EXAMEN EN COMMISSION

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MARDI 12 MAI 2015

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Le parrainage civil, également appelé parrainage républicain, baptême civil, ou baptême républicain, tire son origine de la Révolution Française et est lié au contexte de laïcisation des actes, établis par l'Église, qui marquaient les grandes étapes de la vie : naissance, baptême, mariage, enterrement. Il n'a pas, formellement, de fondement juridique établi. Il s'agit donc d'une coutume qui ne présente aucun caractère obligatoire pour l'officier d'état-civil et qui, de ce fait, et inégalement mise en oeuvre sur le territoire et est dénuée d'effets juridiques. Le document établi lors de la cérémonie en mairie n'a pas la valeur d'un acte d'état-civil et, bien que les parrain et marraine s'engagent à subvenir aux besoins de l'enfant au cas où les parents viendraient à lui manquer, cet engagement n'a qu'une valeur morale.

La proposition de loi qui nous est soumise par notre collègue Yves Daudigny et les membres du groupe socialiste entend consacrer cette pratique dans la loi pour permettre aux parents qui le souhaiteraient de demander le parrainage civil de leur enfant dans toute commune de France d'une part, et propose de faire de ce parrainage un acte d'état civil, créateur d'obligations matérielles et morales pour le parrain et la marraine, d'autre part. Il s'agit donc de changer la nature du parrainage républicain qui, de simple coutume, deviendrait un acte de l'état civil enregistré par un officier d'état civil, à la demande de l'un ou des deux parents, dans un registre côté et paraphé tenu par chaque commune, la mention du parrainage et des noms des parrain et marraine, devant être apposée en marge de l'acte de naissance de l'enfant.

Un nouveau chapitre intitulé « Du parrainage républicain » serait créé dans le code civil, prévoyant que les parrains et marraines « s'engagent à prendre soin de leur filleul comme de leur propre enfant dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer », et les investissant d'un devoir moral consistant à « développer en l'esprit de l'enfant les qualités indispensables qui lui permettront de devenir un citoyen dévoué au bien public et animé des sentiments de fraternité, de compréhension, de solidarité et de respect de la liberté à l'égard de ses semblables », formule qui s'inspire de celle que l'on trouve dans certains modèles de discours utilisés aujourd'hui en ces occasions, qui n'ont évidemment rien d'officiel.

M. Jean-Jacques Hyest . - Et n'ont surtout aucun caractère juridique.

M. Yves Détraigne , rapporteur . - En effet. Le déroulement de la cérémonie est également précisé : la cérémonie se déroulerait devant un officier d'état-civil de la commune où a été enregistré la demande du ou des parents, lequel lirait le nouvel article du code civil relatif aux obligations des parrains et marraines ainsi que l'article 371-1 qui définit l'autorité parentale et ses modalités d'exercice par les parents, puis recueillerait les consentements des parents et des parrain et marraine, après quoi serait signé l'acte de parrainage. C'est, en fait, très proche de ce que font les mairies qui acceptent déjà de procéder aujourd'hui à ces parrainages, à ceci près que la valeur en reste pour l'heure symbolique.

Ce n'est pas la première proposition de loi ayant cet objet qui est déposée devant le Parlement, et notre assemblée avait eu l'occasion de se prononcer sur cette question à propos d'un amendement déposé par notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt dans le cadre du débat sur la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. L'amendement avait reçu un avis défavorable de la commission des lois qui avait considéré qu'il n'était « pas souhaitable de rendre obligatoire cette institution, qui n'a pas de conséquences juridiques et ne doit pas en avoir ». Le Gouvernement de l'époque, représenté par Mme Ségolène Royal, s'en était remis à la sagesse du Sénat, qui avait rejeté cet amendement.

Faire d'une simple coutume un acte d'état-civil créant de véritables obligations pour les parrain et marraine n'est pas sans risque au regard de certaines dispositions en vigueur du code civil. Les parrain et marraine, s'étant engagés à suppléer les parents de l'enfant au cas où ils « viendraient à lui manquer », pourraient ainsi voir leur mission entrer en conflit avec celle des parents. Que faut-il entendre, en effet, par « manquement des parents » ? Et qu'adviendrait-il des dispositifs actuels du code civil apportant une réponse adaptée à ces manquements, qu'ils résultent de défaillances - mesures d'assistance éducative, délégation ou retrait d'autorité parentale - ou de la disparition des parents - désignation d'un tuteur par testament ou par le juge de tutelles ? Dans ces hypothèses, le juge peut d'ailleurs, actuellement, estimer que le parrain ou la marraine est la personne la mieux à même de s'occuper de l'enfant et la désigner tuteur de l'enfant ou membre du conseil de famille mais cela relève de son appréciation. En consacrant le rôle particulier des parrain et marraine dans le code civil, ce texte pourrait avoir pour effet de contraindre le juge dans son appréciation au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant, ce qui n'est pas souhaitable.

Il me semble donc inopportun de faire du parrainage républicain, qui est un engagement moral d'ordre privé, un acte d'état civil. D'autant plus que l'engagement qui en découlerait pourrait avoir un effet dissuasif alors qu'il a aujourd'hui un véritable sens moral et civique : celui d'accompagner un enfant dans son apprentissage de la citoyenneté et des valeurs républicaines. Au surplus, faudrait-il donner au maire la faculté de refuser de célébrer le parrainage s'il estime que le parrain ou la marraine n'est pas en mesure d'assurer cette transmission de valeurs ?

Afin de permettre à tous les parents qui le souhaitent de demander le parrainage républicain de leurs enfants tel qu'il existe aujourd'hui, je vous proposerai donc d'inscrire cette pratique dans la loi, mais sans en faire un acte d'état civil susceptible d'avoir des effets juridiques. Parce qu'il s'agit d'abord d'une adhésion à l'accompagnement dans l'apprentissage des valeurs républicaines, je vous proposerai de retenir les termes de « parrainage républicain » pour désigner cette démarche, de préférence à d'autres, comme celui de baptême.

M. Jean-Jacques Hyest . - N'allons surtout pas parler de baptême !

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Pour que la force de cette démarche reste symbolique, il convient, à mon sens, de ne pas inscrire ces dispositions dans le code civil, de ne pas imposer la célébration de cet acte par un officier d'état civil. Je vous proposerai également d'encadrer le choix de la commune où la célébration du parrainage pourrait avoir lieu, pour éviter une sorte de « tourisme du parrainage républicain » ; d'imposer que la demande vienne des deux parents dès lors qu'ils sont tous deux titulaires de l'autorité parentale ; d'encadrer le choix des parrain et marraine qui, par exemple, ne pourraient pas être sous le coup d'une déchéance de leurs droits civiques... Il s'agit, en somme, de permettre à toutes les familles de demander ce parrainage, mais sans y attacher de conséquences juridiques.

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie de cette proposition très claire, qui vise à maintenir le sens que la tradition a donné au parrainage républicain, sans apporter de distorsion à la pratique actuelle.

M. François Pillet . - Le propos de notre rapporteur ramène un peu de bon sens dans cette curieuse proposition de loi . Que se passerait-il le jour où les parents estimeraient que le parrain n'est plus digne, sachant que celui-ci aura acquis, si l'on en reste à la proposition de loi telle qu'elle nous est soumise, un droit à le rester ? Quid du jour où l'enfant, devenu majeur, ne voudrait pas de son parrain ? Surtout, j'appelle votre attention sur l'article 3 qui modifie l'article 381-1 du code civil : « Le parrainage républicain place l'enfant sous la protection de ses parrain et marraine qui acceptent librement la charge qui leur est ainsi dévolue et s'engagent à prendre soin de leur filleul comme de leur propre enfant dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer. » Le décès des parents n'est pas ici seul visé. Cette rédaction crée une obligation alimentaire. Il faudra prévenir les futurs parrains de ce qui risque de leur arriver.

Je souscris donc pleinement à la position de notre excellent rapporteur, qui vise à maintenir le parrainage sur un plan purement moral. Il est toujours difficile de faire du sacré dans la République. J'espère que ses propositions, qui visent à neutraliser toutes les conséquences légales de cette initiative, seront suivies. Car j'avoue que je n'aurais guère envie d'être parrain dans les conditions qu'instaureraient, en l'état, ce texte.

M. Hugues Portelli . - Je souscris pleinement aux propositions de notre rapporteur. Dans la commune dont je suis maire, il m'arrive une dizaine de fois par an que des parents me demandent de procéder à une telle célébration. Cela m'a d'abord étonné, mais je le fais. Cela dit, j'estime que le terme de parrainage civil, initialement retenu, et mieux approprié que celui de parrainage républicain.

M. Jean-Jacques Hyest . - Le terme civil se comprend par antonymie au terme religieux...

M. Hugues Portelli . - J'avoue que je vois mal ce que peut être un « parrainage républicain ».

Un mot sur l'article 3. Lorsque j'ai voulu rédiger, dans ma commune, un texte donnant forme à l'engagement du parrain, je suis tombé sur un texte réglementaire existant, dont il me semble que cet article s'inspire plus ou moins. Peut-être serait-il bon d'aller y regarder.

M. Jean-Jacques Hyest . -Et pourquoi ne pas s'inspirer du droit canon, pendant qu'on y est !

M. Jean-Pierre Sueur . - Dans la monumentale Histoire de la langue française que Ferdinand Brunot a consacré au vocabulaire de la révolution française, plusieurs centaines de pages sont consacrées au réinvestissement du vocabulaire religieux dans le domaine civil. Nous sommes dans le même cas de figure. Je souscris aux quatre amendements que nous propose le rapporteur, qui évitent à cette proposition de loi d'être, comme cela est trop souvent le cas des textes d'initiative parlementaire, repoussée, et nous permet de l'adopter dans sa mission symbolique, sans qu'elle aille au-delà, ce qui poserait des problèmes juridiques considérables.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article premier

L'amendement COM-1 est adopté.

Article 2

L'amendement COM-2 est adopté.

Article 3

L'amendement COM-3 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi.

L'amendement COM-4 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1 er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DÉTRAIGNE, rapporteur

1

Consécration du parrainage républicain
dans la loi

Adopté

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DÉTRAIGNE, rapporteur

2

Délai au terme duquel les registres de parrainage républicain pourront être consultés

Adopté

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DÉTRAIGNE, rapporteur

3

Disposition d'application
dans les territoires ultramarins

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DÉTRAIGNE, rapporteur

4

Harmonisation terminologique

Adopté

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