II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI VISE À LEVER DES AMBIGUITÉS JURIDIQUES LIÉES À LA PRIORITÉ D'EMPLOI DES DOCKERS

À l'été 2013, un conflit éclate sur le port décentralisé de Port-La-Nouvelle : l'une des entreprises, implantée depuis longtemps sur le site, reproche à la seconde de lui faire une concurrence déloyale en employant du personnel non-docker pour ses travaux de manutention. Autorité concédante du port, la région Languedoc-Roussillon estime, par une interprétation extensive de la loi du 9 juin 1992, que l'absence d'ouvriers intermittents sur ce port est susceptible de remettre en question l'application de la règle de priorité d'embauche .

Si le conflit de Port-la-Nouvelle a finalement trouvé une issue, cette affaire a entraîné une prise de conscience des difficultés d'interprétation des textes législatifs relatifs au régime des dockers, dans la mesure où les règles applicables demeurent en grande partie adossées au régime de l'intermittence voué à disparaître prochainement . À la demande de Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, un groupe de travail s'est constitué en janvier 2014 autour de Martine Bonny, inspectrice générale de l'écologie et du développement durable et ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque.

La présente proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale le 20 mai 2015 par Bruno Le Roux, Sébastien Denaja, Jean-Paul Chanteguet et les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC) et apparentés, est le fruit de la réflexion menée par ce groupe de travail. Cette proposition de loi n'a guère été modifiée lors de son examen par l'Assemblée nationale , à l'exception de l'ajout d'une demande de rapport sur la mise en oeuvre de la charte nationale prévue à l'article 6.

A. LA DÉCORRÉLATION ENTRE LA PRIORITÉ D'EMPLOI ET LA PRÉSENCE DE DOCKERS INTERMITTENTS SUR LA PLACE PORTUAIRE

Le régime d'emploi des dockers est aujourd'hui défini aux articles L. 5543-1 à L. 5543-7 du code des transports :

- l'article L. 5343-1 du code des transports dispose que « les ports maritimes de commerce dans lesquels l'organisation de la manutention portuaire comporte la présence d'une main-d'oeuvre d'ouvriers dockers professionnels intermittents (...) sont déterminés par l'autorité compétente » : la liste actuelle résulte de l'arrêté du 25 septembre 1992 et comprend 29 ports 3 ( * ) ;

- l'article L. 5343-2 définit les différentes catégories d'ouvriers dockers qui existent « dans les ports mentionnés à l'article L. 5343-1 » ;

- enfin, les articles L. 5343-3 à L. 5343-7 s'appuient sur ces définitions pour fixer les principes et les règles en matière d'embauche.

Il s'ensuit que l'ensemble du régime d'emploi des dockers est subordonné à l'application de l'article L. 5343-1 . Il en va de même pour l'article R. 5543-2 qui délimite le périmètre d'activités auquel s'applique la priorité d'embauche des dockers, et qui renvoie explicitement aux « ports figurant sur la liste prévue à l'article L. 5343-1 » . C'est d'ailleurs l'interprétation de cette disposition réglementaire, anciennement article R. 511-2 du code des ports maritimes, qui est à l'origine du conflit de Port-La-Nouvelle.

Le problème vient en effet de la référence à la seule « présence d'une main-d'oeuvre d'ouvriers dockers professionnels intermittents » pour la détermination des ports concernés. Cette formulation s'articule mal avec la disparition programmée du régime de l'intermittence, et pose d'ores et déjà des problèmes dans les ports où il n'y a plus d'intermittents. Il existe en effet un débat juridique sur le fait de savoir si l'absence de dockers intermittents doit être interprétée au niveau de chaque port ou à l'échelle nationale . À cela s'ajoute le fait que, pour maintenir la paix sociale, la liste des ports de l'arrêté du 25 septembre 1992 n'a jamais été mise à jour et est devenue obsolète.

Il convient de noter que cette difficulté rédactionnelle avait probablement été laissée volontairement en suspens à l'occasion de la réforme de 1992, alors que le conflit social était intense (les dockers ont effectué 48 heures de grève hebdomadaire pendant près d'un an). Elle place aujourd'hui l'ensemble du dispositif dans une situation de grande fragilité : en l'absence de nouvelles dispositions, la disparition du dernier docker professionnel intermittent ouvrira mécaniquement une période d'incertitude, de contentieux et de forte conflictualité sociale . Il n'est donc guère possible de se contenter d'un statu quo .

Dans ce but, la présente proposition de loi procède à une série d'ajustements relativement techniques . L'article 1 er lève définitivement l'ambiguïté de l'article L. 5343-1 en supprimant toute référence à la présence de dockers intermittents sur les places portuaires. Les articles 3, 4 et 5 précisent respectivement les définitions des ouvriers dockers professionnels mensualisés et intermittents, et des ouvriers dockers occasionnels. L'article 7 améliore la rédaction de l'article du code des transports qui fixe le système de double priorité d'emploi des dockers mensualisés sur les dockers intermittents et des intermittents sur les occasionnels. Enfin, les articles 2 et 8 procèdent à des modifications rédactionnelles.


* 3 Dunkerque, Calais, Boulogne, Le Tréport, Dieppe, Fécamp, Le Havre, Rouen, Honfleur, Caen, Cherbourg, Saint-Malo, Roscoff, Brest, Douarnenez, Concarneau, Lorient, Nantes - Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne, Port-Vendres, Port-la-Nouvelle, Sète, Marseille, Toulon, Nice, Bastia et Ajaccio.

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