N° 362

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 mars 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ,

Par M. Antoine LEFÈVRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Jean Germain, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Alain Houpert, Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel, Richard Yung .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

2285 , 2505 et T.A. 469

Sénat :

269 et 363 (2014-2015)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi vise, comme son titre l'indique, à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques . Aussi, les développements suivants s'attachent, tout d'abord, à revenir sur la notion de produit intérieur brut (PIB), qui constitue le principal indicateur du système de comptabilité nationale et détermine, par suite, étroitement nos représentations de la richesse - de même que la manière dont sont menées les politiques publiques . Par ailleurs, ils s'appliquent à identifier les limites du PIB et à présenter les différentes initiatives prises, tant en France qu'à l'étranger, en faveur du développement de nouveaux indicateurs de richesse.

I. LE PIB, UNE REPRÉSENTATION LIMITÉE DE LA RICHESSE CRÉÉE

Il est généralement admis que le produit intérieur brut (PIB) trouve son origine dans les travaux précurseurs menés Simon Kuznets à la demande du Sénat des États-Unis au début des années 1930 1 ( * ) ; il s'agissait, pour cet économiste américain, de développer une mesure nouvelle permettant d'appréhender les évolutions de l'activité économique . Si le PIB s'est rapidement imposé comme le principal indicateur de richesse, notamment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il a également été, dès l'origine, fortement critiqué en raison de ses limites intrinsèques.

A. UNE MESURE CENTRALE DE LA COMPTABILITÉ NATIONALE

Selon Eurostat, le PIB aux prix du marché 2 ( * ) « représente le résultat final de l'activité de production des unités productrices résidentes » 3 ( * ) ; aussi celui-ci peut-il se définir de trois manières :

- dans une optique de production , le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes 4 ( * ) des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d'activité , augmentée des impôts moins les subventions sur les produits ;

- dans une optique des dépenses , le PIB est égal à la somme des emplois finals de biens et services par les unités institutionnelles résidentes (consommation finale et formation brute de capital), plus les exportations, moins les importations de biens et services ;

- dans une optique des revenus , le PIB est égal à la somme des emplois du compte d'exploitation de l'économie totale (rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins subventions, excédent brut d'exploitation et revenu mixte de l'économie totale).

En résumé, le PIB est un flux de richesse marchande et monétaire . En raison de l'importance acquise par le PIB dans les différents systèmes de comptabilité nationale sa définition a été « normalisée », en particulier sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU), à l'origine du système de comptes nationaux dit « SEC 2008 », qui a été décliné au niveau européen dans le cadre du système de comptes nationaux dit « SEC 2010 » 5 ( * ) , entré en vigueur l'année passée.

La notion de « croissance », quant à elle, renvoie à la variation du PIB au cours d'une période donnée - l'année constituant l'intervalle le plus communément utilisé pour apprécier les variations de l'activité économique.

En tant qu'indicateur central de la comptabilité nationale, le PIB exerce une influence déterminante sur la manière dont sont appréhendées la « richesse » créée, mais également les politiques publiques ; il ne fait guère de doute qu'aujourd'hui, la croissance du PIB constitue un élément déterminant utilisé pour juger de l'efficacité de la politique menée par un gouvernement. À cet égard, certains auteurs considèrent qu'un indicateur de richesse se construit concomitamment aux « conventions d'évaluation du progrès » 6 ( * ) ; en quelque sorte, la manière dont est construit un tel indicateur dépend des valeurs, des jugements, voire de la « vision du monde » qui prévalent dans une société à un moment donné et les influence en retour 7 ( * ) . Ainsi, au PIB serait associée une conception particulière de la richesse d'une société 8 ( * ) . Si ce dernier point est indéniable, il ne peut être conféré au PIB une dimension exclusivement « conventionnelle », sans prises avec la réalité . D'aucuns ont, à ce titre, noté que « s'il est vrai que la croissance ne règle pas tout, elle apparaît comme capable de dégager des marges de manoeuvre et d'améliorer certaines dimensions de la vie quotidienne, de l'emploi, etc. » 9 ( * ) . D'ailleurs, un rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) et du Conseil allemand des experts en économie publié en 2010 note que « de nombreuses mesures du bien-être, fondées sur des enquêtes, révèlent de significatives, mais imparfaites, corrélations avec le PIB » 10 ( * ) . Malgré tout, dès l'origine, le PIB a été fortement critiqué en raison de sa capacité limitée à rendre compte de l'ensemble des aspects de la situation économique, mais aussi sociale et environnementale .


* 1 Cf. Congrès des États-Unis, Sénat, National Income, 1929-1932 , 73 e Congrès, 2 e session, 1934.

* 2 Afin d'évaluer le PIB en volume, soit en termes réels, il convient de neutraliser les variations de prix.

* 3 Eurostat, Système européen des comptes. SEC 2010, Luxembourg, Office des publications de l'Union européenne, 2013, p. 305.

* 4 La valeur ajoutée brute (VAB) est calculée à partir de la valeur des biens et services produits dont est déduite la valeur des biens et services intermédiaires détruits en cours de production - désignés comme les consommations intermédiaires.

* 5 Eurostat, op. cit.

* 6 J. Gadrey et F. Jany-Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse , Paris, La Découverte, 2012.

* 7 Pour autant, il convient de souligner qu'en application du principe d'« objectivation » des comptes, les systèmes de comptabilité nationale se veulent détachés de toute considération de nature éthique ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les systèmes « SEC 2008 » et « SEC 2010 » comptabilisent, en principe, les activités illégales à l'instar de la vente de stupéfiants.

* 8 Cf. D. Méda, « Comment le PIB a pris le pouvoir », Revue projet , 2012/6, n° 331, 2012, p. 14-21.

* 9 J. Gadrey et F. Jany-Catrice, op. cit. , p. 3.

* 10 Conseil d'analyse économique (CAE) et Conseil allemand des experts en économie, Évaluer la performance économique, le bien-être et la soutenabilité , Paris, Direction de l'information légale et administrative, 2010, p. 16.

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