B. LA SITUATION PARTICULIÈRE DE RENAULT

1. Une montée au capital opportune

Face à l'opposition vivement manifestée par la direction de Renault à la mise en place de droits de vote doubles, l'État a fait, le 8 avril 2015, l'acquisition de 14 millions de titres Renault, pour un montant de 1,258 milliard d'euros, portant sa participation de 15,01 % à 19,73 % du capital de l'entreprise.

Par un communiqué de presse en date du 16 avril 2015, Renault a fait savoir que son conseil d'administration réaffirmait son soutien à cette résolution « motivée par la situation spécifique des droits de vote au sein de l'Alliance » entre Renault et Nissan.

Lors de l'assemblée générale, Philippe Lagayette, administrateur référent de Renault, a ainsi expliqué que « ce problème est apparu dès l'adoption de la loi Florange. L'État et Nissan détiennent 15 % chacun du capital de Renault. Or, les règles sur les participations croisées et l'autocontrôle privent de facto Nissan de ses droits de votes. Avant l'adoption de la loi, l'État détenait 17,5 % des droits de vote contre 0 pour Nissan.

Compte tenu des bonnes relations préexistantes au sein de l'Alliance, cette situation était acceptée depuis 10 ans. L'introduction des droits de vote double va accentuer considérablement ce déséquilibre, portant à 28 % la détention des droits de vote de l'État, les droits de vote de Nissan restant à 0 %. Le Conseil d'administration a perçu que cette situation aboutit à un déséquilibre, ressenti comme tel par Nissan. » 2 ( * )

Philippe Lagayette a précisé que « d'autres actionnaires trouvent cette situation préoccupante. C'est notamment le cas de Daimler, autre partenaire de l'Alliance, certes à un pourcentage moindre, ainsi que d'un certain nombre de fonds qui en font parfois une question de respect du principe ?une action, une voix?. »

Ainsi c'est bien « le Conseil d'administration dans sa majorité, à l'exception des représentants de l'État, [qui] partage ce point de vue et a jugé utile de soumettre cette résolution au vote des actionnaires. » Or « le rôle du Conseil d'administration est de déterminer un sentiment majoritaire sur l'intérêt de la Société, surtout en cas de désaccord entre les actionnaires ».

La résolution a finalement recueilli 60,53 % des voix, alors qu'une majorité qualifiée des deux tiers était nécessaire pour son adoption. Sans la montée au capital de Renault réalisée par l'État, cette résolution n'aurait sans doute été rejetée que de justesse.

Au cours de la même assemblée générale, Carlos Ghosn a affirmé que « Renault a traversé la crise sans mettre le genou à terre. Renault fut la seule entreprise à ne pas suspendre ses investissements, à ne remettre en cause aucun de ses projets durant la crise. Les résultats ne vont pas tarder à se faire ressentir. »

Et de conclure avec force : « Les grandes industries se construisent par la patience de leurs actionnaires. »

Votre rapporteur spécial ne peut que souscrire à cette dernière affirmation et considère que l'instauration des droits de vote doubles est justement de nature à encourager la patience des actionnaires en la récompensant.

Il rappelle par ailleurs, que si « « Renault a traversé la crise sans mettre le genou à terre », c'est également grâce à l'État. En effet, Renault, comme PSA, avait sollicité en 2009 l'aide de l'État qui avait répondu présent et mis en place un « Plan automobile » de soutien à la filière, confrontée au manque de liquidités après la crise financière. Dans ce cadre, l'État avait octroyé à Renault, en avril 2009, un prêt d'environ 3 milliards d'euros sur cinq ans, remboursé par anticipation en avril 2011.

Plus généralement, la constance de la présence de l'État au capital de Renault depuis soixante-dix ans, aujourd'hui à un niveau bien moindre que par le passé, a sans doute contribué à la réussite de l'entreprise et n'a pas empêché l'alliance avec Nissan.

Votre rapporteur spécial rappelle également que le fait que Nissan n'a pas de droit de vote au sein de Renault n'a rien à voir avec le niveau de de la participation de l'État.

En effet, depuis la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, l'autocontrôle est interdit, l'article L. 233-31 du code du commerce disposant que « lorsque des actions ou des droits de vote d'une société sont possédés par une ou plusieurs sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle, les droits de vote attachés à ces actions ou ces droits de vote ne peuvent être exercés à l'assemblée générale de la société ».

Renault détient 43,4 % de Nissan, qui détient à son tour 15 % du constructeur français. Or l'article L. 233-3 du code de commerce fixe à 40 % le seuil de détention de capital au-delà duquel une société est présumée en contrôler une autre. Nissan n'a pas donc de droit de vote au titre de sa participation au capital de Renault qui serait sinon en situation d'autocontrôle.

L'idée d'une descente de la participation de Renault sous la barre des 40 % au-delà laquelle son contrôle de Nissan est présumé, afin de permettre à Nissan de récupérer ses droits de vote a été évoquée, avec comme arguments l'évolution du poids respectif des deux constructeurs dans l'alliance et le renforcement de l'État au capital de Renault.

En 2014, 62 % des véhicules vendus par l'alliance sont produits par Nissan, quand la part de Renault est de 32 %. En 2005, Renault réalisait 41,3 % des ventes de l'ensemble. Sur le plan financier, le poids de Nissan est encore plus important : en 2014, le résultat consolidé du groupe s'est établi à 1,998 milliard d'euros, la contribution de Nissan s'élevant à 1,559 milliard d'euros.

Pour autant, Renault n'a aucune obligation juridique de modifier le niveau des participations réciproques qui le lient à Nissan.

Quant au bouleversement qui résulterait de l'instauration des droits de vote doubles, votre rapporteur spécial rappelle qu'en 2012, au moment où Nissan avait pris 15 % de Renault sans droits de vote, la participation de l'État dans Renault atteignait 25,9 %.

Par ailleurs, l'État s'est engagé à ramener rapidement sa participation à son niveau d'origine soit 15,01 %.

Votre rapporteur spécial considère donc que l'État n'a fait que veiller au respect de ses droits, grâce à quoi il s'est mis en position de mieux garantir l'ancrage national de Renault et la pérennité de la filière automobile française.

2. Une descente plus difficile que prévu

Le 8 avril 2015, l'État a annoncé l'acquisition, auprès de Deutsche Bank, de 14 millions de titres Renault. D'après les réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, cette opération, qui s'est achevée le 20 avril 2015, a coûté, avec tous les frais associés, 1,258 milliard d'euros, soit 89,86 euros par action.

Dès le départ, l'État a expliqué que cette montée au capital ne serait que temporaire, l'achat de titres ne préfigurant « en aucun cas un mouvement durable à la hausse ou à la baisse sur sa participation au capital de l'entreprise » 3 ( * ) .

L'objectif initial étant de revendre ces titres avant la fin de l'année, l'État a souhaité se prémunir contre une éventuelle baisse de leur valeur.

Pour cela, il a souscrit auprès de Deutsche Bank des options de vente portant sur 14 millions d'actions Renault « exerçables au prix par action de 90 % du cours de référence de l'action Renault au 7 avril 2015 » 4 ( * ) . Le cours de référence s'élevant à cette date à 85,26 euros, l'État est ainsi garanti contre une baisse de cours en-deçà de 76,73 euros par action. Sa perte serait donc en théorie limitée à 183,8 millions d'euros, les moins-values étant assumées au-delà de ce montant par Deutsche Bank.

Afin de compenser le coût d'acquisition de ces options, l'État a cédé à Deutsche Bank des options d'achat portant sur le même nombre de titres, « exerçables au prix par action de 110 % par action du cours de de l'action Renault au 7 avril 2015 ». Autrement dit, si le cours de l'action Renault dépasse 93,79 euros, la plus-value par rapport à ce prix reviendra à Deutsche Bank.

Le dénouement de ces deux séries d'options est échelonné linéairement entre le 7 octobre 2015 et le 28 décembre 2015. Ses modalités, en titres ou en numéraire, sont à la main de l'État.

Le cours de l'action Renault, après être monté jusqu'à 98,81 euros le 22 mai 2015, est descendu jusqu'à 62,18 euros le 29 septembre dernier, à la suite de la révélation de l'affaire Volkswagen.

Le 7 octobre dernier, le cours de l'action Renault s'est établi à 74,19 euros, soit un montant inférieur au prix d'exercice des options d'achats détenues par l'État. Celui-ci a donc exercé les options d'achat arrivant à échéance ce jour-là et a choisi un dénouement en numéraire 5 ( * ) .

En conséquence, Deutsche Bank a versé à l'État, pour le nombre d'actions convenu, la différence entre le prix d'exercice et le cours du jour, soit 2,54 euros par action. Cette opération s'est répétée chaque jour suivant, en fonction du cours du jour.

Compte tenu des conditions de marché, l'État conserve pour l'instant les 14 millions d'actions acquises en avril dernier.


* 2 Procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 30 avril 2015.

* 3 Communiqué de presse de l'APE du 8 avril 2015.

* 4 Document AMF n° 215C0462 du 16 avril 2015.

* 5 Communiqué de presse de l'APE du 7 octobre 2015.

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