III. LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR : UN TEXTE AMBITIEUX QUI DEMANDE UNE APPLICATION VIGILANTE

1. Un accord ambitieux aux effets déjà visibles

L'accord multilatéral sur l'échange automatique d'informations constitue une réussite à plusieurs égards . D'une part, en raison de son contenu lui-même : la norme commune de déclaration est un texte technique précis, applicable par les États et les établissements financiers, selon des modalités harmonisées. D'autre part, et surtout, en raison du large soutien international dont il bénéficie , et dont témoigne le grand nombre d'États et territoires signataires et sa place dans les déclarations finales successives des sommets du G20. On ne peut que se féliciter du chemin parcouru depuis l'initiative isolée et unilatérale des États-Unis avec la loi FATCA , à une époque où l'échange automatique restait une perspective très lointaine ailleurs dans le monde, et où le secret bancaire paraissait pouvoir perdurer encore longtemps.

La seule perspective de la prochaine entrée en vigueur de l'échange automatique d'informations a d'ores et déjà produit des résultats tangibles , alors même que le système n'est pas encore concrètement en place. De fait, la possible fin du secret bancaire, ou du moins la certitude de son recul, ont conduit plusieurs contribuables disposant de comptes non déclarés à l'étranger à régulariser leur situation. En France, ce mouvement est visible à travers les excellents résultats du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) : après 1,9 milliard d'euros de recettes en 2014, le STDR devrait rapporter près de 2,7 milliards d'euros de en 2015, et 2,1 milliards d'euros en 2016 d'après le projet de loi de finances.

Le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR)

La circulaire du 21 juin 2013 signée par le ministre du budget Bernard Cazeneuve vise à inciter les contribuables français détenant des avoirs non-déclarés à régulariser leur situation, moyennant des pénalités allégées , avant le durcissement du dispositif de lutte contre l'évasion fiscale.

Ainsi, alors que le droit commun prévoit une majoration de 40 % et une amende annuelle de 5 %, la circulaire atténue ces montants en fonction de la catégorie à laquelle se rattache la fraude :

- les fraudeurs « actifs » (comptes ouverts récemment et/ou régulièrement alimentés) se voient appliquer une majoration de 30 % et une amende de 3 % ;

- les fraudeurs « passifs » (notamment les personnes ayant hérité d'un compte à l'étranger et n'en n'ayant pas fait usage) se voient appliquer une majoration de 15 % et une amende de 1,5 %.

Les dossiers sont pris en charge par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) , rattaché à la direction nationale des vérifications des situations fiscales (DNVSF) et composé aujourd'hui d'une centaine d'agents. Sept « pôles régionaux » ont été ouverts en juin 2015 pour accélérer le traitement des dossiers aux enjeux modestes (moins de 600 000 euros d'actifs), à Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Vanves, Saint-Germain-en-Laye et Paris.

Fin septembre 2015, environ 45 000 dossiers avaient été déposés , dont près de 8 500 avaient été traités. Près de 85 % des dossiers proviennent de Suisse, et 7 % du Luxembourg. La « fraude passive » représentante près de 80 % des cas.

Source : commission des finances du Sénat.

2. La grande faiblesse de l'accord : son caractère non contraignant

L'approche multilatérale et consensuelle de l'accord OCDE est sa force, mais c'est aussi sa faiblesse.

En effet, contrairement à la loi FATCA qui prévoit une retenue à la source de 30 % pour les institutions financières qui ne respecteraient pas ses stipulations, l'accord OCDE ne prévoit aucune sanction pour les États qui refuseraient de l'appliquer : l'adhésion est purement volontaire , et repose donc sur la mobilisation politique internationale en faveur de l'échange automatique d'informations. Il faut toutefois préciser qu'une fois signé et ratifié par un État, l'accord emporte bien des sanctions pour les institutions financières non coopératives ; celles-ci sont prévues par le droit interne, à l'instar de l'amende de 200 euros par compte de l'article 1736 du code général des impôts pour la France (cf. supra ). Votre rapporteur estime d'ailleurs que ce montant est relativement faible compte tenu de l'enjeu financier que peut représenter chaque compte dissimulé.

Par conséquent, la fin effective du secret bancaire devra attendre l'hypothétique signature et application de l'accord par la totalité - ou du moins la grande majorité - des pays du monde . Seuls quatre-vingt-quatorze États et territoires s'y sont engagés à Berlin : c'est beaucoup, mais pas suffisant. Dans l'intervalle, on ne peut exclure que certains États et territoires non signataires se fassent une spécialité de l'hébergement de comptes offshore « déplacés » dans la perspective du passage à l'échange automatique. De plus, les États-Unis, du fait de la loi FATCA, ne sont pas signataires de l'accord multilatéral et n'en ont pas exprimé l'intention.

La bonne application des stipulations de l'accord multilatéral sera suivie par le Forum mondial de l'OCDE sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, comme cela a été confirmé dans la déclaration finale du G20 de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre 2013. Cette instance, renforcée en septembre 2009, est chargée d'évaluer la réalité des engagements pris en matière de transparence par ses 125 pays membres ainsi que pour les pays dont l'examen a été jugé pertinent, par un processus d'examen par les pairs. Celui-ci porte d'une part sur l'existence de mesures législatives et réglementaires internes (phase 1), et d'autre part sur leur application effective (phase 2). L'examen du cadre législatif et réglementaire débutera dès 2016.

Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur l'application de cet accord par ailleurs ambitieux, il est crucial d'entretenir la mobilisation internationale en faveur de l'échange automatique d'informations . La France a tout son rôle à jouer à cet égard.

3. La question de la compatibilité avec l'accord FATCA

Par ailleurs, les incompatibilités persistantes entre le standard OCDE et les accords FATCA constituent un obstacle à la généralisation de l'échange automatique d'informations comme norme mondiale unique, harmonisée et réciproque - d'autant que les États-Unis ne sont pas signataires de l'accord OCDE.

Un comparatif des trois normes d'échange automatique - FATCA, directives européennes et standard OCDE - élaboré à la demande de la commission des finances par la direction de la législation fiscale (DLF) figure en annexe du présent rapport.

Les principales différences sont les suivantes :

- l'accord FATCA ne prévoit pas de réciprocité complète, contrairement à l'accord OCDE . Aux termes du modèle « FATCA 1 » repris par l'accord franco-américain du 14 novembre 2013, les États-Unis ne transmettent pas le solde des comptes ni la valeur de rachat des contrats d'assurance-vie , qui constituent pourtant une information cruciale. Cette situation résulte d'un blocage institutionnel interne aux États-Unis, la transmission du solde des comptes bancaires étant soumise à l'autorisation du Congrès, et actuellement refusée par les élus républicains, qui invoquent une inconstitutionnalité. L'éclatement du paysage bancaire américain constitue une difficulté supplémentaire, d'ordre technique. L'article 6 de l'accord prévoit explicitement que « lorsque la législation des États-Unis autorisera la déclaration d'un quelconque renseignement eu égard auquel les États-Unis ont exprimé leur engagement de mettre en oeuvre la réciprocité (...), notamment le solde du compte , les États-Unis s'engageront à déclarer ce renseignement complémentaire à l'autorité compétente française ». Toutefois, et en dépit de la lettre du 24 avril 2013 par laquelle le secrétaire américain au Trésor Jack Lew a fait part de sa compréhension envers la demande de la France, il n'existe à ce jour aucune perspective d'avancée sur le sujet. Les termes de la loi FATCA demeurent donc fondamentalement inégaux 15 ( * ) ;

- l'accord FATCA s'applique aux « contribuables américains », définis à la fois par la citoyenneté et la résidence, alors que l'accord OCDE repose sur le seul critère de la résidence . Cette différence découle des spécificités de la législation fiscale américaine, fondé sur le principe de la nationalité, alors que le droit commun est celui du principe de résidence. Le champ très large de la loi FATCA a entraîné de nombreuses difficultés, par exemple pour les « Américains accidentels » nés par hasard aux États-Unis, ou les personnes y ayant temporairement étudié ou travaillé. Ces difficultés ont même conduit certaines banques comptant un faible nombre de clients soumis à la loi FATCA à se séparer de ces derniers plutôt que de supporter les coûts de mise en conformité 16 ( * ) .

- l'accord FATCA prévoit une retenue à la source de 30 % pour les institutions financières qui ne respecteraient pas ses stipulations (cf. supra ), alors qu'aucune retenue à la source n'est prévue dans l'accord OCDE ;

- l'accord FATCA, contrairement à l'accord OCDE, ne requiert pas de regarder à travers les entités d'investissement ( trusts etc.) implantées dans les États et territoires non partenaires , puisque la retenue à la source est de toute façon applicable ;

- l'accord FATCA et l'accord OCDE diffèrent quant aux seuils retenus pour les procédures de diligence allégées ou renforcées. Ainsi, l'accord FATCA prévoit un seuil de minimis de 50 000 dollars au-dessous duquel l'institution financière n'a pas à réaliser de procédures de diligence, pour les comptes nouveaux et préexistants de personnes physiques ainsi que pour les nouveaux comptes des entités. L'accord OCDE ne prévoit pas de seuil de minimis pour les personnes physiques , ce qui complique la tâche des établissements financiers, comme l'ont souligné les représentants de la Fédération bancaire française lors de leur audition par votre rapporteur : un compte d'un euro est un compte déclarable. En revanche, le seuil de minimis de 250 000 dollars prévu par l'accord FATCA pour les comptes préexistants des entités est repris par l'accord OCDE. De plus, les deux accords prévoient un seuil commun de un million de dollars au-dessus duquel des procédures de diligence renforcée s'appliquent. L'accord OCDE, contrairement à l'accord FATCA, prévoit par contre des procédures de diligence allégées pour les comptes préexistants de faible valeur , inférieurs à un million d'euros. Les institutions financières peuvent appliquer les procédures des nouveaux comptes aux comptes préexistants, et celles des comptes de valeur élevée à celles des comptes de faible valeur ;

- enfin, certaines définitions retenues par l'accord FATCA diffèrent de celles retenues par l'accord OCDE , par exemple les entités d'investissement ou les comptes préexistants (cf. annexe).

Par ailleurs, l'accord OCDE et la directive 2014/107/UE présentent également quelques différences, quoique de moindre importance et d'ordre purement technique. Tous deux sont en effet fondés sur la norme commune de déclaration de l'OCDE et y renvoient explicitement. Les données à échanger - identification de l'institution financière déclarante, identification du contribuable et informations financières - sont en revanche identiques.

4. Le défi de la mise en oeuvre technique

D'après les informations communiquées à votre rapporteur par la Fédération bancaire française, le nombre de comptes non-résidents potentiellement concernés par l'échange automatique serait « d'au moins deux millions pour l'ensemble des établissements bancaires , bien supérieur à la cible FATCA ».

La mise en oeuvre de l'échange automatique implique donc la mise en place d'une infrastructure technique spécifique et importante , pour les institutions financières comme pour l'administration fiscale. Il faut toutefois signaler qu'il s'agit, à quelques ajustements près, de la même infrastructure que celle qui est utilisée pour la mise en oeuvre de l'accord FATCA - aussi les dépenses d'investissement et de fonctionnement devraient-elles être très largement partagées.

En ce qui concerne l'administration fiscale , l'étude d'impact annexée au projet de loi ratification évalue le coût total du développement de l'infrastructure informatique pour la mise en oeuvre des deux dispositifs - FATCA et la norme UE/OCDE - à « 1 058 jours/hommes et 50 000 euros », soit un montant relativement modeste.

En ce qui concerne les établissements financiers , le coût total de la mise en place de l'infrastructure pour FATCA a été évalué par la Fédération bancaire française (FBF) à 200 millions d'euros sur la période 2011-2017 pour les groupes français 17 ( * ) , auquel il faut ajouter le coût de mise en conformité pour la norme OCDE, compte tenu des différences entre les deux standards. S'y ajoutent également les dépenses supportées par les compagnies d'assurance, ces dernières étant confrontées à des enjeux différents : elles détiennent moins de comptes mais sont éclatées en de plus petites institutions.

Concrètement, la transmission des données aura pour support un fichier au format XML, unique pour chaque banque , contenant les données portant sur chacun des comptes concernés.

Toutefois, des incertitudes demeurent à ce stade quant à la base légale de la collecte d'informations par les établissements financiers, alors que celle-ci doit commencer au 1 er janvier 2016 . En effet, les « diligences » prévues par la norme commune de déclaration de l'OCDE impliquent d'identifier la résidence fiscale des titulaires de chaque compte bancaire, même si la transmission porte sur les seules informations relatives aux non-résidents. Les établissements financiers doivent donc procéder à une « revue unique » de l'ensemble des comptes , afin de relever de possibles indices de non-résidence - adresse, lieu de naissance etc. - et le cas échéant d'interroger les titulaires. D'après les informations transmises à votre rapporteur, d'autres pays européens, notamment l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne ou encore les Pays-Bas, ont récemment accepté le principe de la « revue unique ». Or, actuellement, la rédaction de l'article 1649 AC du code général des impôts (cf. supra ) semble insuffisante pour permettre aux établissements financiers de mettre en oeuvre la « revue unique » en toute sécurité juridique.

Au-delà des textes d'application prévus (décret et instruction), votre rapporteur estime donc qu' une modification législative de l'article 1649 AC du code général des impôts est nécessaire . En raison du calendrier, celle-ci doit impérativement intervenir avant le 31 décembre 2015, c'est-à-dire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 ou du projet de loi de finances rectificative pour 2015. La Commission européenne a par ailleurs annoncé qu'elle contrôlerait la bonne transposition des directives de 2003 et de 2011, qui reprennent le standard de l'OCDE. Le Forum mondial fera de même.

5. La nécessité d'une période pédagogique pour les établissements financiers

Par ailleurs, si la collecte des informations pourra effectivement débuter au 1 er janvier 2016 (sous réserve d'une base légale adaptée), quelques difficultés et erreurs ne sont pas à exclure dans un premier temps , en raison de la complexité technique des opérations à accomplir, et en l'absence de véritable précédent sur lequel s'appuyer. Aussi votre rapporteur estime-t-il nécessaire de prévoir une période transitoire « pédagogique » permettant aux établissements financiers de perfectionner le système , pendant laquelle les éventuelles erreurs et omissions ne seraient pas sanctionnées, pourvu qu'elles soient involontaires et promptement corrigées dès lors qu'elles sont identifiées. Cette période transitoire pourrait être d'un ou deux ans.

C'est d'ailleurs ce qu'ont finalement accepté les États-Unis en juillet 2015 pour la loi FATCA : pendant une période de « rodage » de deux ans, c'est-à-dire jusqu'en juillet 2017, les incidents de transmissions, les erreurs et omissions ne donneront pas lieu à la retenue à la source, mais feront seulement l'objet d'une nouvelle demande. Initialement, aucune période de transition n'était pourtant prévue dans la loi FATCA ni dans les accords bilatéraux signés avec les autres États. Votre rapporteur estime qu'un tel assouplissement, limité dans le temps, est légitime.


* 15 Il convient toutefois de ne pas surestimer les conséquences de l'absence de réciprocité complète. D'une part, les comptes seront bien identifiés par l'IRS, et rien n'empêchera l'administration française d'obtenir, dans un second temps, communication du solde des comptes dans le cadre habituel de l'échange à la demande. D'autre part, la réciprocité est soumise à la « clause de la nation la plus favorisée » prévue à l'article 7 de l'accord : si les États-Unis venaient à accorder la réciprocité à un autre pays, la France serait en droit d'en réclamer le bénéfice pour elle-même.

* 16 C'est par exemple le cas d'Axa Banque, qui ne comptait qu'environ 150 clients « américains ». Source : audition conjointe organisée par la commission des finances le 12 février 2014 sur les implications pour la France de la législation américaine « FATCA » et  perspectives de développement de l'échange automatique d'informations en matière fiscale.

* 17 Source : audition conjointe précitée du 12 février 2014 sur les implications pour la France de la législation américaine « FATCA » et  perspectives de développement de l'échange automatique d'informations en matière fiscale.

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