C. REDONNER UNE AMBITION FORESTIÈRE À LA FRANCE.

1. Un potentiel remarquable pour une ressource multifonctionnelle

Troisième forêt d'Europe, la forêt française se porte bien , quantitativement. Sa surface a en effet doublé depuis 1850 et couvre aujourd'hui environ 15 millions d'hectares, soit plus du quart de notre territoire. Elle s'accroît d'environ 40 000 hectares par an : ainsi, chaque année, notre forêt produit 100 millions de m 3 de biomasse bois, dont seulement 60% sont récoltés.

Elle représente un potentiel formidable , de par sa multifonctionnalité , qui s'appuie sur chacun des trois piliers du développement durable :

- un potentiel économique , bien sûr. Construction, énergie, papier, chimie ... la forêt fournit une matière première valorisée dans de nombreux secteurs industriels. La filière forêt-bois représente ainsi un chiffre d'affaire annuel de 60 milliards d'euros et emploie 425 000 personnes, allant de l'abattage et du sciage jusqu'à la mise en oeuvre du matériau bois dans le bâtiment ;

- un potentiel environnemental , également. La forêt française séquestre chaque année 80 millions de tonnes de CO 2 net, soit l'équivalent annuel de réduction des émissions de la France au titre de Kyoto 8 ( * ) . Elle constitue à ce titre une réponse directement et aisément mobilisable pour lutter contre le réchauffement climatique. La forêt est également un lieu de développement privilégié de la biodiversité ; elle abrite par exemple 40% des zones Natura 2000 ;

- un potentiel social , enfin. Offrant un environnement entièrement naturel accessible sur l'ensemble du territoire, la forêt constitue un cadre de vie ou de loisirs apprécié, à divers titres, par l'immense majorité de nos concitoyens. Elle accueille ainsi plus de 500 millions de visites chaque année.

2. Une valorisation en-deçà des possibilités offertes

Si le potentiel de la forêt française est exceptionnel, l'usage qui en est fait reste encore en-deçà de ce qu'il pourrait être. Cette situation tient à plusieurs facteurs d'ordre structurel.

Détenue aux trois-quarts par les particuliers, la forêt française est atomisée en une myriade de petits propriétaires , dont les parcelles s'enchevêtrent. Parmi ces 3,8 millions de propriétaires, seuls 200 000 en effet possèdent plus de 10 hectares. A l'inverse, 2,36 millions possèdent moins d'un hectare. Or, cette dissémination pose problème pour ce qui est de la bonne gestion de la forêt, mais également de la mobilisation de la ressource bois.

Gérées par l'Office national des forêts (ONF) conformément au régime forestier, la forêt publique représente un quart de la forêt française. Plus de 11 500 collectivités sont propriétaires de 2,9 millions d'hectares, soit 15% de la forêt. L'État possède 1,8 millions d'hectares de forêts domaniales, soit 10% de la forêt. Cette forêt publique représente certes un atout pour les collectivités, mais également une charge en termes d'entretien et d'administration , qui justifient une attitude mesurée quant à son agrandissement.

Qu'elles soient publiques ou privées, toutes les forêts au-dessus de 10 à 25 hectares doivent présenter un document de gestion approuvé par l'État : document d'aménagement et règlement type de gestion pour les forêts publiques ; plan simple de gestion, règlement type de gestion et code de bonnes pratiques sylvicoles pour les privées.

Il y a là un vrai imbroglio administratif , qui s'est stratifié dans la loi et les règlements au cours du temps. Surtout si l'on y ajoute les innombrables documents stratégiques : orientations régionales forestières, schémas régionaux de gestion sylvicole, stratégies locales de développement forestier, chartes forestières de territoire, plans de développement de massif, programmes régionaux de la forêt et du bois ... Ce « trop plein » d'administration nuit à la lisibilité et à l'acceptabilité du dispositif d'encadrement des forêts, que ce soit par les élus comme par les particuliers et les professionnels.

La majeure partie de la forêt française a pour vocation de produire du bois d'oeuvre de qualité, dans le cadre d'une gestion durable, c'est-à-dire soucieuse de la conservation de la diversité biologique et du maintien des potentialités des sols. Or, la valorisation des potentialités de la filière est aujourd'hui en souffrance , car le renouvellement par plantation ou régénération naturelle des peuplements est insuffisant pour répondre aux défis écologiques et économiques des 50 prochaines années.

Par ailleurs, une compétition pour les usages du bois tend à naître, avec une montée en puissance des utilisations énergétiques , devenues plus rentables pour les producteurs que les usages plus traditionnels. Il y a là, d'ailleurs, quelque chose d'incongru qu'il ne faudrait pas encourager outre-mesure : la combustion du bois devrait en constituer l'ultime usage, après l'utilisation du bois massif, puis du bois déchiqueté ou reconstitué.

Sur un autre plan, la balance commerciale « bois » de notre pays est aujourd'hui largement déficitaire , de près de 7 milliards d'euros. Seuls les postes « bois brut » et « emballage bois » enregistrent un solde positif des échanges extérieurs, pour une valeur marginale toutefois au regard de l'ensemble du marché.

Ainsi, notre pays, qui possède la plus grande forêt de bois feuillu d'Europe, en produit des quantités importantes que nous peinons à valoriser, en France comme en Europe. Cela fait dire que nous exportons des feuillus vers la Chine, principalement, qui nous reviennent transformés. À contrario , nous manquons de résineux pour la construction et devons en importer. Si bien qu'un usage croissant de bois dans la construction aggraverait notre déficit commercial.

3. La nécessité d'accroître l'investissement à long terme

Pour pouvoir tirer pleinement profit de notre forêt, il faudrait que nous y investissions davantage. En amont , la gestion de la forêt et l'offre de bois se conçoit dans le long terme : toute insuffisance ou tout recul aujourd'hui aura nécessairement des répercussions négatives d'ici quelques décennies. Il faut donc encourager dès à présent les travaux de plantation, d'entretien et d'exploitation du bois qui sont indispensables pour conserver et développer une forêt durable et multifonctionnelle.

Pour assurer ce renouvellement et augmenter nos récoltes, il faudrait également une véritable politique industrielle de filière sur les feuillus , afin de trouver de nouveaux débouchés au bois, que ce soit dans la construction, le mobilier, la chimie ... Cela implique de lancer une stratégie délibérée d'investissement dans la filière aval, qui soit à même de soutenir les prix de la matière première, de redonner de la valeur ajoutée tout au long de la filière et in fine d'inverser la tendance déficitaire de notre balance extérieure.

Enfin, et cela constitue un aspect fondamental d'une politique forestière d'avenir, il nous faut absolument investir de façon massive sur l'enseignement, la recherche et l'innovation dans la filière bois. En effet, nous n'avons plus ni les hommes convenablement formés, ni les connaissances techniques adéquates, ni les centres techniques qualifiés et organismes de recherche appliquée au bois nécessaires.

Nous avons été trop timorés à cet égard : les compétences se sont progressivement perdues, à tel point qu'il nous faut aujourd'hui aller les chercher à l'étranger ! Cette évolution n'est pas inéluctable, à condition que l'on forme dès aujourd'hui les ingénieurs et les techniciens pour affronter avec succès les enjeux de demain.


* 8 Pour la première période d'engagement 2008-2012.

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