EXAMEN EN COMMISSION

Réunion le mercredi 12 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Fabienne Keller et M. Yvon Collin, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et sur le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Mme Michèle André , présidente . - Je souhaite la bienvenue à Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte spécial « Prêts à des États étrangers » doivent être examinés au regard des grandes tendances de l'aide publique au développement au niveau international.

Après deux années marquées par des baisses importantes, liées à la crise financière de 2008 et aux turbulences de la zone euro, l'aide internationale a atteint en 2013 son plus haut niveau historique, à 135 milliards de dollars environ. Dix-sept des vingt-huit pays du Comité d'aide au développement de l'OCDE ont augmenté leur aide, dont le Japon, le Royaume-Uni, l'Islande, l'Italie et la Norvège ; onze ont diminué la leur, parmi lesquels le Portugal, le Canada et la France.

En volume, les États-Unis demeurent le premier pays contributeur, devant le Royaume-Uni, qui conforte sa deuxième place devant l'Allemagne. La France recule d'un rang, en cinquième position, derrière le Japon, avec 11,4 milliards de dollars. Au regard du revenu national brut (RNB), les cinq premiers pays donateurs sont la Norvège, la Suède, le Luxembourg, le Danemark et le Royaume-Uni. Ces cinq pays sont les seuls à respecter l'engagement de consacrer 0,7 % du RNB à l'aide au développement. Le Royaume-Uni atteint cet objectif pour la première fois. Avec 0,41 %, la France passe de la dixième à la onzième place.

Les crédits de la mission « Aide publique au développement » représentent environ un tiers de l'effort financier de notre pays en faveur du développement, auquel contribuent également d'autres missions budgétaires et notamment les missions « Recherche et enseignement supérieur », « Action extérieure de l'État » et « Immigration, asile et intégration ». S'y ajoutent la contribution des prêts, les ressources provenant de la taxe sur les billets d'avion et de la taxe sur les transactions financières, ainsi que la quote-part française de l'aide transitant par le budget communautaire.

L'aide de la France diminue depuis le maximum atteint en 2010. Selon les prévisions, la baisse devrait se prolonger en 2014, avant un rebond en 2015 et une stabilisation autour de 9,3 milliards d'euros.

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, en cours d'examen par le Parlement, prévoit une diminution de 7,3 % des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » en 2017 par rapport à 2014, soit une baisse de 214 millions d'euros. Ces chiffres accentuent la diminution prévue dans la précédente loi de programmation : le plafond 2017 sera de 20 % inférieur au plafond 2011, soit une baisse de 650 millions d'euros. Sur la période 2015-2017, la mission est la septième mission dont les crédits baissent le plus, en proportion.

Cependant, cette baisse des crédits budgétaires est partiellement compensée par la hausse de 92 millions d'euros du produit des taxes affectées. Ainsi, la diminution des moyens de l'aide publique au développement entre 2017 et 2014 serait en réalité de 120 millions d'euros seulement, soit 4,2 %.

Certes, les taxes affectées ont été présentées comme des moyens supplémentaires. Certes, le Royaume-Uni, malgré une politique rigoureuse de redressement des finances publiques, a sanctuarisé cette politique et en a augmenté les crédits. Reste que la baisse des crédits demeure relativement maîtrisée .

Les crédits de paiement de la mission s'élèvent en 2015 à 2,82 milliards d'euros, en baisse de 2,9 % par rapport à 2014. Cette diminution s'explique notamment par la baisse de 50,9 millions d'euros des annulations de dettes sur le programme 110. Les économies réalisées sur les dépenses de personnel (4,4 millions d'euros), sur les dispositifs de coopération bilatérale (7 millions d'euros) et la fin des actions menées dans le cadre de la politique de co-développement (8,5 millions d'euros) compensent la hausse de la contribution au Fonds européen de développement (22,9 millions d'euros).

Les divers dispositifs de coopération multilatérale du programme 209 voient leurs crédits baisser de 32,4 millions d'euros, baisse en grande partie compensée par une hausse du produit de la taxe sur les transactions financières.

Les crédits de paiement du compte de concours financier « Prêts à des États étrangers », qui retrace des opérations de versements et de remboursements relatives aux prêts accordés aux pays en développement et à la Grèce depuis 2010, sont relativement stables.

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - Nous aborderons conjointement les crédits de la mission et ceux du compte de concours financier suivant une logique thématique.

L'Agence française de développement (AFD) reçoit des subventions pour financer des projets sous forme de dons : ces crédits sont stables en autorisations d'engagement et en très légère baisse en crédits de paiement.

Elle intervient également dans les États étrangers en accordant des prêts, plus ou moins concessionnels. La bonification prend plusieurs formes : lorsqu'elle se finance aux conditions du marché, l'Agence réduit le taux d'intérêt proposé aux bénéficiaires de ses concours grâce aux bonifications de prêts que lui accorde l'État. Ces bonifications représentent 178 millions d'euros en crédits de paiement en 2015. La hausse de 8 millions d'euros en autorisations d'engagement s'explique par l'engagement présidentiel d'augmenter les financements de l'AFD en Afrique sur la période 2014-2018.

L'AFD finance également la concessionnalité de ses prêts grâce à la ressource à condition spéciale (RCS), qui prend la forme d'un prêt de l'État à des termes préférentiels. Ses crédits augmentent en autorisations d'engagement en raison d'un prêt de 430 millions d'euros de la France à la Banque mondiale, géré par l'AFD. Les bonifications et la RCS devraient contribuer à l'aide publique au développement de la France en 2015 à hauteur de 1 845 millions d'euros.

L'AFD étant une banque, elle doit respecter des ratios bancaires qui limitent sa capacité à prendre de nouveaux engagements dans de nombreux pays, tels que le Maroc. Le renforcement des fonds propres de l'AFD, sur lequel Yvon Collin et moi-même avons attiré votre attention par le passé, passera par une diminution du dividende versé à l'État, par une amélioration de son résultat net et, enfin, par la conversion d'une partie de la RCS en véritables fonds propres, à hauteur de 840 millions d'euros. Ainsi, au titre de 2015, 280 millions d'euros de crédits de paiement sur la RCS sont supprimés par rapport à l'an dernier, tandis que l'État a acquis pour un même montant des titres subordonnés de l'AFD, à partir du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Ainsi, les moyens de l'AFD sont préservés, voire légèrement renforcés, en phase avec les objectifs qui lui ont été fixés dans le contrat d'objectif et de moyens pour les années 2014-2016, qui prévoit une progression de 9 % de ses engagements en trois ans.

S'agissant de l'aide liée, pour laquelle une part minimale des contrats financés doit correspondre à des achats de biens et services fournis par des entreprises françaises, on constate que les crédits de la « Réserve pays émergents » (RPE) sont en baisse de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement. Leurs 330 millions d'euros sont à comparer aux 400 millions de 2010. Si l'état des finances publiques impose des choix douloureux, il est regrettable que les discours sur la diplomatie économique ne s'accompagnent pas d'une politique plus ambitieuse sur la RPE.

Les crédits relatifs à la coopération technique n'appellent pas de remarque. La fusion de plusieurs acteurs au sein de l'Agence française d'expertise technique internationale (AFETI) n'a pas encore de conséquence budgétaire.

Concernant les crédits de l'aide humanitaire, ils permettent de souligner que le Président de la République a annoncé un effort financier de 100 millions d'euros, dont 20 millions mis à disposition immédiatement, pour lutter contre l'épidémie de fièvre Ebola. D'après le secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, ces 20 millions d'euros devraient provenir de redéploiements de crédits en fin de gestion 2014, le solde étant inscrit sur le budget 2015. Ces crédits ne porteront pas forcément sur la mission « Aide publique au développement » mais concerneront également les ministères de l'intérieur, pour la sécurité civile, et des affaires sociales, voire de la défense. Une quarantaine de millions d'euros pourraient néanmoins venir abonder la mission.

Le fonds de solidarité prioritaire (FSP), instrument d'aide projet du ministère des affaires étrangères, voit ses crédits baisser de 10 %, passant de 50 à 45 millions d'euros en autorisations d'engagement.

J'en viens maintenant au traitement de la dette des pays en développement, qui peut prendre trois formes : une annulation de dette, décidée dans un cadre bilatéral ou multilatéral, un refinancement par dons des échéances dues sous la forme de « contrats de désendettement et de développement » (C2D) et un refinancement au moyen d'un nouveau prêt, accordé dans des conditions plus favorables. Les crédits 2015 sont relativement stables sauf pour les annulations de dette bilatérale, en diminution de 50 millions d'euros environ en crédits de paiement.

S'agissant de l'aide multilatérale, l'aide économique et financière y occupe une place prépondérante : il s'agit essentiellement de la reconstitution des différents fonds multilatéraux de développement, dont les variations peuvent être sensibles d'une année à l'autre.

Le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme (FMLSTP) perçoit 187 millions d'euros, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, complétés par 173 millions d'euros du Fonds de solidarité pour le développement, à partir des taxes affectées. La contribution de la France au FMLSTP est donc maintenue, la baisse de 30 millions d'euros des crédits budgétaires étant entièrement compensée.

La mission « Aide publique au développement » porte les crédits de la contribution française au Fonds européen de développement (FED), principal instrument de l'aide européenne à destination des pays de la zone Afrique, Caraïbes et Pacifique. Pour cet outil hors budget communautaire, la France a obtenu une diminution de sa clé de répartition mais le montant global du FED étant en hausse, notre contribution l'est aussi.

Enfin, les crédits de personnel sont en baisse en 2015 de 2,1 %, soit une économie de 4,4 millions d'euros.

L'Assemblée nationale a adopté deux amendements identiques, transférant 35 millions d'euros de l'action 02 « Aide économique et financière bilatérale » du programme 110 vers l'action 02 « Coopération bilatérale » du programme 209. Je partage le souci par rapport à la place des dons dans notre aide. Bien qu'il soit délicat de retirer à l'AFD des ressources qui correspondent à des engagements déjà pris, je vous proposerai de ne pas revenir sur ce transfert.

En conséquence, et compte tenu des observations qui vous ont été présentées, nous vous proposons, sans enthousiasme, d'adopter sans modification les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des états étrangers ».

M. Henri de Raincourt , rapporteur pour avis . - Je remercie la commission de son accueil et nos collègues pour la clarté et l'exhaustivité de leur rapport.

L'aide publique au développement participe de la politique d'influence et de rayonnement de notre pays. Elle doit être resituée en regard de l'évolution démographique de la planète.

La raison commande de rejoindre les conclusions des rapporteurs et d'adopter sans modification les crédits. L'Assemblée nationale a voulu délivrer un signal au sujet de la répartition entre prêts et dons. Revenir dessus ne serait pas judicieux. Par ailleurs, les taxes affectées ne doivent pas devenir de commodes variables d'ajustement de crédits en baisse.

Mme Hélène Conway-Mouret , rapporteure pour avis . - Je partage le peu d'enthousiasme des rapporteurs sur ce budget. Mais il est impossible d'échapper aux réalités économiques et la générosité reste raisonnable.

Notre engagement budgétaire ne peut être comparé à celui du Royaume-Uni car il n'est fondé ni sur les mêmes motivations si sur les mêmes moyens, la politique étrangère britannique s'appuyant sur la présence à l'étranger d'organisations non gouvernementales.

Le transfert de 35 millions d'euros de crédits de prêts vers les dons décidé par l'Assemblée nationale constitue certes un signal fort : la ligne rouge était près d'être franchie.

Je regrette le plafonnement de la taxe sur les transactions financières, car les ressources supplémentaires vont à Bercy.

M. Richard Yung . - Quelles sont les conséquences de l'application à l'AFD des ratios bancaires ? Quelle devrait être l'ampleur de la recapitalisation ?

Je suis favorable au remplacement des prêts, qui s'apparentent à une drogue, par des dons. Le rééchelonnement des prêts, c'est la mort du petit cheval !

M. Michel Bouvard . - Nous sommes tous sensibles à l'importance de cette politique. Je partage le souci de Richard Yung sur la recapitalisation de l'AFD. Savons-nous où nous allons ? Le modèle prudentiel de l'AFD est-il cohérent avec les enjeux de la recapitalisation ? Dans quelles conditions les normes bancaires doivent-elles s'appliquer à un établissement atypique comme l'AFD ?

Je m'interroge sur la logique de la présence de l'AFD dans les départements outre-mer. L'AFD intervient avec des équipes étoffées alors que d'autres structures publiques pourraient le faire, par exemple les directions régionales de la Caisse des dépôts. Est-il opportun que l'AFD accorde des prêts au logement quand les ressources du livret A pourraient être utilisées ? Il y a là une source potentielle d'économies.

M. Yvon Collin , rapporteur . - Les engagements de l'AFD sur une même contrepartie ne peuvent dépasser 25 % de ses fonds propres. Cette limite a été atteinte pour le Maroc et le sera bientôt pour le Vietnam et pour d'autres pays. L'AFD ne pourra y prendre d'engagements nouveaux. C'est pourquoi il est nécessaire de renforcer ses fonds propres.

M. Richard Yung . - L'État est-il le seul actionnaire de l'AFD ?

M. Yvon Collin , rapporteur . - L'AFD est un établissement public industriel et commercial, dont la tutelle est partagée entre le Trésor et les Affaires étrangères.

Mme Michèle André , présidente . - L'un des deux rapporteurs siège-t-il au conseil d'administration ?

M. Yvon Collin , rapporteur . - Nous siégeons tous les deux aux côtés de deux membres de la commission des affaires étrangères.

S'agissant de la politique de l'AFD outre-mer, ces crédits ne sont pas sur la mission « Aide publique au développement » mais sur la mission « Outre-mer », à l'exception de reliquat lié à des engagements passés.

Mme Fabienne Keller , rapporteur . - Le statut bancaire de l'AFD est envié : il lui offre une grande marge de manoeuvre et assure un important effet de levier. Cependant sa structure bilantielle particulière suscite des questions. L'effacement de la dette efface aussi des risques importants. Nous souhaitons que l'essentiel des dividendes demeure dans les fonds propres, afin que l'AFD puisse faire face aux difficultés qui se présenteront dans dix ou quinze ans. Nous aurions préféré présenter un engagement plus volontariste de la France et regrettons comme vous que seulement 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières soit affectée à l'AFD, le reste tombant dans le tonneau des danaïdes de l'État.

L'épidémie de fièvre Ebola doit nous amener à réfléchir sur les moyens et les investissements destinés à améliorer la santé. L'épidémie a peu de chance de toucher notre territoire mais on ne peut exclure qu'elle se transforme en catastrophe humanitaire. La tuberculose a réapparu en France métropolitaine ; l'on a relevé un cas de chikungunya dans le Midi... L'aide au développement réalisée en temps opportun peut éviter des coûts considérables. L'APD paraît toujours trop chère car elle concerne des pays lointains, soyons conscients qu'elle a également un impact pour nous, à moyen ou long terme. Elle doit donc autant que faire se peut être sanctuarisée.

Mme Michèle André , présidente . - Je vous remercie pour ce vibrant plaidoyer.

M. Yvon Collin , rapporteur . - Comme l'a souligné Henri de Raincourt, le défi alimentaire constitue une préoccupation majeure liée au réchauffement climatique. La délégation à la prospective a produit un excellent rapport sur le sujet. Les pays producteurs de riz sont les premiers touchés. Je me réjouis de l'accord signé hier entre la Chine et les États-Unis sur l'émission de CO 2 .

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte spécial « Prêts à des États étrangers ».

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Réunie à nouveau le jeudi 20 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission et du compte spécial.

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