Article 3 (art. 14 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) - Extension des missions de formation de l'école nationale de la magistrature

L'article 3 du projet de loi organique complète l'article 14 de l'ordonnance statutaire afin d'étendre les missions de formation de l'école nationale de la magistrature (ENM).

Historiquement, l'accès par concours à l'ENM, chargée d'assurer la formation des futurs magistrats 18 ( * ) appelés « auditeurs de justice », constitue la voie principale pour intégrer la magistrature.

Les principales voies parallèles d'accès direct à la magistrature

Depuis 1992, diverses innovations ont été introduites pour ouvrir le corps judiciaire à des personnes justifiant déjà d'une expérience professionnelle d'au moins sept ans :

- l'intégration directe dite « recrutement latéral », recrutement sur titre institué par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992, qui permet l'accès aux second, premier grade et aux fonctions hors hiérarchie selon la durée d'ancienneté professionnelle ; entre 2003 et 2014, le nombre de magistrats recrutés par cette voie, est passé de 19 à 35 ;

- le recrutement dans des fonctions judiciaires à titre temporaire qui regroupe plusieurs dispositifs : conseillers ou avocats généraux en service extraordinaire à la Cour de cassation introduits en 1992, conseillers de cour d'appel en service extraordinaire, magistrats exerçant à titre temporaire -ayant vocation à siéger comme assesseurs dans les formations collégiales ou à être affectés dans un tribunal d'instance- créés en 1995 ou plus récemment les juges de proximité ;

- les concours complémentaires mis en place par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 qui autorisent, suivant l'âge et l'ancienneté professionnelle, des recrutements au second ou au premier grade de la hiérarchie judiciaire ; depuis l'entrée en vigueur du dispositif, cette voie d'accès à la magistrature ne représente qu'une faible part du corps de la magistrature. Le concours complémentaire organisé en 2014 a recruté 44 magistrats.

Source : Rapport n° 176 (2006-2007) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats

Néanmoins, il existe désormais plusieurs voies de recrutements intégrant notamment dans le corps de la magistrature des personnes plus âgées, ayant déjà exercées des activités professionnelles ( cf. schéma ci-après). Prenant acte de cette diversification des voies de recrutement, le présent article propose d'expliciter dans l'ordonnance statutaire le rôle de l'ENM dans la formation des candidats admis aux concours complémentaires et des candidats à une intégration judiciaire.

De plus, le présent article tend à consacrer dans l'ordonnance statutaire le rôle de l'ENM dans la formation professionnelle de personnes qui n'appartiennent pas au corps judiciaire mais qui sont amenées à exercer des fonctions juridictionnelles ou à concourir étroitement à l'activité judiciaire. Ces dispositions, déjà inscrites à l'article 1-1 du décret n° 72-355 du 4 mai 1972 relatif à l'ENM, visent notamment la formation des conseillers prud'hommes - désormais soumis à une obligation de formation initiale par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques - et des juges consulaires , pour lesquels le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle prévoit une obligation de formation initiale.

Enfin, l'article 3 vise à renforcer la dimension pratique de la formation continue en permettant aux magistrats effectuant leur stage pratique à l'occasion d'un changement de fonctions de participer à l'activité juridictionnelle sans recevoir néanmoins de délégation de signature . En pratique, il s'agit de permettre aux magistrats en formation de participer et de conduire des audiences de cabinet sous la responsabilité d'un maître de stage ou de mener des interrogatoires 19 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .

Article 4 (art. 16 et 17 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) - Assouplissement des exigences de diplôme et de condition physique pour l'accès à l'école nationale de la magistrature

L'article 4 du projet de loi organique vise à préciser les conditions d'accès aux concours de la magistrature.

En premier lieu, le présent article clarifie les exigences de diplôme pour concourir à l'auditorat en supprimant à la fois l'examen au cas par cas des formations équivalentes à un diplôme sanctionnant une formation d'une durée minimale de quatre années d'études, et les dérogations particulières pour les instituts d'études politiques ou les écoles normales supérieures. Il propose une rédaction globale permettant la candidature de tout titulaire d'une « qualification reconnue au moins équivalente » au Master I dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État.

En second lieu, il procède à la modification de trois conditions d'accès aux concours de la magistrature afin de les aligner sur les dispositions applicables à l'ensemble de la fonction publique, à savoir :

- la date limite de vérification des conditions requises ;

- l'appréciation de la condition d'aptitude ;

- la position statutaire requise.

Il propose ainsi de reporter la vérification des conditions requises pour concourir au concours de l'ENM au plus tard à la date de nomination comme auditeur de justice . Cette disposition, qui permettrait d'alléger le travail de l'ENM en ne faisant porter la vérification que sur les admis, répondrait à la recommandation 20 ( * ) de la Cour des comptes de « rationaliser l'organisation des concours » en simplifiant le circuit des dossiers. Certes, cela pourrait conduire à refuser la nomination d'un candidat admis, dont les conditions requises seraient imparfaitement remplies. Toutefois, seul un nombre infime de candidats (62, soit 2,3  % des inscrits en 2014) ne respectait pas les conditions requises pour concourir. De plus, la clarification de l'exigence de diplôme devrait réduire l'aléa lié à la reconnaissance ou non de l'équivalence d'une qualification.

Néanmoins, afin de permettre aux candidats de régulariser leur situation administrative, il paraît opportun de rapprocher la date limite de la nomination en qualité d'auditeur de justice et celle à laquelle les candidats à l'auditorat doivent remplir les conditions requises. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a par conséquent adopté un amendement COM-18 , exigeant des candidats à l'auditorat de remplir les conditions requises au plus tard à la date de publication des résultats d'admissibilité et non à la date de la première épreuve du concours.

Concernant la condition d'aptitude, l'obligation d'être « reconnu indemne ou définitivement guéri de toute affection donnant droit à un congé de longue durée » , devenue obsolète et supprimée du statut général de la fonction publique depuis 1983, serait remplacée par une appréciation générale de la condition physique des candidats au regard des compensations possibles de leur handicap , conformément à la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées .

Enfin, le présent article précise la position statutaire requise pour participer au second concours d'accès à l'ENM, réservé aux fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales. Désormais, pour candidater à ce concours, les agents devraient se trouver en position d'activité, de détachement, de congé parental ou devraient accomplir leur service national. Cette précision priverait les fonctionnaires mis en disponibilité de participer au second concours d'accès à l'ENM, sur le modèle de l'article 19 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État.

Votre commission a adopté un amendement rédactionnel COM-19 .

Votre commission a adopté l'article 4 ainsi modifié .

Article 5 (art. 18-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) - Assouplissement des exigences d'activité ou de diplôme pour les candidats docteurs en droit ou ceux ayant exercé une activité professionnelle
en lien avec les fonctions judiciaires

L'article 5 vise à élargir les conditions d'accès à l'école nationale de la magistrature afin d'accroître le nombre de recrutements par intégration directe, qui permettent de diversifier le corps de la magistrature.

L'ouverture de la magistrature à des expériences variées constitue une source d'enrichissement indéniable de l'avis unanime des personnes entendues par votre rapporteur. Lors de l'examen en 2007 du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats 21 ( * ) , notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest regrettait la faible diversification du corps judiciaire et proposait d'accentuer « le mouvement d'ouverture du corps judicaire ».

Dans un contexte de forts besoins de recrutements au sein de la magistrature, le Gouvernement a souhaité clarifier et assouplir les conditions de diplôme pour les recrutements sur titres des auditeurs de justice.

Premièrement, le présent article prévoit, par cohérence avec la modification de la condition d'équivalence proposée à l'article 4 du présent projet de loi, de ne plus exiger spécifiquement une maîtrise en droit pour être candidat à la nomination directe à l'auditorat, mais d'admettre tout cursus juridique de quatre ans ou plus sanctionné par un diplôme, hypothèse qui correspondrait notamment aux diplômes des instituts d'études politiques.

Deuxièmement, il allège les exigences de diplôme pour les recrutements directs d'auditeurs de justice sur titres , qui concernent les doctorants en droit et les enseignants-chercheurs en droit, en supprimant la condition de second diplôme pour les premiers et en assouplissant la condition de diplôme pour les seconds. Pour ceux-ci, ne serait plus exigé qu'un diplôme, ou une qualification équivalente, sanctionnant une formation d'une durée au moins égale à cinq années d'études supérieures dans un domaine juridique, et non plus un diplôme d'études supérieures dans un domaine juridique en sus de la maîtrise de droit.

Si votre rapporteur partage l'objectif de diversification du corps de la magistrature, il s'est interrogé sur l'opportunité de réduire les exigences de diplôme : ne risque-t-on pas d'affaiblir la qualité des recrutements ? Le rapport d'information de nos anciens collègues Pierre Fauchon et Charles Gautier sur le recrutement et la formation initiale des magistrats rappelait la nécessité d'un « haut niveau de qualification » 22 ( * ) . En outre, les critères de sélection des magistrats sont attentivement contrôlés par le Conseil constitutionnel 23 ( * ) . Certains syndicats de magistrats ont également exprimé leur opposition à la suppression de l'exigence du second diplôme pour les docteurs en droit. Enfin, dans son avis du 31 juillet 2015, le Conseil d'État a rappelé la nécessité d'assortir les voies latérales de recrutement à « des précautions appropriées pour assurer le meilleur exercice des fonctions juridictionnelles et ainsi garantir le droit à une justice de qualité ».

Au bénéfice de ces observations et à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-21 rétablissant la condition d'un second diplôme pour les docteurs en droit ainsi qu'un amendement rédactionnel COM-20.

Enfin, le présent article propose de réviser les modalités de détermination du nombre de recrutements sur titres à l'auditorat.

En l'état du droit, ce nombre ne peut dépasser le tiers de celui des auditeurs issus des trois concours, figurant dans la promotion à laquelle se joindront les auditeurs nommés sur titre. Cela implique d'attendre les résultats d'admission de ces concours et de constater le nombre de places effectivement remplies pour fixer le quota des nominations sur titre. Or ce décalage nuit à la prévisibilité des recrutements et peut engendrer un moindre recrutement sur titres en cas de moindre recrutement sur concours.

Pour résoudre cette difficulté, le présent article propose de déterminer ce quota en fonction, non des places remplies, mais des places offertes aux trois concours d'auditeurs de justice.

Votre commission a adopté l'article 5 ainsi modifié .

Article 6 (art. 19 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) - Aménagement du stage de six mois des auditeurs de justice en faveur d'une ouverture à leur environnement économique, administratif et judiciaire

L'article 6 de la présente loi organique vise à modifier l'article 19 de l'ordonnance de 1958 pour aménager la durée du stage en cabinet d'avocat pendant la scolarité des auditeurs de justice à l'école nationale de la magistrature.

Depuis la loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, les auditeurs de justice effectuent un stage de six mois auprès d'un barreau ou d'un cabinet d'avocat 24 ( * ) . Si ce stage est une source d'enrichissement incontestable et indispensable à la formation d'un auditeur de justice, sa durée de 22 semaines est unanimement critiquée par la chancellerie, l'ENM et les auditeurs de justice au regard de la durée des autres stages. À titre d'exemples, sur les 31 mois de formation des auditeurs de justice, seule une semaine de stage se déroule au greffe, deux semaines en administration pénitentiaire, deux semaines dans un service enquêteur et quatre semaines à l'instruction. De plus, plusieurs syndicats ont regretté que les auditeurs soient souvent réduits à un travail de collaborateur effectuant des missions de recherche ou de rédaction, sans bénéfice réel.

Séquences de stage de découverte ou de professionnalisation

Séquence

Durée

Stage d'immersion dans un tribunal de grande instance (TGI)

1 semaine

Stage avocat

22 semaines

Stage pénitentiaire

2 semaines

Stage juridictionnel au greffe

1 semaine

Stage juridictionnel à la justice civile

5 semaines (tribunal d'instance)
8 semaines (TGI)

Stage juridictionnel au parquet

7 semaines

Stage juridictionnel à l'instruction

4 semaines

Stage juridictionnel au siège pénal majeur
(dont juge des libertés et de la détention)

3 semaines

Stage juridictionnel à l'application des peines

4 semaines

Stage enquête

2 semaines

Justice des mineurs

4 semaines

Stage extérieur, dont service pénitentiaire d'insertion et de probation, protection judiciaire de la jeunesse ou stage à l'étranger

8 semaines

Stage cour d'appel

1 semaine

Stage de préparation aux premières fonctions

12 semaines

Source : commission des lois du Sénat

Le présent article propose de réduire la durée minimale du stage avocat de six à trois mois , les trois mois restants devant être utilisés par les auditeurs de justice pour mieux connaître l'environnement judiciaire, administratif et économique. Il semble en effet opportun de permettre aux auditeurs de justice de découvrir d'autres partenaires de la justice (conciliateurs, médiateurs, etc. ). De plus, un stage de trois mois serait sans doute suffisant pour leur permettre d'appréhender le métier d'avocat, ainsi que ses conditions d'exercice.

Cependant, votre rapporteur s'est interrogé sur la pertinence de l'inscription d'une durée de stage dans la loi organique. À l'exception du stage avocat, votre rapporteur constate qu'aucune autre durée relative à un stage de la scolarité des auditeurs de justice ne fait l'objet d'une disposition de niveau législatif.

Le règlement intérieur de l'ENM précise en effet que la durée et le contenu pédagogique des stages effectués durant la scolarité, à l'exception du stage avocat, sont fixés par le conseil d'administration de l'école sur proposition du directeur. Il en ressort ainsi une certaine souplesse qui apparaît nécessaire pour l'organisation d'une scolarité de trente-et-un mois à destination d'un public d'auditeurs de justice aux expériences passées diverses. Par conséquent, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-22 supprimant les références aux durées du stage avocat, qui ne semblent pas relever du niveau organique.

Votre commission a adopté l'article 6 ainsi modifié .


* 18 Les personnes admises au concours de l'ENM pour l'accès à la magistrature deviennent auditeurs de justice, puis à l'issue de leur formation et sous réserve de leur examen de classement, deviennent magistrats.

* 19 Pour mémoire, cette faculté est déjà offerte aux auditeurs de justice lors de leur stage en juridiction, selon les termes de l'article 19 de l'ordonnance statutaire.

* 20 Référé de la Cour des comptes du 22 décembre 2014, adressé à Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la Justice, relatif aux écoles de formation du ministère de la Justice .

* 21 Voir le rapport n° 176 (2006-2007) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 janvier 2007, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l06-176/l06-176.html

* 22 Rapport n° 383 (2006-2007) de nos anciens collègues Pierre Fauchon et Charles Gautier, fait au nom de la commission des lois et de la mission d'information de la commission des lois, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-383-notice.html

* 23 Voir notamment sa décision n° 98-396 DC du 19 février 1998 à propos du recrutement par concours exceptionnels : « Considérant que, dans la mesure où ni les diplômes obtenus par les candidats ni l'exercice professionnel antérieur des intéressés ne font présumer, dans tous les cas, la qualification juridique nécessaire à l'exercice des fonctions de magistrat de l'ordre judiciaire, les mesures réglementaires d'application de la loi devront prévoir des épreuves de concours de nature à permettre de vérifier, à cet effet, les connaissances juridiques des intéressés. »

* 24 Cette disposition faisait suite à la recommandation de porter le stage « avocat » existant de deux mois à un an, issue du rapport de notre collègue député Philippe Houillon, rapporteur au nom de la commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement.

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