CHAPITRE II - PROTECTION DES VICTIMES DE LA PROSTITUTION ET CREATION D'UN PARCOURS DE SORTIE DE LA PROSTITUTION

Section 1 - Dispositions relatives à l'accompagnement
des victimes de la prostitution
Article 2 [supprimé] (article 22 bis [nouveau] de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants) - Création d'une instance en charge de l'action à destination des personnes prostituées

Objet : Cet article, supprimé par l'Assemblée nationale, a pour objet de créer une instance dédiée à l'accompagnement des personnes prostituées.

Dans la version initiale de la proposition de loi, le présent article créait une instance chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des personnes victimes de la prostitution et de la traite et d'assurer la mise en oeuvre de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles relatif aux missions de l'État vis-à-vis des personnes « en danger de prostitution ». Il était prévu que cette structure soit intégrée aux conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes.

Le présent article a été supprimé par l'Assemblée nationale, ses dispositions ayant été intégrées à l'article 3 .

Votre commission spéciale a maintenu la suppression de l'article 2.

Article 3 (article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles, articles 42 et 121 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure) - Création d'un parcours de sortie de la prostitution et codification d'une disposition de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure

Objet : Cet article vise à créer un dispositif de protection et d'assistance pour les personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains ainsi qu'un parcours de sortie de la prostitution.

I - Le droit en vigueur

1) L'absence de dispositif structuré d'accompagnement sanitaire et social des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains

Aux termes de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles, « dans chaque département, l'État a pour mission : 1° de rechercher et d'accueillir les personnes en danger de prostitution et de fournir l'assistance dont elles peuvent avoir besoin, notamment en leur procurant un placement dans un des établissements mentionnés à l'article L. 345-1 ; 2° d'exercer toute action médico-sociale en faveur des personnes qui se livrent à la prostitution » .

L'article 42 de la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure a ajouté que « toute personne victime de l'exploitation de la prostitution doit bénéficier d'un système de protection et d'assistance, assuré et coordonné par l'administration en collaboration active avec les divers services d'interventions sociales » 61 ( * ) .

Si des initiatives ont été prises en matière d'accompagnement sanitaire et sociale des personnes prostituées, elles sont jusqu'à présent loin d'avoir toutes été concluantes.

Il en est ainsi des structures susceptibles d'héberger et d'accompagner les personnes prostituées. Des services de prévention et de réinsertion sociale (SPRS) ont été créés par l'une des deux ordonnances du 25 novembre 1960 62 ( * ) adoptées à la suite de la ratification par la France de la Convention du 2 décembre 1949 63 ( * ) . Ces services, destinés à être mis en place dans chaque département, avaient pour mission de « rechercher et d'accueillir les personnes en danger de prostitution et de leur fournir l'assistance dont elles peuvent avoir besoin » ainsi que « d'exercer toute action médico-sociale en faveur des personnes qui se livrent à la prostitution » .

Or, comme le souligne le rapport de Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, très peu de services ont été mis en place en pratique 64 ( * ) . Les rares structures qui continuaient d'exister dans les années 1990 ont été incitées à adopter le statut de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Les personnes prostituées qui ont besoin d'être hébergées le sont donc aujourd'hui dans des structures généralistes .

S'agissant de la protection des personnes victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains, seul le dispositif national d'accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains (Ac.Sé) , créé en 2001 et géré par l'association Accompagnement, lieux d'accueil, carrefour éducatif et social (A.L.C), implantée à Nice, est actuellement actif sur l'ensemble du territoire. Il a pour but d'assurer l'éloignement géographique des personnes et de les orienter vers des solutions d'hébergement sécurisées. 47 centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), pouvant accueillir chacun entre une et trois personnes, sont partenaires d'Ac.Sé. En 2012, 66 personnes ont été prises en charge. Le montant de la subvention allouée en 2014 par l'État pour la gestion du dipsositif Ac.Sé s'élève à 170 000 euros. S'y ajoutent des financements du ministère de la justice et de la ville de Paris.

Plusieurs circulaires ont par ailleurs été publiées depuis les années 1970 afin que soient mises en place dans les départements des structures dédiées à la lutte contre la prostitution et contre le proxénétisme 65 ( * ) . L'objectif était de parvenir à coordonner l'ensemble des acteurs institutionnels et associatifs sur ces questions. En pratique, ces circulaires ont été suivies de très peu d'effets.

2) Les conditions d'une sortie réussie de la prostitution

Tous les témoignages recueillis par votre commission spéciale montrent combien il est difficile de quitter l'activité prostitutionnelle. Ces difficultés sont bien évidemment accentuées pour les personnes victimes du proxénétisme et des réseaux de traite, sur lesquelles pèse de surcroit la crainte de représailles, que ce soit sur elles-mêmes ou sur leur famille.


• La sortie de la prostitution et la construction d'un projet d'insertion sociale et professionnelle ne peuvent s'envisager que si la personne est en situation régulière sur le territoire et dispose, pendant la durée nécessaire, d'un soutien financier .

Lorsqu'elle choisit de déposer plainte ou de témoigner contre son proxénète ou contre le réseau de traite, une personne peut bénéficier, en application de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, d'une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » .

Comme le souligne le rapport de Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy, la délivrance de la carte étant laissée à la discrétion du préfet, peu sont attribuées en pratique. En outre, le fait que la carte de résident, qui doit suivre celle de la carte « vie privée et familiale », ne soit accordée qu'une fois le proxénète ou l'auteur de traite définitivement condamné, ne contribue pas à une stabilisation rapide de la situation administrative des victimes. En outre, les personnes qui n'ont pas pu ou pas voulu déposer plainte ne peuvent pas accéder à un titre de séjour.

S'agissant du soutien financier transitoire , les personnes peuvent bénéficier, soit du revenu de solidarité active (RSA), soit de l'allocation temporaire d'attente (ATA). Certains publics demeurent malgré tout exclus de tout dispositif de soutien : les jeunes de moins de 25 ans ne remplissant pas les conditions pour bénéficier du « RSA jeunes » ; les personnes étrangères qui n'ont pas souhaité porter plainte contre leur réseau ou leur proxénète et qui ne sont pas non plus demandeurs d'asile.


• Une autre difficulté concerne un nombre limité - bien que difficile à définir, l'administration fiscale ne disposant pas de données sur ce point - de personnes : celles qui ont fait le choix de déclarer leurs revenus issus de l'activité prostitutionnelle. L' impôt sur le revenu étant dû avec une année de décalage, les personnes qui arrêtent leur activité prostitutionnelle au cours d'une année « N » doivent malgré tout acquitter l'impôt sur les revenus de l'année « N-1 ». Ce décalage peut créer des difficultés de trésorerie qui risquent de conduire les personnes à reprendre leur activité prostitutionnelle. En application d'une décision ministérielle du 7 septembre 1981, des remises fiscales gracieuses peuvent être accordées à la triple condition que les personnes aient arrêté la prostitution, qu'elles aient retrouvé une activité professionnelle et qu'elles n'aient pas conservé le produit de leur activité antérieure. En pratique, ces trois conditions sont extrêmement difficiles à réunir , ce qui décourage les personnes d'arrêter la prostitution.


• D'autres facteurs de réussite de la sortie de la prostitution tiennent davantage aux conditions de suivi des personnes prostituées. Leur méfiance vis-à-vis des institutions, en particulier lorsqu'elles sont victimes du proxénétisme et de la traite, étant relativement importante, une insertion sociale et professionnelle réussie ne peut s'envisager qu'avec un soutien fort des acteurs associatifs , dont le rôle de relai est essentiel. De l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées par votre commission spéciale, la sortie de la prostitution est un processus long , difficile, fait de doutes et parfois de retours en arrière. L'accompagnement ne peut donc s'envisager que sur le temps long. Il doit en outre s'accompagner d'un soutien psychologique et psychiatrique lorsque la personne en fait la demande.

Sur l'ensemble de ces points, votre commission spéciale a été particulièrement attentive aux mesures mises en oeuvre en Italie dont une présentation lui a été faite lors de l'audition de M. Giusto Schaccitano, adjoint au procureur national anti-mafia 66 ( * ) . Lors de leur mission d'information sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno avaient pu se rendre compte, sur place, au cours d'un déplacement à Rome, de l'efficacité du dispositif.

Le dispositif italien d'aide aux victimes de la traite des êtres humains

« [L'article 18 du décret législatif n° 286-1998 du 25 juillet 1998] instaure un dispositif de prise en charge globale des victimes de la traite, qui permet :

- de reconnaître aux personnes concernées un statut de victime de la traite quand bien même elles ne dénoncent pas leur trafiquant-proxénète ;

- de garantir à ces victimes une protection et un permis de séjour provisoire à titre humanitaire ;

- de les accompagner dans leur parcours d'insertion sociale et professionnelle.

La caractéristique la plus notable de ce dispositif se trouve dans la possibilité d'octroyer un permis de séjour sans qu'il y ait nécessairement dénonciation de l'exploiteur. Il est en effet admis que certaines victimes ne sont pas en mesure de fournir des preuves tangibles sur l'organisation criminelle qui les exploite, que d'autres craignent de dénoncer le réseau par peur des représailles. Cette non-obligation de dénonciation préalable favorise la création d'un climat de confiance, propice à la « reconstruction » de la victime et à une future collaboration judiciaire.

La proposition d'octroi de permis de séjour à titre humanitaire peut être le fait du procureur de la République, des services sociaux des collectivités locales ou des associations d'aide aux victimes agréées. Le permis est accordé pour une durée de six mois, renouvelable un an.

Les personnes bénéficiant de la protection au titre de l'article 18 intègrent également un programme d'assistance et d'intégration sociale géré par une collectivité locale ou une association agréée. Ce programme comprend plusieurs phases, d'une durée plus ou moins longue selon la situation de la victime : la prise de contact, l'identification de ses besoins, sa protection, son insertion professionnelle.

Tout au long de ce programme, la personne bénéficie d'un hébergement : d'abord dans un « centre de fuite » afin de l'éloigner des trafiquants-proxénètes, puis dans un « centre de semi-autonomie », enfin dans un centre non protégé. Selon les interlocuteurs institutionnels et associatifs rencontrés, aucun problème ne se pose s'agissant des capacités d'accueil.

Sur la base d'un bilan de compétences, la collectivité locale ou l'association élabore avec la personne un projet de réinsertion professionnelle, qui comprend l'accès à des formations, à des enseignements, à des stages, etc. Dans le cas où la personne conclut un contrat de travail à l'issue de ce projet, son permis de séjour pour motif humanitaire est transformé en un permis de séjour pour motif de travail. Dans le cas contraire, la personne continue d'être suivie dans le cadre de son programme d'insertion.

Les programmes d'assistance et d'intégration sociale sont financés à hauteur de 70 % par l'État (budget de 8 millions d'euros) et de 30 % par les collectivités locales.

Tous les acteurs s'accordent à dire que cette politique a permis d'obtenir des résultats significatifs : depuis sa mise oeuvre, 11 751 personnes (principalement des femmes) sont parvenues à sortir de la prostitution. En outre, une très grande majorité de victimes décide, une fois en parcours d'insertion, de porter plainte contre leurs trafiquants et/ou proxénètes.

Parallèlement à ce « parcours social », existe un « parcours judiciaire » plus classique, qui suppose la collaboration immédiate de la victime avec les services de police et de la justice à des fins de dénonciation du trafiquant/proxénète.

[...] En 2003, l'Italie s'est dotée d'un second outil juridique pour renforcer sa politique de lutte contre la traite des êtres humains : la loi n° 228-2003 du 11 août 2003 (« Mesures contre la traite des personnes »).

Cette loi concerne toutes les formes de traite, d'esclavage et de servitude ; elle ne limite donc pas à l'exploitation sexuelle. Elle liste les éléments constitutifs de la traite des êtres humains (la violence, l'abus d'autorité, le fait de profiter d'une situation d'infériorité physique ou d'une fragilité psychologique, etc.) et définit l'infraction de traite.

L'une des particularités de cette loi est de prévoir l'obligation de confiscation des profits de la traite des êtres humains. Lors des procès pour traite, le juge peut ainsi décider soit d'attribuer les montants saisis aux victimes, ce qui s'apparente à une forme de dédommagement, soit à l'État via le « fonds pour les mesures de lutte contre la traite », qui sert notamment à abonder le programme de protection et d'assistance sociale mis en place par le décret législatif de 1998. Une « commission de réaffectation des biens » a même été créée pour contrôler l'utilisation de l'argent saisi.

L'article 13 de la loi de 2003 prévoit également la création d'un programme spécialisé d'assistance pour les victimes de la traite, qui leur garantit logement, nourriture et assistance sanitaire, sur une période allant de trois à six mois. »

Source : rapport d'information de Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

1) La proposition de loi initiale

Les dispositions de l'article 3 étaient, dans la version initiale de la proposition de loi, réparties entre trois articles .

L'article 2 créait une instance spéciale chargée de coordonner le parcours de sortie au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. L'article 3 créait ce parcours et l'article 5 visait à faciliter les remises fiscales gracieuses pour les personnes engagées dans ce parcours.

Ces dispositions ont été regroupées au sein du seul article 3 et en grande partie réécrites par la rapporteure de la commission spéciale.

b) Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le I du présent article prévoit de compléter l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles par des dispositions relatives à la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite et à la sortie de la prostitution.

Une instance créée au sein de chaque conseil départemental précité devra organiser et coordonner l'action en faveur de ces personnes.

Les dispositions de l'article 42 de la loi du 18 mars 2003 sont reprises et complétées. Il est précisé que la protection et l'assistance fournies devront être définies avec la personne en fonction d'une évaluation de ses besoins sanitaires, professionnels et sociaux. Elles s'appuieront sur un projet d'insertion sociale et professionnelle , proposé et mis en oeuvre par une association dédiée, dans le but de permettre l'accès à des alternatives à la prostitution.

L'instance mentionnée ci-dessus sera chargée de donner un avis sur l'entrée dans le parcours de sortie de la prostitution et d'assurer son suivi. Elle devra en particulier veiller à ce que l'accès aux droits prévus par le présent article et la sécurité de la personne soient assurés et à ce que celle-ci respecte ses engagements. Il est prévu que l'entrée dans le parcours de sortie soit confirmée par « l'autorité administrative » et que celle-ci intervienne également au moment de son renouvellement. Aucune précision n'est apportée sur la personne qui sera effectivement responsable de ces décisions.

Les droits mentionnés au présent article sont de trois ordres :

- une autorisation provisoire de séjour (APS), créée à l'article 6 de la proposition de loi ;

- une aide financière ; la proposition de loi, telle qu'adoptée en commission spéciale, prévoyait l'octroi de l'ATA ; le Gouvernement craignant un risque de rupture d'égalité entre les différents types de publics susceptibles de bénéficier du parcours de sortie de la prostitution, le renvoi direct à cette aide a été supprimé au profit de la mention plus large d'une « aide financière à l'insertion sociale et professionnelle » ;

- enfin, les personnes entrant dans le parcours de sortie de la prostitution seront susceptibles de bénéficier de remises fiscales gracieuses au titre du 1° de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales 67 ( * ) .

Sont renvoyées à la publication d'un décret en Conseil d'État :

- les conditions d'agrément des associations qui interviendront dans le parcours de sortie ;

- la détermination de sa durée, de ses conditions de renouvellement, des actions qui seront prévues par ce parcours et des conditions de suivi de ces actions.

Par coordination avec les dispositions introduites au I de l'article, le 1° de son II abroge l'article 42 de la loi du 18 mars 2003. Le 2° tire les conséquences de cette suppression pour l'application de la loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie-française et dans les îles Wallis et Futuna.

III. - La position de votre commission spéciale

Votre commission spéciale a adopté un amendement de sa rapporteure et de son président modifiant une grande partie de l'article 3 et réécrivant entièrement l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles.

L'amendement procède tout d'abord à une harmonisation des termes employés dans l'article 3. Il est à chaque fois fait mention des « personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains » . Cette harmonisation permet d'élargir les dispositifs de protection et d'assistance à l'ensemble des personnes victimes de la traite et non aux seules personnes prostituées.

Deux parties sont créées au sein de l'article L. 121-9.

Le I définit les missions générales d'assistance et de protection de l'État auprès des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains. Il reprend en partie, en les actualisant et en les articulant avec celles de l'article 42 de la loi du 18 mars 2003, les dispositions déjà existantes de l'article L. 121-9, notamment celles relatives à la fourniture d'une place d'hébergement.

Le renvoi de l'article 3 aux conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes est supprimé. En premier lieu, ceux-ci n'ayant qu'une existence réglementaire, un tel renvoi était contraire au respect de la hiérarchie des normes. En outre, ces conseils sont d'un dynamisme très variable selon les départements. Plutôt que de renvoyer à des structures déjà existantes, le I de l'article L. 121-9 définit quelles devront être les principales caractéristiques des instances chargées d'assurer le suivi de l'accompagnement des personnes concernées : elles seront présidées par le préfet et composées de quatre collèges de taille équivalente représentant les services de la justice, de l'État, des collectivités territoriales et des associations.

Le II de l'article L. 121-9 comporte les dispositions relatives à ce qui était, dans la proposition de loi initiale, le parcours de sortie de la prostitution.

Aux termes « parcours de sortie de la prostitution » sont substitués ceux de « projet d'insertion sociale et professionnelle ». Ce changement, demandé par plusieurs des interlocuteurs de votre commission spéciale, vise à mieux tenir compte de ce que sera la réalité du suivi des personnes concernées. Il ne s'agit pas de leur imposer un parcours prédéfini, fait d'étapes obligatoires et identiques pour tous, mais de leur proposer, sur le long terme, un projet personnalisé pour une réinsertion durable. Comme cela a été indiqué précédemment, ce projet ne sera pas uniquement ouvert aux personnes prostituées mais également aux victimes du proxénétisme et de la traite. Un tel élargissement correspond aux orientations définies par le plan d'action national de lutte contre la traite.

Il est par ailleurs précisé que c'est le préfet qui autorisera l'entrée dans le projet d'insertion sociale et professionnelle et son renouvellement, et non plus « l'autorité administrative » , notion juridiquement floue. Il prendra sa décision après avis de l'instance de suivi et de l'association engagée dans le parcours de sortie.

Les dispositions relatives aux droits ouverts par le parcours de sortie étant relativement floues, il pouvait être compris que le bénéfice de l'APS, de l'aide financière et des remises fiscales serait automatique. Elles sont réécrites de façon à ce qu'il apparaisse clairement que :

- l'entrée dans le parcours de sortie permet de prétendre au bénéfice de l'APS, les conditions propres à sa délivrance étant par ailleurs définies par l'article L. 316-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'aide financière est versée aux personnes n'ayant accès ni au RSA, ni à l'ATA : l'accès aux dispositifs de droit commun reste la priorité et il n'est en aucun cas question de cumuler différents dispositifs d'aide ;

- les conditions de gêne et d'indigence prévues au 1° de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales sont présumées être satisfaites du fait de l'entrée dans le projet d'insertion sociale et professionnelle ; la décision d'attribuer ou non les remises n'en demeure pas moins une prérogative de l'administration fiscale.

Au moment du renouvellement du projet d'insertion, il est prévu que le préfet tienne compte, non seulement du respect par la personne de ses engagements, mais également des difficultés qu'elle aura pu rencontrer.

Enfin, il est indiqué que l'agrément est ouvert à toutes les associations qui ont pour objet l'aide et l'accompagnement des personnes en difficulté , dès lors qu'elles s'engagent à respecter les conditions d'agrément qui seront définies par décret en Conseil d'État. Cette précision a pour objet de répondre à deux types d'inquiétudes qui ont pu être exprimées devant votre commission spéciale : d'une part la crainte que les associations généralistes d'aide aux personnes en difficulté ne puissent bénéficier de l'agrément ; d'autre part, celle de voir les associations dont les convictions s'éloignent de celles portées par la proposition de loi - en particulier s'agissant de la pénalisation du client - exclues de toute participation au projet d'insertion sociale et professionnelle.

Votre commission spéciale a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 3 bis (nouveau) (article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation) - Publics prioritaires pour l'attribution de logements sociaux

Objet : Cet article additionnel introduit, à l'initiative du président de votre commission et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, vise à reconnaître aux personnes entrées dans le projet d'insertion sociale et professionnelle ainsi qu'aux victimes du proxénétisme ou de la traite des êtres humains le statut de publics prioritaires pour l'accès aux logements sociaux.

Aux termes de l'article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation, bénéficient d'une priorité pour l'attribution de logements sociaux , selon des principes généraux fixés par décret :

- les personnes en situation de handicap ou les familles ayant à leur charge une personne en situation de handicap ;

- les personnes mal logées, défavorisées ou rencontrant des difficultés particulières de logement pour des raisons d'ordre financier ou tenant à leurs conditions d'existence ;

- les personnes hébergées ou logées temporairement dans un établissement ou un logement de transition ;

- les personnes mal logées reprenant une activité après une période de chômage de longue durée ;

- les personnes mariées, vivant maritalement ou liées par un pacte civil de solidarité justifiant de violences au sein du couple ou entre les partenaires, sans que la circonstance que le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité bénéficie d'un contrat de location au titre du logement occupé par le couple puisse y faire obstacle.

Sur proposition de son président et de plusieurs commissaires socialistes, la commission spéciale a adopté un amendement portant article additionnel visant à étendre cette liste aux personnes engagées dans le projet d'insertion sociale et professionnelle ainsi qu'aux victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme.

Votre commission spéciale a adopté l'article 3 bis ainsi rédigé .

Article 4 (article 225-24 du code pénal) - Création d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement des personnes prostituées

Objet : Cet article vise à créer un fonds destiné à contribuer au financement des actions de prévention de la prostitution, d'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées et de sensibilisation de la population aux effets de la prostitution sur la santé.

I - Le droit en vigueur

Les crédits de l'État destinés à la prévention et à la lutte contre la prostitution ainsi qu'à la lutte contre la traite des êtres humains sont regroupés au sein du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du budget de l'État. En 2014, ils se sont élevés à 2,4 millions d'euros.

L'essentiel des crédits est alloué aux services déconcentrés de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour soutenir les actions engagées par les associations. 345 000 euros sont distribués au niveau national à quatre associations pilotes : ALC-Nice, en charge du dispositif Ac.Sé, l'amicale du Nid, le comité contre l'esclavage moderne, le mouvement du Nid.

Ces crédits, s'ils ont connu une augmentation substantielle en 2014, apparaissent insuffisants pour financer des actions ambitieuses en faveur des personnes prostituées et victimes de la traite, en particulier dans la perspective de la mise en place du parcours de sortie prévu à l'article 3 de la présente proposition de loi.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Inspiré de l'une des recommandations du rapport de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, le présent article crée, au sein du budget de l'État, un fonds destiné à la prévention de la prostitution ainsi qu'à l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées 68 ( * ) .

Le fonds doit contribuer au financement des actions prévues dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution créé à l'article 3 et soutenir « toute initiative visant à la sensibilisation des populations aux effets de la prostitution sur la santé et à la réduction des risques sanitaires, à la prévention de l'entrée dans la prostitution et à l'insertion des personnes prostituées » .

Trois types de ressources viendraient alimenter le fonds :

- des crédits de l'État adoptés en loi de finances ;

- des recettes provenant de la confiscation des biens ayant servi à commettre l'infraction de proxénétisme ainsi que des produits issus de cette infraction ;

- un montant, défini chaque année par arrêté ministériel, prélevé sur le produit des amendes acquittées par les personnes ayant eu recours à la prostitution.

Au regard des informations fournies par le ministère des droits des femmes à l'Assemblée nationale, le montant total des dépenses du fonds pourrait s'élever à un peu plus 20 millions d'euros par an. 13 millions d'euros seraient destinés aux mesures d'accompagnement mises en oeuvre auprès des personnes prostituées - le ministère des droits des femmes fait l'hypothèse qu'un quart d'entre elles en bénéficieraient dans les trois prochaines années. 7,5 millions d'euros contribueraient aux autres actions de sensibilisation, de prévention et de réduction des risques sanitaires.

III - La position de votre commission spéciale

Votre commission spéciale ne peut que saluer le souci dont témoigne le présent article d'affecter à la mise en oeuvre d'actions de prévention et d'accompagnement des personnes prostituées un niveau de ressources suffisant. Une telle mesure constitue le pendant indispensable au dispositif créé à l'article 3 de la proposition de loi. Deux points lui semblent malgré tout devoir faire l'objet d'une attention particulière.

Sa première préoccupation porte sur le niveau des recettes qui seront allouées au fonds. Comme cela a été indiqué précédemment, les crédits de l'État dédiés à l'accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées sont largement insuffisants. Or il est prévu de les abonder par des recettes dont l'évolution risque de s'avérer particulièrement erratique.

Dans son rapport annuel pour l'année 2012, l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) évalue à 9 millions d'euros les montants saisis pour proxénétisme. Cette somme correspond à 534 condamnations. En 2013, l'Agrasc dénombrait 722 condamnations pour proxénétisme, sans pour autant indiquer les montants ayant pu être prélevés. Or il est fort probable que ceux-ci connaissent des évolutions difficilement prévisibles d'une année sur l'autre, même si la création de l'Agrasc en 2010 a permis d'améliorer substantiellement les conditions de valorisation et de revente de ce type de biens 69 ( * ) . L'exemple du fonds de concours de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (Mildt), alimenté par le produit de la vente des biens saisis aux trafiquants de drogue, permet d'avoir un aperçu des difficultés auxquelles pourrait être confronté le fonds créé par le présent article. Comme le souligne notre collègue Laurence Cohen dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2014, ce fonds de concours « n'est pas une ressource pérenne mais au contraire aléatoire. Son évolution est imprévisible, puisqu'elle repose uniquement sur les affaires de trafic de stupéfiants résolues par la police, la gendarmerie et la douane et l'aboutissement des procédures judiciaires » 70 ( * ) . Les prévisions de recettes effectuées chaque année par le Gouvernement au moment de l'examen de la loi de finances n'ont dès lors qu'une fiabilité limitée. Une telle situation est problématique dans la mesure où les besoins de financement des opérateurs de la Mildt, loin de diminuer, tendent plutôt à augmenter de façon continue. Il est fort probable qu'il en soit de même s'agissant du fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées.

S'agissant du produit des amendes prélevées sur les clients de personnes prostituées, il reste difficile à évaluer a priori . En outre, votre rapporteure relève qu'on ne peut qu'espérer qu'il soit amené à diminuer dans les années à venir si la proposition de loi produit les effets attendus en termes de dissuasion et de responsabilisation des clients. En tout état de cause, la commission spéciale ayant supprimé l'article créant l'infraction de recours à la prostitution, elle a adopté un amendement de conséquence supprimant cette recette.

Afin malgré tout d'accroître la taille du fonds, votre commission spéciale a adopté, sur proposition de sa rapporteure et de son président, deux amendements visant, d'une part à assurer le versement de l'ensemble des recettes prélevées sur les proxénètes, d'autre part à introduire une nouvelle ressource constituée des biens et produits prélevés sur les personnes reconnues coupables de l'infraction de traite des êtres humains . Ce dernier ajout est pleinement cohérent avec l'extension du projet d'insertion sociale et professionnelle à l'ensemble des victimes de la traite.

L'autre point de préoccupation de votre commission spéciale porte sur la nature du fonds créé à l'article 4. Sur bien des points, le dispositif s'inspire du fonds de concours créé en matière de lutte contre les drogues et les toxicomanies 71 ( * ) . Il ne s'agira cependant pas d'un simple fonds de concours dans la mesure où le fonds doit également être alimenté par des crédits du budget de l'État. Or l'article 17 de la loi organique relative aux lois de finances dispose qu'un fonds de concours est constitué de recettes à caractère non fiscal versées par des personnes morales ou physiques pour concourir à des dépenses d'intérêt public 72 ( * ) . Les fonds de concours ont donc vocation à venir alimenter le budget général et non l'inverse.

Il est donc probable que l'intention de l'Assemblée nationale ait été de créer une structure propre, dotée le cas échéant de la personnalité morale. Se pose dès lors la question de la gouvernance et du positionnement d'une telle structure, notamment du ministère auquel elle pourrait être rattachée. Compte tenu du caractère interministériel des actions qui devront être menées, il paraîtrait logique qu'elle soit directement placée auprès du Premier ministre, comme cela est le cas pour la Mildt.

Votre commission spéciale a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 5 [supprimé] - Remises fiscales gracieuses pour les personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution

Objet : Cet article, supprimé par l'Assemblée nationale, visait à ouvrir aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution le bénéfice de remises fiscales gracieuses.

Dans la version initiale de la proposition de loi, le présent article prévoyait que les personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution soient considérées comme indigentes de façon à bénéficier du 1° de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, qui autorise l'administration fiscale à accorder des remises à titre gracieux.

Il a été supprimé par l'Assemblée nationale, ses dispositions ayant été intégrées à l'article 3.

Votre commission spéciale a maintenu la suppression de l'article 5.

Article 6 (articles L. 316-1 et L. 316-1-1 [nouveau] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) - Admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme

Objet : L'article 6 modifie le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de faciliter l'obtention d'un titre de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme.

I - Le droit en vigueur

L'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) prévoit la possibilité de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou qui témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. Cette délivrance n'est pas subordonnée à la production d'un visa pour un séjour de plus de trois mois et elle ouvre le droit à l'exercice d'une activité professionnelle. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, l'article L. 316-1 prévoit qu'une carte de résident peut être délivrée à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné.

L'article R. 316-3 du même code précise que la carte de séjour est délivrée pour une durée minimale de six mois . Elle est renouvelable pendant toute la durée de la procédure pénale concernée, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites.

La carte de séjour peut être retirée si son titulaire a renoué avec les auteurs des infractions, si le dépôt de plainte ou le témoignage de l'étranger est mensonger ou non fondé ou si la présence de son titulaire constitue une menace pour l'ordre public (article R. 316-4). Les titulaires de la carte de séjour temporaire peuvent bénéficier, en application des articles R. 316-6 à R. 316-10, de l'ouverture des droits à une protection sociale, de l'allocation temporaire d'attente, d'un accompagnement social destiné à les aider à accéder aux droits sociaux et à retrouver leur autonomie ainsi que, en cas de danger, à une protection policière pendant la durée de la procédure pénale. Ils bénéficient également de l'accès aux dispositifs d'accueil, d'hébergement, de logement temporaire et de veille sociale pour les personnes défavorisées mentionnés au 8° du I de l'article L. 312-1 et à l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles, ainsi qu'aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 345-1 du même code.

II - La proposition de loi initiale

Le 1° de l'article complète le premier alinéa de l'article L. 316-1 du CESEDA en précisant que « la carte de séjour temporaire est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ».

Si l'article R. 316-3 en vigueur comprenait déjà une disposition similaire dans la partie réglementaire, la rédaction proposée par l'article 6 diffère de cette disposition en substituant les mots « est renouvelée » aux mots « est renouvelable ». Le renouvellement de la carte de séjour temporaire devient par conséquent de plein droit à partir du moment où les conditions de délivrance sont remplies, l'autorité préfectorale étant désormais dans une situation de compétence liée, et non plus discrétionnaire .

Par ailleurs, le 2° du présent article tend à créer un nouvel article L. 316-1-1 prévoyant qu'une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois peut être délivrée à l'étranger victime des mêmes infractions qui est pris en charge par une association agréée ayant pour objet statutaire l'aide et l'accompagnement des personnes soumises à la prostitution .

En considérant que le droit au séjour constitue le fondement de l'accès à la plupart des droits sociaux, cette disposition peut se prévaloir de la directive européenne du 5 avril 2011 73 ( * ) , qui prévoit que « les États-membres prennent les mesures nécessaires pour que l'octroi d'une assistance et d'une aide à la victime ne soit pas subordonné à sa volonté de coopérer dans le cadre de l'enquête, des poursuites ou du procès pénaux ». L'article 18, paragraphe 4, de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011, comporte des dispositions similaires.

Cette admission au séjour serait subordonnée à l'absence de menace à l'ordre public. Comme dans le cas de l'article 361-1 du CESEDA, la production d'un visa pour une durée de séjour supérieure à trois mois ne serait pas exigée et l'étranger admis au séjour pourrait exercer une activité professionnelle.

III - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Outre des amendements rédactionnels et de coordination, la commission spéciale de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de Mme Sylvie Tolmont modifiant le deuxième alinéa du nouvel article L. 316-1-1 pour substituer à la phrase « est prise en charge par une association agréée par arrêté du préfet du département et, à Paris du préfet de police, pour l'accompagnement des personnes soumises à la prostitution » par la phrase « est engagé dans le parcours de sortie de la prostitution mentionné à l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles » . Il s'agit, en s'inspirant du parcours social créé en Italie pour les prostituées par une loi de 1998, de créer un droit au séjour pour les personnes engagées dans le parcours de sortie instauré par l'article 3 de la présente proposition de loi.

La commission spéciale a également adopté un amendement de sa rapporteure précisant que l'autorisation provisoire de séjour délivrée en application du nouvel article L. 316?1?1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution .

IV - La position de votre commission spéciale

Votre commission a estimé, après l'audition des principales associations de soutien aux personnes prostituées, que la condition de sortie de la prostitution était trop restrictive. En effet, la sortie de la prostitution est souvent difficile, longue et progressive. Des reprises temporaires de cette activité sont toujours possibles avant un arrêt définitif. En outre, le renouvellement du titre de séjour restera subordonné au respect des obligations du parcours de sortie, ce qui constituera un cadre suffisamment contraignant. Votre commission a donc adopté un amendement présenté conjointement par sa rapporteure et son président supprimant cette condition de sortie de la prostitution.

En outre, votre commission spéciale a adopté quatre amendements présentés par son président et plusieurs commissaires socialistes ayant pour objet de :

- modifier l'article L. 316-1 du CESEDA afin de prévoir que le préfet aura compétence liée pour la délivrance du titre de séjour octroyé aux victimes de la traite ou du proxénétisme qui dénoncent les auteurs de ces infraction, dès lors que les conditions fixées par la loi sont remplies ;

- modifier le nouvel article L. 316-1-1 créé par le présent article afin de prévoir que le préfet aura également compétence liée pour la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour octroyée aux victimes de la traite ou du proxénétisme engagées dans le projet d'insertion sociale et professionnelle ;

- prévoir que cette autorisation provisoire aura une durée d'un an et non de six mois ;

- préciser que son renouvellement sera automatique dès lors que les conditions de délivrance resteront remplies.

Toutes ces nouvelles dispositions auront ainsi pour effet de faciliter l'obtention d'un titre de séjour par les personnes prostituées , ces titres n'étant actuellement que très rarement délivrés par les préfectures aux victimes de la traite ou du proxénétisme qui dénoncent les auteurs de ces infractions.

Votre commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7 (article L. 5423-8 du code du travail) - Extension du bénéfice de l'allocation temporaire d'attente (ATA) aux étrangers titulaires d'une autorisation provisoire de séjour et engagés dans un parcours de sortie de la prostitution

Cet article avait pour objet d'étendre le bénéfice de l'allocation temporaire d'attente (ATA) aux étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme dès lors qu'ils sont engagés dans un parcours de sortie de la prostitution et qu'une autorisation provisoire de séjour leur a été accordée en application du nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA créé par l'article 6.

I - Le droit en vigueur

L'allocation temporaire d'attente est versée sous condition de ressources aux étrangers majeurs demandeurs d'asile, pendant la durée de la procédure d'instruction de leur demande, aux étrangers bénéficiaires de la protection temporaire ou de la protection subsidiaire, aux étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme titulaires d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » au titre de l'article L. 316-1 du CESEDA, aux apatrides, pendant une durée maximale de douze mois, enfin à certaines personnes en attente de réinsertion pendant une durée maximale de douze mois.

En 2013, le montant de l'allocation temporaire d'attente était de 11,20 euros par jour.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article ajoutait, au nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA, une référence au 4° de l'article L. 5423-8 du code du travail, qui fixe la liste des bénéficiaires de l'ATA. Il s'agissait ainsi d'étendre l'octroi de l'ATA aux étrangers victimes de la traite ou du proxénétisme engagés dans un parcours de sortie de la prostitution et titulaires d'une autorisation provisoire de séjour.

Toutefois, en séance publique, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement supprimant cet article.

En effet, l'extension de l'allocation temporaire d'attente ne se serait pas appliquée aux ressortissants français ou d'un autre État membre de l'Espace économique européen, qui ne peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour. Certains d'entre eux ne remplissent pas non plus les conditions exigées pour bénéficier du RSA ou du « RSA jeunes actifs », ayant moins de 25 ans et ne pouvant justifier avoir exercé une activité professionnelle pendant au moins deux ans à temps plein au cours des trois années précédant leur demande. Dès lors, les députés ont considéré que les dispositions du présent article étaient contraires au principe d'égalité et risquaient d'être déclarées contraire à la Constitution .

En revanche, le Gouvernement s'est engagé à créer une aide financière spécifique dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution financé par le fonds prévu à l'article 4. Son niveau et ses modalités seront définis par décret.

Votre commission spéciale a maintenu la suppression de l'article 7.

Article 8 (article L. 851-1 du code de la sécurité sociale) - Extension de l'allocation de logement temporaire aux associations agréées pour l'accompagnement des victimes de la prostitution

Objet : Cet article a pour objet de permettre aux associations agréées pour l'accompagnement des personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution de bénéficier de l'allocation de logement temporaire.

I - Le droit en vigueur

Définie au I de l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale, l'allocation de logement temporaire (ALT 1) est versée à des organismes chargés de loger, à titre transitoire, des personnes défavorisées 74 ( * ) .

Peuvent bénéficier de l'ALT 1 :

- les associations à but non lucratif dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ;

- les centres communaux ou intercommunaux d'action sociale.

- les sociétés de construction dans lesquelles l'État détient la majorité du capital ;

- les groupements d'intérêt public dont l'objet est de contribuer au relogement des familles et des personnes qui éprouvent des difficultés particulières pour accéder et se maintenir dans un logement, en raison notamment de l'inadaptation de leurs ressources ou de leurs conditions d'existence ;

- l'établissement public d'insertion de la défense (EPIDE), pour assurer, pendant la durée de leur formation, l'hébergement des jeunes dont il a la charge.

Une convention est signée entre chaque organisme et l'État qui détermine notamment le montant de l'aide attribuée. Celui-ci est forfaitaire et tient compte du plafond de loyer retenu pour le calcul de l'allocation de logement familiale et des capacités réelles et prévisionnelles d'hébergement de l'organisme.

Ne peuvent être aidées via l'ALT 1 que les personnes qui séjournent de façon régulière sur le territoire français.

L'ALT 1 est cofinancée par l'État et par la caisse nationale d'allocations familiales. En 2012, le montant de la participation de l'État s'élevait à 39,2 millions d'euros pour une dépense totale de 74,3 millions d'euros. 27 662 logements ont été financés cette même année.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a étendu le champ des bénéficiaires de l'ALT 1 aux « associations ayant pour objet l'aide et l'accompagnement des personnes prostituées agréées en application de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles » . Il s'agit par conséquent des associations qui seront habilitées à accompagner des personnes dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution prévu à l'article 3.

Cette disposition est directement issue de la recommandation n° 29 du rapport de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel.

III - La position de votre commission spéciale

Votre commission reconnaît l'intérêt de cette disposition qui permet aux associations qui seront agréées de bénéficier d'une aide supplémentaire pour l'accompagnement des personnes prostituées.

Par définition, seules les associations disposant de capacités d'hébergement ou de logement temporaire seront concernées. Le champ de l'ALT 1 étant déjà relativement large dans la mesure où il s'étend aux associations à but non lucratif dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées, votre commission spéciale craint que cet article, malgré son utilité, ne concerne en pratique qu'un nombre limité de structures. Elle insiste en outre sur la nécessité d'adapter le niveau de l'enveloppe allouée au financement de l'ALT aux modifications introduites par cet article.

À l'initiative de sa rapporteure et de son président, votre commission spéciale a adopté un amendement supprimant la référence aux associations « ayant pour objet l'aide et l'accompagnement des personnes prostituées » , la seule mention des associations « agréées en application de l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles » étant suffisante.

Votre commission spéciale a adopté l'article 8 ainsi modifié.

Article 9 (article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles) - Extension aux victimes du proxénétisme et de la prostitution de l'accueil en centres d'hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes

Objet : Cet article vise à réserver aux personnes victimes du proxénétisme et de la prostitution des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale.

I - Le droit en vigueur

Il existait, au 30 juin 2012, 39 218 places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) 75 ( * ) .

Aux termes de l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles, les places sont ouvertes, en vue de permettre leur accès à l'autonomie sociale :

- aux personnes ou familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion ;

- aux étrangers s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou bénéficiant de la protection subsidiaire.

Depuis la loi pour la sécurité intérieure de 2003 76 ( * ) , des places doivent être réservées à l'accueil des personnes victimes de la traite des êtres humains. Il est précisé que cet accueil doit s'effectuer « dans des conditions sécurisantes » .

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article vise à compléter les dispositions de l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles afin que puissent être accueillies en CHRS, dans des conditions sécurisantes, non seulement les personnes victimes de la traite, mais également celles qui sont victimes du proxénétisme et de la prostitution.

III - La position de votre commission spéciale

Votre commission spéciale ne peut que saluer l'objectif affiché par cet article d'assurer des conditions d'accueil sécurisantes pour les personnes victimes de la prostitution et du proxénétisme. Il apparaît pleinement cohérent avec les autres dispositions relatives à l'accompagnement social prévues par la proposition de loi, notamment à l'article 3. Il s'inscrit en outre dans la continuité du dispositif national d'accueil et de protection des victimes de la traite, Ac.Sé, qui permet d'assurer l'éloignement géographique et le relogement des personnes victimes de réseaux.

Elle estime cependant qu'une telle mesure ne peut trouver toute sa portée qu'à la condition d'un renforcement des capacités d'hébergement en CHRS .

Votre commission spéciale a adopté l'article 9 sans modification.

Article 9 bis (articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13, 222-24 et 222-28 du code pénal) - Aggravation des sanctions à l'encontre des personnes ayant commis des faits de violence à l'encontre de prostituées

Objet : Le présent article, adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de Mme Seybah Dagoma, vise à ajouter les personnes qui se livrent à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, à la liste des personnes vulnérables, ce qui entraîne une aggravation des sanctions en cas de violences, d'agressions sexuelles ou de viols commis à leur encontre.

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Les infractions concernées par cette nouvelle circonstance aggravante d'atteinte à une personne prostituée, visées par les articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13, 222-24 et 222-28 du code pénal, sont les suivantes : tortures ou à des actes de barbarie, violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail, viol, agressions sexuelles autres que le viol.

Les députés ont adopté un sous-amendement du Gouvernement précisant que seules seraient toutefois concernées les violences commises dans l'exercice de l'activité de prostitution, afin d'écarter celles commises sur une prostituée en raison d'un contentieux personnel, sans lien avec son activité de prostitution.

II - La position de votre commission spéciale

Le code pénal comprend de nombreuses circonstances aggravantes pour les infractions commises sur des personnes, notamment, comme dans le cas du présent article, lorsqu'elles sont considérées comme étant particulièrement vulnérables : mineur de quinze ans, personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, ascendants ou descendants ou toute autre personne vivant habituellement au domicile de l'auteur des faits, etc.

À la suite des auditions qu'elle a menées, votre commission spéciale s'est interrogée sur la pertinence de ce nouvel ajout à la liste des circonstances aggravantes. Les personnes considérées par le code pénal comme vulnérables le sont en permanence, et non du fait de leur activité . De nombreuses autres personnes pourraient ainsi être considérées comme vulnérables dans tel ou tel aspect de leur existence, sans qu'il soit concevable de créer une circonstance aggravante pour chacun de ces aspects.

Dès lors, à l'initiative de sa rapporteure et de son président, votre commission spéciale a adopté un amendement supprimant le présent article .

Votre commission spéciale a supprimé l'article 9 bis.

Article 10 (article 706-3 du code de procédure pénale) - Indemnisation des victimes du proxénétisme

Objet : Le présent article vise à étendre aux victimes du proxénétisme le bénéfice du droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans que soit nécessaire la preuve d'une incapacité permanente ou d'une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.

I - Le droit en vigueur

Actuellement, l'article 706-3 du code de procédure pénale prévoit que certaines victimes peuvent obtenir une indemnisation intégrale de leur préjudice auprès de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI). Il s'agit de celles :

- qui présentent une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois ;

- ou qui sont victimes de traite, de réduction en esclavage ou d'infractions sexuelles.

La preuve du dépôt d'une plainte est nécessaire et les victimes doivent être françaises ou, pour des faits commis sur le territoire français, ressortissantes d'un État de l'Union européenne ou en situation régulière.

Ainsi, alors que les victimes de la traite des êtres humains peuvent obtenir réparation de la part de la CIVI sans avoir à prouver une incapacité de travail, ce n'est pas le cas pour les victimes du proxénétisme , qui rencontrent par conséquent des difficultés importantes pour obtenir réparation.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article aligne le régime juridique applicable à l'indemnisation des victimes de proxénétisme sur celui des victimes de la traite. Il permet ainsi aux victimes du proxénétisme d'obtenir réparation intégrale auprès de la CIVI sans avoir à prouver d'incapacité de travail .

Votre commission spéciale a approuvé cette modification dans la mesure où, comme les auditions qu'elle a menées l'ont montré, les personnes qui se prostituent sous l'autorité d'un proxénète encourent souvent les mêmes dommages physiques et psychologiques que les victimes de la traite des êtres humains.

Votre commission spéciale a adopté l'article 10 sans modification .

Article 11 (article 2-22 du code de procédure pénale) - Admission des associations dont l'objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l'action sociale en faveur des personnes prostituées, à exercer les droits reconnus à la partie civile

Objet : Le présent article prévoit que les associations dont l'objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l'action sociale en faveur des personnes prostituées, pourront exercer les droits reconnus à la partie civile.

I - Le droit en vigueur

La loi n° 75-299 du 9 avril 1975 permet aux associations de lutte contre le proxénétisme ou d'aide aux personnes prostituées de se constituer partie civile : « toute association reconnue d'utilité publique ayant pour objet statutaire la lutte contre le proxénétisme et l'action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes se livrant à la prostitution en vue de les aider à y renoncer, peut exercer l'action civile devant toutes les juridictions où cette action est recevable, en ce qui concerne les infractions de proxénétisme prévues par le code pénal ainsi que celles se rattachant directement ou indirectement au proxénétisme, qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu'elle remplit ». Comme on le voit, la possibilité de se constituer partie est soumise à la reconnaissance d'utilité publique de l'association.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le I du présent article proposait de créer un nouvel article 2-21-1 du code de procédure pénale qui reprend les dispositions de la loi du 9 avril 1975 et en étend le champ aux associations reconnues d'utilité publique dont l'objet statutaire est la lutte contre la traite des êtres humains . Il abrogeait par coordination la loi du 9 avril 1975.

Prenant en compte la promulgation de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 qui a introduit un nouvel article 2-22 CPP ouvrant aux associations déclarées depuis au moins 5 ans et dont l'objet statutaire comporte la lutte contre la traite des êtres humains et l'esclavage la possibilité de se porter partie civile 77 ( * ) , la commission spéciale de l'Assemblée a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement modifiant le I du présent article. Celui-ci procède ainsi à la réécriture de l'article 2-22 du code de procédure pénale, afin de réunir au sein de ce dernier article l'ensemble des règles relatives à la possibilité donnée aux associations déclarées depuis au moins 5 ans , dont l'objet est la lutte contre l'esclavage, la traite des êtres humains, le proxénétisme ou l'action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes prostituées, d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions de réduction en esclavage, d'exploitation d'une personne réduite en esclavage, de traite des êtres humains, de proxénétisme, de recours à la prostitution, de travail forcé et de réduction en servitude, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la victime. L'accord de la victime est alors requis.

Par ailleurs, il est prévu que si l'association est reconnue d'utilité publique, son action est recevable y compris sans l'accord de la victime.

III - La position de votre commission spéciale

Le présent article opère une simplification bienvenue. En revanche, la possibilité pour une personne physique ou morale, fût-elle une association reconnue d'utilité publique, de se porter partie civile même en l'absence d'accord de la victime , n'apparaît pas pertinente en l'espèce. Selon les membres de la commission spéciale, une telle intervention sans l'accord de la victime serait susceptible, dans certaines hypothèses, de mettre celle-ci en danger, compte tenu de la violence des réseaux de traite et de proxénétisme.

Votre commission a donc adopté un amendement présenté par sa rapporteure et son président supprimant cette possibilité pour les associations reconnues d'utilité publique de se porter partie civile sans l'accord de la victime.

Elle a également adopté un amendement de sa rapporteure et de son président supprimant de l'objet statutaire des associations pouvant se porter partie civile les termes « personnes en danger de prostitution ». Elle a en effet estimé qu'il était préférable de viser les associations qui doivent intervenir directement auprès des personnes prostituées et non seulement auprès de personnes qui pourraient en venir à se prostituer (du fait d'une situation de précarité économique par exemple).

Votre commission spéciale a adopté l'article 11 ainsi modifié.

Article 12 (article 306 du code de procédure pénale) - Huis clos de droit à la demande de la victime de traite ou de proxénétisme aggravé

Objet : Le présent article a pour objet de rendre le huis clos de droit en cour d'assises ou au tribunal correctionnel, à la demande de la victime ou de l'une des victimes, dans les procès pour traite ou proxénétisme aggravé.

I - Le droit en vigueur

L'article 306 du code de procédure pénale prévoit qu'en matière criminelle, le huis clos n'est de droit qu'à la demande des victimes de viols ou de torture et d'actes de barbarie accompagnées d'agressions sexuelles, et peut être également ordonné si la publicité est « dangereuse pour l'ordre ou les moeurs ». En matière correctionnelle, l'article 400 du même code prévoit que le huis clos peut être ordonné si le tribunal constate « que la publicité est dangereuse pour l'ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d'un tiers ».

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article modifie l'article 306 du code de procédure pénale, afin de rendre le huis clos de droit en cour d'assises ou au tribunal correctionnel, à la demande de la victime ou de l'une des victimes, dans les procès pour traite ou proxénétisme aggravé .

III - La position de notre commission

Votre commission a approuvé cette disposition qui contribuera à garantir la sécurité des victimes de la traite et du proxénétisme lors de l'audience pénale et, par conséquent, les incitera à porter plainte plus fréquemment.

Votre commission spéciale a adopté l'article 12 sans modification .

Section 2 - Dispositions portant transposition de l'article 8 de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil
Article 13 (article 225-10-1 du code pénal) - Abrogation du délit de racolage public

Objet : Le présent article tend à abroger le délit de racolage public.

I - Le droit en vigueur

La loi pour la sécurité intérieure n°2003-239 du 18 mars 2003 n'a pas créé de nouvelle infraction pénale s'agissant du racolage public mais elle a apporté deux modifications au droit en vigueur :

- d'une part, elle a expressément rétabli la pénalisation du racolage dit « passif », supprimé en 1994 ;

- d'autre part, elle a élevé l'infraction au rang de délit, ouvrant ainsi la voie à des poursuites devant le tribunal correctionnel et à l'emprisonnement des intéressés, l'infraction étant désormais punie de deux mois de prison et de 3 750 euros d'amende.

L'intention du législateur était toutefois davantage d'ouvrir aux services de police et de gendarmerie la possibilité d'interpeller et de maintenir sous la contrainte au commissariat une personne prostituée que de renforcer la répression du racolage, le code de procédure pénale n'autorisant le recours à la garde à vue qu'en matière correctionnelle ou criminelle.

Cette possibilité d'interpeller et de placer en garde à vue visait deux objectifs : améliorer l'efficacité de la prévention des troubles à la tranquillité, à l'ordre et à la sécurité publics ; renforcer les moyens de lutte contre les réseaux de proxénétisme en utilisant les temps d'interrogatoire permis par la mesure de garde à vue pour recueillir auprès de la personne interpellée pour racolage des informations sur ses proxénètes.

Selon les forces de l'ordre, entendues par votre rapporteure, le délit de racolage permettrait également d'orienter dans certains cas les personnes prostituées vers une association d'aide et de soutien. Enfin, lorsque les intéressées sont en situation irrégulière, l'interpellation permet de les reconduire dans leur pays d'origine.

Bien que validé par le Conseil constitutionnel avec une réserve d'interprétation 78 ( * ) , le délit de racolage public présente de nombreux défauts, relevés par notre collègue Virginie Klès dans son rapport sur la proposition de loi précitée de Mme Esther Benbassa.

D'abord, son imprécision a suscité une jurisprudence parfois qualifiée d' « impressionniste », en particulier en ce qui concerne la détermination de la composante « passive » du racolage.

Ensuite, les statistiques montrent un recours important à cette infraction en 2004-2006 (4 712 gardes à vue sur ce fondement en 2004), suivi ensuite d'une très forte décrue, le nombre de gardes à vue s'établissant depuis 2009 à environ 1 600 par an.

En outre, seule une minorité de personnes interpellées pour racolage public sont poursuivies et condamnées chaque année par les tribunaux correctionnels. En effet, les instructions données aux parquets par le ministère de la Justice après la promulgation de la loi du 18 mars 2003 ont eu pour but de limiter le nombre de poursuites engagées pour racolage. La circulaire de politique pénale adressée aux parquets le 3 juin 2003 précisait ainsi « que la situation particulière de la personne se livrant à la prostitution et commettant des faits de racolage public, qui est le plus souvent à la fois victime et auteur d'une infraction, justifie une application modérée de la loi pénale ». Une part croissante des procédures engagées se terminent par une procédure alternative aux poursuites, consistant le plus souvent en un simple rappel à la loi. Si ces procédures peuvent être l'occasion d'orienter les personnes prostituées vers une association, peu d'entre elles saisissent en réalité cette opportunité.

S'agissant des condamnations inscrites au casier judiciaire national, on relève que, jusqu'en 2003, la contravention de cinquième classe de racolage actif donnait lieu à 200 à 300 condamnations chaque année sur l'ensemble du territoire national. À partir de la création du délit de racolage en 2003, une forte augmentation des condamnations - atteignant 1 028 en 2005 - a été constatée, avant qu'une décrue ne s'amorce en 2007 : 459 condamnations en 2007, 194 en 2011. La grande majorité des peines consiste en une amende d'un quantum moyen d'un peu moins de 300 euros. On relève enfin chaque année entre 20 et 50 condamnations à des peines d'emprisonnement pour ce délit, la plupart du temps assorties du sursis total.

Quant à la contribution de ce délit à la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme, Virgine Klès indiquait dans son rapport précité qu' « il semble, d'après les témoignages recueillis par votre rapporteur, que seule une minorité des personnes prostituées placées en garde à vue pour racolage soient mises en contact avec des policiers ou des gendarmes chargés d'enquêter sur des réseaux de proxénétisme, la plupart d'entre elles se contentant, au cours de leur audition, d'un récit stéréotypé sur les conditions dans lesquelles elles ont été amenées à exercer leur activité ».

Il apparaît ainsi que, dix ans après l'entrée en vigueur de la loi pour la sécurité intérieure, le délit de racolage a aggravé la situation des personnes prostituées tandis que les objectifs poursuivis par le législateur en 2003 n'ont été que très partiellement atteints :

- les personnes prostituées ont dû s'éloigner des centres-villes et, par conséquent, le plus souvent, des lieux d'accès aux droits et aux soins ;

- la stigmatisation des personnes prostituées s'est accrue ;

- l'expérience de la garde à vue, loin d'être perçue par les perrsonnes prostituées comme un moment où elles peuvent bénéficier d'informations sur leurs droits ou être orientées vers des associations, est souvent vécue comme un événement traumatisant. Les fouilles au corps presque systématiques après déshabillage intégral, le menottage, l'état déplorable des locaux de garde à vue, constituent souvent une expérience douloureuse ;

- le lien entre le délit de racolage et l'efficacité de la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme n'apparaît pas dans les statistiques. Certes, les responsables de la brigade de répression du proxénétisme de la préfecture de police, dans les locaux de laquelle votre rapporteure et plusieurs membres de la commission spéciale ont pu se rendre, ont fait valoir l'intérêt des renseignements recueillis dans ce cadre, un quart à un tiers des 50 à 65 procédures closes chaque année avec succès à Paris en matière de proxénétisme ayant pour point de départ des informations recueillies lors d'une garde à vue pour racolage. Toutefois, comme l'indiquait notre collègue Virgine Klès dans son rapport précité, « les statistiques agrégées au niveau national ne permettent pas de mettre en évidence un lien entre la création du délit de racolage en 2003 et une augmentation du nombre de condamnations pour proxénétisme ». Ainsi, les données du casier judiciaire national enregistrent de façon relativement stable environ 600 à 800 condamnations pour proxénétisme aggravé par an depuis 2003, sans lien avec l'évolution du nombre de gardes à vue décidées pour racolage.

Enfin, du seul point de vue du droit, l'utilisation actuelle de délit de racolage n'est pas satisfaisante et constitue un détournement des règles de la garde à vue . En effet, le fait d'entendre la personne placée en garde à vue pour racolage sur des faits de proxénétisme dont elle serait le témoin ou la victime n'entre pas dans le champ des motifs autorisant le recours à la garde à vue. Cette possibilité a été expressément exclue par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Les personnes prostituées, quand il s'agit de lutter contre le proxénétisme, ne devraient être entendues que comme témoins .

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article abroge l'article 225-10-1 du code pénal relatif au délit de racolage.

III - La position de votre commission spéciale

Au regard du bilan dressé ci-dessus et après avoir entendu de nombreuses personnes sur le sujet, votre commission a approuvé l'abrogation du délit de racolage.

Il convient de souligner que cette abrogation ne laisse pas les pouvoirs publics démunis face aux troubles à l'ordre public parfois suscités par la prostitution de voie publique.

D'abord, aux termes de l'article 222-32 du code pénal, « l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

En outre, les maires peuvent, au titre de leurs pouvoirs de police générale (article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales), prendre des arrêtés municipaux interdisant ou restreignant la présence de personnes prostituées sur la voie publique là où cette présence est susceptible de créer des troubles à l'ordre public. La méconnaissance des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les arrêtés de police sont punis d'une amende de première classe. Le cas échéant, la mise en fourrière du véhicule peut être ordonnée. À titre d'exemple, le contrat local de sécurité adopté par la ville de Nice inclut expressément la prostitution parmi les « faits générateurs du sentiment d'insécurité » susceptibles de fonder une action de sa police municipale.

Votre commission spéciale a adopté l'article 13 sans modification.

Article 14 (articles 225-20 et 225-25 du code pénal, article 398-1 du code de procédure pénale) - Coordinations dans le code pénal et le code de procédure pénale liées à l'abrogation du délit de racolage

Objet : Le présent article tend à effectuer les coordinations nécessaires dans le code pénal et le code de procédure pénale afin de tirer les conséquences de l'abrogation, par l'article 13, de l'article 225-10-1 du code pénal relatif au délit de racolage.

Le 1° du I supprime la référence à l'article 225-10-1 du code pénal à l'article 225-20 de ce même code, relatif à certaines peines complémentaires encourues par les personnes physiques coupables des infractions de traite des êtres humains, de dissimulation forcée du visage, de proxénétisme, d'exploitation de la mendicité ou de la vente à la sauvette et de racolage.

Le 2° du I supprime la référence à l'article 225-10-1 du code pénal à l'article 225-25 de ce même code, relatif à la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens, encourue par les personnes physiques et morales coupables des infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme ;

Le II supprime cette même référence à l'article 225-10-1 du code pénal, à l'article 398-1 du code de procédure pénale et au 4° du I de l'article 837, lesquels énumèrent les délits pour lesquels le tribunal correctionnel peut statuer à juge unique (l'article 837 est relatif à la Polynésie française).

Votre commission spéciale a adopté l'article 14 sans modification.


* 61 Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 62 Ordonnances n° 60-1245 et 60-1246 du 25 novembre 1960.

* 63 C'est en ratifiant en 1960 la Convention du 2 décembre 1949 de l'ONU pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui que la France a définitivement fait le choix d'un régime abolitionniste.

* 64 Rapport d'information de M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, « Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard », n° 46, 2013-2014. Ce rapport est consultable sur :

http://www.senat.fr/rap/r13-046/r13-0461.pdf

* 65 Circulaire du 25 août 1970 relative à la lutte contre la prostitution et le proxénétisme ; circulaire du 21 mars 1979 relative à la lutte contre la prostitution ; circulaire du 7 mars 1988 relative à la prévention de la prostitution et à la réinsertion des personnes prostituées.

* 66 Audition de la commission spéciale du 7 mai 2014.

* 67 Article L. 247 du livre des procédures fiscales : « L'administration peut accorder sur la demande du contribuable : 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence ; [...] ».

* 68 La recommandation n° 26 de ce rapport vise à « créer un fonds de concours ou une attribution de produits recevant une partie du produit des saisies réalisées sur les avoirs des personnes condamnées pour traite et proxénétisme, afin de contribuer au financement des actions d'accompagnement des personnes issues de la prostitution.

* 69 Loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

* 70 Avis de Mme Laurence Cohen au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de finances pour 2014, « Direction de l'action du Gouvernement : mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies », n° 159, novembre 2013.

* 71 Le décret n° 95-322 du 17 mars 1995 crée un fonds de concours alimenté par « le produit des recettes provenant de la confiscation des biens mobiliers ou immobiliers des personnes reconnues coupables d'infractions en matière de trafic de stupéfiants ».

* 72 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

* 73 Article 11, paragraphe 3 de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.

* 74 Une autre aide au logement temporaire (ALT 2), prévue au II de l'article L. 851-1 du code de la sécurité sociale, est versée aux organismes gestionnaires des aires d'accueil des gens du voyage.

* 75 Source : rapport annuel de performances 2012, mission « Ville et logement ».

* 76 Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 77 L'incrimination de traite des êtres humains a été créée par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 78 Dans sa décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 sur la loi sur la sécurité intérieure : « Considérant, enfin, que les peines prévues par le nouvel article 225-10-1 du code pénal ne sont pas manifestement disproportionnées ; qu'il appartiendra cependant à la juridiction compétente de prendre en compte, dans le prononcé de la peine, la circonstance que l'auteur a agi sous la menace ou par contrainte ; que, sous cette réserve, la disposition critiquée n'est pas contraire au principe de la nécessité des peines ».

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