C. DE NOMBREUX DÉFIS RESTENT A RELEVER

1. Une situation politique sensible

La crise interne a conduit à une recomposition des forces politiques en présence. Le 25 mai 2014, l'élection présidentielle est remportée par Petro Porochenko, vainqueur au premier tour avec 54,7% des voix. Celui-ci dissout la Rada le 25 août 2014, dont 423 députés sur 450 sont renouvelés lors des élections du 26 octobre 2014 (l'annexion de la Crimée et la situation dans le Donbass ne permettant pas de pouvoir 27 postes de députés).

Les partis favorables à un rapprochement avec l'Union européenne (le bloc Petro Porochenko, le Front populaire d'Arsenii Iatseniouk, « Auto-assistance », le Parti radical d'Oleh Liachko et Batkivchtchyna de Ioulia Tymochenko) recueillent plus de 80% des voix . Une coalition formée de ces cinq partis rassemble 302 députés, ce qui permet en théorie de procéder à une réforme constitutionnelle (pour laquelle une majorité des deux tiers est requise). Le Parti communiste d'Ukraine, qui n'est pas parvenu à franchir le seuil électoral des 5%, n'est plus présent à la Rada, pour la première fois depuis l'indépendance en 1991. Le Bloc d'opposition, héritier du Parti des Régions de l'ancien président Ianoukovitch, comprend 40 députés. Cette formation arrive toutefois en tête dans plusieurs régions du Sud et de l'Est du pays.

Le nouveau gouvernement, dirigé par M.Arsenii Iatseniouk, a été constitué le 2 décembre 2014 . Il comprend trois ressortissants étrangers (américain, géorgien et lituanien) récemment naturalisés ukrainiens à la tête des ministères de l'Economie, des Finances et de la Santé.

Le 2 novembre 2014, des élections - non reconnues car non conformes à la loi ukrainienne - ont été organisées par les séparatistes dans les deux « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk, qui ont élu leurs « présidents » et leurs « députés ».

L'un des principaux enjeux politiques demeure la mise en oeuvre du volet institutionnel des accords de Minsk , qui donne lieu à des tensions internes.

Le processus politique a été lancé, avec la mise en place, par un décret du 3 mars dernier, d'une commission chargée de formuler des propositions sur la révision de la constitution , en vue notamment d'instaurer une organisation décentralisée du territoire. Le Président et la coalition au pouvoir souhaitent faire adopter la réforme par la Rada avant le mois d'octobre 2015 pour que la décentralisation soit en vigueur au moment des prochaines élections locales, prévues le 25 octobre.

L'application du statut spécial des zones séparatistes nécessitait, quant à elle, l'adoption par la Rada d'une loi définissant les zones concernées, qui a été adoptée le 17 mars. Néanmoins, les séparatistes n'ont été préalablement consultés. En outre, cette loi et les résolutions adoptées le même jour fixent des conditions à l'organisation des élections locales non prévues par les accords de Minsk II , notamment celle prévoyant que les élections ne seront organisées qu'après le départ de tous les combattants, afin de garantir qu'elles se déroulent dans un climat serein. Ces conditions restrictives ont été mal perçues par la partie pro-russe.

De nombreuses questions restent en suspens (modalités d'organisation des élections, reprise des transferts sociaux en faveur des populations des zones séparatistes...), qui ont vocation à être traitées avec les séparatistes dans le cadre du groupe de contact trilatéral (GCT, Russie-Ukraine, OSCE), dont les quatre groupes de travail thématiques se mettent en place.

La situation intérieure reste délicate et a été récemment aggravée par plusieurs facteurs : la survenue d'explosions dans les régions de Kharkiv et d'Odessa, la mort violente d'anciens responsables du Parti des Régions, l'adoption le 9 avril par la Rada d'une loi interdisant toute propagande en faveur des régimes totalitaires communistes et nazis, ainsi que l'assassinat d'un journaliste pro-russe le 16 avril.

2. Une situation économique très difficile

L'Ukraine se trouve actuellement dans une situation économique très difficile.

Souffrant de handicaps structurels (faible diversification, forte dépendance à l'égard des cours des métaux et du prix du gaz importé, surendettement du secteur privé, environnement des affaires dégradé, poids de l'économie informelle qui représenterait entre le quart et la moitié du PIB), elle est frappée de plein fouet par une conjoncture très défavorable liée à la crise qu'elle subit depuis plus d'un an et à la guerre qui se déroule sur une partie de son territoire.

Le bilan économique de l'année 2014 est préoccupant : le PIB a diminué de 6,5%, l'inflation s'est envolée (25%), les déficits et la dette publique (respectivement 4,6% et 72% du PIB) se sont creusés. Les réserves de change ont fortement diminué et la monnaie a perdu plus de la moitié de sa valeur face au dollar. Le secteur bancaire se trouve particulièrement fragilisé.

Selon M. Oleg Shamshur, ambassadeur d'Ukraine en France que votre rapporteur a auditionné, la guerre coûterait au pays quelque 10 millions de dollars par jour . Dans le Donbass, 132 sites industriels auraient été détruits, presque toutes les mines seraient à l'arrêt et la production industrielle serait à un tiers du niveau qu'elle atteignait avant le conflit.

Une étude récente de l'Institut d'études économiques internationales de Vienne 2 ( * ) présentée à Bruxelles le 15 avril 2015 préconise un « plan Marshall » de l'UE en faveur de l'Ukraine , pour favoriser une restructuration de l'économie, du commerce et des investissements, ainsi qu'un renflouement des réserves de la Banque nationale ukrainienne pour stabiliser le taux de change et lutter contre l'inflation.

Selon cette étude, l'un des enjeux des années à venir sera de faire baisser les dépenses publiques en préservant celles qui sont orientées socialement , afin de ne pas compromettre le soutien indispensable de l'opinion publique aux réformes à conduire.

Il conviendrait également de procéder à des investissements publics massifs et de faire progresser l'efficacité énergétique , qui est très mauvaise et occasionne beaucoup de gaspillage alors même que l'Ukraine est très dépendante vis-à-vis de l'extérieur et notamment de la Russie pour ses importations de gaz .

Enfin, l'Ukraine devrait s'attacher, tout en se tournant vers l'UE, à préserver ses relations économiques avec la Russie , compte tenu de l'interdépendance qui existe, notamment dans l'est de l'Ukraine. Il faut néanmoins souligner que la crise a affecté les échanges avec la Russie, qui ont diminué de plus de 30% en 2014 alors que ceux avec l'UE progressaient de 10%.

3. L'ampleur des réformes à mener à bien

L'Ukraine a adopté récemment des réformes dans de nombreux domaines , sous l'impulsion de l'accord d'association mais aussi des engagements souscrits auprès du FMI et de programmes politiques et plans d'actions internes (« Agenda de réforme 2020 » du président Porochenko », plan d'action du gouvernement pour 2015-2016...).

Ces réformes concernent la p olitique monétaire (mesures visant à restaurer la stabilité sur le marché des changes), le secteur bancaire (renforcement des fonds propres et de la garantie des dépôts, lutte contre la fraude et nouvelle législation sur les faillites), la fiscalité (élargissement de la base d'imposition et lutte contre l'évasion fiscale avec notamment l'introduction de la TVA électronique), les dépenses publiques (réduction des subventions aux entreprises publiques, gel des salaires des fonctionnaires et baisse de leur nombre, réforme des retraites...), la dérégulation de l'économie (abolition de nombreuses autorisations nécessaires à la création d'entreprises, mesures de simplification administrative....) et la politique énergétique (augmentation des tarifs du gaz payés par la population, renforcement de l'indépendance énergétique...).

La lutte contre la corruption constitue un secteur prioritaire. La Rada a adopté plusieurs lois « anti-corruption » : stratégie anti-corruption pour 2014-2017, loi sur la prévention de la corruption, loi sur la mise en place des agences spécialisées dans lutte contre la corruption (dont un Bureau national anti-corruption, qui aura des pouvoirs spéciaux d'enquête et de poursuites, et une Agence anti-corruption chargée de la politique de prévention), loi sur la « lustration ».

Enfin, cette volonté réformatrice concerne aussi les services de sécurité (mise en place d'une nouvelle police mieux formée et mieux payée, suppression des pouvoirs de « surveillance générale » dévolus depuis l'époque soviétique au Procureur général...), la défense (soutien à l'effort militaire), la justice, le système électoral, l'administration, l'éducation...

Ce programme ambitieux, dont l'adoption par le Parlement est parfois jugée trop lente - ce qui s'explique aussi par le nombre important de textes à examiner -, doit maintenant être appliqué, ce qui pose à la fois la question de l'adhésion du pouvoir politique, de l'efficacité de l'appareil administratif et de l'acceptabilité sociale des réformes dont certaines (réforme des retraites, augmentation du prix du gaz...) auront un coût social important.


* 2 « How to stabilise the economy of Ukraine », Wiener Institut für Internationale Wirtschaftsvergleiche (wiiw), Amat Adarov, Vasily Astrov, Peter Havlik, Gábor Hunya, Michael Landesmann and Leon Podkaminer , 15 avril 2015.

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