TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE MME ANNABELLE JAEGER, ET DE MM. GILLES BoeUF ET OLIVIER LAROUSSINIE, PRÉFIGURATEURS DE L'AGENCE FRANÇAISE POUR LA BIODIVERSITÉ

M. Rémy Pointereau , président. - Madame et Messieurs les préfigurateurs, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord excuser le président Hervé Maurey qui, au nom du Président du Sénat, conduit actuellement une délégation de sénateurs en Ukraine.

Notre réunion de commission de ce matin est un peu inhabituelle puisqu'elle a lieu « hors les murs » du Palais du Luxembourg, ce qui, je le dis au passage, est un souhait du président du Sénat Gérard Larcher et une pratique que notre commission met de plus en plus souvent en place. La semaine dernière, par exemple, sur un tout autre sujet, nous étions à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle avec les équipes d'Aéroports de Paris.

La rencontre d'aujourd'hui intervient dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, que notre commission devrait examiner avant l'été, sur le rapport de notre collègue Jérôme Bignon. Le calendrier de la séance publique n'est pas encore définitivement arrêté mais nous savons que le souhait de la ministre est de pouvoir mettre en place l'Agence au plus tard au début de l'année prochaine. J'espère que nous en saurons un peu plus dans les jours qui viennent et au plus tard lorsque nous procèderons à l'audition de la ministre de l'écologie Ségolène Royal le 17 juin prochain.

Je remercie le directeur général du Muséum, Thomas Grenon, qui nous accueille dans cette illustre salle du Muséum, la Salle des Conseils.

Je remercie aussi nos intervenants qui ont accepté d'être présents aujourd'hui :

- Gilles Boeuf, biologiste, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, président du Muséum national d'histoire naturelle depuis 2009 ;

- Annabelle Jaeger, conseillère régionale de Provence-Alpes-Côte d'Azur chargée de la biodiversité à l'Association des régions de France ;

- Olivier Laroussinie, directeur de l'agence des Aires marines protégées.

Vous avez été tous les trois désignés préfigurateurs de l'Agence française pour la biodiversité par la ministre de l'écologie Ségolène Royal le 29 octobre dernier, sous le haut patronage d'Hubert Reeves.

La création de cette Agence est l'une des mesures phare du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité. Issue du rapprochement de structures existantes, cette agence doit, selon les propos de la ministre, devenir « l'instrument référent de la protection de la biodiversité » .

Vous allez nous dire où vous en êtes dans votre travail de préfiguration. Quelles sont les missions prioritaires que vous avez définies pour l'Agence ? Comment se fera le rapprochement entre les divers organismes qui vont la constituer ? Comment l'Agence travaillera-t-elle avec les collectivités et les élus locaux ? Quels seront ses liens avec le secteur de la recherche ?

Je vous propose de nous présenter votre vision de l'Agence dans un propos liminaire. Puis notre rapporteur Jérôme Bignon vous interrogera. Enfin, les autres sénateurs membres de la commission vous poseront des questions qui, je n'en doute pas, seront nombreuses.

M. Olivier Laroussinie. - Merci. Je voudrais commencer par vous dire où nous en sommes du processus de préfiguration. Nous préparons un projet de rapport que nous souhaitons rendre à la ministre la semaine prochaine. Cette semaine, nous le soumettons à un certain nombre d'instances, comme les syndicats ou la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Ce projet de rapport a été élaboré à partir de plusieurs mois d'auditions et de prises de contact avec la plupart des parties prenantes. Une attention particulière a été portée au rapport avec les collectivités territoriales, dont Annabelle Jaeger vous dira quelques mots. Nous avons également souhaité porter une grande attention au lien qui sera créé avec le secteur de la recherche, comme Gilles Boeuf vous l'expliquera. Ces mois de contacts et de rencontres se sont concrétisés lors de la Conférence nationale organisée à Strasbourg les 21 et 22 mai derniers, à laquelle ont participé un peu plus de deux cents représentants des acteurs de la biodiversité. Nous avons volontairement organisé cette conférence autour des quatre thèmes qui étaient ressortis comme prioritaires de nos discussions et échanges : la relation avec les acteurs socio-économiques, la mobilisation des citoyens, la déclinaison territoriale et la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB). Ce dernier point vous intéresse directement puisque nous nous sommes rendu compte que le projet de loi était muet sur les liens entre la future Agence française pour la biodiversité (AFB) et la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB). Il ressort de nos discussions de Strasbourg qu'il serait peut-être opportun de compléter le texte de loi sur ce point.

Le processus de préfiguration a été très participatif. Au terme de ce processus, nous avons déterminé un certain nombre d'options que nous allons présenter à Mme la ministre la semaine prochaine. C'est pourquoi l'exercice d'aujourd'hui est pour nous un peu particulier puisque nous allons exprimer des opinions personnelles, des propositions qui, si elles sont le reflet des discussions et des échanges que nous avons eus avec les différents acteurs, ne seront pas forcément retenues par la ministre.

Sur la question de l'intégration des différents organismes dans la future agence, il ne vous aura pas échappé qu'ils ne représentent pas à eux seuls tout le champ de la biodiversité. Certains organismes ne seront pas intégrés au sein de l'Agence, comme l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Office national des forêts (ONF) ou encore l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

L'AFB n'aura pas vocation à être l'organisme « chef » de tous les autres, mais devra être un lieu de discussion et de coordination, qui fasse que l'ensemble des nombreux acteurs qui se mobilisent pour la biodiversité puissent être plus efficaces.

La remise du rapport à la ministre constituera un tournant. La loi sera ensuite l'élément déclenchant. Si vous nous avez dit avoir quelques incertitudes sur le calendrier d'adoption du texte, nous devons, pour notre part, être prêts au 1 er janvier 2016, ce sur quoi j'émets aujourd'hui quelques doutes. Une partie de l'inquiétude des organisations syndicales tient également à ce calendrier très serré puisque l'organisation des fonctions support doit être faite aujourd'hui si nous voulons être prêts au 1 er janvier, ce qui implique de bousculer le dialogue social. Un desserrement du calendrier serait donc de nature à rendre un peu plus serein ce travail sur ce plan purement interne et administratif.

Concernant les missions prioritaires de la future Agence, nous avons dans notre rapport tiré les conclusions des discussions de Strasbourg pour mettre en avant un certain nombre de sujets. Nous l'avons fait en lien avec les quatre organismes intégrés, dont nous n'avons pas remis en cause ni les missions, ni les stratégies, ni les contrats d'objectifs en cours. La nouvelle agence poursuivra donc ces missions auxquelles viendront s'ajouter les propositions de notre rapport.

Je laisse la parole à Annabelle Jaeger pour parler de la relation avec les collectivités, mais surtout de la territorialisation de l'Agence.

Mme Annabelle Jaeger. - Pour construire mes propositions, j'ai bien sûr rencontré beaucoup de collectivités, d'élus locaux, travaillé au sein de la commission biodiversité de l'Assemblée des régions de France (ARF) et de sa commission développement durable présidée par Jean-Jack Queyranne. J'ai rencontré l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Assemblée des maires de France (AMF) et l'ensemble des institutions représentant les collectivités pour entendre leurs besoins et leurs attentes vis-à-vis de l'Agence française pour la biodiversité.

Les attentes sont nombreuses, tant vis-à-vis de l'AFB elle-même au niveau national - une attente de cohérence, de coordination, de centre de ressources - mais aussi sur les territoires, avec un besoin d'accompagnement.

La question de la déclinaison territoriale est relativement complexe. Il y a deux types de déclinaisons qu'il convient de conjuguer : la déclinaison « régalienne » de l'AFB, qui comprend notamment les missions de police et de surveillance de l'Agence, et la déclinaison plus « partenariale » avec les collectivités pour l'accompagnement et la mise en oeuvre des politiques de biodiversité.

Il faut également rappeler que l'AFB a l'ambition forte de faire la synthèse entre les trois milieux de la biodiversité : la biodiversité terrestre, la biodiversité aquatique et la biodiversité marine et littorale. Or, pour chacun de ces milieux, existent des politiques, des stratégies, des acteurs, des planifications différents, qui opèrent à différentes échelles.

Ces deux rappels viennent démontrer que la déclinaison territoriale est complexe à articuler pour trouver le bon échelon de cohérence et de lisibilité.

Les régions sont, depuis la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, « chefs de file » en matière de biodiversité. Elles sont aussi l'échelle de mise en oeuvre, depuis le Grenelle de l'environnement, des trames vertes et bleues (TVB) et des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Elles me paraissent de ce fait - et c'est ma recommandation - l'échelon cohérent de coordination et de relais avec l'AFB au niveau des territoires.

Déjà aujourd'hui, les politiques de biodiversité sont mises en oeuvre de manière très partenariale entre l'État et les collectivités, que ce soit au titre des outils de mise en oeuvre, que des mesures de protection ou du financement. Ma seconde recommandation consiste donc en une reconduction de ce modèle « partenarial » pour les futures agences régionales pour la biodiversité, si on les appelle ainsi, un partenariat avec l'État, les départements, les autres acteurs de la biodiversité, notamment les acteurs socio-économiques.

Cette démarche partenariale devrait répondre à un socle commun d'exigences, qui pourrait être garanti par une charte régionale commune, une convention avec l'AFB ainsi qu'une feuille de route pluriannuelle, qui serait validée par les comités régionaux de la biodiversité.

Les missions de ces agences régionales pour la biodiversité seraient définies en écho de celles de l'AFB : mise à disposition de la connaissance et de l'expertise d'une part, mais aussi et surtout accompagnement des acteurs sur les territoires dans la mise en oeuvre du SRCE par exemple, des corridors et continuités écologiques, ou encore du triptyque « éviter-réduire-compenser ».

Ces entités régionales ne devraient en aucun cas se substituer aux différents acteurs qui opèrent déjà dans le champ de la biodiversité, comme par exemple les conservatoires ou encore les gestionnaires d'espaces naturels, mais plutôt avoir un rôle de « chef d'orchestre », de facilitateur, de coordinateur de ces opérateurs. Il s'agira plutôt pour ces entités régionales d'articuler toutes ces compétences plutôt que de les regrouper et de se substituer à elles, avec un objectif de complémentarité des acteurs et de lisibilité vis-à-vis de l'extérieur.

Pour garantir cette mise en oeuvre, il pourrait y avoir au sein de l'AFB une direction territoriale chargée d'assurer cette « mise en musique » sur les territoires. Nous proposons aussi que des régions pilotes puissent se mettre en marche dès à présent - sept régions ont déjà manifesté leur intérêt - afin que dès 2015, elles puissent dessiner au niveau régional un scénario le plus réaliste possible pour cette démarche partenariale entre l'État, les collectivités et les autres acteurs de la biodiversité et que 2016 puisse être l'année de réalisation de ce scénario s'il venait à être accepté.

Je n'ai pas parlé des régions d'outre-mer car il y avait aussi des préfigurateurs chargés plus spécifiquement de l'outre-mer. Certaines régions d'outre-mer - Guadeloupe, Guyane et Martinique - souhaitent avancer rapidement sur ces projets de préfiguration. Certaines régions de métropole aussi ! Provence-Alpes-Côtes d'Azur, dont le périmètre n'évolue pas, ainsi que des régions dont le périmètre va évoluer, notamment Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin, Rhône-Alpes, Auvergne, et Nord-Pas-de-Calais. Ces étapes de préfiguration dans les régions seront importantes pour confirmer nos hypothèses et répondre aux besoins et aux attentes des acteurs sur les territoires.

M. Gilles Boeuf . - Si l'on veut apporter des réponses solides, il nous faut une base scientifique. L'AFB ne sera pas une agence scientifique, mais elle va intégrer toute une série de réflexions : comment est-on capable en France, notamment en outre-mer, de réorganiser, de rendre plus efficace la recherche sur la biodiversité ? L'agence doit avoir ce rôle d'organisation, de synthèse et de diffusion des connaissances vers le grand public et vers les élus.

Nous ne partons pas de rien. En 2006, le ministère de l'écologie a lancé le conseil scientifique pour le patrimoine naturel et la biodiversité (CSPNB) rassemblant les présidents de conseils scientifiques de grands instituts de recherche en France. Le CSPNB a réalisé différents travaux, soit par autosaisine, par exemple sur le thon rouge, soit sur demande des différents ministres. Nous avons élaboré trois petits livres, 2007, 2008 et 2012 : « des exemples pour la biodiversité ». En 2008, le ministère de la recherche a créé la fondation de coopération de la recherche pour la biodiversité (FRB). J'avais regretté à l'époque qu'on n'intègre pas directement l'IFB existant au sein de cette structure. La FRB regroupe huit instituts fondateurs, tous organismes de recherche scientifique. On y a adjoint la société civile et les entreprises. La FRB a un conseil d'orientation scientifique. Le but est de fédérer la recherche et de trouver des financements en appui à ce que le public pouvait faire. Nous avons donc aujourd'hui un conseil scientifique au CSPNB et un conseil scientifique à la FRB.

Nous créons désormais une agence. J'étais présent, en tant que facilitateur, le 14 septembre 2012 lors de l'annonce de la création de l'agence pour la biodiversité par le Président de la République. Tout le monde s'attendait à la création d'une agence pour la nature, dont le périmètre aurait été plus large puisque la biodiversité n'est que la fraction vivante de la nature.

Trois questions se sont immédiatement posées : pourquoi crée-t-on cette agence ? Qui va-t-on y intégrer ? De quels moyens disposera-t-elle ? Le Président de la République souhaitait à l'époque s'inspirer du modèle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Le projet de loi prévoit la création d'un conseil scientifique de l'AFB, sans préciser l'articulation avec les deux conseils scientifiques déjà existants en matière de biodiversité. Pour autant, il serait difficile d'intégrer la FRB dans l'agence. Des entreprises privées sont présentes au conseil d'administration de la FRB. La FRB est issue de l'association de huit organismes fondateurs, qui n'ont pas nécessairement vocation à être intégrés à l'agence. Il faudra en revanche une relation forte entre l'AFB et la FRB, qui permet de fédérer la recherche française, sous forme de convention. Il serait bien que l'AFB entre au conseil d'administration de la FRB.

Le Muséum d'histoire naturelle travaille depuis quatre siècles sur ces questions. Les mots clés du Muséum en science sont géodiversité, biodiversité, évolution, adaptation et impact du changement global. Le Muséum avait mis en place il y a quelques années un service du patrimoine naturel, qui est l'outil d'expertise de l'établissement. Le Muséum a cinq missions : la recherche scientifique, l'enseignement associé, les collections nationales, la diffusion du savoir et l'expertise. L'établissement a probablement été le mieux capable d'assurer une intégration entre sciences humaines et sociales et sciences de la nature, avec au total 12 sites en France et 2 000 personnes dont la moitié en recherche.

Je suis très favorable au maintien du CSPNB, qui peut réfléchir aux grandes questions environnementales sur l'eau, la biodiversité et le climat. Sa fusion avec le SNPN a été envisagée à un moment. Il faut maintenir les deux. Il ne faut surtout pas fragiliser le Muséum. Le Service du patrimoine naturel sera un outil d'expertise pour l'AFB. Ne séparons pas ces personnels de leurs relations avec la recherche.

On ne peut imaginer demain en France une réflexion sur l'environnement sans un fort appui scientifique. Préservons les relations entre les chercheurs, les élus et les ONG pour mettre en place à l'avenir de meilleures méthodes de gestion de nos environnements continentaux et marins.

M. Olivier Laroussinie . - Un mot pour finir sur les liens entre la future agence et le conseil national pour la biodiversité et la stratégie nationale. Ce sujet nous paraît encore non traité. Nous proposons que le conseil national donne un avis sur les orientations stratégiques de l'agence, et que l'agence soit l'expert, le centre de ressources et le dispositif de suivi de la stratégie nationale pour la biodiversité. Au-delà de toutes les missions déjà présentes dans le projet de loi pour l'agence, cette articulation mériterait d'être précisée.

Concernant l'outre-mer, on a d'abord traité ce sujet de façon spécifique, mais à la fin l'outre-mer a rejoint le cas général et a été un des moteurs importants pour le cas général. Victorin Lurel et Serge Letchimy avaient été désignés par la ministre pour animer une discussion sur les spécificités d'une déclinaison de l'agence outre-mer. Nous avons organisé un atelier le 11 février dernier avec les élus concernés. Un certain nombre de contacts ont été pris localement dans chacun des territoires. Il en est ressorti une proposition intégrée à l'Assemblée dans le projet de loi : l'agence pourrait avoir des délégations régionales en partenariat avec les collectivités, sous forme par exemple d'établissement public de coopération environnementale. Cette piste a finalement été retenue pour le cas général.

M. Rémy Pointereau , président . - Je vous remercie pour ces propos introductifs. Vous mentionnez la biodiversité en outre-mer : la commission a prévu le 11 juin prochain des tables rondes sur ce sujet, en partenariat avec la délégation à l'outre-mer du Sénat.

M. Jérôme Bignon . - Merci pour cette présentation qui enrichit la réflexion que nous menons. L'agence est en train de se construire du côté du pouvoir exécutif, en même temps que le pouvoir législatif travaille sur le projet de loi. Ce n'est pas si fréquent. Le produit est d'habitude fini quand il est présenté au législateur. Là, on réfléchit à d'éventuels amendements alors même qu'on n'a pas encore le rapport des préfigurateurs. Nous sommes dans un pas de temps compliqué.

Vous nous avez expliqué où vous en étiez de la mission de préfiguration. Il nous est apparu au cours des auditions qu'il serait difficile que l'agence entre pleinement en action le 1 er janvier 2016, comme il est prévu dans le projet de loi. Certes, formellement, on peut créer l'agence à cette date. Nous avions connu une situation analogue pour l'agence des aires marines protégées. Travaillez-vous sur des dispositions transitoires pour une mise en oeuvre progressive ?

Sur le sujet des personnels, la précarité est restée grande. C'est un problème que j'avais connu au Conservatoire du littoral. J'étais à l'époque allé voir le ministre Sauvadet pour essayer de mettre en place un dispositif. Nous avons aujourd'hui une occasion de faire un pas décisif dans cette nouvelle organisation, avec une harmonisation des situations, et de rassurer les personnels. Les agents de l'environnement ne sont pas traités comme ils devraient l'être. Le quasi-statut paraît être une bonne idée. Il nous faut avancer. Je compte sur l'appui de tous mes collègues.

Concernant la gouvernance de l'agence, nous avons beaucoup de questions sur le conseil d'administration. Pour éviter que les débats s'éternisent sur ce sujet, considérez-vous qu'il faille revenir à un conseil d'administration plus resserré ou avons-nous atteint un équilibre dans le texte ? Je pense pour ma part que le nombre de représentants n'est pas important : il vaut mieux n'avoir qu'un membre expérimenté qui représente au mieux votre profession que cinq qui ne s'expriment pas. Ce point de vue n'est pas forcément partagé.

Un comité d'orientation est créé au sein de l'agence pour répondre à la revendication du monde marin. Beaucoup d'autres secteurs revendiquent un conseil d'orientation spécifique. La loi rend possible la création de comités thématiques. J'ai cru comprendre que comités thématiques et conseils d'orientation visaient la même réalité. Est-ce que cela déqualifie le conseil maritime ? Je ne le pense pas puisqu'il est le seul expressément prévu dans la loi.

Avant de parler de la territorialisation de l'agence, j'aimerais parler de l'Etat en région. L'Etat a un rôle régalien auquel je suis très attaché sur la biodiversité car c'est un bien commun de la nation. Que deviennent les préfets et les DREAL dans le système de l'agence ?

Annabelle Jaeger nous a expliqué le point de vue des préfigurateurs sur la territorialisation. Tout le monde souhaite aujourd'hui devenir le représentant territorial de l'agence. Est-il nécessaire d'avoir le même système partout ? La déclinaison locale n'est pour le moment pas définie dans la loi. Il faudra sans doute faire le lien avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, actuellement en cours de discussion.

Concernant les missions de l'agence, nous entendons beaucoup de protestations sur la mission de police. Un certain nombre d'acteurs du territoire ont un rapport difficile à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques. Il y a un problème de gouvernance dans la relation des agents de l'ONEMA avec le monde agricole. Il ne faudrait pas polluer l'agence pour la biodiversité avec cette question. Il y a un message à donner. L'ONCFS ne vient pas dans l'aventure, quelle que soit la position que chacun ait sur le sujet. Les agents de l'ONCFS se trouvent par conséquent parés de toutes les vertus, alors que ce sont les mêmes inspecteurs de l'environnement. Le climat n'est pas bon. Je trouve l'exemple ultra-marin particulièrement intéressant sur le sujet : l'ONCFS, l'ONEMA et l'ONF y travaillent dans des brigades communes qui fonctionnent très bien. Il faudrait réfléchir à un tel modèle en métropole.

J'observe par ailleurs que le sujet de l'ONCFS est tellement à part que le texte ne prévoit même pas de convention avec l'agence. J'y serai pour ma part favorable. C'est un signal rassurant.

Quel rôle aura l'agence en matière de compensation ? C'est un point très intéressant dans la loi, même si on peut encore beaucoup l'améliorer. Est-ce que l'agence pourrait tenir un rôle de registre, de contrôle sur la compensation ? La compensation doit être surveillée pendant les décennies où elle se réalise. Je serais curieux de savoir où on en est, sur toutes les mesures de compensation qui ont été prescrites depuis dix ans. La compensation pourrait être un outil d'ingénierie rurale pour les agriculteurs, qui pourraient être acteurs de la compensation au lieu de la subir.

Le texte parle de biopiraterie : quel peut être le rôle de l'agence en matière de lutte contre la biopiraterie et d'accès et de partage des avantages ?

Mme Annick Billon . - Je m'interroge sur la création de l'AFB : compte tenu de ses nombreuses missions, quels seront les moyens humains et budgétaires mis en oeuvre ? Quelles seront les relations de l'agence avec les collectivités territoriales ? Je pense notamment aux nombreux documents de planification existants, qui doivent déjà être régulièrement mis à jour en raison des nouvelles lois adoptées : documents d'urbanisme, SDAGE, PLH. Tout cela est très lourd pour les collectivités. Plutôt que de créer de nouveaux documents, ne pourrait-on pas privilégier le regroupement d'outils existants ? Sur l'échelle territoriale pertinente, l'ensemble des documents traitant de la biodiversité et des milieux naturels pourraient être regroupés au niveau régional, dans un souci de simplification.

Mme Évelyne Didier . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues pour cette présentation. S'agissant de la collaboration entre acteurs, je constate que le modèle envisagé pour la biodiversité va nous amener à rétablir une logique de financements croisés, inévitable dans un tel cas. En matière d'accompagnement, il me semble nécessaire de prévoir des moyens afin d'aider les collectivités territoriales. Le sujet du statut des agents de la future agence, évoqué par notre collègue Jérôme Bignon, est également une problématique importante, sur laquelle nous devrons travailler collectivement. Toujours au sujet de l'organisation de l'agence : pourquoi la place de l'ONCFS au sein de l'AFB est-elle déjà si tranchée ? Enfin, sur la compensation, je note que beaucoup de travaux et de recherches sont menés sur le volet « compenser » mais que les volets « éviter » et « réduire » manquent d'approfondissement.

M. Jacques Cornano . - Le centre d'analyse géopolitique et internationale de l'Université des Antilles a mis en place un groupe de réflexion sur la biodiversité. Ce groupe a récemment exprimé des inquiétudes quant aux conséquences du projet de loi pour la biodiversité. Si la transposition du protocole de Nagoya est une avancée positive pour lutter contre la biopiraterie, des zones d'incertitudes demeurent. Le dispositif risque de marginaliser les PME ultra-marines pour l'accès aux ressources génétiques du territoire. Or les petites entreprises sont essentielles pour le tissu économique de nos territoires. Le dispositif devrait permettre de favoriser l'accès des PME locales à ces ressources. La place des associations, des bénévoles et des détenteurs de savoirs sur les connaissances traditionnelles reste également incertaine. Enfin, quelles seront les relations entre l'AFB et les organismes existants comme le Conservatoire du littoral, le Muséum national d'histoire naturelle et l'ONCFS, sur les problématiques qui leur seront communes ?

Mme Chantal Jouanno . - Merci à nos intervenants. Je suis ravie de voir que la création de l'AFB est en cours, car il s'agit d'un projet de longue date. Je m'interroge sur les missions de police de l'environnement, notamment en matière de lutte contre la biopiraterie et le trafic d'animaux. Une récente étude du Centre de recherche de l'École des officiers de la gendarmerie nationale sur la lutte contre les atteintes à l'environnement souligne la nécessité de renforcer les sanctions en la matière, avec la possibilité d'affecter le produit des sanctions et des saisines aux moyens de l'AFB. Une réflexion a-t-elle été menée sur ce point, en lien avec l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique ?

M. Gérard Cornu . - Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais il me semble que beaucoup d'incertitudes demeurent sur la future agence. La création de l'AFB ne me semble pas particulièrement facteur de rationalisation. Les conditions de financement de l'agence restent également très imprécises. Enfin, l'organisation de la territorialisation de l'AFB et les relations avec les directions régionales de l'État, les agences de l'eau et les collectivités territoriales actives sur le terrain sont tout aussi indéterminées. La mise en place de délégations territoriales ne doit pas empêcher les actions existantes en faveur de la biodiversité mais les faciliter.

M. Rémy Pointereau , président . - Je constate que les collectivités territoriales sont soumises à des exigences nouvelles de simplification, de suppression des doublons et de mutualisation. La création de l'agence permettra-t-elle véritablement de simplifier le paysage institutionnel ? Je m'interroge également sur les ambitions de l'AFB : s'agit-il de sanctuariser l'existant ou de développer véritablement la politique en faveur de la biodiversité ? Enfin, l'AFB sera-t-elle le gendarme de l'ensemble de la biodiversité ?

M. Olivier Laroussinie. - S'agissant de la mise en place de l'agence, il faut préciser qu'elle se voit conférer des missions qui dépassent les quatre organismes intégrés. Le 1 er janvier 2016 sera au mieux la date de mise en place administrative de l'AFB, si la loi est promulguée et si le décret d'application est publié avant cette date. L'intégration des différents organismes sera mise en oeuvre par la suite. Concernant le statut du personnel, ce sujet n'est pas dans le champ de compétence des préfigurateurs, mais nous serons attentifs à ce chantier social, suivi par le service des ressources humaines du ministère de l'environnement.

En matière de gouvernance, le résultat du débat à l'Assemblée nationale sur le conseil d'administration et sur le conseil national de la biodiversité semble peu opérationnel. Le conseil d'administration a vocation à assurer la gestion administrative, tandis que le conseil national de la biodiversité doit déterminer les orientations stratégiques. Compte tenu du rôle de chacune de ces instances, il serait préférable d'avoir un conseil national de la biodiversité large dont la composition pourrait être précisée par la loi, et un conseil d'administration resserré, dont l'organisation détaillée ne serait pas fixée au niveau législatif. La mise en place de comités d'orientation permettra de disposer d'instances opérationnelles sur des sujets plus ciblés. À cet égard, un comité d'orientation sur les milieux marins est explicitement prévu par le projet de loi. Il ne s'agit pas d'un privilège particulier en faveur du milieu marin mais d'une conséquence du mécanisme de délégation à un parc marin. Il me semble d'ailleurs souhaitable que l'ensemble des instances internes soient nommées « comités d'orientation ». Compte tenu des nombreuses demandes de création de comités spécifiques, il serait préférable de ne pas insérer d'éléments supplémentaires au niveau législatif, que nous ne pourrions plus adapter ultérieurement.

Le projet de loi prévoit l'exercice de missions de police par l'AFB. Plusieurs débats ont eu lieu sur l'articulation entre les activités de conseil et les activités de police. Dans l'organisation interne de l'agence, ces missions seront clairement séparées. Par ailleurs, la question de la police ne doit pas être résumée à l'ONCFS. Compte tenu du maintien de l'ONCFS en dehors de l'agence, nous devrons favoriser la mutualisation de certaines actions de terrain. L'ONCFS et l'ONEMA sont également des réserves importantes d'expertise technique. Enfin, s'agissant de la perception différente des activités de police de l'ONCFS et de l'ONEMA, des problèmes existent sans doute sur le terrain, mais la nature différente des contrôles menés par ces organismes affecte également cette perception. Les moyens actuellement mis en oeuvre diffèrent également.

Mme Annabelle Jaeger. - Sur le sujet de la territorialisation, il faut noter que le projet de loi prévoit à l'heure actuelle la possibilité de créer des délégations territoriales. Je pense qu'il faut garder une certaine souplesse dans la mise en oeuvre de cette territorialisation. Il me semble cohérent de privilégier une échelle régionale, dès lors que la planification en matière de biodiversité y est déjà développée. La région participe à l'élaboration des schémas régionaux de cohérence écologique, et des stratégies régionales pour la biodiversité existent déjà dans la plupart de nos régions. En matière de gouvernance, les régions sont dotées de comités régionaux trame verte et bleue. L'existant est toutefois hétérogène d'une région à l'autre. L'agence Natureparif fournit un exemple intéressant d'agence régionale dont la gouvernance est partagée, et qui accompagne les collectivités territoriales dans l'élaboration de leurs documents d'urbanisme. L'existence d'agences régionales pour la biodiversité, d'agences régionales pour l'environnement ou d'observatoires régionaux plaident également en faveur d'une territorialisation au niveau régional. La coopération avec les services de l'État est essentielle. Le scénario actuellement mis en oeuvre dans la région Rhône-Alpes associe la DREAL.

M. Olivier Laroussinie. - Sur ce sujet des compétences, l'inquiétude est légitime. En présence d'une compétence partagée, l'articulation des différents acteurs est nécessairement complexe, autant pour les collectivités territoriales que pour les services de l'Etat. S'agissant des agences de l'eau, leurs missions sont étendues à la biodiversité par le projet de loi. Il faut assurer la cohérence entre les bassins et les régions. Les comités régionaux pour la biodiversité seraient chargés de coordonner les autres organismes actifs comme les comités de bassins et les comités maritimes de façade. Les agences de l'eau vont également exercer certaines missions de l'AFB. La question du décalage entre bassin et région n'est pas nécessairement problématique, car les agences de l'eau agissent déjà avec les régions sans avoir le même périmètre. Dès lors que la fusion du tout n'est pas la solution retenue par le projet de loi, il faut garantir la lisibilité de ce nouveau paysage institutionnel.

M. Gilles Boeuf . - La biodiversité n'est pas un sujet réservé aux spécialistes, les enquêtes le confirment d'ailleurs. L'Agence devra avoir un vrai rôle d'explication et de communication à l'égard du grand public.

Elle devra également mener une réflexion scientifique sur la problématique de la compensation, insuffisamment prise en compte actuellement.

L'outre-mer, qui a été évoqué, est appelé à jouer un rôle fondamental. Si un avantage est tiré des plantes qui poussent dans les territoires ultramarins, il est normal que les communautés environnantes en tirent profit. Néanmoins, il ne faut pas tomber dans l'excès de l'hyper-protectionnisme ! Aujourd'hui, les inventaires font état de 88 000 espèces connues sur le territoire métropolitain, et de 76 000 espèces en outre-mer : ces chiffres ridicules témoignent de la sous-connaissance de la biodiversité ultramarine. De nouvelles études et recherches sont donc nécessaires.

M. Olivier Laroussinie . - Il faut un registre et un suivi des mesures de compensation. L'Agence devrait en être responsable. La problématique de la compensation doit être liée à celle des mesures de réduction.

Concernant la biopiraterie, le plus important est de s'attacher à une sécurisation juridique, avant de penser à l'emploi de la force publique.

Les moyens financiers des quatre organismes intégrés dans l'Agence sont insuffisants, je partage ce point de vue. Le contexte économique actuel rend la situation complexe. La mutualisation de certains établissements publics et la constitution d'équipes communes peuvent être un élément de solution.

Actuellement, les agences de l'eau financent à hauteur de 240 millions d'euros par an la biodiversité. On doit toutefois trouver, équivalent à celui de la taxe sur l'eau, pour compléter ce financement.

La demande de cartographie des différents acteurs de la biodiversité est une bonne idée.

M. Jérôme Bignon . - Il est, sur ce point, déjà possible de se référer à l'étude d'impact du projet de loi.

M. Rémy Pointereau , président . - Annabelle Jaeger, Gilles Boeuf et Olivier Laroussinie, nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions et éclairer notre réflexion sur le projet de loi relatif à la biodiversité.

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