EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 29 janvier 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission examine le rapport de M. Jacky Le Menn sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé.

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Ce projet de loi adapte notre législation au droit de l'Union européenne en matière de santé. Peu nombreuses, ses dispositions sont de nature technique ou de portée restreinte. La mesure susceptible d'avoir l'effet économique le plus significatif, celle concernant la vente de lentilles de contact sur internet, a été intégrée au projet de loi sur la consommation.

Cinq textes européens font l'objet d'une transposition : la directive 2011/24/UE dite « soins transfrontaliers » ;  le règlement n° 1223/2009 relatif aux produits cosmétiques ; la directive 2011/62/UE relative à la prévention de l'introduction dans la chaîne d'approvisionnement légale de médicaments falsifiés ; la directive 2012/26/UE modifiant la directive 2001/83/CE en ce qui concerne la pharmacovigilance ; la directive d'exécution 2012/52/UE établissant des mesures pour faciliter la reconnaissance des prescriptions médicales établies dans un autre Etat membre.

L'Assemblée nationale a adopté ce texte en première lecture le 16 janvier 2014 ; nous l'examinerons en séance publique le 13 février. Un calendrier resserré afin d'éviter une condamnation : le traité de Lisbonne autorise la Cour de justice de l'Union européenne à condamner les Etats membres à payer des astreintes journalières et des amendes s'ils ont manqué à leur obligation de transposition. En l'occurrence les directives 2011/24, 2012/26 et 2012/52 devaient être transposées avant la fin du mois d'octobre 2013.

Mme Catherine Procaccia . - On a connu pire...

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Cette mise en conformité de notre droit aux textes européens apporte peu d'évolutions notables, sinon une clarification de l'état du droit et un renforcement de la sécurité de ceux qui ont recours aux soins ou aux produits de santé. Le droit européen n'impose pas, comme on l'entend parfois, de manière systématique ou aveugle une ouverture à la concurrence. Les prestations de santé ne sont en effet pas considérées comme un simple service et les enjeux de sécurité ne sont pas minimisés.

S'il est vrai que le droit européen reste d'abord le droit du marché intérieur, c'est-à-dire un droit de la concurrence, la sécurité des citoyens de l'Union est une préoccupation constante comme l'illustre l'harmonisation ou l'unification des contrôles, sous l'égide d'instances créées à cet effet. Ainsi l'Agence européenne du médicament, chargée en 1995 des autorisations de mise sur le marché, du contrôle et, si nécessaire, du retrait de ces produits, s'appuie sur les laboratoires nationaux de référence, comme ceux de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Les normes européennes, comme la directive 2011/62/UE contre la contrefaçon de médicaments ou les directives de 2001 et 2012 sur la pharmacovigilance traduisent la volonté européenne de protection des personnes. La directive 2011/24 renforce les garanties des personnes faisant appel aux chiropracteurs ou aux ostéopathes, en imposant à ces derniers, comme à l'ensemble des prestataires de soins, de souscrire une assurance civile professionnelle. Notre droit limitait cette obligation aux seuls professionnels de santé.

Certaines dispositions européennes, telle la vente en ligne de produits de santé, quoiqu'en rupture avec les pratiques françaises, constituent une adaptation nécessaire aux enjeux commerciaux et aux impératifs de sécurité. Pour garantir la sécurité des citoyens la France doit, dans une économie mondialisée, encourager l'apparition d'une offre de produits de santé sur internet qui présente toute les garanties en termes de qualité, de contrôle et d'approvisionnement des produits. Le droit européen n'impose pas la fin de nos mécanismes de contrôle et de protection. Les directives laissent systématiquement aux Etats le choix des moyens de transposition. L'organisation du système de soins relevant de leur seule compétence, la France a choisi de limiter aux seuls pharmaciens d'officine la possibilité de vendre en ligne des médicaments non soumis à prescription. De même, elle a adopté l'interprétation la plus large de l'obligation imposée aux laboratoires pharmaceutiques de justifier le retrait d'un médicament.

Le droit européen facilite aussi la diffusion des produits français dans des secteurs majeurs de notre économie, comme la cosmétique, troisième poste excédentaire de notre balance commerciale. Les entreprises françaises du secteur, dont deux tiers de la production sont exportés, nous ont dit leur attachement à l'uniformité des règles européennes apportée par le règlement de 2009 qui a aussi renforcé les exigences en matière de justification de l'innocuité des produits cosmétiques.

Ainsi, dans le domaine de la santé comme dans celui du commerce, les objectifs du droit européen coïncident avec ceux du droit national. Les professionnels concernés ont d'ailleurs manifesté leur satisfaction lors de leur audition. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale ont levé des incertitudes rédactionnelles et apporté des compléments importants en matière de sécurité des patients.

Conformément à l'article 4 de la directive « Soins transfrontaliers » de 2011, les deux premiers articles instaurent, pour les chiropracteurs et les ostéopathes, l'obligation de souscrire une assurance de responsabilité civile professionnelle, alors que le droit français, réservait cette obligation à la seule catégorie des professions de santé, dont ils sont exclus. Or, au sens du droit de l'Union européenne, ostéopathes et chiropracteurs entrent dans le champ des professions réglementées visées par cette directive.

L'article 1 er , qui énonce le principe de responsabilité pour faute des ostéopathes et des chiropracteurs, fixe une obligation de souscription d'assurance pour ceux d'entre eux exerçant leur activité à titre libéral. Ces contrats pourront comporter des plafonds de garantie dont le montant minimal sera fixé par décret en Conseil d'Etat. Leur régime sera aligné sur celui des contrats d'assurance souscrits par les professionnels de santé. Enfin la date d'entrée en vigueur de l'obligation d'assurance, initialement fixée au 1er janvier 2014, a été reportée d'un an par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, sur proposition de son rapporteur, afin de tenir compte du délai d'entrée en vigueur de la loi.

L'article 2 prévoit les mêmes sanctions pénales que celles qui s'appliquent aux professionnels de santé en cas de non-respect de cette obligation d'assurance : une amende de 45 000 euros assortie éventuellement d'une peine complémentaire d'interdiction d'activité professionnelle.

En pratique, la portée de cette modification législative devrait être faible. Une très large majorité des ostéopathes et chiropracteurs français sont déjà assurés dans le cadre de contrats de groupe auxquels l'adhésion est prévue par les statuts respectifs de leurs groupements et syndicats professionnels. En outre, il semble que l'exercice de ces deux professions soit marqué par une faible sinistralité. Cette évolution renforcera cependant la sécurité des patients : à l'heure actuelle, le patient victime d'une faute ne peut être indemnisé que dans la limite du patrimoine propre du professionnel fautif si celui-ci n'a pas pris de lui-même l'initiative de souscrire une assurance.

L'article 3 concerne les produits cosmétiques et de tatouage. Il se borne à faire correspondre le code de la santé publique avec le droit en vigueur, puisque le règlement réformant les normes applicables à la mise sur le marché des produits cosmétiques est applicable depuis 2009. La réécriture des articles du code sur les produits cosmétiques impose celle des articles concernant les produits de tatouage. L'Assemblée nationale a ajouté à ces modifications essentiellement rédactionnelles des précisions concernant les enquêtes entraînées par à un signalement d'effet indésirable lié à un produit de tatouage pour renforcer la « tatouvigilance ».

Les dispositions de l'article 4 encadrant la vente sur internet de lentilles de contact ont été intégrées à l'article 17 quater du projet de loi relatif à la consommation adopté hier par le Sénat.

L'article 5 précise le champ d'application de la vente en ligne de médicaments, autorisé par l'ordonnance du 19 décembre 2012. Il ratifie l'ordonnance et précise, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, que seuls sont concernés les médicaments hors prescription.

L'article 6 renforce l'obligation d'information des laboratoires qui retirent du marché l'un de leurs produits, dans un pays membre de l'Union ou un pays tiers. Il complète la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et s'inscrit également dans la suite des préconisations de la mission commune d'information du Sénat sur le Mediator.

Transposant les principes fixés par la directive « Soins transfrontaliers » et par la directive du 20 décembre 2012, l'article 7 achève l'harmonisation de la rédaction des prescriptions de médicaments biologiques établies en France mais destinées à être utilisées par le patient dans un autre Etat membre afin de garantir l'identification et la délivrance des produits. Cette transposition avait déjà été largement opérée par la loi du 29 décembre 2011. L'article L. 5121-1-2 du code de la santé publique qui porte sur l'obligation de prescription des spécialités pharmaceutiques en dénomination commune internationale, sera modifié à des fins de coordination. Un nouvel article L. 5121-1-4 prévoira que la prescription d'un médicament biologique destinée à être utilisée dans un autre Etat membre devra comporter, outre la désignation de ses principes actifs, nécessaire pour tous les médicaments, la mention du nom de marque et, le cas échéant, du nom de fantaisie de la spécialité. La notion européenne de médicament biologique recouvre à la fois les médicaments biologiques au sens de la législation française, les médicaments biosimilaires, les médicaments immunologiques, certains médicaments de thérapie innovante ainsi que les médicaments dérivés du sang.

Sur proposition de son rapporteur, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui autorise le Gouvernement à fixer par décret la liste des caractéristiques à préciser lors de la prescription transfrontière d'un dispositif médical. Un tel ajout me semble conforme aux objectifs de cet article. La commission a également décidé la création d'un label éthique pour identifier les produits sanguins collectés à partir de dons anonymes et gratuits. Même si je m'interroge sur la portée de cette mesure, je partage le souci de valoriser le don de sang.

Je propose d'adopter conforme ce texte qui a fait l'objet d'un large consensus à l'Assemblée nationale et met la France en conformité avec ses obligations de transposition.

M. Hervé Poher . - Sur certains sujets, notre société refuse de s'adapter aux réalités. Ainsi les chiropracteurs ou les ostéopathes sont agréés, mais ils n'ont pas de statut ni, du coup d'obligation d'assurance - et celle dont il est question ne protège pas entièrement les patients. La famille d'un patient décédé d'un malaise vagal consécutif à une injection intramusculaire réalisée par un médecin sera indemnisée. Mais que le réflexe vagal survienne à la suite d'une manipulation pratiquée par un chiropracteur ou un ostéopathe, et la famille ne sera indemnisée que s'il a commis une faute. C'est une anomalie.

Il n'est pas question de transfert de compétence entre médecins, chiropracteurs et ostéopathes : les domaines d'intervention sont complémentaires. En cas de lumbago, il vaut parfois mieux aller chez le chiropracteur que de prendre des anti-inflammatoires pendant six jours. Réglons ce problème. Cela ne coûtera pas plus cher à la sécurité sociale qui craint une hausse des demandes de remboursements Il ne faut pas hésiter sur ce point à faire violence à la sécurité sociale, au Gouvernement et au corps médical, très conservateur et imbus de sa science.

Je regrette la suppression de l'article 4. Hier soir, tandis que nous discutions de la vente de lunettes et de médicaments sur internet, un reportage sur une chaîne de la TNT montrait que de grande marques fabriquent leurs lunettes en Chine pour 15 euros et les revendent jusqu'à 700 euros en Europe. Il est aussi possible de mesurer l'écart pupillaire par webcam. Il y a certainement des problèmes de prix mais retirer cette mesure d'une loi sur la santé pour l'inscrire dans un texte sur la consommation est symbolique. Et choquant ! Nous mettons le doigt dans l'engrenage et tous les appareils médicaux deviendront bientôt des produits de grande consommation.

La France compte une pléthore d'organismes de contrôle, mais ne désigne pas toujours le plus compétent. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est chargée du contrôle des cosmétiques. Ce n'est pas son métier et elle manque de personnel pour traiter 200 signalements d'effets négatifs de cosmétiques chaque année, alors que 80 000 signalements concernent des médicaments. C'est l'ARS qui autorise les pharmacies à ouvrir un site internet. Est-ce la plus habilitée ? Sans doute pas, car les pharmacies ne peuvent y vendre que des produits non soumis à prescription. L'ordonnance date de 2012 mais seulement 70 sites ont été créés. De plus, autre incohérence, s'il est possible d'ouvrir un site internet, la publicité est interdite. Enfin, en dépit des contrôles, les faussaires seront toujours capables d'imiter les sites légaux. Le seul contrôle, celui de la douane, est aléatoire. La sécurité totale sur internet est impossible.

Mme Annie David, présidente . - Je partage votre avis et sur les lunettes et sur les médicaments.

Mme Isabelle Pasquet . - Ce texte de transposition nous laisse peu de marge. Je partage les doutes qui viennent d'être émis sur la vente en ligne de lunettes et de médicaments. Je suis choquée que ces dispositions figurent dans une loi sur la consommation et non sur la santé. Si l'on juge l'intervention de professionnels de santé essentielle, il faut en tirer les conséquences. La vente en ligne de médicaments non soumis à prescription accentue les risques. En outre, 60 millions de consommateurs a montré que les traitements contre le rhume n'étaient pas anodins : le conseil d'un pharmacien est important. La réflexion mérite d'être approfondie.

M. Gilbert Barbier . - Que signifie le premier alinéa de l'article 1er ? Les ostéopathes et les chiropracteurs ne sont-ils responsables qu'en cas de faute ? Des personnes dans le malheur se trouveront démunies. Il est difficile d'apporter la preuve de la faute : la bataille d'experts reste indécise. Cet article me laisse perplexe. De même, que recouvre la notion de « personnes physiques coupables » à l'article 2 ? Quelle est la responsabilité des personnes morales ?

Je partage l'avis de notre collègue sur les produits cosmétiques. Un étiquetage européen fait défaut. Nous sommes en avance s'agissant du bisphénol A ou des parabènes. Ne faut-il pas renforcer les exigences de présentation ?

Quelle est la portée de la disposition restreignant la vente en ligne de médicaments à ceux hors prescription ? Cette mesure est symbolique puisqu'il est déjà possible d'acheter sur internet des médicaments soumis à prescription. Enfin, la création d'un label éthique sera-t-elle suffisante pour empêcher le commerce de produits dérivés du sang que certains laboratoires pratiquent dans notre pays ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Les chiropracteurs et les ostéopathes réclament un statut. Ils soutiennent la mise en place de ce cadre fondé sur la responsabilité en cas de faute, comme les autres catégories à laquelle ils n'appartiennent pas, en France. Vous appelez à faire violence au corps médical. C'est interdit... Il est d'ailleurs beaucoup plus difficile de violer l'article 40 de la Constitution, sous le coup duquel tomberait un élargissement du champ de l'assurance allant jusqu'à la couverture de l'absence de faute. De plus, une grande majorité sont déjà assurés et la sinistralité est faible. L'assurance est individuelle pour les professionnels de santé ; elle couvre la personne physique pour les actes qu'elle réalise. C'est le cadre approprié. Comme vous je regrette le basculement de l'article 4 vers le projet de loi consommation. Ses dispositions relèvent autant du champ de la santé...

Mme Catherine Procaccia . - La pharmacie, c'est le privé et le social !

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Le contrôle des cosmétiques, de l'aveu même de ceux qui en sont chargés, est difficile. Il faudra revoir ce mécanisme dans la loi sur la santé publique, ainsi, plus généralement, que la lutte contre la contrefaçon. Les bonnes pratiques sont essentielles, mais il faudra durcir la réglementation.

Mme Pasquet a des doutes sur les dispositions encadrant la vente en ligne des médicaments. J'ai rencontré l'ordre des pharmaciens, avec son expert internet. Les faussaires ont toujours un temps d'avance. Ce texte limitera les dérives. L'article 1er est clair, monsieur Barbier. Il est calqué sur les dispositions applicables aux professionnels de santé.

M. Gilbert Barbier . - Et pour les produits de santé ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Le responsable est le producteur.

M. Gilbert Barbier . - Non l'utilisateur ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Non, sauf en cas de mauvaise utilisation.

M. Gilbert Barbier . - Un professionnel de santé a le devoir de s'assurer que le produit qu'il utilise est conforme. Voyez l'affaire des prothèses PIP : certaines plaintes visent les praticiens suspectés de n'avoir pas repéré la mauvaise qualité du produit.

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Avant tout, c'est le producteur qui est responsable. C'est le bon sens. Les tribunaux trancheront. Enfin, une commission à Bruxelles travaille à une harmonisation en matière d'étiquetage pour aboutir à un consensus.

Mme Annie David, présidente . - Ce texte, parfois compliqué, clarifie quelques situations. On peut s'opposer à la vente en ligne de médicaments ou de lentilles mais il est un fait qu'elle se pratique déjà. La loi de la jungle prévaut et ce projet, sans doute imparfait, s'efforce de mettre de l'ordre. Je partage vos doutes, mais la sécurité des acheteurs sera renforcée. Il faut distinguer les patients qui ont besoin de soins, consultent un médecin ou un ophtalmologue, des consommateurs, qui achètent des lunettes en ligne. J'ai dit hier mon regret de l'insertion de cette disposition dans le texte sur la consommation et non dans celui sur la santé. D'ailleurs les sénateurs qui se sont exprimés sur l'article 17 quater étaient membres de notre commission. En tout état de cause, notre rapporteur n'y est pour rien.

Mme Françoise Boog . - Vu les interrogations et le contenu imparfait de ce projet, l'UMP s'abstiendra.

Mme Muguette Dini . - Je regrette le retard de transposition. C'est une mauvaise habitude. Pour l'heure, nous nous abstiendrons.

M. Gérard Roche . - Nous adaptons notre législation à la législation européenne. Nous aurions aimé que l'Europe examine au préalable notre législation.

La commission adopte le projet de loi sans modification.

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