B. UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE AFFAIBLI

L'article 38 de la Constitution confère en principe au Parlement un contrôle absolu sur les ordonnances à deux stades de la procédure : lors de l'habilitation, puisqu'il peut la refuser, et lors de la ratification, puisqu'elle lui donne l'occasion de revenir sur toutes les dispositions adoptées. Pourtant, ce contrôle absolu en théorie connaît des limites.

1. Au stade de l'habilitation : un contrôle effectif qui connaît toutefois des limites
a) Un contrôle réel sur les délais de l'habilitation, à défaut de leur respect

Le Parlement peut amender comme il le souhaite les délais d'habilitation ou ceux dans l'intervalle desquels le Gouvernement doit déposer, à peine de caducité du texte, le projet de loi de ratification de l'ordonnance.

En revanche, il ne lui est pas possible de différer l'entrée en vigueur du texte : l'article 38 dispose expressément qu'elles entrent en vigueur dès leur publication.

L'habilitation accordée au Gouvernement n'est qu'une faculté qui lui est ouverte : celui-ci n'est pas tenu de publier un texte dans le délai fixé.

En revanche, l'habilitation tombe à l'expiration de délai. C'est ce qui conduit le Gouvernement, parfois, à solliciter une nouvelle fois une habilitation ou la prorogation d'une habilitation plus ancienne, comme ce fut le cas à deux reprises pour la refonte du code de la consommation 6 ( * ) .

b) Une large maîtrise théorique sur le périmètre de l'habilitation

L'initiative d'une demande d'habilitation appartient exclusivement au Gouvernement : le Parlement ne peut se dessaisir de sa compétence de sa propre volonté.

En revanche, le législateur est libre de resserrer le périmètre de l'autorisation demandée, voire, de fixer dans le texte le principe ou les options dont il entend imposer le respect au Gouvernement.

En pratique, toutefois, sa marge de manoeuvre peut être contrainte de deux manières.

L'habilitation peut être réclamée par l'exécutif pour adopter un texte qu'il a déjà largement élaboré, et à partir duquel le périmètre de cette habilitation a d'ailleurs été conçu. Le risque est alors qu'un amendement rompe l'équilibre de l'avant-projet envisagé, ce qui pourrait différer d'autant son adoption, voire conduire à son abandon.

À l'inverse, la demande d'habilitation est souvent formulée alors qu'aucune option n'est encore tranchée ou qu'une consultation devra intervenir. Fixer trop précisément le périmètre ou les options souhaitables peut conduire à rejeter avant tout examen des solutions qui pourraient s'avérer pertinentes.

Il est donc important, pour le législateur, de connaître avec précision la finalité des mesures que le Gouvernement entend adopter, ainsi que leur domaine d'intervention. Il s'agit là d'ailleurs, d'une obligation constitutionnelle, dont le Conseil constitutionnel assure le respect 7 ( * ) .

L'exécutif n'est toutefois pas tenu de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation 8 ( * ) .

À cet égard, votre rapporteur tient à souligner la qualité et l'utilité de l'étude d'impact du présent projet de loi, qui précise pour plusieurs des demandes d'habilitation formulées par le Gouvernement, les options qu'il entend privilégier

2. Pendant la durée de l'habilitation : un Parlement dessaisi de la compétence

Une fois l'autorisation délivrée, le Parlement est en principe dessaisi, de la compétence qu'il a déléguée, pour toute la durée de l'habilitation.

Un amendement parlementaire ou une proposition de loi contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38 pourraient se voir opposer l'irrecevabilité par le Gouvernement ou le président de la chambre concernée, en vertu de l'article 41 de la Constitution.

Ce dessaisissement rend d'autant plus important de circonscrire le périmètre de l'habilitation au strict nécessaire, afin de ne pas amputer le législateur de sa liberté d'intervention.

3. Une fois l'ordonnance publiée : un contrôle souvent formel, sinon inexistant, au stade de la ratification

La ratification est le moment où le législateur peut reprendre la main sur l'ordonnance. Trois mécanismes, d'ailleurs incitent le Gouvernement à s'engager dans le processus de la ratification.

Le premier est l'obligation de dépôt d'un projet de loi de ratification, dans les délais prévus par le texte d'habilitation, sous peine de caducité de l'ordonnance. Le second est l'exclusion des ratifications implicites, évoquée plus haut. Et le dernier tient à la valeur réglementaire que conserve, jusqu'à sa ratification, l'ordonnance, ce qui la soumet au contrôle du juge administratif, en particulier aux principes généraux du droit 9 ( * ) .

Pourtant, force est de constater que ces contraintes n'ont pas conduit le Gouvernement à donner la priorité aux ratifications : entre 2009 et 2012, en moyenne, presque un tiers des ordonnances publiées n'a toujours pas fait l'objet de ratification. La part monte même à presque la moitié (48,4 %) si l'on exclut les ordonnances relatives à l'outre-mer.

Quatre ans après leur adoption, 20 % des ordonnances publiées en 2009 (30 % hors ordonnances relatives à l'outre-mer) n'ont toujours pas été ratifiées.

Ordonnances adoptées chaque année
et nombre d'ordonnances ratifiées sur ce total au 1 er janvier 2014
(hors ordonnances consacrées à l'outre-mer)

2009

2010

2011

2012

Total

Ordonnances adoptées

33

19

24

17

93

Ordonnances de cette année non ratifiées au 1 er janvier 2014

10

11

17

7

45

Total des ordonnances ratifiées

23

18

13

10

64

Mode de ratification

par PJL initial

11

0

6

9

26

par amdt Gvt

7

3

0

0

10

par amdt AN

4

3

1

1

9

par amdt Sénat

11

2

0

0

13

Source : commission des lois du Sénat

Le constat est aussi sévère si l'on s'attache aux conditions de la ratification.

Hors ordonnances relatives à l'outre-mer, seulement 40 % des ordonnances ratifiées sur la même période l'ont été à partir d'un article inclus dans un projet de loi initial. 60 % d'entre elles l'ont été par voie d'amendements. Un tel procédé ne permet pas l'examen attentif qu'exigerait en principe une ratification.

La voie idéale, tracée par le texte de l'article 38 de la Constitution, d'un examen du texte à partir du projet de loi de ratification déposé par le Gouvernement est la plus rare : selon les chiffres fournis par l'étude précitée de la division des lois et de la légistique de la direction de la séance du Sénat, « en 2009, aucune des 67 ordonnances ratifiées cette année-là ne l'a été dans le cadre d'un projet de loi spécifique de ratification. En 2010, une seule ordonnance sur un total de 29 a été ratifiée dans le cadre d'un projet de loi ad hoc. De même, en 2011, une seule ordonnance sur 14 a été ratifiée par un projet de loi particulier ».

Enfin, il convient d'observer les difficultés propres à l'exercice de ratification : le Parlement intervient sur un texte déjà mis en pratique. Toute modification entraînera des conséquences pour ceux qui appliquaient la norme modifiée, qu'il faudra prévenir. En outre, s'il est toujours possible changer quelques options, il est malaisé de remettre en cause, au moment de la ratification, les grands équilibres du texte et les choix qui le déterminent.

La ratification, qui devrait être par excellence le moment du contrôle parlementaire, n'autorise ainsi souvent, lorsqu'elle intervient, qu'un examen formel, qui corrige quelques imperfections.


* 6 Ainsi, la demande d'habilitation introduite à l'article 73 du projet de loi n° 244 (2013-2014) relatif à la consommation intervient après que habilitations précédentes ont expiré : celle, d'une durée de vingt-quatre mois, prévue à l'article 35 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs suivie par celle, identique, d'une durée de douze mois, prévue à l'article 63 de la loi n° 2010-737 du 1 er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation.

* 7 CC, n° 86-207 DC, 25 et 26 juin 1986, Rec. p. 61.

* 8 CC, n° 2008-573 DC, 8 janvier 2009, Rec. p. 36.

* 9 CE, 19 octobre 1962, Canal .

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