EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi, en première lecture, du projet de loi n° 175 rectifié (2013-2014) relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Dans le prolongement des décisions prises lors des comités interministériels pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), les 18 décembre 2012, 2 avril, 17 juillet et 18 décembre 2013, le Gouvernement a retenu des objectifs ambitieux de simplification et de modernisation des normes applicables aux citoyens, aux entreprises et aux administrations.

Les mesures prévues visent à améliorer la qualité du service rendu au citoyen et soutenir la compétitivité de l'économie française, ce qui a conduit le Gouvernement à adopter un calendrier de mise en oeuvre resserré, et à retenir la possibilité, lorsque l'urgence le justifiait, de recourir à des ordonnances en matière législative.

Le présent texte est donc le quatrième texte de simplification par voie d'ordonnance dont notre Assemblée est appelée à connaître au cours de la présente législature 1 ( * ) , après la loi n° 2013-569 du 1 er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, la loi n °2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens -qui a notamment consacré le principe du « silence vaut accord »- et la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

En procédant de la sorte, comme votre rapporteur, déjà rapporteur de la loi précitée du 2 janvier 2014, l'avait souligné lors de l'examen de ce dernier texte 2 ( * ) , le Gouvernement inaugure, après dix années qui ont vu se succéder, de 2003 à 2007, de volumineux projets de loi de simplification par voie d'ordonnances puis, de 2007 à 2011, des propositions de loi de simplification encore plus volumineuses, une nouvelle méthode de simplification du droit : des projets de loi de taille limitée, consacrés à quelques domaines identifiés, qui combinent demandes d'habilitation et mesures directement applicables, et pour lesquels la procédure accélérée est systématiquement engagée.

Le périmètre resserré des textes autorise un examen parlementaire plus complet, même s'il est contraint par la procédure accélérée, et particulièrement attentif à ce que les demandes d'habilitation formulées soient justifiées par l'urgence et leur champ strictement délimité.

À cet égard, votre rapporteur souligne qu'au cours de ses travaux, le dialogue avec le Gouvernement a été constant pour envisager, pour chaque demande d'habilitation, si elle était bien nécessaire et s'il n'était pas préférable de la supprimer au profit d'une disposition directement applicable ou d'un projet ou d'une proposition de loi future. En outre, certaines suppressions ont été adoptées à titre conservatoire, dans l'attente de précisions complémentaires sur le dispositif envisagé par l'exécutif.

Votre rapporteur a par ailleurs suivi la même ligne que celle déjà retenue par votre commission lors de l'examen de la loi précitée du 2 janvier dernier : éviter, autant que possible, d'ajouter au texte des mesures nouvelles, afin de ne pas retomber dans les travers des précédentes lois de simplification, qui devenaient, au fil des lectures, une collection désordonnée de mesures disparates.

Toutes les dispositions du projet de loi soumis à votre examen ne présentent pas la même importance : celles consacrées à l'administration territoriale ou à la simplification administrative portent sur des mesures de détail, bien qu'utiles. Au contraire, celles consacrées au droit civil, et particulièrement, l'habilitation à réformer le droit des obligations et des contrats, sont susceptibles d'avoir des répercussions importantes sur la vie de nos concitoyens et sur le fonctionnement de notre société. Votre commission a, à cet égard, été particulièrement vigilante, pour que n'échappent pas au législateur, des choix qui, au regard de leurs conséquences, n'appartiennent qu'à lui.

I. LA PRATIQUE DES ORDONNANCES

L'article 38 de la Constitution désigne la finalité des ordonnances : l'exécution par le Gouvernement de son programme. Le présent projet de loi se rattachant à l'ambitieux programme de modernisation lancé par l'exécutif, satisfait cette exigence.

Pour autant, il revient au Parlement d'apprécier l'opportunité de se dessaisir de sa compétence au profit du Gouvernement. Plusieurs éléments entrent ici en compte : le périmètre et la précision des habilitations demandées, leur nécessité ou leur urgence, les matières en cause, la réalité du contrôle qu'il pourra exercer au moment de l'autorisation et après la publication de l'ordonnance.

Le recours fréquent aux ordonnances de l'article 38 sous les précédentes législatures signale qu'il s'agit aujourd'hui d'un instrument complémentaire de législation, pour le Gouvernement (A). Le Parlement doit cependant être vigilant lorsqu'il autorise l'exécutif recourir à cette procédure commode pour lui, car son contrôle sur les ordonnances est affaibli (B).

A. UN RECOURS FRÉQUENT SOUS LES DERNIÈRES LÉGISLATURES

En excluant la possibilité d'une ratification implicite des ordonnances 3 ( * ) , la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a durci en faveur du contrôle parlementaire, le régime juridique des ordonnances. Le Gouvernement n'y a toutefois pas moins recouru.

Une étude de la division des lois et de la légistique de la direction de la séance du Sénat indiquait ainsi que si « entre 1984 et 2011, 458 ordonnances ont été publiées sur le fondement de l'article 38 de la Constitution », 304 l'ont été entre 2004 et 2011 (8 années), « soit près du double du nombre d'ordonnances publiées entre 1984 et 2003 (20 années) » 4 ( * ) .

Les chiffres les plus récents ne démentent pas ce constat : en 2012, 33 ordonnances ont été publiées et 22 en 2013.

Si la part des ordonnances qui concernent l'outre-mer est importante (en moyenne, de 2009 à 2012, un peu plus de 30 % des textes 5 ( * ) ), la majorité porte sur des modifications de la législation générale, qui touche tous les domaines : de la transposition de directive européenne à des recodifications à droit constant, du droit pénal maritime à la lutte contre la falsification de médicaments, en passant par le logement ou l'urbanisme.

Surtout, même si l'on fait la part des celles relatives à l'outre-mer, les ordonnances publiées de 2009 à 2012 (soit 93) représentent la moitié du nombre de lois ordinaires promulguées (soit 186) au cours de la même période.

Ceci signifie qu'un tiers des textes législatifs publiés au cours de cette période ont été des ordonnances.

Ce chiffre brut ne rend toutefois aucun compte de l'importance des textes eux-mêmes : la législation déléguée demeure en principe cantonnée dans des domaines plus techniques de coordination ou de refonte de dispositifs dont les principes ont été établis dans d'autres lois.

Pour autant, il justifie la vigilance dont le législateur doit faire preuve lorsqu'il autorise le Gouvernement à prendre des mesures qui relèvent de la loi. Cette vigilance apparaît d'autant plus nécessaire que son contrôle sur les ordonnances est affaibli.


* 1 Le troisième pour votre commission des lois.

* 2 Rapport n° 201 (2013-2014) de M. Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois, déposé le 4 décembre 2013, p. 10-11 (www.senat.fr/rap/l13-201/l13-201.html).

* 3 Jusqu'à cette révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel admettait qu'une ordonnance pouvait être ratifiée, de manière implicite, par une loi, qui sans viser expressément cette ratification l'impliquait, par exemple en mentionnant l'ordonnance ou en la modifiant (CC, n° 86-224 DC, 23 janvier 1987, Rec. p. 8). Une telle ratification implicite, en l'absence de ratification expresse permettait de donner rang législatif à l'ordonnance qui n'a, jusqu'à la ratification, qu'une valeur réglementaire (CC, n° 72-73 L, 29 février 1972, Rec. p. 31).

* 4 Étude disponible à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/seance/etude_ordonnances.pdf

* 5 Pour les ordonnances de l'article 38. Si l'on ajoutait les ordonnances prises en application de l'article 74-1 de la Constitution, le chiffre s'élèverait à 40 %. Toutefois ces dernières se distinguent des premières par leur objet (exclusivement l'adaptation ou l'application outre-mer d'une disposition législative) et par leur procédure, puisqu'elles ne nécessitent pas une habilitation parlementaire, mais qu'en revanche, elles deviennent caduques si elles ne sont pas ratifiées dans les dix-huit mois de leur adoption.

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