EXAMEN EN COMMISSION

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Mercredi 3 décembre 2014

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - La proposition de loi, dont je ne suis pas signataire, émane du maire de Calais, Madame Natacha Bouchart. La ville compte environ 3 000 personnes en situation irrégulière dont la présence est liée à des bandes organisées de passeurs. Sa situation particulière et médiatisée explique que l'auteur de la proposition de loi ait voulu compléter l'arsenal législatif existant et notamment les dispositions de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (Dalo).

La protection du domicile relève traditionnellement du juge judiciaire. La Cour de cassation donne une interprétation extensive de la notion de domicile qu'elle définit comme le lieu où une personne a le droit de se dire chez elle. À côté des procédures judiciaires classiques, au fond, en référé ou sur requête, l'article 38 de la loi Dalo a ouvert la possibilité au propriétaire ou au locataire d'un domicile illégalement occupé de saisir le préfet pour obtenir l'expulsion de l'occupant illégal sans décision de justice. Malgré ce dispositif législatif très complet, les occupations illicites de domiciles se multiplient. À Calais, certains squats comptent jusqu'à 350 occupants. Cela concerne tant les villas que les immeubles.

La proposition de loi a pour objectif d'apporter une réponse rapide à la personne victime de l'occupation de son domicile car plus la situation dure et plus il est difficile d'y mettre fin. À mon sens, les dispositions du texte ne servent pas efficacement cet objectif.

Le premier article de la proposition de loi prévoit de modifier l'article 53 du code de procédure pénale afin d'allonger de 48 à 96 heures la durée pendant laquelle le flagrant délit d'occupation sans titre d'un logement peut être constaté. Mais, ni l'article 53 précité, texte général qui définit la flagrance pour l'ensemble des crimes et délits, ni aucun autre texte ne fixe un délai de flagrance. Est flagrant le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. Le délai de 48 heures évoqué par la proposition de loi est un délai prétorien. Introduire un délai légal de flagrance pour le seul délit de violation de domicile est problématique et ne résoudrait pas les difficultés rencontrées sur le terrain. Au-delà de 96 heures, la flagrance n'existerait plus. Les difficultés viennent en réalité d'une ambiguïté dans la rédaction de l'article 226-4 du code pénal qui punit « l'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». L'interprétation du ministère de la justice est claire : la violation de domicile est un délit continu. Cette interprétation n'a cependant pas été confirmée par la Cour de cassation et la Cour d'appel de Paris, par exemple, l'a écartée dans une décision du 22 février 1999. Et, de fait, le texte semble exiger que les manoeuvres, menaces, voies de fait et contrainte soient utilisées au moment de l'introduction dans les lieux puis ensuite pour s'y maintenir, ce qui est rarement le cas en pratique. Dès lors, si les manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, n'ont été utilisées qu'au moment de l'introduction dans les lieux, la flagrance ne peut alors être invoquée que dans un temps très voisin de l'intrusion dans le domicile.

Plutôt que de toucher à l'article 53 du code de procédure pénale, je propose de modifier l'article 226-4 du code pénal pour lever tout doute sur le caractère continu de l'infraction de violation de domicile et permettre aux forces de l'ordre d'intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, quelle que soit sa durée.

Le second article de la proposition de loi autorise le maire qui a connaissance d'une violation de domicile à saisir le préfet d'une demande de mise en demeure à l'occupant de quitter les lieux. En pratique les contacts entre le maire et le préfet existent déjà. Est-il opportun de confier au maire la défense de la propriété privée de ses administrés en dehors de toute considération de sécurité publique ? S'il s'abstient d'agir, ne court-il pas le risque de voir sa responsabilité engagée ? À mon sens, il n'est pas raisonnable d'étendre le dispositif de l'article 38 de la loi Dalo qui est déjà dérogatoire au droit commun. La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a renforcé les dispositions relatives à la trêve hivernale. Je propose donc de supprimer l'article 2.

M. Philippe Bas , président . - Vous suggérez de modifier la proposition de loi pour atteindre les objectifs qu'elle se donne par d'autres moyens. Vous ne souhaitez pas fixer un délai de flagrance ni permettre au maire de se substituer au propriétaire pour solliciter l'intervention du préfet.

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - La vraie difficulté vient des différentes interprétations du caractère continu du délit de violation de domicile.

M. François Pillet . - Je remercie notre rapporteur pour la précision de son analyse juridique. Le titre de la proposition de loi ne correspond pas à son contenu ; il donne à penser que nous élaborons un droit dérogatoire, spécifique aux squatteurs de domicile. C'est regrettable. Il conviendrait de donner à ce texte un titre technique qui ne crée pas de confusion.

M. Jean-Yves Leconte . - L'analyse du rapporteur rejoint nos réflexions. Je m'associe à la remarque de François Pillet. Le propriétaire victime d'une occupation illicite de son domicile ne doit pas être réduit à appeler le Samu social pour se loger ! Les forces de l'ordre doivent pouvoir intervenir au titre du flagrant délit en cas de maintien dans les lieux. Il convient toutefois d'agir avec mesure. Je partage l'analyse du rapporteur sur l'article 2. La proposition de loi nous donne l'occasion de réfléchir à la portée de la loi Alur, sur laquelle nous n'avons pas encore de recul, et sur l'application des dispositions de l'article 38 de la loi Dalo pendant la trêve hivernale.

M. Alain Richard . - Soyons objectifs : le squat, ce n'est pas seulement une occupation romantique ! Le squat, c'est aussi une délinquance grave qui s'exerce le plus souvent au détriment des demandeurs de logements sociaux. L'occupation illicite de HLM est une activité organisée et lucrative : les squatteurs sont souvent rançonnés par les organisateurs... De ce point de vue, la proposition de loi trouve une justification réelle, au-delà de sa portée médiatique. Le dispositif législatif actuel est insuffisant. En pratique, il est impossible d'obtenir l'intervention du préfet plus de 48 heures après l'introduction de squatteurs dans les lieux. Même s'il n'est pas prévu par les textes, l'administration applique le délai de 48 heures par crainte d'une censure des tribunaux. Les organisateurs de squats le savent et en jouent. Je comprends l'analyse juridique du rapporteur sur la notion de délit continu. Je voudrais toutefois comprendre l'incidence de l'incise « hors les cas où la loi le permet ». Quelles sont les hypothèses visées ?

Il est loisible de justifier la suppression de l'article 2 en invoquant les relations étroites entre maire et préfet : le maire n'a pas besoin d'une loi pour téléphoner au préfet. Toutefois, lorsque le préfet est saisi par le propriétaire sur le fondement de l'article 38 de la loi Dalo, il est tenu d'agir. Prévoir une saisine par le maire sur le fondement du même texte renforcerait l'efficacité du dispositif. Affirmer que le maire ne serait pas dans son rôle en saisissant le préfet prête à sourire : une telle saisine se rattache manifestement à ses prérogatives de garant de l'ordre public. Une occupation illicite ne se déroule jamais pacifiquement. Le risque d'engagement de la responsabilité du maire est très théorique puisqu'en la matière la faute grave est requise. Pour éviter d'avoir à intervenir, le préfet a la tentation de jouer la montre. Sa saisine par le maire l'empêcherait d'y succomber.

M. René Vandierendonck . - Je signale un entretien donné aujourd'hui à la Voix du Nord par le préfet de la région Nord-Pas de Calais. Il explique avoir mis un entrepôt à disposition pour accueillir des personnes sans hébergement pendant la trêve hivernale.

M. Pierre-Yves Collombat . - Je suis déçu d'apprendre que les problèmes de Calais ne sont pas résolus. Je remercie notre rapporteur d'avoir toiletté les dispositions de la proposition de loi. Il convient de distinguer les cas d'occupation de domiciles temporairement inoccupés - par exemple lors d'un séjour à l'hôpital - et celle de locaux vacants. La solution de notre rapporteur règle la première situation. La seconde pourrait relever des dispositions de droit commun.

Mme Cécile Cukierman . - Nous sommes en présence d'une proposition de loi présentée pour des raisons d'affichage médiatique. Son titre, en total décalage avec son contenu, en est la meilleure preuve. Le texte ne s'attaque pas aux organisateurs des occupations illicites. Il vise l'occupation des domiciles privés mais ne traite pas du problème de l'occupation des immeubles et bâtiments vacants. Je regrette qu'il n'évoque pas les difficultés des personnes sans domicile, trimbalées de lieux en lieux, notamment les migrants. Je doute que la proposition de loi améliore la situation à Calais.

Mme Esther Benbassa . - Je rejoins les observations de Cécile Cukierman. Je crains que ce texte ait uniquement pour objet de faciliter l'expulsion de migrants ayant trouvé refuge dans des logements inoccupés. Ma suspicion s'appuie sur le souvenir de ce qu'il y a un an, Mme Bouchart appelait les Calaisiens, sur sa page Facebook, à dénoncer les squats de migrants. Je reste sceptique sur la proposition de loi malgré les améliorations apportées par notre rapporteur.

M. Philippe Bas , président . - Notre commission travaille sur une proposition de loi et non sur les écrits de Mme Bouchart sur les réseaux sociaux.

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - Je partage l'idée qu'il conviendrait de modifier le titre du texte. Il pourrait être : « proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile ». Ainsi que l'observe Jean-Yves Leconte, nous sommes dans l'incertitude sur la manière dont les tribunaux interpréteront la loi Alur. Certains auteurs estiment qu'en cas d'inaction du préfet en raison de la trêve hivernale, le juge judiciaire pourra être saisi en référé dans le cadre du droit commun.

Certes, il est nécessaire de protéger le droit de propriété, comme l'a rappelé Alain Richard, mais nous ne pouvons ignorer certaines situations sociales très délicates ; un équilibre doit être trouvé.

Il est indéniable que nombre de squats sont organisés par des bandes. En Savoie, des migrants sont pris en charge à la sortie du tunnel du Mont-Blanc par des réseaux criminels qui connaissent les failles de la loi et les exploitent. Les migrants sont introduits dans les locaux vides le vendredi soir au moment de la fermeture des services administratifs. Le lundi, il est trop tard pour les expulser. On peut imaginer que l'incise à laquelle Alain Richard se réfère a voulu préserver la possibilité pour les autorités judiciaires d'intervenir, lors de perquisitions par exemple.

Je comprends l'intérêt de donner au maire une capacité de saisine. Pour autant, il peut ignorer certaines situations ou ne pas vouloir intervenir. En l'état du texte, un particulier pourrait lui reprocher de ne pas avoir saisi le préfet. Je m'en tiens donc à ma proposition.

La loi Dalo a créé un régime dérogatoire au droit commun sans intervention du juge judiciaire. Ceci étant, même dans le cadre général, le préfet intervient pour exécuter les décisions de justice prononçant l'expulsion. Sur le plan opérationnel, le cadre législatif actuel est satisfaisant.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - L'amendement n° 1 propose de modifier l'article 226-4 du code pénal pour dissocier les deux phases de l'infraction. L'introduction dans le domicile d'autrui, pour être sanctionnée, doit être précédée de « manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». En revanche, le maintien dans le domicile à la suite de l'introduction illégale serait sanctionné en tant que tel.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article 2

M. André Reichardt . - Sensible aux observations d'Alain Richard, je ne suis pas favorable à la suppression de l'article 2. La victime d'une occupation illégale va naturellement voir le maire. Le risque allégué d'un engagement de la responsabilité de ce dernier s'il s'abstient de saisir le préfet est inexistant car le texte prévoit seulement la possibilité pour le maire de cette saisine, sans la rendre obligatoire. Le maire peut toujours saisir le préfet sans texte mais cela ne justifie pas qu'on ne précise pas que cette possibilité existe.

M. Jean-Jacques Hyest . - Nous allons encadrer la possibilité d'un maire de saisir le préfet. Or le maire peut toujours saisir le préfet !

M. Alain Richard . - Aux termes de l'article 38, le propriétaire a la faculté de saisir le préfet mais, dans ce cas, le préfet est tenu d'adresser une mise en demeure à l'occupant illicite. Il faut une mention légale pour ouvrir au maire la faculté de saisir le préfet dès lors que celui-ci sera obligé d'agir.

M. Jean-Yves Leconte . - En cas de troubles à l'ordre public d'autres dispositions permettent d'agir. Le texte vise le cas où le maire ne peut contacter le propriétaire. Cela signifie qu'il ne sait même pas s'il y a ou non occupation illicite.

M. François Grosdidier . - Prévoir que le maire puisse saisir le préfet donne une légitimité à l'action du préfet qui n'aura pas été saisi par le propriétaire.

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - Dans le cadre des dispositions de l'article 38, le propriétaire ne peut saisir le préfet qu'après avoir déposé plainte et sous réserve de justifier que le logement occupé constitue son domicile. Il serait donc hasardeux pour un maire de saisir le préfet sans connaître le propriétaire. L'article 38 a créé un dispositif suscitant déjà certaines interrogations au regard du droit constitutionnel. Ouvrir ce dispositif au maire fragiliserait davantage son assise juridique. J'en reste donc à la suppression de l'article 2.

M. Alain Richard . - Soutenir la position du rapporteur revient à considérer qu'une occupation illicite constitue seulement une atteinte à la propriété privée alors qu'il s'agit également d'un trouble à l'ordre public, lequel justifie l'intervention du maire. Les squatteurs sont bien conseillés. Nul doute qu'ils auraient saisi le conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité s'ils pensaient que l'article 38 est contestable.

M. Pierre-Yves Collombat . - L'article 2 prévoit l'intervention du maire en cas d'occupation du domicile d'un de ses administrés ou d'un logement vacant. C'est ce qui me gêne, car les situations sont très différentes. Il y a une contradiction entre le titre de la proposition -qui vise seulement les occupations de domicile- et son contenu.

M. Jean-René Lecerf . - Une alternative à la suppression de l'article 2 serait sa réécriture en supprimant la mention « le cas échéant » et l'hypothèse de l'occupation d'un logement vacant.

M. Philippe Bas , président . - L'article 38 prévoit que le propriétaire peut demander au préfet de mettre en demeure l'occupant sans titre de quitter les lieux. Le préfet n'est pas tenu de faire droit à cette demande. En revanche, s'il y a eu mise en demeure et si elle n'a pas été suivie d'effet, le préfet doit procéder à l'intervention forcée, il a compétence liée. L'interprétation du président Hyest est exacte. La faculté laissée au maire de saisir le préfet ne fait pas naître d'obligation pour ce dernier. En d'autres termes, la proposition de loi prévoit une faculté pour le maire qui ne lie pas le préfet. Nous discutons du point de savoir si le maire peut faire ce qu'il fait couramment, c'est-à-dire prévenir le préfet de l'existence d'un squat. La portée juridique du texte est réduite !

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - Je maintiens ma proposition de suppression de l'article 2.

L'amendement n° 2 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi

M. Jean-Pierre Vial , rapporteur . - La proposition de loi aurait pour titre « tendant à préciser l'infraction de violation de domicile »

L'amendement n° 3 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction des travaux issue de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Maintien dans le domicile d'autrui à la suite d'une introduction illégale dans ce domicile

M. VIAL, rapporteur

1

Précision relative au caractère continu de l'infraction de violation de domicile

Adopté

Article 2
Saisine du préfet par le maire pour qu'il mette en demeure l'occupant
sans titre d'un domicile de quitter les lieux

M. VIAL, rapporteur

2

Suppression

Adopté

Intitulé

M. VIAL, rapporteur

3

Référence à l'infraction de violation de domicile

Adopté

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