N° 701

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 septembre 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l' accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement ,

Par M. Robert del PICCHIA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mmes Leila Aïchi, Nathalie Goulet , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3039 , 3058 et T.A. 585

Sénat :

695 et 702 (2014-2015)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Conclu en 2011, le contrat de vente à la Russie de bâtiments de projection et de commandement (BPC) est devenu à partir de 2014 un dossier embarrassant, tant diplomatiquement que politiquement.

Les graves atteintes au droit international dont la Russie, à travers l'annexion de la Crimée et la déstabilisation entretenue dans le Donbass, s'était rendue coupable en Ukraine, ont conduit la France à suspendre puis à refuser explicitement de lui livrer les deux BPC prévus.

Cette décision a donné lieu à de vifs débats au plan national . Fallait-il donner la priorité à l'exécution d'un contrat d'armement qui, pour certains, engageait la crédibilité de la France aux yeux de ses clients, et considérer d'abord l'activité économique, l'emploi et les recettes attachés à la bonne exécution de ce contrat ?

A la veille du sommet de l'OTAN de Newport, le 3 septembre 2014, le Président de la République a considéré, sous la pression de ses alliés, qu'il n'était pas possible de tenir cette position , les conditions n'étant pas réunies, compte tenu de la situation en Ukraine, pour autoriser la livraison des BPC.

Dès lors, « l'affaire des Mistral » risquait de générer des procédures contentieuses longues et coûteuses, à l'issue incertaine, et d'affecter encore longtemps les relations franco-russes. Les autorités françaises et russes sont donc convenues, au début de l'année 2015, d'entamer des négociations pour tenter d'aboutir à une solution amiable .

Ces pourparlers ont débouché, le 5 août dernier, sur la signature de deux accords intergouvernementaux , l'un classique, l'autre sous forme d'échange de lettres entre les parties. Seul ce dernier est formellement soumis pour ratification au Parlemen t, conformément à l'article 53 de la Constitution, compte tenu de ses implications budgétaires. Il comporte en effet la somme versée par le Gouvernement français au Gouvernement russe, soit 949,75 millions d'euros. Les deux accords sont toutefois à considérer ensemble, dans la mesure où ils mettent fin à l'accord intergouvernemental signé le 25 janvier 2011 pour la vente des BPC. Le texte du premier accord, qui ne figure pas dans le présent projet de loi, est reproduit en annexe 2 de ce rapport pour votre bonne information.

I. LA NON-LIVRAISON DES BPC À LA RUSSIE, UNE CONSÉQUENCE DE LA CRISE UKRAINIENNE

A. UN CONTRAT DE VENTE INTERVENU DANS UN CONTEXTE FAVORABLE

1. Un contexte favorable à la vente

C'est en 2009 que la Russie a manifesté son souhait d'acquérir des « bâtiments de projection et de commandement » (BPC) de classe Mistral , produits par la société DCNS.

Ces bâtiments d'une taille impressionnante (199 mètres de long), véritables bijoux de la technologie militaire française, combinent les fonctions de porte-hélicoptères, d'hôpital, de transport de troupes, de mise en oeuvre de moyens d'assaut amphibie et enfin de commandement. En effet, ils peuvent transporter rapidement et sur de grandes distances, 450 hommes, 16 hélicoptères, 70 blindés, deux blocs opératoires et un état-major complet. Ils sont conçus pour répondre à des missions multiples telles que la projection de forces, le soutien aux forces déployées et l'assistance aux populations civiles.

Jusqu'alors, seuls trois porte-hélicoptères de ce type avaient été construits, exclusivement pour la Marine nationale française : le Mistral , le Tonnerre et le Dixmude , respectivement mis en service en 2006, 2007 et 2012.

Sans rouvrir le débat sur l'opportunité de la décision de vendre ces BPC à la Russie, votre rapporteur veut souligner que cette décision est intervenue dans un contexte de relations favorables entre nos deux pays . Les relations économiques et commerciales entre la France et la Russie s'étaient fortement développées depuis le début des années 2000. Après la guerre russo-géorgienne de l'été 2008, les pays occidentaux avaient choisi de maintenir leur partenariat stratégique avec la Russie (comme en témoigne la reprise, fin 2009, du conseil OTAN-Russie qui avait été suspendu du fait de la crise en Géorgie) et cette dernière poursuivait son intégration dans la communauté internationale (démarche d'adhésion à l'OMC, à l'OCDE...). C'était aussi l'époque du redémarrage (« reset ») des relations russo-américaines et de divers projets dans le cadre de l'Union européenne (discussions sur les visas, sur un nouvel accord de coopération...). En 2010, année précédant la signature du contrat de vente, s'étaient déroulées, dans le cadre de « l'année croisée France-Russie », pas moins de 350 manifestations dans de nombreux domaines, qui avaient dynamisé les relations bilatérales franco-russes et favorisé les échanges.

Côté russe, l'acquisition des BPC s'inscrivait dans une démarche de modernisation de la flotte, dépourvue de ce type de bâtiment. Il convient néanmoins de relever qu'en matière d'achats d'armements, la Russie a toujours considéré l'achat de matériels étrangers comme une exception, de sorte que les contrats de vente d'autres pays de l'UE ou de l'OTAN à destination de la Russie sont peu nombreux ou et/ou portent sur des composants intégrés par des industriels russes au sein de systèmes d'armes produits localement, et non sur des systèmes d'armes ou des équipements complets.

Côté français, il s'agissait de développer les relations commerciales avec la Russie, marché prometteur et disputé. La vente allait aussi générer des emplois (un millier sur quatre ans) et de l'activité pour les chantiers de Saint-Nazaire pendant plusieurs années.

2. Un dispositif contractuel à deux étages

La vente a reposé sur un dispositif contractuel à deux niveaux :

- un accord intergouvernemental signé le 25 janvier 2011 entre la France et la Fédération de Russie ;

- un contrat commercial signé le 10 juin 2011 entre DCNS et la société par actions de droit russe ROSOBORONEXPORT (ROE).

a) L'accord intergouvernemental du 21 janvier 2011

L'accord intergouvernemental , « relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement » , dont il importe de souligner qu'il a précédé le contrat industriel et commercial, avait pour objet de définir les conditions dans lesquelles les parties s'entendent pour apporter leur assistance à la production, au soutien après-vente (maintenance, réparation, modernisation...) et au démantèlement en fin de vie des BPC.

Il est ainsi fréquent que les contrats commerciaux d'armement s'accompagnent d'instruments juridiques de niveau gouvernemental (comme en l'espèce) ou ministériel, pour préciser les contours et encadrer strictement cet accompagnement étatique.

Ces instruments prévoient le plus souvent un accompagnement en matière de formation (formation par les forces armées françaises des armées acquéreuses aux spécificités des matériels exportés), d'expertise technique (par exemple, aide à qualification et à la certification des matériels achetés) et précisent les montants de ces prestations.

Il n'est par ailleurs pas rare, et c'est le cas en l'espèce, qu'un accord intergouvernemental accompagne un contrat d'armement afin d'entériner les engagements de l'Etat acquéreur, en matière de non réexportation des matériels et technologies transférées.

L'AIG désignait les organismes mandatés par chaque partie pour la mise en oeuvre de l'accord (le Service fédéral de coopération militaire et technique et le ministère russe de l'Industrie et du Commerce pour la Russie, la Direction générale de l'Armement du ministère de la Défense pour la France) ainsi que les entreprises chargées de leur réalisation.

Il stipulait que deux BPC seraient construits en France avec la participation de la Russie et que deux autres seraient construits en Russie avec la participation de la France.

Il prévoyait des transferts de technologies au profit de la Russie , consistant en la fourniture de documentation et d'une assistance technique dans trois domaines : la construction de la coque par blocs de grandes dimensions, le système de gestion des communications, le système de direction des opérations.

Il comportait aussi notamment des obligations réciproques en termes fiscaux et douaniers, des dispositions relatives à la protection de la propriété intellectuelle (visant notamment à prévenir le risque de construction par la Russie de bâtiments inspirés des BPC ou de certains de ses sous-systèmes) et une interdiction de revente des technologies et équipements reçus de l'autre partie sans l'accord préalable de celle-ci. Enfin, il prévoyait les modalités de règlement des différends.

Cet accord intergouvernemental n'avait pas été soumis au Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution.

b) L'accord commercial du 10 juin 2011

Le contrat initial BPC Russie a été signé le 10 juin 2011 entre DCNS et Rosoboronexport (ROE). Il est entré en vigueur (T0) le 1 er novembre 2011 (date du versement du 1 er acompte).

D'un montant initial de 1,12 milliard d'euros (prix ferme), il stipulait :

- la fourniture de deux BPC de type Mistral adaptés au besoin russe (980 millions d'euros) ;

- les études logistiques et la documentation navire (15 millions d'euros) ;

- la fourniture des rechanges embarqués à bord (13 millions d'euros) ;

- la formation simultanée de deux équipages et de formateurs russes (32 millions d'euros) ;

- le transfert du dossier de fabrication et des trois technologies précitées (construction de la coque par blocs, système de gestion des informations et système de gestion des communications) (80 millions d'euros).

Des avenants au contrat initial ont porté le montant global du contrat à 1,2 milliard d'euros, prenant en compte la réalisation d'évolutions mineures (2 millions d'euros), ainsi que la commande d'embarcations de débarquement pour équiper les deux navires : quatre chalands CTMR (29 millions d'euros) destinés à équiper le premier BPC, deux catamarans LCAT-R (55 millions d'euros), destinés au deuxième BPC.

Echéancier de livraison :

Fourniture

Date de livraison contractuelle

BPC-R 1
incluant études logistiques, documentation associée et rechanges bord

01/11/2014

CTM-R

Livraison attendue avec BPC-R n°1

Formation

Avant le 01/11/2014

BPC-R 2
incluant études logistiques, documentation associée et rechanges bord

01/11/2015

LCAT-R

Livraison attendue avec BPC-R n°2

Transfert du dossier de fabrication et transferts de technologie

Entre le 01/11/2012 et le 01/09/2015*

* Prestations réparties sur la durée du contrat.

Echéancier de paiement :

Compte tenu des acomptes et des jalons de paiement intermédiaires définis par le contrat, l'échéancier de paiement était le suivant :

Année

Montant
(million d'euros)

Cumul
(million d'euros)

2011

241 000 000

241 000 000

2012

169 800 000

410 800 000

2013

276 093 400

686 893 400

2014

352 262 100

1 039 155 500

2015

167 191 500

1 206 347 000

NB : Les paiements ont été suspendus par le client en octobre 2014 (892 896 900 millions d'euros payés).

Un courrier du Premier ministre signé le 20 juin 2011 a confirmé l'engagement du gouvernement.

De son côté, DCNS a souscrit en décembre 2012 une police d'assurance COFACE « risque de fabrication » pour se prémunir contre le risque d'interruption de son contrat commercial avec son acheteur russe, prévoyant une couverture de 50 % en cas de risque normal et de 95 % en cas de force majeure.

Page mise à jour le

Partager cette page