B. UNE SITUATION AGGRAVÉE PAR LES LOIS DE LUTTE CONTRE LA RÉCIDIVE ADOPTÉES ENTRE 2005 ET 2012

La notion juridique de récidive légale est une notion complexe, souvent éloignée de la compréhension habituelle qu'en ont nos concitoyens.

Conformément aux articles 132-8 et suivants du code pénal, l'état de récidive légale constitue une circonstance aggravante générale des infractions pénales, qui se traduit en général par le doublement des peines encourues lorsque la personne, déjà condamnée définitivement pour une première infraction, commet dans un certain délai une nouvelle infraction dans des conditions définies par la loi (voir encadré).

Tableau des cas de récidive applicables aux personnes physiques

Nature de la première infraction (« premier terme »)

Nature de la nouvelle infraction (« deuxième terme »)

Délai de commission de la nouvelle infraction 17 ( * )

Aggravation de la peine encourue

Crime ou délit puni de 10 ans d'emprisonnement

Crime passible de 20 ans ou 30 ans de réclusion

Pas de délai

Réclusion à perpétuité

Crime passible de 15 ans de réclusion

30 ans de réclusion

Délit passible de 10 ans d'emprisonnement

10 ans

Doublement de l'emprisonnement et de l'amende encourue

Délit puni d'un emprisonnement inférieur à 10 ans

Délit passible d'un emprisonnement inférieur à 10 ans et supérieur à un an

5 ans

Délit identique ou assimilé

5 ans

Contravention de la cinquième classe

Délit réprimant les mêmes faits, si la loi le prévoit

3 ans

Peines délictuelles

Contravention identique si le règlement prévoit la récidive

Un an

Amende portée à 3 000 euros

Source : « Droit pénal général », Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, 15 ème édition, Economica.

Au cours des dernières années, le législateur a souhaité renforcer la sévérité du traitement réservé aux auteurs d'infractions commises en état de récidive légale et a adopté plusieurs dispositifs visant à encadrer plus strictement la liberté d'appréciation des juges.

1. Une sévérité accrue du traitement réservé aux récidivistes

De la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales à celle du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines, plusieurs lois destinées à mieux lutter contre la récidive ont significativement limité la liberté du juge dans la détermination de la procédure et de la peine applicable.

a) L'emprisonnement comme peine de principe

Ainsi, à rebours du principe selon lequel l'emprisonnement devrait demeurer exceptionnel, le législateur a souhaité faire de la prison la sanction de principe pour les auteurs d'infractions commises en état de récidive légale :

- en supprimant l'obligation de motivation des jugements de condamnation à une peine d'emprisonnement (article 132-19 du code pénal) ;

- en posant le principe de « peines planchers » , ou « peines minimales », par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui oblige le juge, dès lors que la personne a commis une infraction en état de récidive légale, à prononcer un quantum minimal (un an si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement, deux ans s'il est puni de cinq ans d'emprisonnement, etc.), à moins de motiver spécialement sa décision (articles 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal).

Le Conseil constitutionnel a jugé cette loi conforme au principe constitutionnel d'individualisation des peines, compte-tenu de la possibilité laissée au juge, non seulement de déroger à la peine minimale, par décision spécialement motivée, au regard de la personnalité de l'auteur et de ses perspectives de réinsertion, mais également d'ordonner l'exécution de cet emprisonnement sous le régime du sursis avec mise à l'épreuve (SME) 18 ( * ) ;

- en limitant la possibilité de prononcer plusieurs sursis avec mise à l'épreuve (SME) en cas de condamnation pour des délits commis en état de récidive légale (article 132-41 du code pénal) ;

- enfin, en autorisant le juge à décerner un mandat de dépôt à l'audience, même si la peine prononcée est inférieure à un an, et en l'obligeant à le faire, sauf décision spécialement motivée, si les faits concernent des délits violents ou de nature sexuelle (article 465-1 du code de procédure pénale).

b) Un accès plus limité aux aménagements de peine

Les conditions d'exécution des peines d'emprisonnement concernant les personnes condamnées en état de récidive légale ont par ailleurs été rendues plus sévères :

- la loi du 12 décembre 2005 précitée a diminué les crédits de réduction de peine applicables aux récidivistes (article 721 du code de procédure pénale) ;

- la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a porté à deux ans d'emprisonnement le seuil des peines ou des reliquats de peine permettant de bénéficier d'un aménagement de peine, mais a conservé le seuil d'un an d'emprisonnement pour les récidivistes .

c) Une surveillance après la peine renforcée

Enfin, à plusieurs reprises, le législateur a élargi le champ des mesures de surveillance susceptibles d'être imposées aux personnes condamnées en état de récidive légale à l'issue de leur peine :

- la loi du 12 décembre 2005 précitée a ainsi allongé le temps d'épreuve de la libération conditionnelle ;

- la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (« LOPPSI ») a abaissé de sept ans à cinq ans le seuil permettant un placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou d'une mesure de surveillance judiciaire pour les personnes condamnées en état de double récidive légale.

d) Un alignement du droit des mineurs sur celui des majeurs

Enfin, le législateur a souhaité aggraver le traitement des infractions commises en état de récidive légale par des mineurs :

- d'une part en élargissant, par la loi du 10 août 2007 précitée, les conditions dans lesquelles la juridiction pour mineurs peut décider d'écarter l'excuse de minorité (article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945) ;

- d'autre part en créant, par la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, une nouvelle juridiction - le tribunal correctionnel pour mineurs - chargé spécialement de juger les mineurs âgés de plus de seize ans pour des délits commis en état de récidive légale (article 24-1 de l'ordonnance du 2 février 1945).

2. Une logique d'aggravation pas toujours adaptée aux caractéristiques de la délinquance

Partant de l'idée qu'il convient de réserver aux personnes qui persistent dans la délinquance un traitement plus sévère qu'aux personnes qui n'ont encore jamais été condamnées, selon une logique de gradation de la réponse judiciaire , ces dispositifs n'en sont pas moins jugés inadaptés aux caractéristiques concrètes de la délinquance.

a) Les contours fluctuants de la notion de récidive

La notion de récidive doit d'abord être maniée avec précaution. Répondant à des critères légaux très stricts (voir supra ), elle se distingue des notions de « concours d'infractions » 19 ( * ) ou de « réitération d'infractions » 20 ( * ) (article 132-16-7 du code pénal) et ne permet qu'imparfaitement d'appréhender les idées de délinquance d'habitude et de dangerosité de la personne qui sont généralement visées à travers l'utilisation du terme de « récidive » dans le langage courant.

A l'inverse, la notion de récidive légale permet de viser des cas qui ne révèlent pas nécessairement un ancrage dans la délinquance : par exemple, si une personne, condamnée pour trafic de stupéfiants, cause quatre ans plus tard un accident mortel de la circulation, elle sera considérée comme récidiviste aux yeux de la loi 21 ( * ) .

Par ailleurs, si le taux de condamnations prononcées en état de récidive légale a significativement augmenté au cours de ces dernières années (il est passé de 5,8 % en 2003 à 11,9 % en 2012) 22 ( * ) , cette évolution n'est sans doute imputable que pour partie à l'évolution de la délinquance : l'augmentation du taux de réponse pénale, l'élargissement du champ des infractions considérées comme assimilées au regard des critères de la récidive légale 23 ( * ) , la tendance des juridictions à relever plus systématiquement l'état de récidive légale, notamment à la suite de l'entrée en vigueur de la loi du 10 août 2007 sur les « peines planchers » ont sans aucun doute contribué à l'accroissement de ce taux.

b) Une pertinence relative sur le plan criminologique

Par ailleurs, les différentes études conduites à partir d'une analyse des condamnations inscrites au casier judiciaire invitent à porter sur le phénomène de la récidive - même entendue dans son acception large, au sens de « recondamnation » - un regard prudent et nuancé.

La nature de l'infraction, l'âge de la personne, son passé pénal, sa situation familiale et professionnelle, la présence éventuelle de difficultés psychologiques ou psychiatriques, les conduites addictives, etc. sont autant de facteurs qui agissent sur le « risque » de récidive.

Une étude publiée en avril 2014 montre ainsi que 43 % des personnes condamnées pour une infraction routière ont récidivé, et sept fois sur dix pour le même type d'infractions ; à l'inverse, certains contentieux, comme les atteintes aux moeurs, le travail illégal, l'abandon de famille ou les atteintes d'ordre économique et financier, présentent des taux de récidive faibles.

Par ailleurs, plus le condamné est jeune au moment des faits, plus son risque de récidiver dans les huit ans qui suivent sa condamnation est élevé. De nombreux travaux ont ainsi montré que la délinquance présentait un pic marqué vers vingt ans avant de décroître par la suite 24 ( * ) .

Les facteurs de sortie de la délinquance - également appelée « désistance » - sont multiples et ne dépendent que très indirectement de la crainte d'une sévérité accrue de la justice.

Comme l'ont montré les travaux de la conférence de consensus, le poids des anticipations que les sortants de prison forment à propos de leur avenir et de la stigmatisation dont ils risquent de faire l'objet en tant qu'anciens détenus joue un rôle important. A partir d'entretiens réalisés en maison d'arrêt et auprès d'anciens détenus, M. Gilles Chantraine, sociologue, a par exemple montré que le travail « n'est que très rarement envisagé comme un possible, conçu alors comme l'ultime étape d'un parcours du combattant dont la temporalité est jugée exténuante et incertaine » 25 ( * ) . Inversement, le fait de trouver un emploi stable et d'être en couple et de fonder une famille sont des facteurs déterminants dans la sortie de délinquance.

En tout état de cause, et comme l'ont observé un grand nombre de personnes entendues par votre rapporteur, les trajectoires de sortie de la délinquance sont rarement uniformes et la commission d'une nouvelle infraction n'est pas nécessairement le signe d'un ancrage avéré dans la délinquance.

Au regard de ce qui précède, la question de la pertinence du dispositif d'aggravation systématique de la réponse pénale pour les condamnations prononcées en état de récidive légale est fréquemment posée, non seulement parce qu'il ne tient pas compte des facteurs du passage à l'acte, mais également parce qu'il limite considérablement la capacité du juge à adapter la réponse aux circonstances de l'espèce et à la capacité de l'auteur à s'inscrire dans un parcours de réinsertion.


* 17 Calculé à compter de l'expiration ou de la prescription de la peine prononcée pour la première infraction.

* 18 Décision n°2007-554 DC du 9 août 2007.

* 19 Aux termes de l'article 132-2 du code pénal, il y a concours d'infractions « lorsqu'une infraction est commise par une personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction ».

* 20 Aux termes de l'article 132-16-7 du code pénal, il y a réitération d'infractions pénales « lorsqu'une personne a déjà été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale ». Les peines prononcées pour l'infraction commise en réitération se cumulent alors sans limitation du quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente.

* 21 « Droit pénal général », Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, 15 ème édition, Economica, §923 et suivants.

* 22 Source : annuaire statistique de la justice, 2012.

* 23 Les articles 132-16 et suivants du code pénal définissent une série de délits qui peuvent être considérés comme assimilés au sens de la récidive légale. C'est par exemple le cas des délits de violences volontaires avec tout délit commis avec la circonstance aggravante de violences.

* 24 « Une approche statistique de la récidive des personnes condamnées », Rémi Josnin, Infostat Justice, n°127, avril 2014.

* 25 Gilles Chantraine, « Prison, désaffiliations, stigmates. L'engrenage carcéral de l' « inutile au monde » contemporain », Déviance et société vol. 27, n°4, 2003.

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