EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 2 mars 2016, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi n° 303 (2015-2016) visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Joël Labbé sur la proposition de loi renforçant l'ancrage territorial de l'alimentation.

M. Joël Labbé, rapporteur . - Cette proposition de loi, déposée par Mme Brigitte Allain, députée, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 14 janvier dernier. Reprenant des préconisations formulées en juillet 2015 par la mission d'information de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires, elle fait de la restauration collective l'un des leviers d'une alimentation issue de l'agriculture locale, durable et biologique.

Il y a une véritable prise de conscience qu'il faut modifier les schémas d'alimentation actuels. Mais cela ne suffit pas : il faut trouver des moyens opérants pour mettre un terme à des modes d'alimentation dont l'acceptation sociale est de plus en plus remise en cause.

La restauration collective représente 81 376 structures en France, 8 millions de repas servis par jour, soit 7 milliards d'euros d'achats par an. Ce n'est pas rien. Le plus souvent, une personne publique - en particulier, les collectivités territoriales avec les cantines scolaires - en assume la charge.

La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement assignait déjà à l'État l'objectif d'approvisionner ses services de restauration collective en produits biologiques ainsi qu'en produits saisonniers, à faible impact environnemental ou issus d'exploitations engagées dans une démarche de certification environnementale. La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture a renforcée cette démarche : le programme national pour l'alimentation doit prévoir « des actions à mettre en oeuvre pour l'approvisionnement de la restauration collective, publique comme privée, en produits agricoles de saison ou en produits sous signes d'identification de la qualité et de l'origine, notamment issus de l'agriculture biologique ». Malheureusement, ces mesures sont loin d'avoir porté pleinement leurs fruits.

Certes, un effort réel a été fourni. En 2015, 59 % des restaurants collectifs proposaient, au moins de temps à autre, des produits biologiques - le chiffre atteint 72 % pour les restaurants collectifs relevant de personnes publiques. Néanmoins, selon la Fondation Nicolas Hulot en 2013, ils n'avaient consacré que 2,7 % de leurs achats à des produits biologiques. Plus symptomatique encore, 87 % de la volaille qu'ils proposent était importée. Idem pour la viande bovine, importée à 80 %, nous l'avons appris lors de la crise aiguë de l'été dernier.

Si la situation est très contrastée selon les territoires, il existe une profusion d'initiatives locales - et nous avons constaté, avec Daniel Gremillet, Gérard Bailly et Frédérique Espagnac, lors des auditions, l'enthousiasme des collectivités territoriales comme du milieu associatif. Cependant, faute de coordination, ces initiatives n'ont pas d'effet d'entraînement sur le développement d'une filière plus solide. Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises dans notre commission, il faut donc structurer la demande pour structurer l'offre.

Les personnes publiques voient souvent dans les règles de la commande publique un obstacle quasi-insurmontable à l'achat de produits alimentaires répondant aux objectifs de proximité et de durabilité. En réalité, la définition de l'objet du marché et des caractéristiques techniques des produits, l'allotissement ou les critères de sélection des candidats autorisent le renforcement de l'ancrage local de l'alimentation. Depuis 2014, le ministère de l'agriculture a mis à disposition des gestionnaires de restaurants collectifs un guide pratique détaillant les outils à leur disposition.

Cette proposition de loi entend créer une dynamique de changement en s'appuyant sur la restauration collective.

Son article premier oblige les personnes publiques à introduire des produits relevant de l'alimentation durable et de l'agriculture biologique dans leurs services de restauration collective. Initialement, cet objectif devait être atteint en deux temps : dans les six premiers mois de la promulgation de la loi, 20 % de produits relevant de l'alimentation durable ; à compter du 1 er janvier 2020, 40 % de produits relevant de l'alimentation durable, et 20 % de produits issus de l'agriculture biologique. L'article 2 transforme l'observatoire de l'alimentation en observatoire de l'alimentation et des circuits courts et de proximité afin qu'il s'assure du respect de l'obligation fixée à l'article premier. Avec l'article 3, les plans régionaux d'agriculture durable intégreront les politiques alimentaires transversales dans leurs objectifs et leur gouvernance. L'article 4 impose aux grandes entreprises d'inclure des exigences de consommation alimentaire durable dans leur rapport en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). L'article 5 étend le dispositif « fait maison » aux restaurants collectifs favorisant l'alimentation des convives à partir de produits bruts.

En commission comme en séance publique, les députés ont conforté ce dispositif. Ils ont notamment supprimé l'objectif provisoire de 20 % six mois après la promulgation de la loi - le délai était effectivement trop court -, précisé les catégories de produits devant être introduits en restauration collective et modifié les prérogatives et compétences de l'observatoire de l'alimentation et des circuits courts et de proximité.

Les députés ont également adopté deux articles additionnels. L'article premier bis prévoit un rapport sur l'application du texte. Si le Sénat n'aime pas beaucoup les rapports, celui-ci a son importance. L'article 3 bis confère aux chambres régionales d'agriculture un rôle d'accompagnement.

À mon sens, l'objectif contraignant fixé à la restauration collective publique est réalisable si les acteurs s'en donnent les moyens. Cela implique qu'ils modifient leur approche, les projets alimentaires territoriaux les y aideront.

Il conviendra de former les acteurs de la restauration collective. D'abord, les gestionnaires, sur les marchés publics et la planification des achats qui est absolument essentielle. Leur information sur l'offre locale et la saisonnalité des produits devra être renforcée. Les cuisiniers devront réapprendre à utiliser des produits bruts - en un mot, à cuisiner. C'est la noblesse de leur métier.

L'approvisionnement des restaurants collectifs en produits locaux n'implique pas nécessairement un surcoût. Les expérimentations le montrent : on peut réduire le coût global de la préparation des repas par la lutte contre le gaspillage alimentaire, objet d'une proposition de loi que le Sénat a récemment adoptée à l'unanimité. La promotion des produits en vrac et la limitation de la diversité des produits proposés sont d'autres voies d'économies ; et ce, sans amoindrir la qualité nutritionnelle des repas. De même que l'adaptation accrue des grammages et des menus - les recommandations du groupe d'étude sur les marchés de restauration collective et de nutrition (GEM-RCN), entre autres sur la proportion de protéines animales à respecter par rapport aux protéines végétales, ne doivent pas freiner le retour à un ancrage territorial de l'alimentation.

Enfin, jouons des complémentarités entre les acteurs pour stimuler l'offre, assurer son adéquation avec la demande et stimuler la filière.

L'Assemblée nationale est parvenue à un texte abouti. La teneur de l'obligation relative à la restauration collective publique est claire tant pour les catégories de produits à introduire que pour les quotités : 40 % de produits de l'agriculture durable d'ici le 1 er janvier 2020, dont 20 % issus de l'agriculture biologique. Cette quotité sera facilement atteinte puisque les produits bio sont des produits sous signe de qualité, avec la mention « AB », et répondent à des critères de développement durable. Les dispositifs d'accompagnement de cette obligation ne soulèvent pas d'obstacles de principe, ni sur le fond ni sur la forme.

C'est pourquoi je vous invite à adopter ce texte conforme, sans quoi il ne sera pas examiné avant la prochaine niche écologiste à l'Assemblée nationale en 2017, soit en pleine campagne présidentielle. Posons-nous la question : cette proposition de loi convient-elle à la population ?

M. Gérard César . - Et aux collectivités territoriales ?

M. Joël Labbé, rapporteur . - La ville de Mouans-Sartoux, qui mène une expérimentation exemplaire, a réussi à diminuer le prix des repas en travaillant sur le gaspillage alimentaire et l'éducation au goût. Elle a su réhabiliter le métier de cuisinier.

Dans les territoires où l'agriculture familiale, de proximité ou biologique n'est pas suffisamment développée, on voit des filiales de maraîchage se mettre place. C'est le cas dans la région lilloise dominée par la culture de la betterave à sucre. La Gironde a, elle, créé une plateforme de regroupement de produits biologiques.

Je suis au Sénat depuis quatre ans, j'ai appris à le connaître et suis fier d'y appartenir. Comme vous, je mets un point d'honneur à améliorer les textes mais déposer des amendements repousserait l'application de cette loi attendue par 76 % des Français selon un récent sondage de l'Ifop.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Deux représentants du Morbihan montent au créneau cette semaine. Après Michel Le Scouarnec hier soir, c'est le tour de Joël Labbé !

Cher collègue, rien n'empêche le Gouvernement d'inscrire une proposition de loi dans son ordre du jour, surtout si elle recueille l'unanimité.

M. Gérard Bailly . - J'étais, au départ, favorable à cette proposition de loi en raison de mon ancrage agricole. Je ne le suis plus. Il faut expliquer ce que signifie « durable », sans quoi beaucoup d'interrogations subsisteront. Avec ce texte, n'ajoute-t-on pas encore plus de normes ? Une étude d'impact a-t-elle été menée sur la hausse du prix des repas dans la restauration collective ? Je peux prédire la réaction des parents : déjà, ils trouvent la cantine chère pour leurs enfants.

N'allez pas croire que je suis contre le bio. Mais les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement. Dans mon département du Jura, selon le contrôle laitier, les vaches alimentées en produits biologiques produisent 5 800 kg de lait contre 7 100 kg pour les vaches nourries au foin et au regain. Le taux protéique de leur lait, très important pour fabriquer le fromage, est de 31,8 % contre 33,2 % pour les autres. Quand on sait que les fromageries paient 4 centimes du gramme... L'exigence de bio aura forcément un impact sur le prix, à moins de mal payer les producteurs de bio et de les condamner à la détresse.

Lons-le-Saunier distribue 1,2 million de repas incluant des produits bio et des produits issus des filières courtes dans ses cantines scolaires, ses maisons de retraite et même dans son réseau de portage à domicile. Une légumerie y a été ouverte. Et tout cela, sans loi. Plutôt que de légiférer, ne faut-il pas faire de la pédagogie ?

Ce texte provoquera des désillusions, ne lui disons pas oui sans réfléchir comme l'ont fait les députés.

M. Yannick Vaugrenard . - Merci au rapporteur pour son enthousiasme communicatif. Comme lui, je suis entré au Sénat il y a quatre ans et j'ai remarqué que le meilleur moyen d'obtenir un vote conforme, c'est de ne pas le demander...

Consommateurs et producteurs ont pris conscience de la nécessité d'une agriculture durable. Qui dit durable, ne signifie pas obligatoirement biologique ; l'agriculture raisonnée en fait partie. L'agriculture durable, ce sont les circuits courts et le respect de la saisonnalité. Rappelons-le, cela rassurera les élus locaux sur les coûts.

Cette proposition de loi vient au bon moment. Non seulement parce nous sommes en plein salon de l'agriculture, mais aussi parce que les circuits courts sont une des solutions à la crise agricole. En Loire-Atlantique, les agriculteurs qui pratiquent la vente directe sous forme de coopératives s'en sortent bien.

Reporter en 2020 l'obligation nous donnera plus de temps. De même, l'évaluation du coût pour les collectivités est un point positif, même si l'on sait que des économies peuvent être réalisées puisque 30 % des produits de la restauration collective sont jetés. La Drôme, sous la présidence de notre collègue Didier Guillaume, a adopté des stratégies d'approvisionnement local, et les coûts sont restés stables.

L'association des chambres d'agriculture est également une bonne chose.

Une alimentation saine est bonne pour nos enfants. Cette proposition de loi, même si elle n'est pas votée conforme, sera pédagogique par les débats qu'elle suscitera, et le Gouvernement peut la faire examiner dans des délais raisonnables.

M. Henri Tandonnet . - On sent le rapporteur très convaincu et dans l'envie de nous convaincre - il est même allé jusqu'à nous envoyer des fleurs. Si nous partageons tous les deux objectifs essentiels de la proposition de loi - une meilleure alimentation et un ancrage territorial - il faut malgré tout confronter le texte à la réalité.

Le Lot-et-Garonne, un département très rural avec 78 productions différentes, compte un agropole de 2 000 emplois et un marché d'intérêt national qui a contractualisé avec les acteurs de la restauration collective. Le texte irait à l'encontre de ces outils. L'agropole d'Agen prépare des plats à partir de produits locaux : les fameuses pommes de terre sarladaises, des tomates séchées... Seront-ils considérés comme des produits issus de l'agriculture durable ?

J'ai déposé des amendements pour assouplir le texte. À l'article premier, il me paraît difficile d'imposer 20 % de produits issus de l'agriculture biologique quand elle ne représente que 5 à 6 % de la production dans certains départements ; remplaçons ce chiffre par « une proportion de produits correspondant aux capacités de production locale ». Je propose également la suppression de l'article 5 qui élargit la mention « fait maison » à la restauration collective au risque de la galvauder et de nuire à la valorisation des restaurants de qualité.

L'entrée en vigueur du texte est prévue pour 2020. Monsieur Labbé, ne vous privez pas de l'amender et de l'enrichir. Je suis d'accord avec Yannick Vaugrenard, elle a une valeur pédagogique.

M. Martial Bourquin . - Je salue la sincérité et l'enthousiasme de Joël Labbé, son rapport reflète ses valeurs profondes et son expérience de maire.

La constitution de filières bio et d'agriculture raisonnée est l'une des issues à la crise structurelle que connaît l'agriculture. Après le déferlement de scandales alimentaires, entre autres ceux liés à la viande, les consommateurs se montrent de plus en plus attentifs à ce qu'ils mangent et donnent à manger à leurs enfants. Prenons au sérieux ce rapport. Pourquoi le Jura, cher à Gérard Bailly, échappe-t-il à la crise du lait ? Parce que les appellations d'origine protégée y protègent les agriculteurs. Comme dans l'industrie, le low cost et le bas de gamme résistent moins bien. Quand il y a la qualité, il n'y a pas la crise.

Deuxième sujet du rapport : la commande publique. Une directive européenne a été publiée en 2014, sur laquelle j'ai écrit un rapport il y a quatre mois. Les élus et les fonctionnaires locaux doivent changer de culture. Quand Xavier Beulin, président de la FNSEA, déclare que 70 à 80 % de la viande contenue dans les plats préparés vient de l'étranger, cela doit nous interroger.

Les élus doivent privilégier le mieux disant au moins disant, c'est-à-dire le rapport qualité-prix au prix. Avec l'allotissement, ils n'ont plus à craindre qu'on leur reproche des appels d'offre biaisés. Prenons garde, d'ailleurs, aux retours en arrière : lors des débats sur la loi sur la liberté de création, l'architecture et le patrimoine, certains ont tenté de revenir aux marchés globaux.

Les objectifs du rapporteur sont crédibles. Tenons-les pour nos enfants. Un jour, à Audincourt, j'ai mangé à la cantine avec les élèves. Ils se bourraient de pain ! Nous nous sommes séparés du grand groupe qui gérait la restauration collective pour embaucher des cuisiniers et privilégier le circuit court. Depuis, les enfants mangent, les parents sont satisfaits et les agriculteurs heureux. Si nous appliquions cette méthode partout, les agriculteurs auraient accès à de sacrés marchés.

Ce matin, nous recevons le commissaire européen à l'agriculture, Phil Hogan, au salon de l'agriculture. J'espère qu'il sera accueilli comme d'autres l'ont été car il a une forte responsabilité dans cette crise. Nous avons été trop gentils avec lui la dernière fois.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Est-ce une autocritique ?

M. Daniel Gremillet . - Je suis terriblement choqué de voir le mot « durable » à chaque article de la proposition de loi. C'est faire injure aux agriculteurs, qui travaillent en fonction d'un savoir qui progresse avec la recherche.

Ne nous racontons pas d'histoire : il y a vingt-cinq ou trente ans, 30 % des revenus étaient consacrés à l'alimentation contre 12 % aujourd'hui. Le prix des repas n'est pas un élément à négliger, nous le savons bien en tant qu'élu.

Je reprends à mon compte les propos de Gérard Bailly : faut-il légiférer et continuer de multiplier les contraintes ?

J'ai soutenu le bio avant qu'il ne devienne « tendance », j'employais un technicien spécialisé dans la chambre d'agriculture que je présidais. Pour autant, les consommateurs recherchent plutôt aujourd'hui des produits nature, des produits frais. Imposer un pourcentage de produits bio ? On devra importer faute de disposer d'une manne locale.

Les collectivités ont conduit des expérimentations avant cette proposition de loi. Rennes par exemple, propose dans ses cantines des produits qui ne sont pas bio mais de proximité et de qualité. Où est l'urgence à légiférer ?

D'autant que ce texte pourrait avoir des conséquences inattendues. Après les hôpitaux, les établissements scolaires, ce serait au tour des exploitations bio de se massifier pour répondre à la demande en contenant les coûts... Autrement, comment fournir 20 000 à 50 000 cuisses de poulet simultanément ? Et l'on reviendrait au point de départ.

Comment la proximité est-elle définie ? Une entreprise agro-alimentaire proche du lieu de consommation peut-elle en faire partie ? La réponse à cette question aura de lourdes conséquences.

M. Robert Navarro . - Localement, existe-t-il assez d'exploitations pour atteindre les objectifs fixés dans ce texte ? J'en doute.

Nous réagissons trop souvent à chaud sur l'agriculture. Résultat, nos réponses sont déconnectées. Vous citez les résultats d'un sondage ? Mais l'opinion publique change. À nous, responsables politiques, de nous placer au-dessus.

Surtout, n'oublions pas que 75 % de nos concitoyens vivent avec 1 500 euros par mois. On les entend dans nos permanences expliquer qu'ils ont du mal à payer leur facture d'eau, d'électricité. Alors, manger bio... Ils préfèrent téléphones et télés high tech à la performance dans l'assiette.

Plutôt que de nous gargariser de ce que pense l'opinion, employons-nous à adapter progressivement notre outil agricole. Quitter le modèle intensif prendra du temps. Rien ne sert de se gargariser de bonnes intentions si nous ne pouvons pas les mettre en pratique.

Mme Sophie Primas . - Je remercie Joël Labbé pour son rapport, dans lequel il a mis ses convictions et sa fougue habituelle. Une alimentation de qualité ne signifie pas forcément une alimentation de proximité, attention à ce raccourci.

Je suis très attachée à une alimentation saine et à l'éducation au goût. À Aubergenville, je fais confiance à une petite société de restauration. Elle est loin d'utiliser 40 % de produits locaux mais elle emploie de vrais cuisiniers et fait visiter ses cuisines aux enfants. Le texte contrarierait cette expérience.

Les circuits courts ? Ils évoquent l'image sympathique de courses qu'on effectue avec son panier entre des étals de produits frais. Mais nous parlons, avec cette proposition de loi, de circuits courts industriels - ce qui n'a rien de péjoratif. En Ile-de-France, les agriculteurs, peu nombreux, préfèrent valoriser directement leur production sur les marchés.

Je préférerais à une obligation chiffrée des outils d'organisation des filières. La proposition de loi alourdit les normes pour les collectivités territoriales, sans étude d'impact.

Il existe une nouvelle directive européenne ; très bien, mais il faut former les fonctionnaires et les maires ruraux sans oublier les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes qui ont tendance à ne regarder que le prix des marchés publics.

Les opérateurs de restauration collective sont ensevelis sous les normes : traçabilité des produits, travail avec un nutritionniste, gluten, allergies, équilibre entre les protéines végétales et animales, dialogue avec les parents d'élèves... C'est un enfer. Comment appliquera-t-on la règle de 40 % de produits relevant de l'agriculture durable ? Il n'y a plus d'élevage en Ile-de-France. En circuit court, on n'y trouve que des oignons, des radis et des carottes. Comment servira-t-on du poisson aux enfants ?

L'outil agricole n'a pas la capacité de fournir 20 % de bio aux cantines. Ira-t-on le chercher au Brésil ou en Roumanie ? Les initiatives se multiplient ; laissons faire les maires, la demande sociale est forte.

M. Daniel Dubois . - Félicitations à Joël Labbé, fidèle à ses convictions.

À écouter M. Bourquin, on a l'impression que les produits non bio ne sont pas de qualité. Notre agriculture fournit des produits de grande qualité, il faut le dire ! Il n'y a pas photo entre la viande américaine et la nôtre.

On ne peut pas à la fois dénoncer l'excès de normes et adopter sans arrêt des textes qui en imposent de nouvelles. Hier en séance publique, nous avons voté une loi qui renforce le recours à l'architecte pour les constructions individuelles et les lotissements. Aujourd'hui, nous examinons une proposition de loi qui pose une obligation dans la restauration collective.

La communauté de communes du Haut-Clocher rassemble 8 000 habitants et 20 communes. Les écoliers sont regroupés dans trois écoles et trois cantines, gérées par un prestataire qui cuisine 40 000 repas par an, les sert et assure le nettoyage. Il assume toute la responsabilité de la préparation des repas sans gluten ou sans sel. Les représentants des parents d'élèves, qui participent à l'élaboration du cahier des charges, ont privilégié la présence de cinq éléments au bio quand ils ont vu les prix. Le repas est acheté 4,95 euros et vendu 3,70 euros, grâce aux subventions des collectivités. Quand on voit les coûts pour les collectivités et la baisse des dotations, disons halte aux normes, halte aux contraintes, oui au bon sens !

M. Jean-Pierre Bosino . - Merci M. Labbé. Je n'ai pas de désaccord de fond avec cette proposition de loi, même si elle pose beaucoup de questions. Elle va dans le sens de la pédagogie, de la volonté de créer une dynamique locale pour ancrer territorialement l'alimentation.

Il faut détacher la question du bio. À Montataire, nous opérons en régie pour maîtriser complètement la qualité de ce que l'on sert. Je partage, globalement, l'affirmation de M. Dubois selon laquelle l'agriculture est de qualité mais les affaires de la vache folle ou des pesticides inquiètent nos concitoyens.

Martial Bourquin a signalé une nouvelle directive européenne. Les maires, qui signent les marchés publics, ont besoin d'être rassurés sur le fait que l'introduction de clauses favorisant l'ancrage local ne pose pas de difficulté.

Je ne suis pas certain que l'agriculture locale soit capable d'alimenter le marché. Nous avons besoin de réfléchir à la création de filières.

Je rejoins M. Navarro sur les revenus : 85 % des salariés gagnent moins de 2 000 euros par mois.

Mme Sophie Primas . - Et les agriculteurs ?

M. Jean-Pierre Bosino . - Les gens les plus modestes sont ceux qui se nourrissent le plus mal et connaissent le plus de problèmes de santé et d'obésité.

Mme Élisabeth Lamure . - La difficulté de ce texte réside dans sa mise en oeuvre. L'Association des maires de France incite, depuis 2014, les collectivités à acheter des produits de proximité pour approvisionner la restauration collective. Cela se révèle plus compliqué dans les grandes communes et, partout, se pose un problème de prix.

À Gleizé, nous avons travaillé sur la proximité et la saisonnalité. Avec le bio, on perd en proximité. Et puis, où trouver du riz de proximité ?

M. Marc Daunis . - En Camargue !

Mme Élisabeth Lamure . - On parle trop de l'agriculture biologique et pas assez de l'agriculture raisonnée, qui donne des produits sains et naturels.

M. Jean-Jacques Lasserre . - La modestie est l'une des qualités de Joël Labbé, ne la mettons pas à mal par trop de félicitations.

Les collectivités territoriales peuvent avoir un effet déclenchant, mais n'ont pas la capacité financière de s'approvisionner localement.

Le bio et la proximité sont deux choses différentes. J'ai visité, dans la Haute Lande, une exploitation biologique de 600 ha de carottes avec des enjambeurs à 10 cm du sol. Des Roumains, couchés sur des planches, arrachaient les petites mauvaises herbes : nous sommes dans une phase où le bio peut s'accompagner de pratiques gênantes.

Développer l'agriculture de proximité représente un beau défi politique mais prendra du temps. La difficulté portera sur la certification des produits. Au salon de l'agriculture, la politique de communication des entreprises, cette merveilleuse mystification, entretient volontairement la confusion. Par exemple, le consommateur pense que le jambon Aoste vient d'Italie quand il voit l'image d'une superbe Italienne défiler sur de la musique de Verdi ; en réalité, il est fabriqué dans une usine claustrée à 30 km de Lyon.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Voilà une habile façon de contrer un concurrent du jambon de Bayonne !

M. Alain Chatillon . - Au lieu de partir du produit, il faut connaître le marché. Ce qui compte, c'est le bon équilibre alimentaire entre les protéines, les vitamines et les sels minéraux. J'ai créé en 1994 une entreprise de produits naturels au soja. Elle en utilise 5 000 tonnes par an, ce qui donne du travail à 250 agriculteurs et 130 salariés pour 30 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Dans notre pays judéo-chrétien, nous n'affrontons pas les vrais problèmes. La médecine est curative et non préventive. Or 80 % des problèmes du tube digestif sont réglés par 2,5 grammes de son. Mais les pains de son ne sont pas remboursés par la sécurité sociale, contrairement aux laxatifs. Les médecins ne les prescrivent pas, eux qui étudient la nutrition deux heures par semaine pendant les deux dernières années contre huit heures par semaine pendant neuf ans pour les vétérinaires ! Une meilleure nutrition réduirait les dépenses de sécurité sociale.

Les produits issus de l'agriculture raisonnée sont meilleurs et moins chers. Qu'on ne nous empêche pas de les développer. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses, contraint les entreprises françaises. Commençons par supprimer des normes.

N'oublions pas que le consommateur effectue 85 % de ses achats dans la grande distribution. Il y a trente ans, la part de l'alimentation dans le budget des ménages était de 24 %. Elle est actuellement de 12 %. Les 12 % épargnés vont dans les téléviseurs, les téléphones mobiles... Allons vers une agriculture raisonnée et naturelle, moins chère et plus compétitive.

Un dernier exemple : pendant vingt-trois ans, j'ai eu interdiction de vendre mes produits en Allemagne, faute d'obtenir 75 % des voix des décideurs du label allemand Grüne liste . Pendant ce temps-là, on négocie le traité transatlantique et les produits américains vont entrer sur notre marché.

M. Bruno Sido . - Merci à M. Labbé de travailler avec son coeur. Merci aussi à M. Bourquin de nous avoir involontairement fait la démonstration de l'inutilité de ce texte. D'autres l'ont dit avant moi, ce sera encore plus de normes, d'observatoires, de rapports, de délais à respecter et de dates-butoir. Les élus, qui sont des gens responsables, savent comment nourrir leurs enfants et leurs personnes âgées. Le principe de libre administration des collectivités territoriales, que curieusement personne n'a évoqué, s'applique, à moins que ne se pose un problème de santé publique. Il s'applique d'autant plus que le texte crée insidieusement une charge nouvelle sans la compenser : l'approvisionnement des cantines en produits bio, beaucoup plus chers. La hausse des charges des collectivités est une réalité.

Le bio, c'est bien mais personne ne voudrait acheter les pommes de mon verger bio au marché de la rue Mouffetard. Les cuisiniers qui réenchanteront la cuisine avec M. Labbé ne veulent pas non plus de pommes de terre biscornues, synonymes de gâchis phénoménal ; ils veulent des pommes de terre rondes, faciles à éplucher.

Le bio, c'est gentil mais on a la mémoire courte. Qui se souvient qu'il fallait autrefois cuire les produits pendant des heures pour éviter le ténia ? Que le progrès scientifique nous a évité l'ergot du blé, qui est mortel ? On le voit d'ailleurs réapparaître dans les silos : certaines récoltent sentent le poisson pourri. Sans compter que la définition du bio varie selon les pays : le bio français n'est pas le bio allemand.

Bref, avec ce texte, le lobby bio tire remarquablement son épingle du jeu.

M. Joël Labbé, rapporteur . - Monsieur Vaugrenard, ma seule stratégie consiste à dire ce que je pense : nous pouvons voter ce texte conforme. Il ne porte que sur la restauration collective et, dans la restauration collective, sur 40 % de l'approvisionnement. Dépourvu de sanction, il incitera les collectivités à s'engager. Les agriculteurs l'attendent, la directrice de l'agence bio me l'a confirmé au salon de l'agriculture. D'ailleurs, les exploitations bio qui pratiquent la polyculture et l'élevage ont été moins touchées que les autres par la crise.

Monsieur Bailly, la définition de l'agriculture durable avec ses trois piliers, économique, social et environnemental, est désormais inscrite dans les textes. Des normes supplémentaires ? Non, puisque le texte est incitatif. Il ne restera pas non plus au rang de voeu pieux comme le Grenelle parce qu'il constitue, non pas la réponse, mais un élément de la réponse à la crise agricole.

Des études sur les expérimentations ont montré que la hausse des prix était contenue. Les familles n'en souffriront pas avec le quotient familial. Surtout, n'oublions pas que le déjeuner pris à la cantine représente souvent le seul repas équilibré de la journée pour beaucoup d'enfants issus de familles en difficulté.

L'agriculture bio n'interdit pas de nourrir les vaches au foin et au regain, bien au contraire !

Jacques Pélissard est venu en personne nous parler avec fierté de l'expérience de Lons-le-Saunier ; elle est applicable à l'échelle nationale.

La France importe du bio d'Allemagne, d'Autriche et d'Italie parce qu'elle n'a pas su prendre ce virage. Il n'est pas trop tard. Le bio est une réalité, la demande sociale est forte dans notre pays, en Europe et dans le monde.

Monsieur Vaugrenard, il fallait effectivement replacer les chambres régionales d'agriculture au coeur du dispositif. À mon sens, la pédagogie envers les consommateurs n'est plus nécessaire, la prise de conscience est là. En revanche, il faut structurer la filière par la commande publique.

Monsieur Tandonnet, ce texte correspond à la réalité du terrain. Partout où il y a la volonté d'ancrer l'alimentation dans le local, le maraîchage, généralement bio, revient. Se pose d'ailleurs un problème de foncier que règlent les territoires en lien avec les Safer.

Comment atteindre 20 % de produits bio quand le bio représente 5 à 6 % de la production agricole ? C'est possible, nous ne parlons que de la restauration collective. Il est insensé d'importer du bio en France, ce pays aux agricultures multiples.

Monsieur Bourquin, on me prédisait le pire pour ma loi sur les pesticides. Finalement, les collectivités se sont mises en ordre de marche pour 2017.

Monsieur Gremillet, l'agriculture durable est inscrite dans différents textes, elle constitue l'un des objectifs de la Cop 21. Il y a urgence, ne l'oublions pas.

Monsieur Navarro, l'alimentation doit retrouver sa juste place dans le panier de la ménagère. Et dire que l'industrie agro-alimentaire ne parle plus de viande pour les plats préparés, mais de minerai...

Le sujet pour la restauration collective, c'est d'organiser la demande en produits durables et bio, de la planifier. Dans le Morbihan, j'ai vu avec bonheur d'importantes entreprises prestataires affirmer en audition qu'elles étaient prêtes à s'adapter.

Si on ne légifère pas pour l'opinion publique, nous devons aussi répondre à une attente de fond. Les producteurs, quelle que soit leur appartenance syndicale, demandent ce texte.

Madame Primas, vous savez parfaitement que Paris approvisionne ses cantines en produits venant des circuits courts sans se limiter aux radis, carottes et oignons.

Mme Sophie Primas . - Je me demande comment...

M. Joël Labbé, rapporteur . - Oui, on peut réintroduire l'élevage en Île-de-France. Hier soir, en regardant une émission télévisée, j'ai appris que 30 % de la charcuterie bio consommée en France était importée. Est-ce normal ?

Je m'inscris en faux contre l'idée qu'il faudra importer pour atteindre 20 % de produits bio dans la restauration collective. Avec ce texte, nous enclencherons une dynamique qui offrira des débouchés pérennes à la production bio.

Monsieur Dubois, le non bio est de qualité, personne ne dit le contraire. D'ailleurs, la proposition de loi lui fait une place : 40 % d'agriculture raisonnée, avec 20 % de bio, et 60 % pour le reste. Dans le même ordre d'idée, monsieur Bosino, ne ménageons pas une place à part au bio ; il recouvre, par définition, des produits naturels issus de l'agriculture raisonnée, qui sont chers à Alain Chatillon.

Madame Lamure, l'initiative de l'AMF en 2014 était bonne mais elle n'a pas suffi. D'où la nécessité d'une impulsion nationale.

Monsieur Lasserre, sans tomber dans le catastrophisme, n'oublions pas l'urgence. Et puis nous parlons d'un horizon raisonnable : 2020. Le rôle de l'observatoire de l'alimentation sera essentiel.

Monsieur Chatillon, la qualité nutritionnelle des repas n'est pas antinomique avec cette proposition de loi.

Enfin, monsieur Sido, si j'ai du coeur, je sais désormais le tempérer par la raison. Je ne vois pas d'entorse au principe de libre administration des collectivités territoriales dans ce texte à partir du moment où aucune sanction n'est prévue. Pour beaucoup d'élus du Morbihan, cette proposition de loi enverra un bon signal.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier

M. Joël Labbé, rapporteur . - L'amendement n°COM-4 apporte une clarification inutile : retrait, sinon rejet.

L'amendement n° COM-4 est adopté.

M. Joël Labbé, rapporteur . - M. Tandonnet, avec son amendement n° COM-2, supprime les 20 % de produits bio. Je lui propose un deal : travailler d'ici à la séance publique à une rédaction indiquant clairement que ces produits bio se retrouvent dans les 40 % de produits durables.

L'amendement n° COM-2 est adopté.

L'article premier est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article premier bis (nouveau)

M. Joël Labbé, rapporteur . - L'amendement n° COM-3 de M. Tandonnet est de conséquence avec son amendement n° COM-2.

L'amendement n° COM-3 est adopté.

M. Joël Labbé, rapporteur . - L'outre-mer a bien sûr ses particularités. Toutefois, le texte ne s'appliquera directement que dans les DOM et les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution. Je pense que la précision apportée par l'amendement n° COM-5 n'est pas nécessaire, mais dès lors que d'autres amendements ont été adoptés, je ne suis pas défavorable.

L'amendement n°COM-5 est adopté.

L'article premier bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles 2, 3, 3 bis (nouveau) et 4

L'article 2 est adopté sans modification, de même que les articles 3, 3 bis (nouveau) et 4.

Article 5

M. Joël Labbé, rapporteur . - L'amendement n°COM-1 supprime l'article sur le « fait maison ». Puisque je ne vous ai pas convaincu de voter le texte conforme, je n'y vois pas d'inconvénient.

L'amendement n°COM-1 est adopté et l'article 5 est supprimé.

M. Marc Daunis . - Quelle est la position du rapporteur face à ce texte modifié par la commission ?

M. Joël Labbé, rapporteur . - Je vous invite à voter pour, sachant que je vous proposerai des amendements en vue de la séance.

M. Gérard Bailly . - Le groupe Les Républicains s'abstiendra.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements est repris dans le tableau ci-après.

Article 1 er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. TANDONNET

4

Caractère alternatif des critères de l'alimentation durable.

Adopté

M. TANDONNET

2

Suppression de toute quotité précise pour la présence de produits issus de l'agriculture biologique.

Adopté

Article 1 er bis (nouveau)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. TANDONNET

3

Suppression de toute référence à une obligation d'incorporation de produits de l'alimentation durable.

Adopté

M. DESPLAN

5

Prise en compte des particularités des outre-mer dans le rapport au Parlement.

Adopté

Article 5

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. TANDONNET

1

Inapplication de la mention "fait maison" à la restauration collective.

Adopté

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