EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LES DÉFIS À RELEVER POUR NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ

A. MIEUX PRENDRE EN CHARGE LES BESOINS EN SANTÉ DE LA POPULATION

1. Les besoins en santé d'une population vieillissante et le régime des ALD
a) Quels liens entre vieillissement de la population et dépenses de santé ?

Le directeur général de la santé, Didier Houssin, faisait en 2010 le constat suivant : « La France va connaître, de 2005 à 2050, une profonde transformation de la structure de sa population par âge due à la conjonction de deux facteurs : l'allongement de la durée de vie liée aux progrès sanitaires et à l'élévation du niveau de vie, ainsi que l'arrivée à l'âge de la retraite des personnes nées dans les années 1946-1960. Le poids relatif des personnes âgées de plus de 60 ans dans notre société va donc augmenter considérablement . » Or, ajoutait-il, « s i la France se situe au premier rang des Etats de l'Union Européenne pour l'espérance de vie à 50 ans des femmes, elle n'est plus qu'au 10 ème rang pour l'espérance de vie à 50 ans sans incapacité pour les femmes et au 11 ème rang pour les hommes. » Il existe donc une tension entre un prolongement de l'espérance de vie, une société vieillissante au cours des prochaines décennies et une perspective de dégradation de l'état de santé des personnes âgées.

Le vieillissement n'entraîne pas fatalement d'augmentation des dépenses de santé, même s'il a « un effet indéniable sur l'accroissement des cas de pathologie lourde » ; c'est l'espérance de vie en bonne santé qui constitue l'indicateur le plus pertinent. Or, celui-ci connaît une dégradation relative.

En 2013, l'espérance de vie totale des hommes de 65 ans était de 19 ans et celle des femmes de 23 ans. A cet âge, les hommes et les femmes pouvaient espérer vivre respectivement 9,7 et 10,6 années sans incapacité (aucune limitation d'activité depuis au moins six mois, à cause d'un problème de santé), et respectivement 15,4 et 17,7 années sans incapacité sévère.

Lorsque le nombre d'années en bonne santé ne croît pas alors que le nombre d'années de vie continue d'augmenter, on vit plus longtemps, mais malade. L'Institut national des études démographiques (Ined) a produit plusieurs analyses de ce que signifie vivre en bonne santé, puisque la notion d'incapacité est, dans ce contexte, fondée sur des enquêtes déclaratives, mais la dégradation de la santé avec l'âge a en tout cas un lien direct avec les dépenses d'assurance maladie.

Il convient d'ajouter, comme le soulignait le rapport Grunfeld sur le plan cancer 2009-2013, que l'âge accentue les inégalités de santé. Les inégalités médicales liées aux comportements - tabac (plus de 70 000 morts par an), alcool, sédentarité physique, nutrition - s'aggravent en effet. De plus, comme l'ont montré les travaux de l'Ined, les inégalités sociales de santé se traduisent par une différence d'espérance de vie, à 35 ans, de plus de six ans entre les ouvriers et les cadres supérieurs masculins, alors même que ces deux catégories bénéficient d'un emploi, d'un logement et d'une insertion sociale. En revanche, l'écart entre les hommes et les femmes se réduit.

On constate dans l'ensemble des pays de l'OCDE une augmentation des dépenses de santé avec l'âge, mais selon une pente plus ou moins forte après 65 ans selon les pays. En France, la croissance des dépenses accélère en fonction de l'âge, puisque l'on considère généralement que les dépenses d'assurance maladie se concentrent sur les 10 à 20 % d'assurés atteints de polypathologies et/ou en fin de vie parmi lesquels figurent une majorité de personnes âgées. L'un des éléments d'explication pourrait être que le recours aux soins de pointe, qui sont les plus coûteux, serait plus tardif en France qu'aux Etats-Unis par exemple, où le coût des dépenses d'assurance maladie est quasi constant pour l'ensemble de la population de plus de 65 ans.

Pourtant, comme le soulignait la note du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) publiée en avril 2010 et consacrée au thème « vieillissement, longévité et assurance maladie », on ne peut établir de causalité simple entre vieillissement de la population et augmentation dépenses de santé.

Certes, la dépense moyenne annuelle de soins d'une personne d'une cinquantaine d'années est d'environ 2 000 euros, alors que la dépense moyenne annuelle de soins d'une personne de trente ans plus âgée (autour de 80 ans) est d'environ 6 000 euros, soit trois fois plus élevée.

Cette augmentation s'explique pour partie, mais pour partie seulement, par l'importance relative des soins qui précèdent le décès. La note du Hcaam insiste à juste titre sur le fait que le lien entre l'âge et les dépenses de santé est indirect. L'âge affaiblit l'organisme, de sorte qu'en moyenne les personnes plus âgées sont plus sujettes à des pathologies plus nombreuses et plus graves. Ainsi, on ne saurait isoler dans les dépenses d'assurance maladie une partie de la population du seul fait de son âge car ce sont bien les maladies qui entrainent les dépenses et non directement l'âge lui-même.

Il faut donc agir pour maintenir les personnes âgées en bonne santé et pour faire augmenter l'espérance de vie en bonne santé.

La manière dont notre système de santé prend en charge les personnes âgées doit impérativement gagner en efficacité à tous les niveaux.

Il est ainsi établi depuis longtemps que la prise en charge médicamenteuse de cette partie de la population est inadéquate. On relève une prescription chronique de somnifères chez 30 % des plus de 65 ans (3,5 millions de personnes).

Par ailleurs, comme le montre l'une des dernières notes de la Drees, l'entrée en Ephad se fait désormais en situation de plus en plus grande dépendance.

La souffrance existentielle des personnes âgées en fin de vie est un problème majeur de santé publique. Selon les chiffres issus du rapport « Anticiper pour une autonomie préservée : un enjeu de société » présenté par le Dr Jean-Pierre Aquino en février 2013, la dépression concerne 15 à 20 % des plus de 65 ans et 40 % des personnes âgées en institution, ce qui entraîne, à nouveau, une surconsommation de psychotropes.

Un suicide sur trois concerne une personne âgée

Le suicide est l'une des principales causes de décès de la personne âgée, avec le cancer et les maladies cardio-vasculaires. En France, en 2010, 2 873 personnes de plus de 65 ans ont mis fin à leurs jours. C'est près de 30 % du total des suicides en France, alors que les plus de 65 ans constituent environ 20 % de la population française.

Parmi ces suicides, une majorité (1 816 en 2010) est le fait de personnes âgées de 75 ans ou plus. Chez les plus de 85 ans, la prévalence du suicide est deux fois supérieure à celle des 25-44 ans.

La lutte contre les inégalités de santé doit être une priorité . Elle repose sur plusieurs facteurs.

L'accès aux soins, tout d'abord, qui mobilise déjà des ressources importantes et dont nous rediscutons chaque année dans le cadre des mesures de la loi de financement de la sécurité sociale.

Mais aussi, en amont, la prévention, tout aussi essentielle, et peu coûteuse. « Mal vieillir » n'est pas une fatalité, mais est souvent lié à un mode de vie néfaste (alcool, tabac, sommeil irrégulier, manque d'activité physique, alimentation inadaptée). L'accompagnement comportemental est une solution à développer. Manger des fruits apporte plus d'antioxydants que de prendre des pilules ; l'activité physique a des effets positifs aussi bien sur le corps que sur le cerveau, à tous les âges de la vie, et spécialement quand on avance en âge.

C'est tout un faisceau de facteurs qu'il faut prendre en compte pour bien vieillir et aider à bien vieillir. Il faut donc développer la gérontologie en tant que spécialité médicale et dans la formation des généralistes.

L'évaluation qu'avait réalisée le Sénat sur la création d'un nouveau risque « dépendance » aboutissait à un total de 21 milliards d'euros de dépenses annuelles liées à la perte d'autonomie des personnes âgées. Il est évident que la prévention dans ce domaine aura un impact direct sur le niveau de dépenses retracées par l'Ondam médico-social.

b) La croissance des « affections de longue durée » (ALD)

Ainsi que l'a souligné la Cour des comptes dans son rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, le dispositif des ALD a été créé en 1945, à une époque où la population n'était que très peu protégée par les couvertures complémentaires. Il visait à permettre aux personnes les plus exposées à des maladies longues et coûteuses d'accéder aux soins en instituant une exonération de la participation financière des assurés.

Aux termes de l'article L. 322-3 du code de la sécurité sociale, un assuré ne peut être admis en ALD que s'il est atteint d' « une des affections, comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, inscrites sur une liste établie par décret après avis de la Haute Autorité [de santé] ». Toutefois, cette définition n'est plus que partiellement appliquée. En effet, seule la durée garde aujourd'hui une définition réglementaire (six mois de traitement continu). Le coût ouvrant droit à une exonération n'est plus défini de façon directe depuis 1986. En contrepartie, le champ de l'exonération est, depuis cette date, limité aux seules dépenses en rapport direct avec la maladie exonérante, dans le cadre de l'ordonnancier dit « bizone ».

L'admission en ALD est subordonnée à l'accord d'un médecin conseil de l'assurance maladie. Les pathologies concernées, au nombre de 30, figurent sur une liste établie par décret. Pour chaque ALD, des critères médicaux sont utilisés pour la définition des conditions requises.

Toutefois, l'affection n'est pas obligatoirement prédéfinie puisque peuvent aussi ouvrir droit à l'exonération de ticket modérateur des affections « hors liste », pour lesquelles les médecins conseils estiment qu'il s'agit de troubles graves et dont la prise en charge est longue et coûteuse :

- la « 31 ème maladie » ou ALD 31 recouvre tous les cas où « le malade est atteint d'une forme évolutive ou invalidante d'une affection grave (...) pour des soins continus d'une durée prévisible supérieure à six mois » ;

- la « 32 ème maladie » ou ALD 32 vise la situation où « le malade est atteint de plusieurs affections caractérisées entraînant un état pathologique invalidant pour lequel des soins continus d'une durée prévisible supérieure à six mois sont nécessaires » : elle concerne 2 % des admissions.

L'admission en ALD est, théoriquement, valable pour une durée déterminée, même si la Cour des comptes relevait en 2011 que seules 2,3 % des demandes de renouvellement faites en 2007 avaient fait l'objet d'un avis défavorable des médecins conseils.

L'incidence et la prévalence des ALD sont en forte augmentation. Le taux d'admission en ALD a été en moyenne de + 4,1 % entre 2006 et 2011 et de + 2,3 % depuis, la différence de taux s'expliquant essentiellement par la redéfinition des critères de l'hypertension artérielle. Au total, en 2014, les ALD représentent 16 % de la population couverte par le régime général, et 61 % des dépenses.

Cette évolution est liée aux évolutions sociodémographiques de la population et à l'accroissement des facteurs de risque, notamment du fait du vieillissement.

Dans la perspective de la maîtrise des dépenses de santé, il apparaît donc nécessaire de se pencher sur les conditions d'entrée et de sortie des ALD, en tenant compte du fait que la catégorie des ALD est plus administrative que médicale et que toute modification des conditions réglementaire a un impact très fort sur son évolution et donc sur la part des dépenses qu'elle représente.

2. L'accès aux professionnels de santé
a) La répartition des médecins sur le territoire

Bien qu'elle ait fait l'objet de débats important lors de la discussion au Sénat du projet de loi relatif à la santé, la notion de désert médical n'a pas de contenu défini . Depuis la loi HPST de 2009, l'Etat entend garantir l'accès à des soins de « proximité », dont le Sénat avait alors précisé qu'elle se mesure en distance et en temps de parcours. Les dernières études sur la question ont établi que 95 % de la population française a accès à un médecin généraliste en moins de quinze minutes et qu'en moyenne, la population accède à un spécialiste en moins de vingt minutes, mais avec un écart allant de la proximité immédiate jusqu'à 2 heures 30 de trajet. Par ailleurs, un sous-indicateur du programme de qualité et d'efficience « maladie » suit la part de la population ayant un accès à un service d'urgence en moins de 30 minutes. Ce taux s'établit pour 2011 à 97,1 %, dont 75 % en moins de quinze minutes.

L'éloignement géographique par rapport aux soins ne suffit cependant pas à appréhender la question de l'accès aux soins et son ressenti au sein de la population. Une étude d'opinion Ifop de 2014, conduite pour le cabinet de conseil Jalma, tend à indiquer un délai d'attente croissant pour l'obtention d'un rendez-vous médical . En ville, il faut, d'après les déclarations des patients, en moyenne six jours pour obtenir un rendez-vous auprès d'un généraliste, vingt-sept auprès d'un dentiste, quarante-deux auprès d'un cardiologue et cent onze auprès d'un ophtalmologiste.

Le problème est donc celui du nombre de médecins, ou plutôt, du nombre d'heures médicales disponibles. Le paradoxe est bien connu : la France n'a jamais compté autant de médecins, mais l'accès semble de plus en plus difficile à la population. L'idée est donc souvent avancée que le problème est celui de la répartition des médecins sur le territoire. Il faut toutefois garder à l'esprit que, si les médecins sont actuellement nombreux, cela est essentiellement lié au maintien en activité de médecins ayant dépassé l'âge de la retraite et que cette situation est donc fragile. La Drees anticipe ainsi une baisse de 10 % du nombre de médecins sur les prochaines années, que viendra progressivement compenser l'arrivée de jeunes issus des concours ayant bénéficié de l'élargissement du numerus clausus , jusqu'à arriver à la stabilisation en 2030.

L'atlas annuel de la démographie médicale réalisé par l'ordre des médecins permet de saisir la réalité de la répartition des médecins sur le territoire. Au 1 er janvier 2015, la densité moyenne de médecins en exercice régulier toutes spécialités confondues est de 266,4 médecins pour 100 000 habitants. Les trois départements les moins bien dotés sont l'Eure (167/100 000), l'Ain (174,4/100 000) et la Mayenne (175,3/100 000), les trois les mieux doté sont l'Hérault (319,5/100 000), le Rhône (400,8/100 000) et Paris (678,2/100 000). Dans la moitié des départements français, l'Ordre recense une densité faible de médecins, dix se trouvent dans la moyenne et trente-sept ont une densité forte (supérieure à 282/100 000). D'après l'ordre, soixante-trois départements ont une forte probabilité d'enregistrer une baisse du nombre de médecins d'ici 2020 et vingt-sept une forte probabilité d'enregistrer une hausse. L'attractivité relative des départements évolue d'une année sur l'autre et ceux de la région Pays-de-la-Loire, qui figuraient en 2007 parmi les moins bien dotés ne s'y trouvent plus en 2015.

Cependant, l'échelon départemental de l'atlas n'est pas le plus pertinent pour saisir la réalité de la démographie médicale. L'Ordre complète lui-même son analyse sur la présence de spécialistes par une approche de la densité médicale au niveau des bassins de vie tels que définis par l'Insee. Il en découle que 57 % des bassins de vie n'ont pas d'ophtalmologiste libéral, 68,5 % pas de pédiatre libéral, 67,1 % pas de psychiatre libéral et 66 % pas de gynécologue. La tendance générale est néanmoins à une baisse du nombre de médecins généralistes et à une hausse du nombre des spécialistes.

Le découpage par bassin de vie réalisé par l'Insee permet l'observation de phénomènes socioéconomiques à un niveau géographique fin et homogène sur l'ensemble de la métropole. Dans chacun de ces bassins à l'autonomie plus ou moins marquée, les habitants accèdent à l'essentiel des équipements et services (y compris ceux de santé), les actifs ont leur emploi et les élèves accèdent à leur établissement scolaire. Au total, on dénombre 1 916 bassins de vie. Parmi eux, 1 745 sont constitués d'un bourg ou d'une petite ville (c'est-à-dire d'une commune ou d'une unité urbaine de moins de 30 000 habitants).

Le phénomène des déserts médicaux est réel mais pour le moment mal appréhendé par les pouvoirs publics qui dépendent essentiellement des remontées des élus locaux. L'approche en termes de bassins de vie n'est en effet pas celle des études menées au niveau européen sur les besoins de santé non-couverts. Elle ne permet pas de savoir si la densité médicale permet de répondre aux besoins de la population.

Les agences régionales de santé ont donc été chargées, par l'intermédiaire des schémas régionaux d'organisation des soins (Sros), de recenser l'offre de soins et de tenter de mesurer son adéquation aux besoins de la population. Le schéma doit déterminer les zones éligibles aux mesures incitatives prévues par les pouvoirs publics pour favoriser l'installation ou le maintien de l'offre médicale. Depuis le décret du 14 août 2013 relatif au contrat de praticien territorial de médecine générale, la notion de « zones caractérisées par une offre médicale insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins, en raison des caractéristiques démographiques, sanitaires et sociales de la population, des particularités géographiques de la zone, du nombre et de la répartition des professionnels et des structures de soins et de leurs évolutions prévisibles » a fait son entrée dans le droit.

L'article 38 du projet de loi relatif à la santé confie aux directeurs généraux des agences régionales de santé la mission de déterminer par arrêté, après concertation avec les représentants des professionnels de santé concernés :

« 1° Les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins ;

« 2° Les zones dans lesquelles le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé, s'agissant des professions de santé pour lesquelles la convention mentionnée à l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale a prévu des mesures de limitation d'accès au conventionnement.

Il précise que :

« Dans les zones mentionnées aux 1° et 2° (...) sont mises en oeuvre les mesures destinées à réduire les inégalités en matière de santé et à favoriser une meilleure répartition géographique des professionnels de santé, des maisons de santé, des pôles de santé et des centres de santé prévues notamment aux articles L. 1435-4-2 et L. 1435-5-1 à L. 1435-5-4 du présent code, à l'article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales, à l'article 151 ter du code général des impôts, à l'article L. 632-6 du code de l'éducation et par les conventions mentionnées au chapitre II du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale. »

A ce jour, aucune synthèse officielle ne recense l'emplacement des déserts médicaux au niveau des bassins de vie. Cette approche serait pourtant nécessaire pour mieux saisir la réalité du manque de médecins dans les zones urbaines et péri-urbaines et la juxtaposition de déserts et de zones sur-dotées au sein d'un même département. Le seul mécanisme existant est celui appelé CartoSanté mis en place par l'union régionale des caisses d'assurance maladie avec des données de l'Insee et des ARS, mais il constitue essentiellement une aide à l'installation des praticiens et non un outil de régulation.

Depuis 2009, on assiste de la part des élus locaux à une demande croissante d'action pour garantir la présence de médecins sur l'ensemble du territoire. Cela a abouti notamment à l'élaboration en 2013 d'un rapport sur les déserts médicaux par la commission du développement durable du Sénat préconisant le conventionnement sélectif des médecins.

A l'occasion de la discussion au Sénat du projet de loi relatif à la santé, la commission des affaires sociale a souhaité amorcer une régulation par les médecins eux-mêmes au travers des négociations avec l'assurance maladie. L'article 12 quater A, dans la rédaction du texte issue du Sénat, prévoit ainsi que « la négociation des conventions nationales [...] porte notamment sur le conventionnement à l'assurance maladie des médecins libéraux dans les zones définies par les agences régionales de santé en application des 1°et 2° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. » La ministre de la Santé a souhaité la suppression de cet article au motif suivant : « Nous ne sommes [...] pas favorables à la mise en place d'un dispositif qui impose le contenu de la convention. En revanche, nous sommes évidemment très attentifs aux démarches qui pourraient être engagées par les professionnels de santé eux-mêmes. » Cette position ne paraît pas à la hauteur des enjeux pour la population.

b) Une réforme éclatée et sans vision d'ensemble de la permanence des soins

La question de la permanence des soins a récemment fait l'objet d'une attention particulière . Après le constat sévère dressé par la Cour des comptes dans le chapitre XII de son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2013, les problèmes associés ont fait l'objet d'un examen approfondi dans le cadre du rapport 4 ( * ) consacré par notre collègue députée Catherine Lemorton en juin dernier à l' « ambition contrariée » de la permanence des soins ambulatoires.

La problématique se trouve en effet au coeur de plusieurs enjeux cruciaux pour l'organisation du système de santé : l'accès aux soins et leur continuité sur l'ensemble du territoire bien sûr, mais également l'amélioration des prises en charge hospitalières et la maîtrise des dépenses qu'elle permet, au travers d'un meilleur partage des tâches avec les services d'urgence notamment.

L'organisation et le financement
de la permanence des soins ambulatoires

Prévue par l'article L. 6314-1 du code de la santé publique, la permanence des soins ambulatoires (PDSA) vise à répondre aux demandes de soins non programmés et ne relevant pas d'urgences vitales qui interviennent aux horaires de fermeture des cabinets médicaux . Elle est ainsi assurée chaque jour de 20 heures à 8 heures, ainsi que les week-ends et jours fériés, sur l'ensemble du territoire.

De même que la permanence des soins assurée par les établissements de santé (PDES), la PDSA a été érigée en mission de service public par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST).

La PDSA est assurée, « en collaboration avec les établissements de santé » et « dans le cadre de leur activité libérale », par des médecins de garde et d'astreinte exerçant en cabinet, en centre de santé, ou appartenant à une association de permanence des soins - le premier réseau étant celui de la fédération « SOS médecins », qui regroupe 63 associations sur l'ensemble du territoire. Depuis 2002 et l'abandon de l'obligation déontologique individuelle de participation aux services de garde, l'organisation de la PDSA repose sur une obligation collective et le volontariat individuel des médecins exerçant en ville, qui assurent alors des astreintes sectorisées.

La Cour des comptes relevait à ce propos, dans son rapport sur la sécurité sociale de 2013, que « l'abandon brutal de l'obligation déontologique des médecins libéraux d'effectuer la garde s'est traduit par un transfert de responsabilité de la profession à l'État et par une explosion des dépenses de l'assurance maladie qui ont triplé depuis 2001 ».

L'organisation de la PDSA repose sur une régulation téléphonique préalable , qui s'analyse comme un acte médical individuel visant à définir la réponse optimale à apporter à une demande de soins non programmée. Le médecin régulateur, au terme d'un entretien avec le patient ou une personne se trouvant à ses côtés, peut ainsi délivrer un conseil médical, demander l'intervention d'un médecin de permanence, orienter le patient vers un service d'urgences, ou encore autoriser le déclenchement d'une équipe de service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR).

Selon les informations transmises à votre rapporteur général par la Cnam, le coût total des dépenses liées à la PDSA (rémunération forfaitaire et activité) est relativement stable depuis 2010, avec une variation entre 345 et 349 millions d'euros selon les années . Par ailleurs, l'activité réalisée durant les périodes est stable depuis 2013 aux alentours de 200 millions d'euros. Il est toutefois à noter que la part représentée par l'activité régulée a fortement progressé (72 % en 2014 contre 63% en 2013 et 2012 et 61% en 2011), en raison notamment de l'augmentation des moyens de la régulation et de l'amélioration de la communication sur le fonctionnement du dispositif.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi HPST du 21 juillet 2009, l'organisation de la PDSA ressort de la compétence des ARS, de même qu'une partie de son financement . Les indemnités d'astreinte et de régulation des médecins participant à la PDSA, soit comme régulateurs, soit comme effecteurs, sont déterminées et versées par les ARS sur les crédits du Fonds d'intervention régional (FIR). En revanche, les actes (et les majorations afférentes) réalisés par les médecins dans le cadre de la PDSA restent financés par l'assurance maladie.

Or, le constat dressé par ces différentes évaluations est quelque peu inquiétant - la Cour des comptes évoque ainsi « un cycle de frictions et de déséquilibres qui gouverne la permanence des soins depuis les années 2000 » - et met en évidence plusieurs marges d'amélioration.

Sont notamment pointés, s'agissant de l'organisation de la PDSA :

- le mouvement d'érosion croissante du volontariat des médecins libéraux , le conseil national de l'ordre des médecins ayant parlé d'une baisse « inquiétante pour l'avenir » à propos des médecins généralistes. Cette érosion s'explique à la fois par la démographie des médecins généralistes, par la cartographie retenue pour la délimitation des territoires de garde, qui emporte des astreintes très contraignantes, ou encore par l'insuffisante reconnaissance de la mission de service public accomplie par les médecins dans le cadre de la PDSA ;

- les insuffisances de la régulation téléphonique préalable , notamment en raison des faibles visibilité et lisibilité de la permanence des soins pour les patients, qui sont encore nombreux à se rendre directement aux urgences pour des affections qui pourraient être prises en charge en ville. La Cour relevait ainsi que « la rareté, l'obscurité et la confusion de l'information apportée au public compromettent le bon usage qu'il fera du système et donc l'efficience de celui-ci » ;

- le maintien de fortes disparités , qui se traduit à la fois par des inégalités géographiques et par des inégalités sociales : la PDSA ne parvient pas à toucher tous les publics, notamment les plus précaires ou encore les personnes se trouvant en Ehpad ou en hospitalisation à domicile ;

- plusieurs éléments d'ordre technique sont par ailleurs susceptibles d'engendrer des difficultés de prise en charge importantes, tels que le manque de clarté des obligations relatives à l'établissement du certificat de décès aux horaires de la PDSA, ou encore l'insuffisante coordination entre les gardes des médecins et des pharmaciens.

S'agissant de la gouvernance de la PDSA, les insuffisances du pilotage national par le ministère de la santé sont pointées par la Cour des comptes comme par l'Assemblée nationale. Cette situation résulte notamment d'un défaut d'information statistique , s'agissant en particulier de la fréquentation des services d'urgences. Il en résulte, par exemple, une insuffisante valorisation des bonnes pratiques à l'échelon national.

Au plan local, le rapport de Mme Lemorton préconise notamment la mise en place d'un financement globalisé de la PDSA par une enveloppe régionale qui comprendrait à la fois la rémunération de la régulation et des astreintes et celle des actes effectivement réalisés. Cette recommandation reprend une piste formulée par la Cour des comptes, qui préconisait de « confier aux agences régionales de santé la responsabilité générale de l'organisation des gardes de tous les professionnels de santé (permanence des soins ambulatoires, gardes pharmaceutiques, gardes ambulancières) et de leur financement dans le cadre d'enveloppes régionales fermées regroupant l'ensemble des dépenses, y compris de rémunération des actes médicaux, calculées sur des bases objectives ».

A l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la modernisation du système de santé, la commission des affaires sociales du Sénat s'est par ailleurs inquiétée des décisions prises par certaines ARS, dans le cadre de leur compétence d'organisation, de supprimer la PDSA entre minuit et huit heures du matin , les patients ne pouvant alors être pris en charge que dans le cadre de la régulation téléphonique (avec un simple conseil médical par téléphone parfois insuffisant), ou dans le cadre hospitalier (avec des coûts nécessairement plus élevés). Elle a souligné la nécessité de préserver l'activité des médecins libéraux, et notamment celle des associations de permanence des soins, dans l'organisation de la PDSA.

Si certaines de ces préconisations ont été traduites dans les textes très récemment soumis à l'examen du Parlement, ce dont on ne peut que se féliciter, force est de constater que le saupoudrage de ces éléments entre le projet de loi de modernisation du système de santé et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ne permet pas de prendre de la hauteur et d'envisager une réforme globale du fonctionnement de la PDSA .

L'article 15 du projet de loi de modernisation du système de santé prévoit ainsi la mise en place d'un numéro d'appel harmonisé au plan national pour l'accès à la régulation médicale de la permanence des soins, avec pour objectif d'améliorer la lisibilité du dispositif d'accès à la PDSA.

Deux dispositions du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'importance inégale, viennent également modifier le régime de la PDSA.

L' article 44 , en premier lieu, donne aux ARS volontaires la possibilité de disposer d'une enveloppe de financement globale de la PDSA au titre des missions financées par le FIR : leur sera ainsi dévolue une enveloppe globale intégrant non seulement les forfaits de régulation et d'astreinte, mais également les honoraires des actes et majorations afférentes. Il s'agit de pérenniser une expérimentation conduite par l'ARS des Pays de la Loire depuis 2011, et qui présente semble-t-il un bilan satisfaisant, s'agissant notamment de la mobilisation des médecins libéraux et de leur responsabilisation dans le cadre de la maîtrise des dépenses.

L' article 44 bis , qui porte quant à lui sur la prise en charge des frais relatifs à l'établissement du certificat de décès intervenu dans le cadre de la permanence des soins, instaure un forfait versé par l'assurance maladie aux médecins assurant la délivrance des certificats de décès à ces horaires.

Dans ce contexte, il semble aujourd'hui indispensable de ne plus se contenter de réformes par petites touches sur un sujet aussi central pour l'accès aux soins, mais d'envisager la mise en place d'une évolution globale de la permanence des soins, en y incluant une réflexion sur l'évolution des urgences hospitalières.


* 4 Rapport d'information n° 2837 du 3 juin 2015 de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, présenté par Mme Catherine Lemorton, rapporteure, en conclusion des travaux de la mission sur l'organisation de la permanence des soins.

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