Cnaf, a indiqué que son institution n'avait pas été associée à la préparation de la réforme des rythmes scolaires et que ce n'était qu'en cours de négociation de la convention d'objectifs et de gestion avec l'État, que la Caisse a appris l'inscription d'une obligation supplémentaire de financement de la réforme des rythmes scolaires. Le manque de dialogue entre l'éducation nationale et ses partenaires naturels des services sociaux se révèle très profond et met en péril l'action publique.

Enfin, le financement de 2015 reste ouvert et n'est pas fermement défini. Il faudra trouver 286 millions d'euros pour cette seule année, alors même que le budget de l'éducation nationale, qui absorbe déjà de nombreuses créations de postes d'enseignants, ne pourra y suffire. Votre rapporteur déplore la faiblesse du montage financier du fonds et la course aux expédients dans laquelle est engagée le Gouvernement. Malgré un sous-dimensionnement du fonds qui ne permet pas une compensation des charges supplémentaires pesant sur les communes, le financement de la réforme demeure incertain.

d) Une pérennisation en suspens

Il n'est prévu qu'une aide provisoire jusqu'en 2015 au plus tard. Or, les coûts de la réforme ne sont pas transitoires mais représentent au contraire des charges permanentes. Les communes devront donc trouver des ressources nouvelles après 2015 pour maintenir la qualité des activités périscolaires. Elles seront alors confrontées à un dilemme : soit demander une contribution financière aux parents, soit augmenter la fiscalité locale. C'est pourquoi l'Association des maires de France (AMF) souhaite à juste titre une pérennisation définitive des aides, si la réforme est maintenue en l'état.

Devant le mélange d'impréparation et d'autoritarisme, les difficultés matérielles d'organisation et l'absence d'un financement suffisant et crédible, votre rapporteur estime qu'il est temps de sortir de l'ornière en faisant confiance aux élus de terrain et en leur donnant la liberté d'organiser le temps scolaire.

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