B. UNE RÉALISATION PLUS MODESTE

L'ambition portée par le titre du projet de loi, qui annonce la justice du vingt-et-unième siècle, contraste singulièrement avec la portée des mesures proposées.

Le projet apparaît très en-deçà des propositions les plus marquantes des rapports précitées. Le texte ne prévoit pas la création d'un greffier juridictionnel, compétent pour rendre certaines décisions de justice ; il ne propose pas la mise en place d'un tribunal de première instance se substituant à toutes les autres juridictions de première instance.

Sans doute le Gouvernement fait-il preuve de réalisme en renonçant à mettre en oeuvre de telles réformes, compte tenu de l'opposition qu'elles suscitent. Mais, fallait-il, pour autant, pousser le renoncement jusqu'à ce point ?

Certes, la mission d'information de votre commission sur la justice de première instance avait elle-même estimé que le tribunal de première instance ne pouvait être qu'un objectif lointain. Mais, dans le même temps, elle avait appelé, au nom du pragmatisme, à privilégier plutôt les mesures qui permettaient immédiatement d'apporter au justiciable une plus grande qualité de service et de faciliter la gestion des juridictions, ce qui n'interdisait pas, loin de là, une certaine ambition.

Votre rapporteur reconnaît toutefois que la réforme envisagée a été partiellement dépecée pour grossir d'autres textes de loi. Il en va vraisemblablement ainsi de la réforme de la juridiction prud'homale, intégrée à la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 7 août 2015 - ce que la commission spéciale du Sénat avait d'ailleurs déploré.

En outre, le projet du Gouvernement ne se limite pas à la loi. Nombre de mesures sont d'ordre réglementaire. Tel est le cas de l'adaptation du statut des greffiers, qui doit permettre de créer une nouvelle fonction de greffier assistant du magistrat et de revaloriser les missions des personnels de greffe.

Finalement, on peut distinguer, dans le texte qui vous est soumis, quatre axes de réforme.

1. Une volonté de faciliter l'accès du justiciable à la justice tout en l'incitant à privilégier les modes alternatifs de règlement des litiges

Les premières dispositions du projet de loi s'adressent au justiciable.

Le titre I er vise en effet à rapprocher la justice du citoyen. Son article 2 instaure le service d'accès unique du justiciable, dernier avatar du guichet universel de greffe, qui vise à garantir qu'à terme, lorsque l'informatique le permettra, le justiciable pourra être informé sur sa procédure devant n'importe quel guichet de greffe et y faire enregistrer les actes nécessaires. Outre quelques dispositions d'ordre symbolique, l'article 1 er intègre à la politique d'accès au droit le développement de la résolution amiable des litiges et adapte le fonctionnement des conseils départementaux de l'accès au droit.

Le titre II vise quant à lui à favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges, afin d'inciter le justiciable à ne saisir la justice qu'en dernier recours.

L'article 3 fait ainsi obligation au justiciable qui souhaite saisir le juge d'instance ou le juge de proximité d'un petit litige (d'une valeur inférieure à 4 000 euros) de tenter préalablement une conciliation menée par un conciliateur de justice.

Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges se traduit par l'extension, au contentieux administratif, du régime juridique de la médiation ( article 4 ), ainsi que par la possibilité offerte aux avocats de proposer aux parties d'organiser dans le cadre d'une convention de procédure participative la mise en état de leur affaire, avant de la soumettre au juge ( article 5 ) 8 ( * ) .

2. L'amorce d'une simplification de l'organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles

Le titre III engage tout d'abord un mouvement de concentration des contentieux au sein du tribunal de grande instance (TGI).

En effet, les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l'incapacité seraient fusionnés et intégrés dans un pôle social du TGI ( article 8 ), sans, d'ailleurs, que les modalités de cette fusion et de cette intégration soient définies avec précision, le Gouvernement sollicitant une habilitation pour y procéder par voie d'ordonnance ( article 52 ).

Le tribunal de police, aujourd'hui rattaché au tribunal d'instance, serait lui aussi intégré au TGI ( article 10 ), auquel serait aussi attribué le contentieux du dommage corporel, même lorsque la demande n'excède pas 10 000 euros, seuil en-deçà duquel le tribunal d'instance est aujourd'hui compétent ( article 9 ).

Le titre IV vise, quant à lui, à recentrer les juridictions sur leur vocation première, en les déchargeant de certaines missions mieux accomplies par d'autres. Il en va ainsi de la simplification procédurale en matière d'envoi en possession dans le cadre d'une succession, réservant l'intervention judiciaire à l'opposition formée par un légataire ( article 16 ) ou du transfert aux mairies de l'enregistrement des pactes civils de solidarité aujourd'hui effectué par le greffe judiciaire ( article 17 ). La charge de ce transfert est partiellement compensée par la dispense de l'obligation de tenir un double du registre d'état civil ( article 18 ).

Le titre III contient par ailleurs plusieurs dispositions diverses.

Les unes tendent à prévoir des coordinations avec les dispositions du projet de loi organique relatif à l'indépendance et à l'impartialité des magistrats, s'agissant du juge des libertés et de la détention ( article 11 ) ou des causes de récusation d'un juge ( article 12 ) Les autres visent à corriger une erreur matérielle relative à la liste nationale des experts judiciaires ( article 13 ) et à autoriser la transmission électronique des procès-verbaux en matière pénale ( article 14 ).

L'article 15 , quant à lui, propose de contraventionnaliser certains délits routiers lorsqu'ils sont commis pour la première fois (conduite sans permis ou sans assurance), afin d'en faciliter le traitement juridictionnel et d'améliorer significativement la répression de ces comportements.

3. La création d'un socle procédural commun en matière d'action de groupe et l'instauration de telles actions pour lutter contre les discriminations

Le titre V est consacré à l'action de groupe, procédure qui permet à un même demandeur de représenter les intérêts en justice d'un groupe indéterminé d'individus lésés par le comportement d'une même personne.

Le Gouvernement a l'ambition de créer un socle procédural commun, auquel se référeraient les actions de groupe sectorielles. Toutefois, à ce stade, il n'a pas souhaité modifier le régime juridique des actions existantes (action de groupe « consommation ») ou en cours d'adoption (action de groupe « santé »). Le dispositif retenu aux articles 19 à 42 , pour le juge judiciaire, et 43 , pour le juge administratif, s'inspire largement des procédures existantes en prévoyant, toutefois, que l'action puisse viser à la fois la cessation du manquement et la réparation du dommage causé par ce manquement.

La première application de ce socle procédural commun serait fournie par les actions de groupe créées en matière de discrimination : une action à vocation généraliste ( article 44 ) et une action spécialisée pour les discriminations relevant du code du travail ( article 45 ).

En revanche, l'article 46 restreint l'application de ce nouveau dispositif à la réparation des dommages causés par un manquement ayant eu lieu après l'entrée en vigueur de la loi.

4. La poursuite des réformes engagées en matière de justice consulaires et de droit des entreprises en difficulté

Le titre VI vise la rénovation et l'adaptation de la justice commerciale aux enjeux de la vie économique et de l'emploi.

En réalité, il se limite, principalement, à une réforme du statut des juges consulaires, destinée, d'une part, à accroître les exigences déontologiques et de formation pesant sur eux et, d'autre part, à créer à leur profit une protection fonctionnelle ( article 47 ).

L'article 48 modifie, sur plusieurs points, les règles régissant la profession d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, pour ce qui concerne leur qualification, leur déontologie et leur discipline. L'article 49 vise quant à lui à mieux assurer la traçabilité des fonds qui leur sont remis.

Enfin, l'article 50 corrige certaines modifications limitées apportées par ordonnance au droit des entreprises en difficulté.

5. Dispositions diverses

L'avant dernier titre du projet de loi compte deux articles.

Le premier vise à autoriser les avocats à accomplir certains actes de publicité foncière accomplis antérieurement par les avoués qu'ils ont remplacés ( article 51 ).

Le second vise à habiliter le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures relatives à la fusion, au sein du TGI, des tribunaux des affaires de sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l'incapacité, à la suppression de la Cour nationale du contentieux de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, à la rationalisation de la participation des magistrats judiciaires aux commissions administratives, à l'adaptation de notre droit de la propriété intellectuelle avec les exigences communautaires en matière de brevet, et, enfin, à la création d'un statut de consultant juridique étranger ( article 52 ).

Les articles 53 et 54 sont consacrés, respectivement, à l'adaptation du projet de loi aux collectivités ultra-marines et aux dispositions transitoires.


* 8 Les articles 6 et 7 procèdent à certaines coordinations relatives à la transaction et à l'arbitrage.

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