CHAPITRE II - RESPONSABILITÉ FINANCIÈRE

Article 33 (supprimé) (art. L. 1611-10 [nouveau] du code général des collectivités territoriales) - Possibilité d'action récursoire de l'État contre les collectivités territoriales en cas de condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne

Le présent article tend à associer les collectivités territoriales et leurs groupements au paiement des amendes dues par l'État au titre des compétences décentralisées à la suite d'une condamnation par la Cour de Justice de l'Union européenne.

La procédure de manquement à l'encontre d'un État défaillant
vis-à-vis du droit européen

Le recours en manquement fait partie des recours pouvant être exercés devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Il permet à cette dernière de contrôler le respect, par les États membres, des obligations leur incombant en vertu du droit européen. Régi par les articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), il peut être engagé par la Commission ou par un État membre à l'encontre d'un autre État membre suspecté de na pas avoir respecté le droit de l'Union européenne.

Le manquement peut être le fait d'actes (adoption d'un texte contraire au droit européen, refus exprès d'abroger une mesure interne contraire, ...) ou résulter de faits (pratiques administratives ...). Il peut également être la conséquence de comportements positifs (actions) ou négatifs (retards dans la transposition d'une directive ou absence de communication des mesures nationales d'exécution à la Commission par les États membres).

L'acte doit être imputable à l'État membre. La Cour de justice de l'Union européenne interprète largement la notion d'État qui concerne l'ensemble de ses organes (gouvernement, parlement, entités fédérées ou collectivités infra-étatiques ...).

Articles relatifs aux manquements des État membres au droit européen
et ses conséquences du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 258

Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.

Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne.

Article 259

Chacun des États membres peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne s'il estime qu'un autre État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités.

Avant qu'un État membre n'introduise, contre un autre État membre, un recours fondé sur une prétendue violation des obligations qui lui incombent en vertu des traités, il doit en saisir la Commission.

La Commission émet un avis motivé après que les États intéressés ont été mis en mesure de présenter contradictoirement leurs observations écrites et orales.

Si la Commission n'a pas émis l'avis dans un délai de trois mois à compter de la demande, l'absence d'avis ne fait pas obstacle à la saisine de la Cour.

Article 260

1. Si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour.

2. Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances.

Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.

Cette procédure est sans préjudice de l'article 259.

3. Lorsque la Commission saisit la Cour d'un recours en vertu de l'article 258, estimant que l'État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d'une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu'elle le considère approprié, indiquer le montant d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte à payer par cet État, qu'elle estime adapté aux circonstances.

Si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l'État membre concerné le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission. L'obligation de paiement prend effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.

Article 280

Les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne ont force exécutoire dans les conditions fixées à l'article 299.

Au regard du droit européen, seuls les États membres ont à répondre des manquements commis sur leur territoire. En d'autres termes, en cas de violation du droit communautaire, les procédures communautaires existantes ne s'appliquent qu'aux seuls États membres, même si le manquement ne relève pas de l'État lui-même, mais d'une autre personne publique telle qu'une collectivité territoriale.

Deux États européens ont mis en place un dispositif d'action récursoire de l'État envers ses collectivités territoriales, en cas de condamnation par la Cour de Justice de l'Union européenne. En Belgique, l'article 169 de la Constitution autorise l'État fédéral à répercuter sur la communauté ou la région défaillante les frais résultant du non-respect, par celle-ci, d'une action internationale et donc, a fortiori , d'un manquement à une disposition communautaire. L'Autriche a également mis en place un mécanisme spécifique d'action récursoire à l'encontre des Länder en cas de condamnation de l'État. Il revient alors à ces derniers de déterminer entre eux celui ou ceux devant assurer le remboursement du montant effectif de l'astreinte au gouvernement central.

Ø Une proposition ancienne

En France, il n'existe à l'heure actuelle aucun dispositif d'action récursoire de l'État à l'encontre des collectivités territoriales, qui pourrait être utilisée à la suite d'une condamnation par la Cour de Justice de l'Union européenne portant sur une compétence décentralisée.

Un dispositif spécifique d'action récursoire applicable aux collectivités territoriales est cependant prévu à l'article L. 1511-1-1 du code général des collectivités territoriales. En vertu de ces dispositions, l'État est chargé de notifier à la Commission européenne les projets d'aides ou de régimes d'aides que les collectivités territoriales souhaitent mettre en oeuvre. Si le versement d'une aide par une collectivité territoriale à une entreprise est jugé indu par la Commission européenne ou la Cour de justice de l'Union européenne, la collectivité territoriale est tenue de procéder sans délai à la récupération de cette aide. À défaut, le représentant de l'État territorialement compétent, après une mise en demeure restée sans effet dans un délai d'un mois à compter de sa notification, est chargé de procéder d'office à l'émission du titre nécessaire à cette récupération. Par ailleurs, les collectivités territoriales sont tenues de supporter les conséquences financières pouvant résulter, pour l'État, de l'exécution tardive ou incomplète des décisions de récupération. Cette charge constitue une dépense obligatoire, au sens de l'article L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales.

Depuis 2003, plusieurs rapports ont proposé la mise en place d'un tel dispositif dès lors que la condamnation de ce dernier était le résultat de l'action - ou de l'inaction - des collectivités afin de mieux responsabiliser ces dernières.

Ainsi, en 2010, le Conseil d'État 128 ( * ) a réaffirmé - à l'instar de son rapport public de 2003 consacré aux collectivités territoriales et au droit communautaire - la nécessité de compléter le droit actuel par l'introduction d'une action en coresponsabilité entre l'État et les collectivités territoriales ou une action récursoire de l'État contre les collectivités, « de manière à instaurer une incitation forte au respect du droit communautaire par ces dernières ». Ce principe a également été défendu par la Cour des comptes dans ses rapports annuels de 2007 et 2008.

À la suite d'une proposition de Mme Nelly Olin, alors ministre de l'écologie et du développement durable, devant le comité interministériel pour l'Europe du 6 février 2006, notre collègue, Mme Fabienne Keller 129 ( * ) , avait émis les plus vives réserves à cette proposition, en faisant valoir « qu'il était inopportun de faire payer aux collectivités le non-respect de normes communautaires à l'élaboration desquelles elles n'étaient nullement associées . » Cette proposition avait été reprise par le Conseil d'État en 2007 130 ( * ) qui avait estimé qu' « avant d'envisager [...] d'inscrire d'office au budget des collectivités territoriales les amendes ou astreintes prononcées par la Cour de justice [...], il conviendrait en tout état de cause de mieux les associer à la définition des positions de négociation ».

• Le dispositif du projet de loi

Le présent article vise à insérer, dans le code général des collectivités territoriales, un nouvel article L. 1611-10, au sein du chapitre I er du titre I er du livre VI de la première partie de ce code consacré aux dispositions financières et comptables.

Ø Le I de cet article dispose que les collectivités territoriales et leurs groupements supporteraient les conséquences financières des condamnations de l'État prononcées par la Cour de Justice de l'Union européenne, pour tout manquement qui leur serait imputable, en partie ou en totalité. Cette disposition ne serait pas exclusive de celle prévue à l'article L. 1511-1-1 du code général des collectivités territoriales concernant les aides d'entreprises octroyées par les collectivités.

Ø Les collectivités territoriales ou leurs groupements seraient, en vertu du II, informés par l'État soit dès l'engagement d'une procédure de manquement par la commission européenne ou la Cour de Justice de l'Union européenne, dans les conditions des articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, soit lors de la procédure juridictionnelle devant la Cour de Justice. Les collectivités territoriales ou leurs groupements pourraient présenter leurs observations à l'État afin que celui-ci puisse assurer sa défense.

Ø À la suite de la notification de l'arrêt de la Cour de Justice à l'État, prévue par le III, ce dernier pourrait proposer une répartition de la somme due entre les collectivités territoriales et leurs groupements, après avoir déduite, le cas échéant, la part financière lui incombant. Les collectivités territoriales ou leurs groupements disposeraient alors d'un délai, fixé par voie réglementaire, pour formuler des observations sur la proposition de l'État.

Ø Deux cas de figure sont alors envisagés. En vertu du IV, en cas d'accord entre l'État et les collectivités territoriales ou leurs groupements sur le partage de l'amende qui serait assumé par ces derniers, un décret fixerait la répartition des sommes dues.

Ø En cas de désaccord, le V prévoit qu'un décret fixe le montant de la somme et sa répartition, en fonction des responsabilités respectives, après avoir recueilli l'avis d'une commission composée à parité de conseillers d'État et de magistrats de la Cour des comptes.

Ø Enfin, un décret en Conseil d'État est prévu pour fixer les modalités d'application de ces dispositions, en vertu du VI.

• La position de la commission

Lors de son audition, Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, a indiqué à votre commission que ce dispositif visait en particulier la gestion des fonds structurels européens, qui relève désormais des régions, afin de les responsabiliser en cas de manquement aux règles européennes. En revanche, elle a précisé que l'État demeurerait responsable pour la part de gestion en matière de fonds social européen (FSE).

Toutefois, la rédaction proposée par le présent article concerne non pas seulement la gestion des fonds structurels européens mais l'ensemble des compétences relevant, totalement ou partiellement, des collectivités territoriales.

L'application de ces dispositions à l'ensemble des compétences locales soulève à cet égard plusieurs interrogations.

Tout d'abord, certaines compétences sont partagées entre l'État et les collectivités territoriales si bien que la répartition des responsabilités peut s'avérer complexe ainsi que sa répercussion financière. Certaines collectivités pourraient ne pas être en mesure d'acquitter cette dépense obligatoire ce qui ce qui les conduirait à revoir à la baisse leurs investissements.

Par ailleurs, certains manquements aux obligations communautaires peuvent être liés à la négligence du contrôle de légalité effectué par l'État. Il apparaît contradictoire pour votre commission que l'État puisse engager une action récursoire à l'encontre d'une collectivité en raison d'une condamnation prononcée par la Cour de Justice de l'Union européenne alors même qu'il n'aurait utilisé aucun dispositif de contrôle à sa disposition pour prévenir un tel manquement. Une action récursoire ne peut se justifier que si l'État a effectué un contrôle de légalité efficace. Une action récursoire ne doit pas représenter pour l'État une facilité destinée à réparer sa propre négligence.

Enfin, les États européens ayant mis en oeuvre un tel dispositif sont des États fédérés dans lesquels les entités infra-étatiques sont associées au processus décisionnel européen. Force est de constater que ce n'est pas le cas de nos collectivités territoriales, la France étant une République décentralisée, non un État fédéré. Par ailleurs, votre commission a rappelé que les collectivités territoriales n'étant pas signataires des traités européens, ni associées à leur élaboration, elles ne sauraient être responsables du manquement au respect d'une règle européenne.

C'est pourquoi, compte tenu de ces remarques, que votre commission a adopté, à titre conservatoire, cinq amendements identiques tendant à la suppression du présent article, sur proposition de ses rapporteurs, MM. Jacques Mézard, Bernard Cazeau, Louis Nègre et Gérard Collomb. Elle a invité le Gouvernement à proposer un dispositif applicable à la seule gestion des fonds structurels européens et respectueux de l'autonomie locale.

Votre commission a supprimé l'article 33.


* 128 Conseil d'État, rapport public « L'eau et son droit », juin 2010.

* 129 Rapport n° 332 (2006-2007) de Mme Fabienne Keller, « Changer de méthode ou payer : un an après, la France face au droit communautaire de l'environnement », fait au nom de la commission des finances du Sénat.

* 130 Conseil d'État, rapport public « L'administration française et l'Union européenne : quelles influences ? quelles stratégies , », 2007.

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