EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. 226-4 du code pénal) - Durée de la flagrance en matière d'infraction de violation de domicile

Cet article prévoit que, pour l'application de l'infraction prévue à l'article 226-4 du code pénal, c'est-à-dire « l'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », la flagrance du délit peut être constatée dans les 96 heures suivant le début de la commission de l'infraction.

Selon les auteurs de la proposition de loi, cette disposition aurait vocation à répondre à la crainte selon laquelle, si l'infraction n'est pas constatée dans les 48 heures suivant l'intrusion illicite, le flagrant délit ne pourrait plus être caractérisé et les forces de police ne pourraient donc plus intervenir pour interpeller immédiatement les auteurs du délit, en application de l'article 53 du code de procédure pénale.

En effet, comme l'a souligné notre collègue Natacha Bouchart, auteur du présent texte, lors de son audition par votre rapporteur, les personnes en situation de précarité, qui squattent ces domiciles, sont manipulées par des réseaux de passeurs très bien organisés et par des organismes qui connaissent les subtilités du droit. Elles se dissimulent pendant les premières heures d'occupation du domicile, pour éviter de se faire remarquer, et les forces de l'ordre ne peuvent plus ensuite intervenir car il n'y a plus de flagrance de l'infraction. Seule la procédure judiciaire, longue et coûteuse, est ensuite ouverte à la victime.

L'article 226-4 du code pénal a pour but d'assurer le respect de la vie privée et la sécurité du citoyen en sanctionnant l'introduction et le maintien d'un tiers par la violence ou la fraude dans le lieu où il habite. Le « domicile d'autrui » englobe aussi celui des personnes morales.

La définition du domicile est celle qui se dégage de la jurisprudence relative à l'article 56 du code de procédure pénale qui concerne les perquisitions menées dans le cadre de l'enquête de flagrance. La Cour de cassation, de jurisprudence constante, estime que le domicile ne désigne pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement 4 ( * ) , mais encore le lieu, qu'elle y habite ou non, où elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux 5 ( * ) .

L'article 53 du code de procédure pénale prévoit qu'« est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre . Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne [...] présente des traces ou indices, laissant penser qu'elle a participé au crime ou au délit ».

La caractérisation de la flagrance de l'infraction est particulièrement importante car elle permet aux services de police et de gendarmerie d'intervenir immédiatement, et de diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance, d'arrêter l'auteur de l'infraction sur les lieux, de le placer en garde à vue... L'intervention des forces de l'ordre dans le cadre de ces dispositions se fait sous l'autorité exclusive du procureur de la République et non du préfet. 6 ( * )

Contrairement à ce qui est souvent avancé, le droit positif ne fixe aucun délai précis pour la flagrance , quelle que soit l'infraction concernée. L'article 53 du code de procédure pénale (CPP) est un article général qui définit la flagrance pour l'ensemble des crimes et des délits. Sa rédaction est donc volontairement ouverte pour permettre de couvrir l'ensemble des situations. Est flagrant, le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. La durée évoquée par les auteurs du texte, 48 heures, est issue de la pratique. Elle n'est pas intangible et ne saurait contraindre le juge dans son appréciation du temps « très voisin de l'action » 7 ( * ) .

Dès lors, votre rapporteur n'estime pas opportun d'introduire dans cet article général, qui concerne l'ensemble des crimes et délits, un délai spécifique pour l'infraction de violation de domicile. Plus globalement, il n'estime pas opportun d'apporter une première dérogation au principe de l'absence de fixation de durée fixe pour constater la flagrance d'une infraction , quelle qu'elle soit.

De plus, limiter la durée de la flagrance à 96 heures à compter de la commission de l'infraction peut s'avérer contraire à l'intérêt de la victime . Si celle-ci est absente pour une durée supérieure (hospitalisation, vacances, voyage à l'étranger...), et que pendant son absence le maintien dans les lieux du squatteur se poursuit, à son retour, les forces de l'ordre ne pourraient plus agir sur le fondement de l'article 53 du CPP.

Pour autant, votre rapporteur comprend parfaitement l'intention qui motive le présent article. Si l'introduction dans le domicile par le squatteur n'est pas constatée rapidement, dans les 48 heures par exemple, le délit n'est plus flagrant et les forces de l'ordre ne peuvent plus intervenir.

Cependant, cette situation ne résulte pas, selon lui, de la fixation d'une durée prétorienne de 48 heures pour constater la flagrance, mais d'une ambigüité dans la rédaction de l'article 226-4 du code pénal .

L'article 226-4 du code pénal punit « l'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » 8 ( * ) .

La rédaction actuelle de cet article est issue de la réforme du code pénal par les lois n° s 92-683 à 92-686 du 22 juillet 1992, entrée en vigueur au 1 er mars 1994. La circulaire du 14 mai 1993 9 ( * ) a précisé qu' en étendant la répression de l'infraction de violation de domicile à l'hypothèse du maintien dans le domicile d'autrui, le nouveau code pénal transformait cette infraction instantanée en infraction continue 10 ( * ) .

Cette précision avait pour objet de rendre plus efficaces les procédures engagées contre les squatters, en permettant l'utilisation des outils de la flagrance à leur encontre, alors même que l'occupation sans droit ni titre avait commencé depuis un certain temps.

Le ministère de la justice a depuis confirmé cette interprétation dans plusieurs réponses à des questions écrites de parlementaires. « L'infraction de violation de domicile est un délit continu : tant que la personne se maintient dans les lieux [...] , les services de police ou de gendarmerie peuvent diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance » 11 ( * ) .

Cependant, cette interprétation n'a jamais été confirmée par la Cour de cassation. La Cour d'appel de Paris, par exemple, l'a d'ailleurs écartée dans une décision du 22 février 1999 12 ( * ) . Elle a considéré que la violation de domicile n'était pas une infraction continue, commencée lors de l'introduction dans le domicile et qui se poursuivrait par le maintien dans les lieux, mais qu' elle se commettait aussi bien lors de l'entrée que lors du maintien à chaque fois qu'il est fait usage de manoeuvres, menaces ou voies de fait pour y parvenir .

Dès lors, si les « manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », n'ont été utilisées qu'au moment de l'introduction dans le domicile, et non pas, ensuite, durant le maintien dans les lieux, le flagrant délit ne pourrait être constaté que dans un temps très voisin de l'introduction dans le domicile, même si l'occupation s'est poursuivie pendant un certain temps.

Or, si les « manoeuvres, menaces, voies de fait et contrainte » sont couramment utilisées au moment de l'introduction dans les lieux (bris de fenêtre, serrure forcée...), elles le sont bien moins souvent pour le maintenir dans les lieux.

Selon votre rapporteur, la rédaction de l'article 226-4 du code pénal n'est pas claire sur ce point. « Les manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », semblent effectivement concerner aussi bien l'introduction que le maintien dans le domicile d'autrui.

La loi pénale étant d'interprétation stricte, votre rapporteur a donc estimé nécessaire de préciser la rédaction de l'article 226-4 du code pénal pour lever toute ambigüité quant au caractère continu de cette infraction et permettre ainsi aux forces de l'ordre d'intervenir , sur le fondement de l'article 53 du code de procédure pénale, pour flagrant délit de violation de domicile, tout au long du maintien dans les lieux , quelle qu'en soit sa durée.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a donc adopté un amendement qui dissocie explicitement les deux phases de l'infraction. L'introduction dans le domicile d'autrui, pour être sanctionnée, devra être le fait de « manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », en revanche, le maintien dans le domicile, à la suite de cette introduction, sera sanctionné en tant que tel, sans qu'il soit nécessaire que ce maintien soit le fait de « manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».

Votre commission a ensuite adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 2
(art. 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale)
Saisine du préfet par le maire pour qu'il mette en demeure l'occupant sans titre d'un domicile de quitter les lieux

Cet article vise à modifier l'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, dite loi « DALO », pour prévoir que le maire, qui a connaissance d'une violation de domicile, peut demander au préfet de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux.

L'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le « DALO » a mis en place une procédure dérogatoire au droit commun, permettant au propriétaire ou au locataire dont le domicile fait l'objet d'une occupation résultant « de manoeuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte », de saisir le préfet pour qu'il procède à l'évacuation forcée des lieux.

Selon les représentants des services du ministère de l'intérieur, entendus par votre rapporteur, cette procédure est mal connue des propriétaires ou des locataires et est, dès lors, peu utilisée. Dans les faits, selon les données fournies à votre rapporteur par les services du Conseil d'État, l'article 38 n'a donné lieu qu'à un faible contentieux devant le juge administratif. Seules dix affaires ont été recensées entre 2011 et 2014, dont quatre en référé-liberté tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire expulser l'occupant.

Cette procédure est quelque peu « hybride » puisqu'elle prévoit l'utilisation de la force publique pour protéger des intérêts privés, alors que classiquement, le recours à la force publique est privilégié pour prévenir les troubles à l'ordre public, ce qui explique, pour reprendre les termes des représentants des services du ministère de l'intérieur, entendus par votre rapporteur, que les préfets l'utilisent « avec discernement ».

Certes, certains squats, en raison de leur importance et des conditions d'occupation des locaux qu'ils présentent, mettent en péril la salubrité, la sûreté et la tranquillité publiques mais, dans ce cas, le préfet est déjà pleinement compétent pour intervenir en application de l'article L. 6212-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT) 13 ( * ) .

De même, le maire, en vertu de ses pouvoirs de police 14 ( * ) , communique déjà régulièrement avec le préfet lorsque la sécurité publique est menacée .

Dès lors , il n'apparait pas opportun à votre rapporteur de prévoir à l'article 38 que le maire peut saisir le préfet pour qu'il procède à l'expulsion des occupants d'un domicile privé.

Par ailleurs, votre rapporteur tient à relever la portée limitée de la procédure prévue au présent article . En effet, si l'article 38 dispose que le propriétaire peut demander au préfet de mettre en demeure l'occupant sans titre de quitter les lieux, le préfet n'est pas tenu de faire droit à cette demande. Ce n'est que dans le cas où il a délivré une mise en demeure, et qu'elle n'est pas suivie d'effet, que le préfet est alors contraint de procéder à l'évacuation forcée. La faculté ouverte au maire de saisir le préfet ne fait donc pas naître d'obligation pour ce dernier.

Il existe également un risque de voir la responsabilité du maire engagée s'il n'a pas agi alors qu'il avait connaissance de cette occupation ou, à l'inverse, s'il a agi de manière abusive, en déclenchant indument l'expulsion de personnes, dans l'hypothèse où il n'aurait pas réussi à contacter le propriétaire ou le locataire du logement.

Enfin, le présent article pose d'importantes difficultés en ce qu'il étend considérablement le champ d'application de la procédure dérogatoire du droit commun prévue à l'article 38 de la loi DALO car, outre l'occupation du domicile, il s'appliquerait également à l'occupation des logements vacants.

Pour l'ensemble de ces raisons, suivant la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement emportant la suppression de l'article 2.

Intitulé de la proposition de loi
Référence à l'infraction de violation de domicile dans le titre du texte

Par cohérence avec les modifications apportées au texte, et dans un souci de précision juridique, votre commission a adopté un amendement modifiant l'intitulé de la proposition de loi, pour faire référence à l'infraction de violation de domicile plutôt qu'à l'expulsion des squatteurs, titre qui pouvait laisser penser à tort que le texte créait une nouvelle procédure d'expulsion dérogatoire du droit commun.

* *

*

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.


* 4 En matière civile l'article 102 du code civil dispose en effet que « le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement » .

* 5 Cour de cassation, chambre criminelle, 26 février 1963.

* 6 Circulaire n° 94-68 du 26 août 1994 sur la prévention des expulsions de locaux et exécution des décisions de justice prononçant une expulsion de locaux d'habitation.

* 7 Par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 février 1991 (n° 90-87.360), a considéré que la cour d'appel avait rejeté à bon droit l'exception de nullité de la procédure de crime flagrant dès lors qu'elle avait pu estimer que les autorités de police avaient été saisies des faits dans un temps très voisin de l'action, ici, 28 heures après la commission des faits.

* 8 En effet, en cas de perquisitions, ou encore en matière de procédures d'exécution forcée (avec saisies mobilières par un huissier par exemple), l'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui peut être justifié.

* 9 Circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à son entrée en vigueur.

* 10 Une infraction continue se caractérise par le fait qu'elle dure dans le temps. Elle s'oppose à l'infraction instantanée qui s'accomplit immédiatement. Sont par exemple des infractions continues, le port d'armes prohibées, la conduite régulière d'un véhicule sans permis de conduire, le recel d'un objet volé. Le délai de prescription de ces infractions commence à courir à partir du moment où l'infraction a cessé de s'accomplir.

* 11 Réponse du ministère de la justice à la question écrite n° 01067 de M. Jean-Marie Bockel, sénateur, publiée dans le JO Sénat du 27/12/2012, p. 3088 ou réponse du ministère de la justice à la question écrite n° 84576 de Mme Martine Aurillac, députée, publiée dans le JO Assemblée nationale du 20/07/2010.

* 12 Cour d'appel de Paris, 22 février 1999, Juris-Data n° 1999-020245.

* 13 L'article L. 6212-3 du CGCT dispose en effet que : « le représentant de l'État peut prendre toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques ».

* 14 Les pouvoirs de police du maire sont prévus aux articles L. 2211-1 et suivants du CGCT.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page