IV. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 23 juillet 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'examen du rapport de M. Jacky Le Menn sur le projet de loi n° 423 rectifié relatif à la désignation des conseiller prud'hommes.

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Le moment est donc venu, pour notre commission, d'examiner ce projet de loi rectifié relatif à la désignation des conseillers prud'hommes. Son principe nous est connu de longue date puisque le Gouvernement a annoncé en novembre 2013 son intention de saisir le Parlement pour remplacer l'élection par un dispositif, précisé par ordonnance, fondé sur l'audience des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs. Il a été formalisé dans le projet de loi déposé une première fois le 22 janvier dernier à l'Assemblée nationale puis de nouveau au Sénat le 28 mars.

La modification intervenue par lettre rectificative nous avait été présentée par le ministre du travail le 29 avril et consiste à proroger les mandats de deux années en supprimant le régime transitoire prévu entre 2015 et 2017.

Après l'audition des organisations représentatives de salariés et d'employeurs, nous disposons, me semble-t-il, de tous les éléments pour nous prononcer.

Avant de vous présenter plus précisément le contenu du projet de loi, je souhaiterais vous rappeler les principales difficultés auxquelles sont confrontées les élections prud'homales, puis les avantages et inconvénients des différents scénarios alternatifs envisageables.

Singularité au sein du paysage juridictionnel français, les conseillers prud'hommes sont élus tous les cinq ans au suffrage universel direct, la moitié par les salariés, l'autre moitié par les employeurs. Leur mandat actuel a toutefois été prorogé de deux années par la loi du 15 octobre 2010.

La dernière élection, qui a eu lieu le 3 décembre 2008, a permis de désigner 14 512 conseillers au sein de 210 conseils de prud'hommes. Comme l'ont très bien montré M. Jacky Richard, conseiller d'Etat, et M. Alexandre Pascal, inspecteur général des affaires sociales, dans leur rapport « Pour le renforcement de la légitimité de l'institution prud'homale : quelle forme de désignation des conseillers prud'hommes ? » qui a été remis au ministre du travail en avril 2010, l'élection prud'homale souffre de trois maux qui, pris ensemble, justifient la réforme proposée : un taux d'abstention majeur et croissant ; un scrutin complexe à organiser et un coût financier non négligeable.

Cette élection pâtit tout d'abord d'un fort taux d'abstention. Malgré une forte mobilisation de la puissance publique et de l'ensemble des acteurs, le taux d'abstention aux élections prud'homales de 2008 s'est élevé à 74,37 %, contre 67,65 % en 2002 et 37,39 % en 1979. Chaque scrutin a été marqué par une hausse continue du taux d'abstention. En outre, le nombre de votants en valeur absolue connait lui aussi une érosion continue, chutant de 8,5 millions en 1979 à 4,7 millions en 2008. C'est pourquoi Michel Sapin, alors ministre du travail, a indiqué au Sénat, lors de la séance de questions cribles thématiques sur le devenir des élections prud'homales du 16 janvier dernier, que la légitimité des conseils de prud'hommes « pourrait être altérée par l'affaiblissement de la participation aux élections prud'homales ».

Le rapport de M. Richard évoque plusieurs causes structurelles à ce désintérêt croissant: la montée de l'individualisme et la crise du syndicalisme ; la tertiarisation de l'économie et la baisse de la part des CDI ; le sentiment chez certains que toutes les candidatures sont équivalentes et que cette élection est lointaine, ou encore la crainte de salariés que le fait de s'absenter pour aller voter soit perçu comme un signe de défiance à l'égard de leur employeur.

L'élection est également complexe à organiser. Ce sont les communes qui sont chargées de l'organisation du scrutin prud'homal : en 2008, 9 439 d'entre elles ont été concernées. Elles sont notamment chargées d'établir et de vérifier les listes électorales, en collaboration avec les services déconcentrés du ministère du travail. Compte tenu de la lourdeur de cette mission, l'Association des maires de France a saisi à de nombreuses reprises les ministres concernés, comme le ministre du travail le 17 février 2010, pour « proposer que ces élections soient faites par correspondance et que les communes soient déchargées de leur organisation ». D'autres acteurs sont également mobilisés, comme les partenaires sociaux, les entreprises et divers prestataires privés.

Enfin, le coût de cette élection n'est pas négligeable. Evitons tout procès d'intention sur ce point : Michel Sapin, le 16 janvier dernier, avait indiqué devant le Sénat que le coût de ces élections ne justifierait pas à lui seul la réforme proposée par le Gouvernement. Mais si la « démocratie n'a pas de prix », elle a en revanche un coût que l'on peut analyser en toute objectivité. Force est de constater en effet que le coût de l'élection prud'homale, estimé à 91,6 millions d'euros en 2008, n'est pas anodin, et qu'il représente un peu moins de la moitié du coût de l'élection présidentielle de 2007 mais trois fois le coût du referendum organisé en 2000 sur le quinquennat. Au final, le coût des élections prud'homales par électeur inscrit est de 4,77 euros, soit presque deux fois plus que le coût par électeur des élections municipales de 2008.

Ce coût serait acceptable si aucune élection concurrente n'existait pour désigner les conseillers prud'hommes. Or, tel n'est pas le cas compte tenu des dispositifs de mesure de la représentativité des partenaires sociaux, institués par la loi du 20 août 2008 et du 15 octobre 2010 pour les organisations syndicales de salariés, et du 5 mars 2014 pour les organisations professionnelles d'employeurs.

En mars 2013, l'audience des organisations syndicales auprès des salariés a été mesurée pour la première fois au niveau national et interprofessionnel. Le ministère du travail a agrégé les scores enregistrés par les organisations syndicales au cours des élections professionnelles (comités d'entreprise, délégués du personnel) organisées dans les entreprises de plus de 11 salariés, du scrutin organisé auprès des salariés des très petites entreprises et des employés à domicile et des élections aux chambres départementales d'agriculture, pour les salariés de la production agricole.

Au total, 5,4 millions de salariés se sont exprimés en faveur des organisations syndicales de leur choix (soit 700 000 salariés de plus qu'aux élections professionnelles).

Au niveau national et interprofessionnel, comme au niveau d'une branche professionnelle, cinq organisations syndicales ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés et sont donc représentatives et en capacité de signer des accords collectifs : la CGT (26,77 %) ; la CFDT (26,00 %) ; la CGT-FO (15,94 %) ; la CFE-CGC (9,43 %), et la CFTC (9,30 %). Ces résultats sont globalement en ligne avec ceux des élections prud'homales de 2008, qui confèrent toutefois un poids supérieur à la CGT (33,98 %) et minorent le poids de la CFDT (21,81 %), tandis que les scores de la CGT-FO (15,81 %), de la CFTC (8,69 %) et de la CFE-CGC (8,2 %) sont quasiment identiques.

Côté patronal, la loi du 5 mars dernier a fixé les critères de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs, dont les résultats sont attendus dès 2017.

Ces critères sont très proches de ceux prévus pour les syndicats de salariés, sauf en ce qui concerne l'audience des organisations patronales, qui se mesure en fonction du nombre d'entreprises adhérentes. Sans entrer dans les détails, retenons que dans les branches professionnelles, la représentativité est reconnue aux organisations dont les entreprises adhérentes à jour de leur cotisation représentent au moins 8 % de l'ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d'employeurs de la branche satisfaisant aux critères légaux. Ce seuil s'applique également au niveau national et interprofessionnel, avec des règles spécifiques en cas de multi-adhésion des organisations de branche.

C'est pourquoi le Gouvernement propose de substituer à l'élection des conseillers prud'hommes une désignation fondée sur l'audience des partenaires sociaux, qui sera effective dès 2017. Ce faisant, le Gouvernement entend éviter la coexistence de deux tests de légitimité éventuellement discordants, et gagner en simplicité.

Le Gouvernement a donc écarté deux scénarios alternatifs qui avaient été examinés dans le cadre du rapport de M. Richard.

Le premier scénario alternatif consisterait à aménager le système actuel d'élection au suffrage universel direct, en prenant les mesures suivantes :

- organisation en amont d'une campagne de sensibilisation et de communication sur les conseils de prud'hommes et l'élection des conseillers ;

- suppression du vote à l'urne et du vote par scrutin ;

- généralisation du vote électronique et maintien du vote par correspondance sans condition.

Ce premier scénario comporte des avantages certains. Il s'inscrit dans la continuité en conservant une élection au suffrage universel direct, il bénéficiait d'une large approbation parmi les organisations syndicales et patronales consultées en 2008 et sa mise en oeuvre technique ne présente pas a priori de difficultés majeures.

Mais ses inconvénients, selon le Gouvernement, l'emportent sur ses avantages supposés car l'impact de cette réforme sur le taux de participation électoral est incertain et risquerait d'être très limité, le coût de l'élection resterait très élevé, l'élection demeurerait complexe à organiser et surtout, il ne tient pas compte de la mesure de la représentativité syndicale et patronale au niveau national.

Le deuxième scénario alternatif, qui avait la préférence de M. Jacky Richard en 2008, supposerait la création d'un système d'élection ad hoc au suffrage universel indirect, et entraînerait une recomposition du corps électoral.

Du côté des salariés, les mesures suivantes sont préconisées :

- dans les entreprises de plus de 11 salariés, les délégués du personnel titulaires (ou les membres élus des délégations uniques du personnel), soit environ 270 000 - 300 000 personnes, seraient les électeurs prud'homaux en charge d'élire les conseillers prud'hommes représentant les salariés ;

- dans les entreprises de moins de 11 salariés, le rapport de M. Jacky Richard propose de prendre appui sur le dispositif spécifique de mesure de l'audience syndicale prévue dans les très petites entreprises.

Du côté des employeurs, le rapport préconise « l'organisation d'une élection ad hoc de délégués des employeurs appelés ensuite à élire les juges prud'hommes ». Organisée sous l'autorité des services de l'Etat et de préférence à l'échelon départemental, cette élection imposerait des scrutins par internet et par correspondance. Les quelque 600 000 employeurs choisiraient entre 30 000 et 35 000 délégués, chargés d'élire les juges prud'homaux.

Ce scénario, selon ses promoteurs, comporte des avantages non négligeables. Il permettrait de maintenir le principe d'une nomination des conseillers prud'hommes fondée sur le principe du suffrage universel, fût-il indirect. Il pourrait garantir un taux de participation satisfaisant. Il laisserait la possibilité à toute personne d'accéder aux charges publiques et ne poserait donc pas de risque d'inconstitutionnalité sur ce point. Il serait moins compliqué techniquement à mettre en oeuvre que les élections actuelles, tout en garantissant un moindre coût.

Mais le Gouvernement considère que ce scénario est trop complexe et n'apporte pas de « plus-value » évidente par rapport aux mesures de représentativité des partenaires sociaux.

Venons-en plus précisément au contenu du projet de loi, tel que modifié par la lettre rectificative du 16 juillet dernier.

L'article 1 er habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance, dans les dix-huit mois qui suivent la promulgation de la présente loi, pour remplacer l'élection des conseillers prud'hommes par un dispositif de désignation fondé sur l'audience des organisations syndicales et patronales.

Des garde-fous sont prévus : l'ordonnance devra respecter l'indépendance, l'impartialité et le caractère paritaire de la juridiction prud'homale.

En outre, son périmètre est défini avec précision, à travers neuf items comme les modalités de répartition des sièges par organisation dans les sections, collèges et conseils, les conditions des candidatures et leurs modalités de recueil et de contrôle, ou encore la procédure de nomination des conseillers prud'hommes.

Le projet de loi de ratification de cette ordonnance devra être déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant sa publication.

La lettre rectificative au projet de loi du 16 juillet dernier a notamment supprimé le dixième item de l'ordonnance, relatif au dispositif transitoire pour la période allant de 2015 à 2017. Celui-ci aurait consisté, d'une part, en une désignation des conseillers du collège salariés en fonction des résultats des élections professionnelles de 2008 à 2012, d'autre part, en une désignation des conseillers du collège employeurs selon des règles transitoires ad hoc.

Toutefois, après concertation avec les partenaires sociaux et par souci de simplicité, le Gouvernement a finalement proposé de proroger une nouvelle fois le mandat actuel des conseillers prud'hommes de deux ans, soit jusqu'au 31 décembre 2017 au plus tard. Le nouveau système de désignation des conseillers prud'hommes sera alors entièrement fondé sur la représentativité des organisations, y compris du côté patronal.

C'est pourquoi la lettre rectificative a introduit un deuxième article dans le projet de loi, pour proroger les mandats actuels des conseillers prud'hommes, fixer le plafond d'autorisations d'absence pour permettre aux conseillers représentant les salariés de suivre des formations liées à leur mandat, et aménager les règles en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d'une section d'un conseil de prud'hommes.

Avant de conclure, je souhaiterais répondre à certaines des critiques adressées à la réforme proposée par le Gouvernement.

Première critique : la réforme ferait disparaitre une élection porteuse de symboles pour le monde du travail. Je rappellerai simplement que la mesure de la représentativité des organisations syndicales de salariés repose par construction sur le vote des salariés aux élections professionnelles, plus suivies que l'élection prud'homale.

Deuxième critique : elle ne permettrait pas de prendre en compte les rapports de forces spécifiques dans certains ressorts de conseils de prud'hommes. Mais Michel Sapin a assuré dès le 16 janvier dernier devant le Sénat que la désignation devait se fonder sur le « ressort du tribunal concerné ». Les obstacles techniques ne sont pas minces, surtout du côté de l'audience patronale, mais les mois qui viennent devraient permettre de les surmonter, en concertation avec les partenaires sociaux. Je rappelle que la désignation des conseillers prud'hommes se fondera sur les résultats de l'audience des partenaires sociaux, et non sur leur représentativité. Ainsi, un syndicat non représentatif au niveau national interprofessionnel, comme l'Unsa ou Sud, pourra malgré tout désigner des conseillers prud'hommes dans les ressorts territoriaux des conseils de prudhommes où il est bien implanté, comme c'est le cas aujourd'hui.

Troisième critique, à mes yeux la plus importante : la constitutionnalité du dispositif proposé serait douteuse, s'agissant de la nouvelle prolongation des mandats en cours et de la création d'un monopole de fait pour les partenaires sociaux pour présenter des candidats aux postes de conseillers prud'hommes. Là encore, je crois que ces inquiétudes légitimes n'ont plus lieu d'être. L'assemblée générale du Conseil d'Etat, lors de l'examen de la lettre rectificative, a en effet estimé que compte tenu de la nouvelle circonstance de droit que constitue le volet relatif à la représentativité patronale issu de la loi du 5 mars dernier, cette deuxième et ultime prolongation du mandat des conseillers prud'hommes était justifiée. En outre, le Conseil constitutionnel, à l'occasion de la question prioritaire de constitutionnalité n° 2010-76 du 3 décembre 2010 « M. Roger L. », a déclaré conforme à la Constitution un dispositif de désignation des assesseurs des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), très proche de celui proposé par le Gouvernement dans le présent projet de loi. Le Conseil a en effet estimé que le pouvoir de présentation des candidats reconnu aux organisations professionnelles ne méconnaissait pas le principe d'égal accès aux emplois publics. Je considère donc, à titre personnel, que cette décision du Conseil constitutionnel relative à la désignation des assesseurs dans les tribunaux des affaires de sécurité sociale, rendue postérieurement au rapport de M. Richard, dissipe les interrogations légitimes soulevées sur la constitutionnalité de la réforme relative à la désignation des conseillers prud'hommes eu égard au principe d'égal accès aux emplois publics. Concrètement, tout candidat à la fonction de conseiller prud'homme pourra se présenter sur la liste d'une organisation syndicale ou patronale sans en être adhérent. Selon le cabinet du ministre du travail, la réforme facilitera même ces candidatures libres car le système actuel est très complexe (on compte ainsi aujourd'hui seulement 105 conseillers prud'hommes du collège salariés non rattachés à une organisation syndicale, soit 1,44 %). Les procédures de nomination et de contrôle des candidats par le juge judiciaire prévues dans l'ordonnance devraient s'inspirer de celles en vigueur pour les assesseurs dans les TASS.

Quatrième critique : la réforme ferait fi du vote des demandeurs d'emploi, alors qu'ils peuvent voter aux élections prud'homales. Mais il convient de rappeler que leur taux de participation est très faible, de l'ordre de 5 % en 2008. En outre, le rapport de Jacky Richard préconisait de «  ne pas prévoir de mesure spécifique de l'audience syndicale à l'égard des demandeurs d'emploi » dans le cadre du scénario retenu par le Gouvernement, car les demandeurs d'emploi ont, sauf en de rares exceptions, déjà eu l'occasion dans le cadre de leur ancien contrat de travail de voter aux élections professionnelles, ou seront amener à y participer lorsqu'ils retrouveront un emploi.

Dernière critique : certains employeurs, notamment du secteur hors champs ou multiprofessionnel (économie sociale et solidaire, professions libérales et agriculture), n'auraient pas voix au chapitre. Je rappellerai néanmoins que la loi du 5 mars dernier a donné force de loi à un protocole d'accord historique signé le 30 janvier 2014 entre le Medef, l'UPA et la CGPME d'une part, l'Udes, l'UNAPL et la FNSEA d'autre part, qui traite de la représentativité des organisations patronales multiprofessionnelles. Je pense par conséquent que nous pouvons avoir confiance en ces acteurs pour aborder la question de la place de ces employeurs du secteur hors-champ dans les conseils de prud'hommes, d'autant que le Medef, l'UPA et la CGPME présentent déjà une liste commune aux élections prud'homales avec la FNSEA et l'UNAPL, tandis que les employeurs de l'économie sociale et solidaire ont obtenu plus de 19 % des voix en 2009.

Madame la Présidente, mes chers collègues, comme vous le constatez, ce projet de loi s'inscrit dans une réflexion de longue haleine qui remonte à fin 2013, et même 2010 si l'on considère le rapport de M. Richard. Il est dénué de toute idéologie et arrière-pensée et répond uniquement à des objectifs pragmatiques pour préserver la légitimité des conseils de prud'hommes tout en évitant la coexistence de deux élections potentiellement divergentes. L'objet du texte est clairement circonscrit car il ne traite pas du fonctionnement des conseils de prud'hommes, qui a d'ailleurs été abordé dans un rapport très intéressant de M. Lacabarats, président de la chambre sociale de la Cour de cassation. J'ajoute que le recours à l'ordonnance pour examiner le texte, malgré les interrogations de certains de nos collègues, est justifié compte tenu de la technicité et du nombre de dispositions législatives à élaborer. Enfin, le dialogue social sera mis à l'honneur car l'élaboration de cette ordonnance se fera en étroite concertation avec les partenaires sociaux.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce projet de loi sans modification.

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour sa présentation. Peut-il préciser la distinction entre les notions d'audience et de représentativité, ainsi que son incidence sur le dispositif proposé ?

M. Jean-François Husson . - Le recours à la désignation conduit à s'interroger sur l'égal accès des salariés ou des chefs d'entreprises aux fonctions de conseillers prud'hommes et le système, tel qu'il est proposé, pourrait à ce titre s'avérer inconstitutionnel. Est-il bien nécessaire d'affirmer que le texte est dénué de toute idéologie ou arrière-pensée ?

M. Jean Desessard . - Il est dommage, bien au contraire,  qu'il n'y ait pas plus d'idéologie dans ce texte !

M. Jean-François Husson . - La technicité du texte me semble plutôt légitimer l'intervention du législateur que le recours à l'ordonnance ! A cet écueil s'ajoutent les vicissitudes de l'examen de ce texte, dont le passage en séance publique est repoussé à octobre prochain, dans un contexte de renouvellement sénatorial. Enfin, l'allongement des mandats, dans ce domaine comme dans celui des assemblées politiques, est à contre-courant des pratiques démocratiques légitimes et me paraît de nature à jeter le discrédit sur les institutions concernées.

M. Jean Desessard . - Je ne dédaigne pas l'idéologie car elle donne une vision globale d'une société et permet de proposer les réformes destinées à en améliorer le fonctionnement de manière significative. Le constat selon lequel l'abstention résulterait de l'individualisme et de la précarité peut être recevable, mais cela justifierait de recourir aux nouvelles technologies pour mieux recenser les électeurs des conseils de prud'hommes et les sensibiliser. Si l'abstention justifie  l'abandon de l'élection des conseils de prud'hommes, pourquoi ne pas avoir suivi la même méthode pour les élections politiques, nationales et locales ? Pourquoi, aussi, ne pas se fonder sur le résultat des élections européennes pour déterminer la composition des autres instances politiques, dont le Sénat ? Il y a tout de même une contradiction entre la montée de l'abstention et le souhait des citoyens d'être davantage associés aux décisions.

Par ailleurs, contrairement au rapporteur, je ne considère pas que la faible participation des demandeurs d'emploi est une question secondaire. La représentation des employeurs du secteur social et solidaire, qui ont tout de même obtenu près de 19 % des voix en 2009, me semble également essentielle.

Par amitié pour le rapporteur, je m'abstiendrai sur ce texte qui risque, en remettant la désignation des conseillers prud'hommes aux seuls syndicats, d'aboutir à un processus confiscatoire de la démocratie.

Mme Isabelle Pasquet . - Le morcellement du débat sur ce projet de loi ne contribue en rien à sa clarté. D'ailleurs, la technicité du sujet ne légitime nullement le recours à l'ordonnance ! L'allongement, par deux fois, du mandat des conseillers prud'hommes et la suppression de leur élection, à l'instar de la solution retenue pour les organes de gestion de la sécurité sociale, portent directement atteinte à la démocratie. Loin de régler le problème de l'abstention en s'attaquant à ses causes, le projet de loi me paraît plutôt en prendre acte et l'accompagner ! C'est pourquoi, le groupe CRC ne votera pas en faveur de ce projet de loi, ni du rapport.

Mme Catherine Génisson . - Je souhaitais vous remercier, Madame la Présidente, pour la table ronde que vous avez organisée avec les organisations syndicales dont la grande majorité, à l'exception de la CGT, me paraît s'être progressivement ralliée au processus de désignation proposé par le projet de loi. Les conseils de prud'hommes sont une spécificité française et ont pour mission de vérifier l'application du droit du travail. Que les membres de ces instances ne soient pas élus, mais désignés, ne me paraît pas aberrant au regard des processus de désignation en vigueur dans les autres juridictions.

Mme Annie David, présidente. - Je ne partage pas, ma chère collègue, le même sentiment à la suite de notre table ronde et de nos auditions car, hormis la CFDT qui s'est déclarée ouvertement en faveur de la désignation, les quatre autres organisations syndicales me paraissent s'opposer ou prendre acte du choix du Gouvernement même si elles demeurent fortement attachées au principe de l'élection des membres de l'institution prud'homale. Ces organisations attendent la mise en place d'un groupe de travail pour faire valoir leur proposition visant à renforcer le fonctionnement démocratique des conseils des prud'hommes. Je pense que le compte rendu de ces auditions, une fois publié, nous permettra de préciser ce point.

Par ailleurs, nombre d'entre nous ont déjà plaidé, lors du projet de loi sur l'accessibilité, pour que le Gouvernement cesse de légiférer par ordonnances. Or, tout texte relatif au droit du travail est, par définition, technique et le recours à l'ordonnance est une manière d'éviter le débat parlementaire. J'ajoute que, d'ici au 14 octobre, date du passage du projet de loi en séance publique, l'installation d'un groupe de travail sur le dispositif proposé me paraît problématique.

S'agissant enfin du rapport de M. Lacabarats, son contenu me paraît inquiétant. D'autres rapports, comme celui, plus ancien, de Didier Marshall qui portait sur les tribunaux d'instance au XXI ème siècle, pourraient aussi fournir des éléments à un véritable débat, que ne permet guère, du reste, l'adoption de ce texte par ordonnance.

M. Gérard Roche . - Je regrette, Madame la présidente, de n'avoir pu assister à la table ronde de ce matin et je félicite notre rapporteur pour le travail qu'il a accompli. Je demeure cependant très réticent sur ce texte, tant sur le fond, avec l'abandon de l'élection au profit de la désignation, que sur la forme, avec le recours aux ordonnances. C'est une érosion de la démocratie. En conséquence, je m'abstiendrai sur ce texte.

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Il s'agit d'un sujet important comme en avaient déjà témoigné les interventions lors de la séance du Sénat du 16 janvier. Le souci du Gouvernement de conforter et de pérenniser la spécificité française qu'est l'institution prud'homale est partagé. Une telle question est récurrente depuis 2010 ! Comment y parvenir ? Certes, améliorer l'organisation des élections - ce que souhaite la CGT - constituait une première piste, mais comme le rapport de M. Richard l'a souligné, cette démarche n'a guère porté ses fruits. Malgré la multiplicité des campagnes et la mise en oeuvre d'actions de sensibilisation spécifiques auprès de la diversité des acteurs susceptibles de voter lors de l'élection prud'homale de 2008, l'abstention s'est en définitive accentuée ! Il s'agit d'asseoir la légitimité de cette institution à laquelle nous sommes tous très attachés.

Je précise à Yves Daudigny, en réponse à sa question, que la représentativité obéit à un certain nombre de critères cumulatifs, dont l'audience, qui est mesurée ponctuellement, lors des élections professionnelles listées à l'article L. 2121-1 du code du travail.

Je ne suis pas un idéologue et je préfère une démarche pragmatique pour résoudre les problèmes. Je ne suis pas non plus un partisan inconditionnel des ordonnances, mais ce choix relève d'une décision du Gouvernement qui souhaite agir rapidement. L'échéance d'octobre prochain sera ainsi décisive et l'instauration de groupes de travail, appelée de leurs voeux par les organisations syndicales, devrait permettre de préciser les modalités de mise en oeuvre des points clés du projet de loi.

Je n'ai pas l'impression que ce texte participe d'un affaiblissement de la démocratie et exprime une sorte d'une résignation face à l'abstention grandissante. Au contraire, celui-ci tente d'en contrecarrer les effets en s'attaquant directement à sa source.

J'ajouterai que l'Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire est en accord avec le dispositif du projet de loi. Certaines évolutions sont intervenues, parmi les organisations syndicales, sur certains points comme la désignation et la durée des mandats. Et la réticence affichée par certains de nos collègues peut également évoluer, d'ici à sa discussion en séance publique, vers un soutien à ce projet de loi qui, je le rappelle, vise à conforter et à pérenniser une institution à laquelle nous sommes tous attachés.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

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