AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le débat sur les dépenses d'assurance maladie est cette année marqué par l'impact attendu des mesures contenues dans le projet de loi relatif à la santé, actuellement en cours de discussion au Parlement. Dès l'année dernière, le Gouvernement a en effet assis une partie des économies qu'il prétend réaliser sur ces dispositions, dont le contenu a cependant fortement varié avant même la discussion à l'Assemblée nationale, première assemblée saisie.

L'assurance maladie continue à connaître un niveau élevé de déficit. Avec un solde négatif supérieur à 6 milliards 1 ( * ) , la branche maladie, qui représente près de la moitié du budget du régime général, concentrerait ainsi les deux tiers des déficits pour l'année 2016.

Les dépenses de l'assurance maladie, liées à l'état de l'économie, sont plus importantes en période de chômage de masse. Le Gouvernement a donc eu le mérite, plutôt que de laisser filer les dépenses, de définir une stratégie de retour à l'équilibre et de parvenir au respect d'un objectif de dépenses d'assurance maladie à la croissance limitée par rapport au tendanciel. De fait, une démarche progressive de rétablissement des comptes est préférable à une brusque restriction des dépenses, qui s'accompagne en général de leur reprise accélérée dès lors que les mesures d'économies sont levées. Lors de son audition à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, l'ancien directeur général de la Cnam avait d'ailleurs souhaité que le taux de croissance de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) ne soit pas trop rapidement abaissé, afin de permettre aux établissements de santé de s'adapter aux exigences budgétaires.

Malgré les objectifs affichés, force est néanmoins de constater que le Gouvernement, comme ses prédécesseurs, n'utilise pas tous les moyens nécessaires au retour à l'équilibre des comptes . Après avoir massivement recouru à l'impôt, du fait des marges de manoeuvre laissées en la matière par la précédente majorité, la baisse des dépenses constitue aujourd'hui le seul moyen d'agir sur les déséquilibres . Il est toutefois à noter que, dans son rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, la Cour des comptes a fait une analyse critique du principal instrument de suivi des dépenses que constitue l'Ondam, dont elle a montré la tendance à surestimer les besoins en dépenses nouvelles. On peut d'ailleurs relever que l'Ondam fixé pour cette année, en progression de 1,75 %, s'établit au niveau souhaité l'année dernière par le Sénat (et jugée alors excessivement volontariste par le Gouvernement).

La baisse nécessaire des dépenses par rapport au tendanciel n'aurait pas pour conséquence de réduire la prise en charge des besoins en santé de la population . Il n'est pas question de diminuer les coûts par la cessation d'activités de soins ou le déremboursement : l'enjeu est aujourd'hui de mieux soigner . La maîtrise médicalisée des coûts mise en place par l'assurance maladie au travers de la gestion du risque a vocation à permettre, en s'appuyant sur les travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l'Institut national du cancer (InCA), d'améliorer les pratiques pour une meilleure efficience des dépenses. L'absence de diffusion des meilleures pratiques, les erreurs de diagnostic ou l'inadaptation des protocoles de soins ont en effet à la fois un coût pour l'assurance maladie et des conséquences délétères sur la santé des patients. Dans ce contexte, le travail engagé par les agences sanitaires et l'assurance maladie, mais surtout par les professionnels eux-mêmes et les établissements, doit permettre d'atteindre l'objectif de l'obtention du plus haut niveau de qualité des soins au meilleur coût.

Votre rapporteur relève que le Gouvernement préfère conserver la paternité d'une mesure de limitation des actes inutiles plutôt que de la laisser entrer en application plus tôt à l'initiative d'un autre acteur . La commission des affaires sociales du Sénat avait en effet proposé, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, d'adopter l'obligation de mettre en oeuvre la lettre de liaison entre l'hôpital et le médecin traitant et de procéder à sa numérisation, qui figure à l'article 24 du projet de loi relatif à la santé. Elle avait en effet estimé que l'amélioration de la liaison entre la ville et l'hôpital constituait l'un des vecteurs majeurs de l'amélioration de la qualité des soins et de la réduction des coûts. Or, malgré une amélioration sensible depuis 2008, la proportion des courriers de fin d'hospitalisation envoyés au médecin traitant en moins de huit jours n'était encore que de 54 % en 2014. Partant de ces constats, la commission avait souhaité que cette mesure puisse être mise en oeuvre dès le 1 er janvier 2015.

L'Assemblée nationale avait, en deuxième lecture, supprimé l'article adopté par le Sénat, estimant que le dispositif devait faire l'objet de nouvelles concertations avant d'être discuté dans le cadre du projet de loi relatif à la santé. Votre commission constate qu'aucune nouvelle concertation n'a été engagée sur ce point.

Lors des débats au Sénat, la ministre avait en outre indiqué que cette mesure aurait été sans impact sur les finances de la sécurité sociale. L'étude d'impact jointe au projet de loi relatif à la santé indique pourtant que « la mise en oeuvre de cette obligation nécessitera une meilleure organisation de la sortie des patients, si besoin avec une mobilisation de temps médical et de secrétariat », ce qui représente un coût, certes « difficilement mesurable aujourd'hui ». Par ailleurs, la mesure a pour but de faire diminuer le nombre de ré-hospitalisations, ce qui engendrera selon l'étude d'impact une économie  de à 4,6 millions. Elle permettra également de réduire la médication et les actes médicaux surabondants. Considérant que cette mesure constitue une potentielle source d'économie, votre commission regrette donc que le Gouvernement n'ait pas souhaité qu'elle soit adoptée et mise en oeuvre il y a un an.

Si le sujet est abordé dans le cadre du projet de loi sur la santé, votre rapporteur souhaite cependant rappeler ici encore son attachement à la mise en place du dossier médical partagé (DMP), ainsi que la Cour des comptes le réclame depuis longtemps. Le DMP pourrait en effet constituer un outil de régulation très précieux pour instaurer une meilleure communication entre la ville et l'hôpital, et, partant, éviter les actes inutiles ou redondants et limiter ainsi les dépenses. Selon une étude réalisée par la fédération hospitalière de France (FHF), jusqu'à 28 % des actes effectués dans le cadre du système de soins seraient en réalité superfétatoires.

Une meilleure efficacité des dépenses de l'assurance maladie passe également par une meilleure adéquation de l'offre hospitalière aux territoires , ce qui implique la reconversion de certains établissements. Le rapport remis au Sénat par la Cour des comptes a relevé que, même dans le secteur des maternités, pourtant particulièrement restructuré avec la disparition des deux tiers des maternités en quarante ans, il persiste plusieurs établissements dangereux en raison de l'inadéquation de leur offre aux besoins de la population dont ils ont la charge. Cela alors même que les contraintes normatives se sont considérablement accrues depuis les décrets de 1998 qui ont prévu trois niveaux de maternités selon la complexité de l'accouchement et le risque qui en découle pour la mère et le ou les enfants. Mais les textes, principalement parce qu'ils imposent la présence de médecins spécialistes dont le recrutement s'avère de plus en plus difficile sur l'ensemble du territoire, ne sont pas uniformément appliqués ou entraînent la fermeture subite d'établissements répondant pourtant à des besoins locaux. Dans son rapport sur la loi de financement pour 2015, la Cour élargit cette analyse à l'ensemble du secteur hospitalier et regrette une évolution trop lente qui ne permet pas la meilleure adaptation des moyens aux besoins des populations en matière de qualité et de proximité des soins.

S'agissant du secteur public, la Fédération hospitalière de France (FHF) est résolument engagée dans cette démarche, tandis que la commission des affaires sociales a soutenu la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT) prévus par l'article 27 du projet de loi relatif à la santé tel qu'il a été remanié suite aux préconisations de la mission conduite par le Dr Frédéric Martineau 2 ( * ) et Jacqueline Hubert 3 ( * ) .

Incontestablement, les actions du Gouvernement en matière de dépenses sont liées aux évolutions inscrites dans le projet de loi relatif à la santé en cours de discussion. Il apparaît donc particulièrement regrettable qu'au travers de mesures comme la généralisation du tiers-payant et l'exclusion de fait des établissements privés à but lucratif de la participation au service public hospitalier, le Gouvernement ait privilégié la division des acteurs, sans tenir compte des besoins du dialogue . En effet, la défiance désormais installée avec les acteurs libéraux empêche l'aboutissement de toute négociation conventionnelle sur la question des dépenses de ville et les sujets qui concernent le plus l'avenir de notre système de santé, tels que l'adaptation au vieillissement de la population et la répartition des professionnels de santé sur le territoire. Cette situation est d'autant plus inquiétante que, d'après les chiffres du programme de qualité et d'efficience (PQE) annexé au présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, les économies réalisées grâce aux conventions avec les médecins libéraux sont au plus bas depuis 2009 et rejoignent leur niveau de 2007.

Pire encore, le Gouvernement donne l'impression de vouloir faire évoluer la nature de notre système d'assurance maladie sans l'afficher clairement . Dès lors, les peurs les plus diverses et les moins fondées circulent. Il est donc nécessaire d'organiser un débat ouvert sur la place respective du régime obligatoire et des assurances complémentaires en matière de santé.


* 1 Pour des recettes de 171,7 milliards d'euros et des dépenses de 177,9 milliards, le déficit s'établirait à 6,2 milliards.

* 2 Radiologue et président de la conférence des présidents de commissions médicales d'établissements (CME) de centres hospitaliers.

* 3 Directrice générale du CHU de Grenoble.

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