AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est amené à examiner le projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale en juillet 2015 et adopté par elle en octobre dernier.

Dès 2012, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, avait annoncé le dépôt d'un projet de loi relatif au patrimoine, qui devait notamment marquer les cent ans de la « grande loi fondatrice » du premier régime de protection des monuments. Elle avait également laissé entrevoir la perspective d'une loi relative à la création, dans la droite ligne des rapports diligentés dans plusieurs secteurs culturels, à commencer par celui confié à Pierre Lescure et relatif à l'Acte II de l'exception culturelle. Un temps évoquée, une réforme de l'audiovisuel avait été écartée par le ministre dès septembre 2013 lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public.

Depuis lors, plusieurs avant-projets ont circulé, puis cheminé parallèlement, relatifs l'un au patrimoine, l'autre à la création, jusqu'à ce que l'intention se fasse jour de soumettre au Parlement un texte regroupant l'ensemble des dispositions envisagées.

Même s'il apparaissait en retrait par rapport aux documents soumis à concertation, laissant penser à de nombreux intervenants qu'ils en étaient les « grands oubliés », ce projet de loi, finalement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale en juillet 2015, avait le mérite de comporter deux volets clairement identifiés, l'un consacré à la création, l'autre au patrimoine. Au total, le texte comptait initialement 46 articles. Après son examen par l'Assemblée nationale, il en comprend désormais 96, contribuant ainsi à lui conférer le caractère d'un texte « fourre-tout », sans grande cohérence d'ensemble et de portée somme toute limitée.

En matière de création, au-delà de quelques dispositions dont le caractère très général, voire incantatoire, sera approuvé par certains, décrié par d'autres, sans qu'il faille lui accorder ni excès d'honneur, ni indignité, les mesures relatives à la musique et au cinéma, qui pour la plupart d'entre elles constituent la traduction législative d'accords interprofessionnels sont de nature à recueillir un large assentiment.

Il en est de même des mesures techniques d'adaptation du droit de patrimoine et de l'architecture, telles la définition des archives ou la consécration législative du patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).

En revanche, deux séries de dispositions suscitent l'inquiétude : le projet de loi marque une volonté de reconcentration de l'archéologie préventive dans les mains de l'Institut de recherches archéologiques préventives (INRAP), faisant fi des compétences acquises par tous les acteurs de la filière. Le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, ne pouvait que s'inquiéter de cette volonté de remonopolisation, qui ne dit pas son nom.

Il se devait d'être particulièrement attentif aux conséquences de la refonte des régimes de protection. Plutôt que de proroger une nouvelle fois le délai de transformation des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP), le Gouvernement a, en effet, fait le choix d'instituer un nouveau système unifié, sous le vocable de cité historique, loin d'embrasser toutes les réalités de terrain.

Quelle que soit l'appréciation portée sur ces dispositions, nul ne saurait ignorer que ce projet de loi intervient dans un contexte institutionnel déjà très instable. Fixer les grands objectifs du « service public » de la création et rénover le régime de protection des espaces protégés ne peuvent s'entendre isolément de la réforme d'ensemble de l'organisation territoriale, sans oublier le contexte de la baisse des dotations de l'État et la prise de conscience très récente de l'impact négatif des restrictions budgétaires imposées au ministère de la culture depuis 2012.

C'est au nom de ce principe de réalité que votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est efforcée de clarifier le dispositif qui lui était soumis. Elle a fréquemment accepté les mesures techniques ou d'adaptation, quitte à en préciser la portée, a limité la « consécration législative », le plus souvent symbolique, de dispositions réglementaires et a refusé le dessaisissement du Parlement au profit d'ordonnances d'autant moins acceptables que ce projet de loi a été précédé de nombreux travaux d'analyse ou de réflexion.

Votre commission s'est également attachée à définir un système simple et solide de protection du patrimoine, de nature à tenir compte des réalités d'un tissu local en profonde mutation avec la réforme des intercommunalités.

Ce faisant, elle a le sentiment de s'inscrire dans la volonté du Sénat tout entier de limiter l'institution de nouvelles normes, de ne légiférer que lorsque cela est strictement nécessaire et dans le respect du principe d'intelligibilité de la loi et de préparer la politique culturelle de demain, qui fait la force de notre nation.

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