AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'annonce par le Président de la République en décembre dernier d'un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs marque le besoin d'une meilleure prise en charge des personnes malades dans notre pays et plus particulièrement des personnes en fin de vie. Les lois successives ont des principes clairs et protecteurs : accès aux soins palliatifs (loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs), consentement des malades aux soins (loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé), mise en oeuvre de l'arrêt des traitements pour la fin de vie des malades (loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie). La réalité, malgré d'incontestables progrès, ne correspond pas à la volonté du législateur. La persistance du « mal mourir » en France n'a cessé de peser sur les conditions du débat public depuis plus de quinze ans.

La proposition de loi soumise à l'examen du Sénat propose de modifier la loi du 22 avril 2005. Elle répond à un engagement du Président de la République mais également à une demande sociale forte de garantir à tous une fin de vie la plus apaisée possible. Ce texte fait l'objet de critiques, tant de ceux qui craignent que les évolutions successives n'aboutissent à pousser les personnes en fin de vie, et plus particulièrement les plus vulnérables, à considérer que leur vie est une charge pour leurs proches et pour la société, que de ceux qui réclament le droit à une assistance médicalisée pour mourir. Votre commission estime que cette proposition de loi trouve un juste équilibre entre la volonté des personnes et le savoir médical, entre l'obligation de préserver la vie humaine et celle de permettre à chacun de décider des conditions dans lesquelles il souhaite qu'elle s'éteigne.

C'est la raison pour laquelle votre commission partage l'esprit de ce texte et vous propose de l'adopter dans la version issue de ses travaux.

I. UN DÉBAT APPROFONDI AYANT ABOUTI AU CONSTAT ACCABLANT DU MAL-MOURIR EN FRANCE

Depuis la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, la possibilité pour chacun de choisir les conditions dans lesquelles il terminera ses jours n'a cessé de faire débat dans la société française. Plusieurs facteurs y ont contribué : des procès liés à des actes destinés à donner la mort avec ou sans le consentement des personnes malades, des demandes individuelles d'euthanasie relayées par les médias, l'action d'associations militantes comme l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), des législations nouvelles dans des pays européens, enfin des débats parlementaires nombreux sur les questions de la fin de vie et de l'euthanasie, notamment à l'occasion de l'examen de propositions de loi sénatoriales 1 ( * ) .

A. LE DÉBAT ORGANISÉ À L'INITIATIVE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET L'INTERPRÉTATION DE LA LOI DE 2005 PAR LE JUGE ADMINISTRATIF

1. Trois ans de débat public

Lors de la campagne présidentielle pour 2012, François Hollande avait inscrit parmi ses 60 engagements pour la France la proposition 21 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

La commission de réflexion sur la fin de vie en France, présidée par le Pr Didier Sicard, a été constituée à l'initiative du Président Hollande en juillet 2012. Elle a rendu son rapport le 18 décembre de cette même année. Le Président de la République a alors saisi le comité consultatif national d'éthique (CCNE) qui a publié en juillet 2013 un avis n° 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir ». Dans cet avis, le CCNE demandait notamment une prolongation de la réflexion au travers de l'organisation d'états généraux prévus par l'article L. 1412-1-1 du code de la santé publique. Cet article, issu de la loi de bioéthique du 7 juillet 2011, dispose : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Ceux-ci sont organisés à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu'il présente devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. »

Vos rapporteurs souhaitent qu'à l'avenir le processus de consultation des commissions parlementaires permanentes dans le cadre de l'article L. 1412-1-1 soit mieux formalisé . En effet, la commission des affaires sociales du Sénat n'a pas été formellement consultée. L'Opecst a pour sa part été entendu au cours d'une audition de M. Jean-Claude Ameisen, président du CCNE, le 21 mai 2013.

Les états généraux se sont réunis sous la forme d'une Conférence de citoyens sur la fin de vie organisée pour le compte du CCNE par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) à l'automne 2013. Un avis citoyen a été publié le 14 décembre 2013.

Le CCNE a rendu le 21 octobre suivant le rapport sur le débat public prévu par l'article L. 1412-1-1, qui a été présenté en décembre de cette même année à l'Opecst. Celui-ci a procédé à son évaluation et publié un rapport le 5 mars 2015.

Parallèlement, deux décrets du 20 juin 2014 ont chargé d'une mission temporaire auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, députés. Leurs lettres de mission ont été signées par le Premier ministre qui, prenant acte des rapports et avis remis à cette date, constate : « nos concitoyens aspirent à ce que leurs volontés soient pleinement respectées dans les deniers moments de leur vie. Cela suppose de rendre possible pour toute personne majeure, atteinte d'une maladie grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, d'être accompagnée afin de terminer sa vie dignement et conformément à la volonté qu'elle a exprimée.

Pour ce faire, une modification de la législation est nécessaire. Elle devra poursuivre un triple objectif : assurer le développement de la médecine palliative, y compris dès la formation initiale des professionnels de santé ; mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées dont le caractère engageant doit être pleinement reconnu ; définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l'apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l'autonomie de la personne ».

Le rapport de MM. Claeys et Leonetti a été remis au Président de la République le 12 décembre 2014. Il contient le texte d'une proposition de loi qui a été déposée à l'Assemblée nationale le 21 janvier 2015. Chargés du rapport sur cette proposition de loi par la commission des affaires sociales de l'Assemblée, MM. Claeys et Leonetti ont rendu public leur rapport le 18 février et le texte a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 17 mars 2015 puis transmis au Sénat.

2. L'application de la loi du 22 avril 2005 par le Conseil d'Etat

Les conditions d'application de la loi du 22 avril 2005 ont récemment été précisées par la jurisprudence administrative.

L'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a en effet été amenée à se prononcer le 24 juin 2014 sur la légalité d'une décision d'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles de M. Vincent Lambert qui, à la suite d'un accident survenu en 2008, se trouve aujourd'hui dans un état végétatif chronique ou pauci-relationnel.

Le Conseil d'Etat a rappelé qu' au sens de sa jurisprudence, l'alimentation et l'hydratation artificielles sont des traitements susceptibles d'être arrêtés à la demande du patient. Pour les personnes en état végétatif hors d'état d'exprimer leur volonté, la décision d'arrêt des traitements est prise par le médecin. Le Conseil d'Etat souligne que cet arrêt ne peut être décidé qu'au regard de la situation individuelle de chaque personne et dans le souci de la plus grande bienfaisance à son égard. Deux éléments cumulatifs doivent être pris en compte : les données médicales et la volonté du patient. Les données médicales « doivent concerner une période suffisamment longue, être analysées collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique ». La volonté du patient doit faire l'objet d'une attention particulière du médecin sachant que la volonté d'arrêter les traitements ne peut être présumée. En l'absence de possibilité pour la personne concernée de s'exprimer et de directives anticipées, « le médecin doit prendre en compte les avis de la personne de confiance que le patient peut avoir désignée, des membres de sa famille ou de ses proches, en s'efforçant de dégager un consensus ». Au regard de ces critères, le Conseil d'Etat a jugé fondée la décision d'arrêt des traitements de M. Lambert.

Celle-ci n'a cependant pas été mise en oeuvre dans l'attente de l'issue d'un recours introduit devant la Cour européenne des droits de l'homme à la suite de la décision du Conseil d'Etat. La décision de la Cour est attendue dans les prochaines semaines. La haute juridiction administrative avait pour sa part jugé la loi du 22 avril 2005 conforme à l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit à la vie.


* 1 Plusieurs propositions de loi sénatoriales ont été discutées au cours des dernières années. La proposition de loi n° 65 (2008-2009) déposée le 29 octobre 2008 par Alain Fouché, sénateur UMP, la proposition de loi n° 659 (2009-2010) déposée par Jean-Pierre Godefroy et plusieurs membres du groupe socialiste, la proposition de loi n° 31 (2010-2011) déposée par Guy Fischer, François Autain et plusieurs membres du groupe CRC-SPG et la proposition de loi n° 182 (2013-2014) de Corinne Bouchoux et plusieurs de ses collègues membres du groupe écologiste.

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